Nature et écologie
Par François Carrière.
Rentrons dés lors plus avant dans le sujet. Dans un premier moment nous questionnerons le rapport entre écologie et nature afin d’estimer la place qu’il est bon d’accorder au débat public. Puis nous réfléchirons à une définition de l’écologie politique satisfaisante.
« Je crois qu’on ne peut fonder l’écologie comme politique sur le seul « intérêt bien compris de l’humanité tout entière » ni sur le seul débat démocratique. Je crois pour dire les choses clairement, qu’il n’y a pas de prise de parti écologiste sans un noyau d’écologie profonde. Celle qui fonde sa prudence sur un sentiment sourd de respect pour la nature, là, devant nous cette Terre qui nous a précédé, cette immense trame de vie dont nous ne sommes que les fils parmi d’autres »[1]
nous prévient Alain Lipietz – ce qui ne peut que nous inciter à postuler avec Latour que l’écologie politique n’existe pas encore, ou sinon qu’elle est atteinte d’une maladie infantile. Plus sérieusement une telle définition de l’écologie politique pose plus de problèmes qu’elle n’en résout.
Cependant elle nous intéresse car, étant formulée par un écologiste politique reconnu, elle nous permet d’identifier les problèmes posés par la représentation que l’écologie politique actuelle se fait d’elle même. Tentant de donner une définition – incorrecte selon nous – de ce que doit impliquer l’écologie politique, elle nous permet ainsi d’entrer dans la discussion.
Ainsi nous interrogerons les termes de respect pour la nature, et de débat démocratique.
Défendre que toute écologie politique doit être animée, en son fond, d’un sourd respect pour la Terre Mère, revient à tendre la main à tous ses adversaires – tant cela semble romantique, religieux.
Plus profondément l’écologie politique doit repenser son rapport à la nature, à la terre.
En effet, si l’on tient à une telle référence naturelle il est indispensable de la penser dans un rapport dialectique avec l’homme.
Reposant sur la conviction qu’entre ces deux entités les rapports ne relèvent ni de la simple domination – conséquence d’un dualisme – (comment le pourrait elle au vu des catastrophes naturelles rendant la nature plus mystérieuse….), ni d’une simple fusion – conséquence du monisme soumettant les hommes à une introuvable loi naturelle – ; cette pensée dialectique s’attache à souligner que les rapports entre l’homme et la nature sont bien plutôt d’implication réciproque et d’interaction.
Une telle position implique un savoir scientifique grâce auquel « nous comprenons que nulle organisation, nulle stabilité n’est en tant que telle, garantie ou légitime, aucune ne s’impose en droit, toutes sont produits des circonstances et à la merci des circonstances »[2] souligne Stengers et Prigogine dans leur ouvrage La nouvelle alliance.
Voilà pourquoi penser avec ce qu’Isabelle Stengers nomme, à la suite de Lovelock, Gaïa peut s’avérer particulièrement stimulant[3].
En effet si nous devons respecter la terre, ce n’est pas parce qu’elle est en elle même respectable , telle une déesse, mais simplement parce que nous dépendons d ‘elle, et qu’elle est « sensible voire même chatouilleuse ».
« Ce que nous devons craindre, c’est un haussement des pôles de Gaïa qui nous décrocherait tandis que Gaïa, les bactéries, les fourmis continueraient » souligne encore Stengers. Parce que « Gaïa n’a pas de raison d’être accrochée à un quelconque faire attention à nous, c’est nous qui nous devons de faire attention à elle ».
La nature doit alors être comprise alors comme un « vecteur d’incertitude » nous rappelant la nécessité « d’apprendre à prendre en compte ».
Dire qu’il nous faut faire avec Gaïa c’est soutenir que la nature n’existe que dans la mesure où « elle nous oblige à penser, à négocier, à prendre en compte, à imaginer, à faire attention sans que nous devions dire, elle pense, elle négocie, prend en compte, imagine, négocie, fait attention. Nous devons penser, négocier, prendre en compte, imaginer avec quelque chose qui n’en fait pas autant »;
la nécessité du débat se pose car vivre avec Gaïa, vivre avec les nouveaux risques que nous faisons, par nos activités peser sur nous, doit nous inviter à réfléchir publiquement à l’avenir que nous souhaitons, à inventer d’autres idées, d’autres pratiques relatives à notre mode d’habitation du monde.
Michel Serres[4] abonde en ce sens « par nos techniques et leurs effluents, nous agissons sur la terre entière, son climat et son réchauffement. Dés que nous agissons sur elle, elle change et nous changeons, nous ne vivons plus de la même façon »; l’être au monde agit dès lors sur le monde. Le sujet devient alors objet puisque nous devenons « les victimes de nos victoires » et l’objet global qu’est la terre devient sujet, puisque tel un partenaire il réagit à nos actions.
En conséquence de quoi il nous reste à inventer, « sous risques sérieux de nouveaux rapports entre les hommes et la totalité de ce qui conditionne la vie »[5] (planète, climat, science, technique….).
Dans la mesure en effet où nous dépendons « nous mêmes désormais des choses qui dépendent des actes que nous entreprenons. Notre survie dépend du monde que nous créons au moyen de techniques dont les éléments dépendent de nos décisions ».
Cependant comment établir ces décisions ? Sur ce point Serres semble difficile à suivre.
En effet, le contrat naturel (même si cela est une image) qu’il nous propose de passer avec la nature, en donnant corps à une réciprocité entre l’homme et la nature, vise à nous faire rendre à la nature en respect, en beauté, en modération, ce que nous recevons d’elle. Mais comment savoir ce que nous lui devons, comment la faire parler?
Il y a plusieurs lectures possibles du Contrat naturel : la plus intéressante se propose (en s’appuyant sur le troisième chapitre) de considérer la science comme l’instance privilégiée de médiation avec la nature, devant nous dire la fragilité et la globalité du monde elle permettrait l’établissement d’un « droit naturel global »[6].
Ce qui se profile alors est le gouvernement des hommes par la science – posant des problèmes évidents si l’on ne pense pas à nouveau un contrat entre « les sciences, qui traitent avec pertinence des choses du monde et de leurs relations, et le jugement, qui décide des hommes et de leurs rapports »[7]. Il y a bien là – malgré la relation juridique – un risque certain du gouvernement des humains par les porte paroles des non humains, les scientifiques. Nous y reviendrons.
Lire la suite :
[1] LIPIETZ, Alain, Qu’est ce que l’écologie politique, La Découverte.
[2] La nouvelle alliance p.391-392.
[3] Toutes les citations qui vont suivrent sont extraites de l’article Faire avec Gaïa disponible sur le site internet de la revue Multitudes.
[4] Toutes les citations sont sauf si cela est précisé sont extraites de l’article Retour sur le Contrat naturel, disponible sur le site internet de la revue Multitudes.
[5] SERRES, Michel, Rameaux, p.6.
[6] SERRES, Michel, Le contrat naturel, p.44.
[7] Ibid p.146.