Wittgenstein et Turing : règles et contradiction (II)
J’aimerais maintenant discuter les échanges entre Wittgenstein et Turing au sujet de la contradiction, qui s’étendent des cours XXI à XXIII. De tous leurs échanges celui-ci est certainement celui qui a fait couler le plus d’encre. Pour un logicien établissant un nouveau système, une preuve de sa non-contradiction est requise pour une raison assez simple, qu’on appelle de nos jours « l’explosion »[1]. En effet, si on prouve dans un système à la fois A et ¬A, alors on peut en quelques étapes prouver n’importe quelle autre thèse B, telle que « la lune est faite de fromage vert », ce qui a pour résultat de rendre ce système trivial, donc sans intérêt théorique[2]. La preuve, donnée ici en déduction naturelle et en notation arborescente (dont je présuppose la connaissance[3]), est très simple ; elle utilise le syllogisme disjonctif :
A & ¬A A & ¬A A ¬A A∨B B(Cette preuve est souvent attribuée à C. I. Lewis[4], mais l’échange entre Turing et Wittgenstein cité plus loin présuppose qu’elle était monnaie courante à Cambridge à l’époque.) Les remarques de Wittgenstein à propos de la contradiction en mathématiques sont, avec celles sur les théorèmes de Gödel, parmi ses plus controversées. Encore une fois, elles n’ont rien de « trivial » au sens où il l’entendait lui-même, et elles sont plutôt fréquemment utilisées pour démontrer qu’il ne maîtrisait tout simplement pas ce dont il parlait. Dans les Remarques sur les fondements de mathématiques, on trouve des remarques comme celle-ci, aux App. III, § 17 et IV, § 56 :
La peur superstitieuse et l’adoration du mathématicien devant la contradiction. (Wittgenstein 1983, 117)
La contradiction. Pourquoi justement ce spectre ? C’est bien louche. (Wittgenstein 1983, 218)
Il disait justement au III, § 82 vouloir changer cette attitude :
Mon but est de modifier l’attitude envers la contradiction et envers la preuve de la non-contradiction. (Wittgenstein 1983, 189)
Dès la première la première édition de ces Remarques, en 1956, des logiciens, et non des moindres, ont critiqué les remarques de Wittgenstein sur la contradiction[5]. Pour son étudiant Georg Kreisel, les arguments de Wittgenstein sont presque tous des « tirs qui manquent leur cible » (Kreisel 1958, 155), tandis que pour A. R. Anderson, commentant le III, § 82 :
[…] certains arguments de Wittgenstein conçus pour faire changer notre attitude envers la contradiction montre que Wittgenstein n’a pas compris à la fois le contenu et les raisons d’un nombre de résultats qu’il discute en long et en large. (Anderson 1958, 451)
L’édition en 1976 des Cours sur les fondements des mathématiques de 1939 a aussi occasionné une nouvelle série de critiques au sujet des propos controversés de Wittgenstein sur la contradiction. Je n’examinerai qu’une seule critique, la plus influente, celle de Charles Chihara dans « Wittgenstein’s Analysis of the Paradoxes in his Lectures on the Foundations of Mathematics » (Chihara 1977)[6]. Je me contenterai de ne faire valoir que deux points contre Chihara, dont les conclusions négatives, prenant le parti de Turing contre Wittgenstein, sont encore largement partagées de nos jours. Mes remarques ont à voir avec l’idée qu’une contradiction pourrait être « cachée », en ce sens que d’un système de logique, disons, sous forme axiomatique[7], nous n’avons à tout moment donné dérivé des axiomes qu’un nombre fini de conséquences de ceux-ci en vertu d’une ou des règles d’inférence, et il se pourrait donc qu’une contradiction se trouve embusquée dans l’ensemble (infini) des conséquences qui ne sont pas encore dérivées, avec une sorte d’existence antérieure à sa dérivation[8]. Cette « contradiction cachée » serait en quelque sorte une forme de cancer agissant en secret pour invalider les déductions déjà effectuées dans le système. Pour Wittgenstein, qui ne partage certainement pas cette façon « réaliste » de voir les choses, une « contradiction cachée » ne peut en tout cas poser aucun danger :
Mais que devrions-nous appeler « contradiction cachée » ? Où serait-elle cachée ? Quand est-elle cachée, et quand cesse-t-elle de l’être ?
Est-elle cachée aussi longtemps qu’elle n’a pas encore été remarquée ? Alors, aussi longtemps qu’elle est cachée, je dis que tout va pour le mieux (it’s as good as gold). Et lorsqu’elle apparaît ouvertement, elle ne peut faire aucun dommage. (Wittgenstein 1995, 226)
Pour Chihara, ces propos sont « absurdes » et réclament de bonnes raisons pour les accepter (Chihara 1977, 369), mais il n’en trouve pas dans les répliques de Wittgenstein à Turing. Or, même si on accorde que Wittgenstein n’a pas su répondre à Turing, cela n’implique pas qu’aucune raison puisse être invoquée.
La remarque que je viens de citer contient deux thèses :
(a) une contradiction cachée n’est pas en soi dangereuse,
(b) une fois mise au jour, une contradiction « ne peut faire aucun dommage ».
Examinons-les dans l’ordre inverse. En réponse à Turing, Wittgenstein offre l’argument suivant à l’appui de (b) :
Wittgenstein : Vous pourriez obtenir [p & ¬p] en vous servant du système de Frege. Si vous pouvez en tirer n’importe quelle conclusion, c’est là, à mon sens, le seul embarras dans lequel vous puissiez tomber. Et je dirais : « eh bien, ne tirez donc aucune conclusion d’une contradiction. » (Wittgenstein 1995, 227-228)
Mais Turing réplique :
Turing : Mais ça ne suffirait pas. Car si l’on posait cela comme règle on pourrait contourner cette règle et obtenir tout les conclusions que l’on voudrait sans véritablement passer au travers de la contradiction. (Wittgenstein 1995, 228)
Et Chihara de commenter :
Le point soulevé par la remarque de Turing était simple et on pourrait penser qu’il peut être compris par quiconque possédant une bonne compréhension de la logique élémentaire ; il y a pourtant des raisons de croire que Wittgenstein ne l’a pas compris. (Chihara 1977, 372).
Quel est donc ce point élémentaire que n’aurait pas compris Wittgenstein ? Pour Chihara, si le système formé par un ensemble d’axiomes ∑ est contradictoire en soi, on peut toujours inférer n’importe quel B, sans avoir à passer par la conjonction « A & ¬A », comme ci-dessus. Chihara donne cet argument (Chihara 1977, 371-372) :
(1) A est dérivable de ∑ , que je transcris ainsi : ∑ ⊢ A
(2) ∑ ⊢ ¬A
Donc
(3) ∑ ⊢ A & ¬A
On peut malgré tout dériver n’importe quel B sans passer par cette contradiction puisque :
(4) ∑ ⊢ ¬A → B, de (1).
Je présume que Chihara, qui s’exprime mal, parle de « A→ (¬A→B) », d’où :
(5) ∑ ⊢ B, par modus ponens, de (2) et (4).
On peut reformuler l’argument de Chihara en termes de déduction naturelle avec séquents, où la règle de la coupure correspond au modus ponens des logiciens médiévaux. Sa déduction de B est donc de la forme suivante :
∑ ⊢ ¬A ∑ , ¬A ⊢ B ∑ ⊢ B
On voit tout de suite que Chihara ne nous a pas indiqué d’où provient sa prémisse « ∑ , ¬A ⊢ B ». On peut l’obtenir par une autre application de la règle de la coupure :
∑ ⊢ A A, ¬A ⊢ B ∑ , ¬A ⊢ BNous aurions donc :
∑ ⊢ A A, ¬A ⊢ B ∑ ⊢ ¬A ∑ , ¬A ⊢ B ∑ ⊢ BDans ces conditions, Chihara n’a pas d’argument : nous sommes passés par « A, ¬A » (dans cette notation, la virgule est une forme de conjonction des prémisses). De surcroît, on a pas encore de preuve, donc rien de très convaincant. Or « A, ¬A ⊢ B » peut être obtenu en deux étapes, à partir de la règle de « l’affaiblissement à droite » :
A ⊢ A A, ¬A ⊢ A, ¬A ⊢ BEt de cela, on peut obtenir le théorème A→ (¬A→B) par deux applications successives de la règle de « l’introduction à droite de → ». On a donc, au complet :
A ⊢ A A, ¬A ⊢ A, ¬A ⊢ B A⊢ ¬A→B ⊢ A→ (¬A→B)De ce théorème, Chihara peut obtenir n’importe quel B, si ∑ ⊢ A et ∑ ⊢ ¬A, par deux autres applications de la règle de la coupure, équivalentes, encore une fois, aux applications de la règle du modus ponens qu’il présuppose en (4) et (5). Il n’a toujours pas d’argument puisque nous sommes une fois de plus passés par « A, ¬A ». La règle du « ex falso quodlibet » en déduction naturelle :
⊥ Acorrespond à la règle de « l’affaiblissement à droite » dont un usage essentiel a été fait dans cette déduction : l’enlever bloque cette déduction. L’idée de s’en débarrasser, et donc de ne rien inférer à partir de « A, ¬A », comme le suggérait Wittgenstein, est loin d’être stupide. Il existe de nombreux systèmes de logique, minimale, affine, linéaire, de la pertinence, et de la paraconsistance, pour lesquels la règle du « ex falso » ou « l’affaiblissement à droite » ne tiennent pas. D’ailleurs, les adeptes de la logique de la paraconsistance voient souvent Wittgenstein comme un précurseur, mais savoir si cette attribution introduit ou non quelque erreur dans l’interprétation de sa pensée est une question qui ne peut pas être abordée dans ce texte[9]. Si j’ai pris un peu de temps pour démonter l’argument de Chihara, c’est bien parce qu’il s’agit d’un très bon exemple du fait que Wittgenstein doit sa très mauvaise réputation en matière de logique à de mauvais arguments de la part de philosophes comme Chihara qui ne font en bout de ligne qu’étalage de leurs préjugés. Reste cependant que, si la réponse de Turing à Wittgenstein n’était pas tout à fait convaincante, ce dernier n’a pas su lui donner la réplique, ce qui a donné la partie aux adversaires comme Chihara. Ce dernier semble en outre présupposer une vision essentialiste selon laquelle l’inconsistance d’un système de logique serait une sorte de « maladie secrète » dont la dérivation d’une contradiction donnée ne serait que le « symptôme local », pour reprendre les mots mêmes de Wittgenstein (Wittgenstein 1983, 186) ; bloquer toute dérivation à partir de celle-ci ne ferait au mieux que calmer ce symptôme, mais pas guérir la maladie dont les symptômes ressortiront ailleurs, dans la possibilité toujours miraculeuse de dériver n’importe quel « B » sans passer par la contradiction. C’est cette fausse vision qu’il faut remettre en cause.
Voilà qui montre que Wittgenstein était loin de dire des bêtises en affirmant (b), mais qu’en est-il de (a) ? En quoi une « contradiction cachée » pourrait être dangereuse ? Turing entraîne la discussion sur le terrain de l’application des mathématiques :
Turing : Il n’y aura de dommage véritable que s’il existe une application, auquel cas un pont s’effondrera ou quelque chose du genre. (Wittgenstein 1995, 217)
Chihara se porte encore une fois à la défense de Turing. Supposant qu’un pont se soit écroulé, il considère que trois types d’explication soient possibles : soit les ingénieurs ont utilisé les mauvaises données empiriques, soit ils ont fait des erreurs de calcul ou de mauvaises dérivations, soit ils ont utilisé un système logique qui est inconsistant, et qu’ils ont donc fait des inférences qui pourraient être invalides. Wittgenstein n’envisage pas cette troisième possibilité dans la discussion ; il ne voit à deux occasions que les deux premières (Wittgenstein 1995, 218, 225). Encore une fois, il semble que Wittgenstein ne soit pas parvenu à formuler sur le champ une réponse appropriée. Je pense pour ma part, que Michael Wrigley avait raison de renvoyer la balle dans le camp de Turing et de Chihara : les ponts construits à l’aide de mathématiques que l’on peut capturer dans des systèmes logiques dont on a, comme pour l’arithmétique de Peano, une preuve, certes relative, de consistance, tombent eux aussi. Même si on accorde pour les besoins de la conversation que les ponts construits à l’aide d’un système de logique inconsistant s’écroulent le plus souvent, l’argument de Turing n’est tout simplement pas clair (Wrigley 1986, 351-352). Pourquoi seule la troisième possibilité serait en cause dans le cas de ponts construits à l’aide d’un système inconsistant ? Je soupçonne que la réponse à cette question montrera en fait que l’argument est circulaire.
Qu’en est-il de cette question en dehors du domaine de l’application des mathématiques ? Ici, Georg Kreisel peut prendre le relais :
Les preuves de Cantor tiennent toujours debout même lorsqu’elles sont enchâssées dans le système inconsistant de Frege. (Kreisel 1958, 156)
Il faut en effet se garder de penser que l’inconsistance du système de logique que l’on propose comme modèle d’une théorie mathématique aurait pour effet de remettre en cause les preuves antérieurement acquises dans celle-ci ; une leçon bien « wittgensteinienne ». Pour le dire en termes simples : ce qui est calculé est calculé et ne peut être « défait ». Mais on peut réviser les règles du système de Frege. Cette remarque pointe du doigt deux autres difficultés dans l’argument du pont qui s’écroule : on y suppose qu’il n’y a pas de différence entre le système logique et les calculs mathématiques. De surcroît, on suppose que la mise au jour d’une contradiction autrefois cachée indique que le système était malade, et que cette maladie remet en cause les dérivations déjà faites à l’intérieur de celui-ci. C’est sur ce dernier point que j’aimerais terminer.
S’il m’est permis de conclure en un mot ma discussion des échanges entre Turing et Wittgenstein dans les cours de ce dernier en 1939, je dirais que Turing a soulevé de très bonnes questions, auxquelles Wittgenstein n’a la plupart du temps pas su donner une réponse convaincante, malgré le fait que nous puissions à notre tour en donner une et faire avancer le débat, contre ceux qui, comme Chihara, voudraient le clore en faisant taire le point de vue de Wittgenstein.
Aux §§ 1096-1097 du volume 1 des Remarques sur la philosophie de la psychologie on trouve une discussion fort intéressante, datant de 1947, de l’article « On Computable Numbers with an Application to the Entscheidungsproblem » de Turing (Turing 1936-7), avec en prime une allusion à A. G. D. Watson :
1096 – Les « machines » de Turing. Ces machines sont des êtres humains qui calculent. Et l’on pourrait exprimer ce qu’il dit sous la forme de jeux. Et les jeux les plus intéressants seraient ceux qui nous amèneraient par certaines règles à des instructions insensées. Je pense à des jeux comme le « jeu de course » [Wettrennspiel]. Quelqu’un a reçu l’ordre « continue de la même manière » alors que cela ne fait aucun sens, parce que cette personne est prise dans un cercle ; car n’importe quel ordre ne fait sens que dans certaines positions. (Watson.)
1097 – Une variante de la diagonale de Cantor : soit N = F(K, n) la forme de la loi du développement décimal de fractions. N est la nième décimale du Kième développement. La règle de la diagonale est : N = F(n, n) =Def F’(n).
Afin de prouver que F’(n) ne peut être une des règles F(k, n), supposons que c’est la 100ième. Alors la règle de formation
de F’(1) dit F(1, 1)
de F’(2) dit F(2, 2), etc.
Mais la règle de formation de la 100ième place dira F(100, 100) ; donc elle nous dira seulement que la centième place est supposée être égale à elle-même et n’est donc pas une règle pour n = 100.
La règle du jeu dit « fais la même chose… » – et dans le cas particulier devient « fais la même chose que tu faisais. » (Wittgenstein 1989, §§ 1096-1097)
Le § 1097 est en outre reproduit dans les Fiches au § 694 (Wittgenstein 2008, 1540155). Je ne discuterai pas de la provenance de ce texte[10]. Notons cependant que Kreisel avait publié du vivant de Wittgenstein une variante du § 1097 dans une note en bas de page, où il l’attribuait à Wittgenstein (Kreisel 1950, 281n.). Renseignements pris, la « variante de la diagonale de Cantor » au § 1097 n’est pas de lui, elle est sortie … du texte de 1936-7 de Turing (Turing 1936-7, 246-247)[11] !
Je ne discuterai pas non plus de l’usage qu’on a fait du § 1096 dans la discussion des rapports entre la pensée de Wittgenstein et le programme de l’Intelligence Artificielle, pour la raison invoquée au début de mon texte : il n’y a là qu’anachronisme. Stuart Shanker a aussi commis un autre anachronisme en interprétant la remarque de Wittgenstein à l’effet que les Machines de Turing sont « des êtres humains qui calculent » ainsi :
Wittgenstein dit que le problème de l’arrêt de Turing n’a pas plus de signification que n’importe quel autre paradoxe dans la philosophie des mathématiques. (Shanker 1987b, 616)[12]
L’allusion est directe au § 124 des Recherches philosophiques :
Un « problème majeur de la logique mathématique » est pour nous un problème de mathématique comme n’importe quel autre. (Wittgenstein 2004, 87)
Il n’est pas du tout évident que l’on puisse retrouver le sens de cette remarque dans les §§ 1096-1097. Premièrement, Turing ne formule pas le problème de l’arrêt (Halting Problem) dans son texte, qui est formulé comme tel seulement en 1958 (Davis 1958, 70). Wittgenstein n’a dans ces conditions pas voulu dire cela. Deuxièmement, loin de faire la leçon à Turing, Wittgenstein énonce en fait une trivialité sur les Machines de Turing : celui-ci parle certes de machines, mais son analyse du calcul est entièrement en termes d’actes que des êtres humains doivent effectuer. C’est pour cette raison que les anglophones (et non les « anglo-saxons ») parlent ici d’un « computor » à l’opposé de la machine, le « computer » (Turing lui-même parle pour cette dernière de « computing machine »)[13]. Un dernier défaut de l’interprétation de Shanker, c’est qu’il laisse de côté le § 1097 et qu’il ne peut donc pas expliquer § 1096 en lien avec celui-ci, pourtant ce lien est évident, comme je vais le montrer. Bref, on a encore une fois affaire à un usage idéologique de Wittgenstein.
En quoi ces remarques peuvent-elles apporter un élément de réponse au problème soulevé à la fin de la dernière section ? Pour cela il faut comprendre le sens de la « variante de la diagonale de Cantor » au § 1097. La diagonale de Cantor est établie comme suit : imaginons que nous puissions faire une liste S : s1, s2, s3, s4,… de tous les nombres réels dans l’intervalle [0, 1] :
s1 0.1236798… s2 0.3969876… s3 0.0127649… s4 0.3426794… …Cantor propose de définir en deux temps une série, que nous appellerons c0 : premièrement, prendre la première décimale de la première série, s1, suivi de la deuxième décimale de la deuxième série s2, et ainsi de suite – il s’agit de la « diagonale » en tant que telle – pour ensuite transformer chaque décimale en ajoutant 1 si celle-ci est de 0 à 8 ou en soustrayant 1 si celle-ci est 9. On obtient donc la « diagonale de Cantor », ici :
c0 0.2137…
dont on peut aisément montrer qu’elle ne peut faire partie de S puisqu’elle diffère de chaque élément de S par au moins une décimale. Pour comprendre le raisonnement de Wittgenstein dans le § 1097, il faut oublier l’étape de l’addition et la soustraction de 1 et seulement garder en tête la « diagonale » comme telle : prendre la première décimale de la première série, suivi de la deuxième décimale de la deuxième série, et ainsi de suite. Imaginons-nous que chaque série de S serait générée par une machine qui suit un programme et une machine – ou un être humain – à laquelle nous donnerions l’instruction de calculer seulement la « diagonale » comme telle, appelons-là disons d0. Il lui faudrait prendre alors les instructions de la première machinepour calculer la première décimale de s1, puis placer ce chiffre à la place de la première décimale de d0, puis prendre les instructions de la deuxième machine pour calculer s2 jusqu’à la deuxième décimale et l’inscrire à la place de la deuxième décimale de d0, et ainsi de suite. La machine pourra ainsi générer une série infinie, la « diagonale » en tant que telle :
d0 0.1976…
On peut dire que la seule différence avec Cantor à ce stade, c’est que le raisonnement n’est pas « extensionnaliste », on parle plutôt en termes d’instructions, de programmes, ou de règles (comme l’a montré Juliet Floyd dans [Floyd 2012]).
Mais est-ce que cette « diagonale » d0 peut elle-même être dans la liste S ? Bien sûr que non : supposons qu’elle se trouve en cinquième position, c’est-à-dire qu’il s’agisse de s5.. Lorsque la machine arrivera à cette cinquième étape, elle aura calculé les quatre premières décimales en suivant ses instructions : prendre les instructions de la première machine pour calculer s1 jusqu’à la première décimale, puis placer ce chiffre à la place de la première décimale de s5, puis prendre les instructions de la deuxième machine pour calculer s2 jusqu’à la deuxième décimale et l’inscrire à la place de la deuxième décimale de s5, et ainsi de suite, mais lorsqu’il sera question de calculer la cinquième décimale de s5 elle devra prendre ses propres instructions et les appliquer à elle-même, elle pourra reprendre le travail fait pour les quatre première décimales, mais elle n’a pas encore généré de cinquième décimale et ses instructions seront, à cette étape, du genre « fais la même chose que tu faisais », comme le dis Wittgenstein, ou « fais ce que tu fais ». Bref, il lui sera impossible de calculer cette cinquième décimale, elle va bloquer.
On voit aisément par ailleurs que cette « variante » au § 1097 sert à illustrer les propos du § 1096 sur les règles d’un jeu « qui nous amènerai[t] par certaines règles à des instructions insensées », comme « l’ordre “continue de la même manière” alors que cela ne fait aucun sens ». Dans sa discussion avec Turing dans ses cours de 1939, Wittgenstein donne des exemples de règles contradictoires comme celui d’une loi d’un pays « stipulant que, les jours de fête, le vice-président doit s’asseoir aux côtés du président » et celle « stipulant qu’il doit prendre place entre les deux dames », la contradiction n’ayant pas été notée parce que le vice-président était toujours malade les jours de fête (Wittgenstein 1995, 216) ; éliminer la contradiction le jour où le vice-président n’est plus malade n’invalidant pas ce qui s’est passé auparavant. Ces exemples se révèlent du même type que celui proposé par Diego Marconi (Marconi 1984, 346), de la définition d’un prédicat P pour les nombres naturels par ces deux clauses:
P(n) si et seulement si n > 15
P(n) si et seulement si n > 14
Par simple inspection, on voit immédiatement que 15 est P et ne peut pas être P, et par conséquent ce genre d’exemple est peu convaincant, si le but est de montrer qu’une contradiction ne cause pas problème jusqu’au moment où les règles ne nous permettent plus d’agir, d’inférer – l’idée étant qu’à ce moment-là, on répare la contradiction par une modification des règles. L’intérêt de la « variante » du § 1097, outre le fait qu’elle provient en fait de Turing lui-même, c’est qu’elle montre que tout ce que la machine a calculé avant l’étape où les règles font qu’elle bloque continue à valoir : rien n’est invalidité, car la contradiction n’arrive qu’à une étape particulière et ne fait que bloquer la machine. Comme il y a fort à parier que Wittgenstein n’a pas attendu 1947 pour découvrir cette variante – il devait connaître le texte de Turing à l’époque des cours de 1939 –, on peut encore regretter qu’il n’ait pas su en tirer parti durant ses échanges avec Turing, qui a donc souvent eu le dessus sur un Wittgenstein incapable de formuler les bonnes réponses à ses objections. Ces échanges montrent en outre que la prétention de Wittgenstein à n’énoncer que des trivialités n’est pas fondée[14].
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Première partie de l’article.
[1] Voir, par exemple, (Priest 2008, 74-77).
[2] Certains logiciens, comme (Priest 2006), considèrent que ce n’est pas nécessairement un défaut, mais cette question ne peut pas être abordée dans ce qui suit.
[3] Pour celle-ci, le lecteur désireux d’en connaître plus peut consulter (David, Nour & Raffali 2003).
[4] Par exemple, (Priest 2008, 76).
[5] Rares sont, de cette époque, les textes à l’approche charitable comme (Arrington 1969), (Wright 1980, chap. 16) ou encore (Goldstein 1986).
[6] Ce texte a donné lieu à un échange avec Michael Wrigley. Voir (Wrigley 1980, 1986), et la réplique de Chihara, (Chihara 1982). Malheureusement, Wrigley a cherché à défendre Wittgenstein sur la base d’une interprétation de ce dernier, proche de celle de Crispin Wright (Wright 1980) – voir en particulier le chapitre 16 –, qui en fait un « conventionnaliste radical », interprétation qui est selon moi erronée, ce qui rend ce débat dans l’ensemble sans intérêt.
[7] Chihara partage une vision de la logique en termes de systèmes axiomatiques, à laquelle on doit se soumettre pour suivre ses arguments, mais elle n’est bien sûr pas la seule.
[8] Malheureusement, il n’est cependant pas possible de présenter ici une interprétation moindrement complète des propos de Wittgenstein sur la contradiction, même dans le cadre de ses échanges avec Turing en 1939. Par exemple, l’attitude de Wittgenstein envers la contradiction est en partie liée à son rejet de la distinction en « langage » et « métalangage », or une preuve de non-contradiction, qui permettrait de s’assurer que ne se cache aucune contradiction dans un système donné, se déroulera nécessairement au niveau du « métalangage » qu’il récuse ; une telle preuve serait « relative » à la non-contradiction du « métalangage » en question et pour lui la seule vérification possible est « absolue » au sens où elle procède de l’examen des axiomes de la théorie. Quoi que ce point de vue ait des défenseurs de nos jours – voir par exemple (Martin-Löf 1996, 53-54) – il reste contre intuitif pour la plupart des logiciens et une discussion de la question ne peut être entreprise dans le cadre de ce texte.
[9] Voir (Priest & Routley 1989, 35-44), ou, plus récemment, (Priest 2004), pour l’inclusion de Wittgenstein parmi les précurseurs de la logique de la paraconsistance, et (Marconi 1984) ou (Goldstein 1989) pour une discussion. Goldstein a aussi imbriqué son étude de Wittgenstein sur la contradiction dans le cadre plus large d’une étude de ses vues sur les paradoxes, dans (Goldstein 1983, 1988 & 1999, 147-160).
[10] Voir (Marion & Okada 2011) pour une exégèse.
[11] Ce point est clarifié pour la première fois par Juliet Floyd, qui a su montrer les liens entre le raisonnement du § 1097 et le texte de Turing dans (Floyd 2012).
[12] De façon étrange, ce texte est repris dans (Shanker 1988), mais cette fois-ci, Shanker que c’est la deuxième partie de § 1096 qui énonce « clairement » la leçon que Wittgenstein entend donner à Turing (Shanker 1998, 2).
[13] Voir (Gandy 2001, 11 n. 6). De Robin Gandy, voir aussi l’excellent (Gandy 1988), et, sur ces questions, voir (Wagner 2005).
[14] Je remercie chaleureusement Delphine Dubs pour son invitation à collaborer à ce dossier. Le texte des deux dernières sections s’appuie sur celui un travail en cours en collaboration avec Mitsu Okada, et je profite donc de cette occasion de le remercier pour nos nombreuses discussions sur ces questions. J’assume cependant la responsabilité pour la formulation de ce texte et donc pour toute erreur qu¹il pourrait contenir.