Page 1 |
Page 2 |
Page 3 |
Bibliographie |
Zoomer
: CTRL + Roulette de la souris
Revenir au sommaire du dossier
[7] Voir notamment Michel de Certeau, L’Invention du quotidien, Paris, Gallimard, coll. « Folio », 1990
[8] Pascal Nicolas-Le Strat , Expérimentations politiques, Op. cit.
[9] Pascal Nicolas-Le Strat , Expérimentations politiques, Op. cit. dans lequel il poursuit et développe sa théorie : « Du fait de leur statut provisoire et incertain, les interstices laissent deviner ou entrevoir un autre processus de fabrication de la ville, ouvert et collaboratif, réactif et transversal. Ils nous rappellent que la société ne coïncide jamais parfaitement avec elle-même et que son développement laisse en arrière plan nombre d’hypothèses non encore investies. L’interstice constitue certainement un des espaces privilégiés où des questions refoulées continuent à se faire entendre, où certaines hypothèses récusées par le modèle dominant affirment leur actualité, où nombre de devenirs minoritaires entravés, bloqués, prouvent leur vitalité. À ce titre, l’expérience interstitielle représente la parfaite métaphore de ce que peut être le mouvement de l’antagonisme et de la contradiction dans la ville post fordiste : un mouvement qui s’affirme au fur et à mesure de ce qu’il expérimente, qui monte en intensité grâce aux modalités de vie et de désir qu’il libère, qui s’oppose à la hauteur de ce qu’il est susceptible d’inventer et de créer. »
[10] « L’interstice se constitue donc à un niveau politique ; il tente de faire rupture avec l’ordonnancement classique de la ville. Mais il affronte également ses propres contraintes quotidiennes ; l’expérience intègre des rythmes et des rituels, des habitudes et des familiarités. (…) L’expérience interstitielle est donc avant tout une mise en questionnement. »
[11] id.
[12] «Nous intervenons spécifiquement sur des terrains qui, à cause de leur statut provisoire et incertain, ne sont pas “valorisés“ par les procédures administratives et urbanistiques habituelles. Les terrains interstitiels sont des “failles dans le système“ qui peuvent permettre l’expérimentation d’autres logiques et d’autres principes économiques, permettant en même temps la manifestation d’autres populations et l’apparition d’autres processus urbains. » rappellent des membres du collectif AAA. (Atelier d’Architecture Autogérée) L’AAA est une plate-forme interdisciplinaire qui développe des « stratégies » et des « tactiques » de recherche et d’intervention en matière d’aménagement de la ville au croisement de multiples points de vue : architectes, urbanistes, artistes, chercheurs, étudiants, activistes, politiques, habitants et usagers des futurs espaces aménagés
[13] Territoires qui peuvent être à la fois fonciers, pour les espaces qui échappent à la spéculation, mais qui peuvent être aussi des territoires culturels, des territoires qui apparaissent de façon informelle ou au-delà des pratiques existantes ou des cases trop institutionnelles.
[14] Constantin Petcou et Doina Petrescu, "Au rez-de-chaussée de la ville", revue Multitudes, n°20, 2005, p. 75 à 87.
[15] « Où se localisent ces rez-de-chaussée de la ville ? Où se loge notre part de commun ? Dans la multiplicité des espaces incertains : des terrains vagues et des lieux laissés en friche, c’est-à-dire partout où des transitions et des transversalités demeurent possibles, partout où du "commun", du "partagé", de la "rencontre" restent envisageables. », Constantin Petcou.
[16] Cette réflexion fait suite au séminaire Systèmes Culturels et Esthétiques en Europe de Renaud Zuppinger du 28 mai 2009 à l’Institut d’Etudes Européennes, sur la différence entre interpersonnel et co-subjectivité.
[17] « Cela correspond à une façon de regarder le monde, plutôt de biais que de face, à partir de ses recoins cachés, comme révélateurs de l’ensemble, plutôt que de tenter des approches globales dont on sait d’une part qu’elles sont largement traitées par d’autres, et d’autre part qu’elles se révèlent souvent un peu décevantes. C’est cette idée qui nous a incité à travailler à la marge. En ce qui concerne la ville, cet objet marginal, c’est l’interstice, qu’il faut comprendre dans une double dimension spatiale et temporelle. Du point de vue spatial, il s’agit de rechercher ces morceaux de ville qui échappent aux régulations générales. On en trouve partout, depuis les terrains vagues jusqu’aux squats, en passant par les recoins cachés, les parkings, les endroits accaparés par divers types de marginalité. Certains de ces interstices sont d’ailleurs organisés en tant que tels, par opposition à l’espace majeur. Et il nous a semblé qu’ils révélaient, comme le bord de la statue, le corps de la ville, dans la mesure où ce qui s’y passe raconte ce qui ne peut pas se passer dans le reste de l’espace urbain. Du point de vue temporel, les interstices renvoient au fait que la ville est en mouvement perpétuel, qu’elle évolue de façon plastique dans le temps. Des zones auxquelles était à une époque affectée une fonction précise perdent cette fonction à l’occasion de transformations économiques et sociales et deviennent tout à coup des endroits inutiles de la ville, et donc des poches qui favorisent l’apparition d’activités marginales. » HATZFELD Hélène et Marc, RINGART Nadja, Quand la marge est créatrice, les interstices urbains initiateurs d’emploi, éditions de l’aube, 1998. Dans cette étude sur les formes d’emploi, ils évoquent une certaine fonction de laboratoire des interstices, qui peuvent favoriser l’émergence de formes innovantes de relations et d’activités économiques.
Les friches ont été l’une des premières illustrations de cette recherche d’un rapport nouveau à l’urbain et à notre société où l’artiste et l’individu se font acteurs de la transformation du cadre de vie et des territoires en se les appropriant. Elles étaient certes, à la fois issues du volontarisme politique de certains acteurs, mais aussi impulsées par la base, des collectifs, des regroupements plus ou moins spontanés... Les deux sortes de pratiques et de genèses existent.
Notre propos ici est d’étudier, au-delà des friches industrielles, les pratiques culturelles qui réinvestissent des espaces non définis (un terrain vague, un immeuble, la rue…)…
Il existe plusieurs acceptions du terme « interstice », et tout autant d’approches et pratiques, voire peut -être autant d’acception que de projets. Nous allons revenir sur ces différentes acceptions (sans toutefois dresser une typologie étant donné la diversité des démarches et des projets et le caractère unique de chaque intervention). Une caractéristique récurrente peut toutefois être partagée par tous : la notion de « détournement », de reconversion, de réhabilitation, qui, ancrée dans la réalité sociale et urbaine, donne naissance à des initiatives culturelles inédites qui questionnent ainsi ces espaces et la société contemporaine.
Dans ses travaux, Michel de Certeau[7], nous incite à déplacer le regard, à le renverser ou à le détourner. Par un travail interstitiel, par un mouvement de rupture, par des chemins de traverse, cette multiplicité de devenirs, parfois niés, méprisés, délaissés, impose leur perspective. L'expérience interstitielle représente une occasion privilégiée pour renouer avec ces hypothèses et ces devenirs disqualifiés par l'économie de la société.
« La « disponibilité » urbaine pour un autre processus de fabrication de la ville
Comme nous le rappelle Pascal-Nicolas Le Strat[8], théoricien et praticien de la notion d’interstices, ils « représentent ce qui résiste encore dans les métropoles, ce qui résiste aux emprises réglementaires et à l’homogénéisation. Ils constituent en quelque sorte la réserve de « disponibilité » de la ville.»[9]
Souvent, l'interstice déchire l'image esthétisée ou performante que la ville se donne d'elle-même mais elle ne le fait pas en fonction d'un point de vue extérieur –mais en rusant avec ce qu'est la ville elle-même, en jouant avec ses tensions internes et ses propres contradictions : ce que la ville délaisse et désinvestit. C’est ainsi que Pascal Nicolas-Le Strat nomme « les arts de la ruse » les projets qui investissent « ces espaces de questionnement ».[10]
Ce théoricien et praticien a, en outre, énoncé une autre caractéristique de l’interstice - son statut temporaire :
Ces terrains vagues, ces « délaissés » urbains ont souvent un statut provisoire, vague, indéterminé et incertain. Parce qu’ils se situent à l’opposé des espaces figés par les fonctions et les formes de propriété de la ville moderne, les délaissés urbains, les friches et les terrains vagues conservent souvent justement nous l’avons vu, « le vague », l’indéfini, l’indéterminé.[12]
Ces espaces, qu’ils soient en attente de futures opérations immobilières, ou tout simplement délaissés, peuvent recevoir le statut d’espaces collectifs provisoires, flexibles, par les acteurs culturels qui permettent et encouragent une intervention. Ils fonctionnent alors souvent selon des principes d’autogestion et de « programmation » temporaire et réversible.
Le « temporaire » : une condition de l’interstice ?
En interrogeant « la disponibilité » d’une ville, et en inventant des types de dispositifs urbains issus des dynamiques spontanées et des pratiques quotidiennes, ces « interstices temporaires » créent de nouveaux types de projet qui se manifestent à travers des agencements temporaires, des dispositifs nomades et des micro dynamiques urbaines. Le « temporaire » peut ainsi devenir un principe fondamental, car il peut permettre par exemple d’alléger la structure d’un projet, de dépasser les interdictions. La transgression des fonctionnalités « données » d’un espace est peut-être possible du fait de ce statut temporaire.
Les interstices sont les “territoires“ qui ne sont pas pris dans un système global[13]. Ils émergent à l’intérieur de certaines institutions dans lesquelles peuvent se développer des brèches ou des changements. De l’expérience interstitielle peut découler un changement radical d’existence. Cela peut devenir « un interstice de pratique, de quotidien, de mentalité. » L’interstice se construit par rapport à quelque chose, et dans cette mesure peut constituer un intervalle.
Pour Constantin Petcou, « le rez-de-chaussée de la ville » représente lui aussi un interstice, « à la fois un espace intermédiaire entre l’intimité d’une habitation et la globalité de la ville, à la fois le seuil d’un immeuble qui, une fois franchi, ouvre sur la multiplicité et la transversalité des rues, à la fois, également, une des parties communes, ni espace privé, ni espace public, mais effectivement une part de commun partagée par l’ensemble des résidents » [14]
Ce principe quasi méthodologique fait écho à une certaine sociologie des "interstices urbains" où les rez-de-chaussée constituent des interfaces, des entre-deux, l’entrecroisement de nombreuses communautés de vie et de travail, en un mot, cette "part de commun" dans les espaces collectifs.[15]
Mais est-ce que ces interstices ont réellement cette vocation de partage, de commun? Et surtout de quel « commun » parle-t-on ? Et à quelle fin ? A l’inverse, ces interstices urbains ne sont-ils pas là pour faire émerger, valoriser les subjectivités qui permettront sans doute bien mieux de faire exister un collectif, à partir de la co-existence même de ces subjectivités ?[16]
Les zones urbaines restées en marge peuvent, parfois, jouer le rôle d’un laboratoire où s’inventeraient de nouvelles formes de relations sociales et d’activités économiques. C’est sur cette idée que Marc Hatzfeld, sociologue, a travaillée[17].
Quand on dit laboratoire, il faut d’ailleurs rester prudent : il ne s’agit surtout pas de dire qu’on expérimente dans les interstices des choses qu’on va pouvoir répéter grandeur nature à côté, ni même de dire que ce qui s’y passe correspond à une rationalité. En effet la singularité des interventions est une des caractéristiques majeures des démarches dites interstitielles. Cette singularité est due à l’unicité de chaque « lieu ».