Réflexions sur mes usages numériques
En partant de son expérience personnelle d’utilisatrice, Martine Sonnet nous invite ici à prendre conscience de la révolution numérique et des bouleversements qui en ont découlé, tant pour la recherche scientifique, que dans le rapport auteur/lecteur.
Historienne des femmes et du XVIIIe siècle, Martine Sonnet est ingénieure de recherche au CNRS. Elle a notamment publié L’éducation des filles au temps des Lumières (Cerf, 1987), et collaboré à l’Histoire des femmes dirigée par Michelle Perrot et Georges Duby (Tempus, 2002). En 2008, après la publication du récit littéraire Atelier 62 (Ed. Le temps qu’il fait), elle a créé son site internet personnel, incluant son blog : L’employée aux écritures. En 2009 elle a publié Montparnasse monde, livre numérique aux éditions publie.net
Je partirais du constat que j’ai désormais besoin d’Internet pour lire et pour écrire, que cet outil est devenu en quelques années indispensable à (et indissociable de) mes pratiques de lecture/écriture/travail. Je reste, face aux possibilités offertes par cet outil, dans un état d’émerveillement quasi permanent : pas un jour où je ne me félicite de vivre au temps d’Internet, d’avoir vu le numérique naître, se développer, simplifier et enrichir nos vies.
Je place trois jalons, de 10 ans en 10 ans, dans mon parcours personnel pour aboutir à cette situation :
1989 : découverte du traitement de texte sur un Mac SE 40 qu’un éditeur pour qui je travaille met à ma disposition chez moi. C’est une vraie révolution : il faut avoir écrit sa thèse avant l’usage du traitement de texte pour en prendre toute la mesure …
1999 : arrivée d’Internet à la maison, explosant, d’une part, les limites (notamment horaires !) des pratiques de « lecture informative » du côté de mes usages documentaires professionnels, et m’amenant, d’autre part, du côté de mes activités littéraires à fréquenter et rejoindre les sites de création contemporaine existants, puis à ouvrir mes propres site et blog.
2009 : acquisition d’un iPhone (et ouverture d’un compte twitter) signifiant la miniaturisation, la mobilité et le partage en temps réel de tout ce qui précède.
Je constate que mon usage internet sur le volet littéraire de mes activités est antérieur et plus avancé que sur le volet SHS.
D’une part parce qu’internet est un espace de création en littérature qui n’a pas d’équivalent papier. La raréfaction des revues et la frilosité des éditeurs traditionnels face à des textes qui sortent de l’ordinaire par leur format ou leur objet (associant grâce au numérique images, sons, vidéos éventuellement) poussent ceux-ci à exister naturellement sur la toile. Voir, par exemple, le site associatif remue.net, le site personnel (mais largement ouvert à contributions) Tiers Livre de François Bon et la coopérative d’édition numérique publie.net. qu’il anime.
D’autre part parce que le comportement des pratiquants des SHS face aux nouvelles technologies et aux digital humanities n’est pas homogène entre les différentes disciplines et que mes collègues historiens sont sur ce point à la traîne. S’il est absolument évident pour moi d’accompagner le séminaire « Femmes au travail, questions de genre, XVe-XXe siècle » que j’anime de la tenue d’un Carnet de recherche en ligne sur la plateforme Hypothèses du CNRS, cette pratique d’ouverture de son « laboratoire » reste très minoritaire en histoire. La plupart des historiens se contentent de puiser aux ressources en ligne (catalogues de bibliothèques, bases de données, bibliothèques numériques) sans faire le pas d’en devenir eux-mêmes producteurs.
Martine Sonnet