Une éthique élargie
Par Guillaume Gallais.
La tentative de reconstruire une spécificité humaine et un statut spécial pour l’homme en éthique pourrait donc fonctionner. L’homme aurait un statut particulier en vertu de sa rationalité supérieure conjointe à sa sensibilité.
Pourtant même dans cette dernière transformation, l’ambition de construire un statut à part de l’homme reste fragile. On peut citer l’idée qu’un extra-terrestre à la fois sensible et supérieur en rationalité obtiendrait ce statut au détriment de l’homme. Mais sans aller jusqu’à un exemple aussi invraisemblable, on pourrait juger que des êtres humains modifiés technologiquement pourraient demander ce statut spécial contre les humains « classiques ». Des cyborgs, des êtres génétiquement modifiés, des hybrides qui en viendraient à surpasser l’homme en rationalité pourraient remplir les critères nécessaires pour s’installer dans le statut d’exception qu’on a voulu construire pour l’homme. On a vu pourquoi dans la partie précédente.
En fait, il semble que quelque soit la précision qu’on atteigne dans la définition des critères servants à tailler sur mesure un statut éthique particulier pour l’homme, il sera toujours possible que ce statut lui soit ravi par un être qui remplirait tous les critères et qui ne serait pas un humain. À supposer qu’on ne reconnaisse pas les clones comme des « hommes », on aurait un exemple quasi- parfait de cette idée. Le clone serait si proche de l’humain qu’on ne pourrait que difficilement trouver de critères pour l’exclure de l’éthique : il remplirait donc bien tous les critères pour être moralement important, sans pour autant être un « homme », ou accepté comme tel.
Si comme plus haut, on veut abandonner l’idée d’un statut spécial fondé sur des critères au profit d’une adhésion à la loi du plus fort, on se trouvera à nouveau dans une situation désavantageuse. Là où on a évoqué la possibilité d’une humanité aux mains des machines, incapable de protester car dominée selon des principes moraux qu’elle a elle-même créée, on peut maintenant imaginer une humanité soumise au joug des post-humains.
S’appuyer sur la rationalité pour protéger le statu quo éthique semble avoir échoué. En allant au bout de la logique de valorisation de la raison, on a relegué l’homme derrière la machine pensante. En invoquant l’importance de la sensibilité, on a hissé les post-humains au dessus des humains « ordinaires ». In fine, l’argument de la rationalité et ses déclinaisons ont décentré l’éthique de l’homme. En voulant donner à l’humain un statut d’exception, on n’est parvenu qu’à le lui confier temporairement, dans l’attente d’un être qui dépassera l’homme.
Mais cette logique reste dans l’optique d’une minoration de l’importance éthique des êtres « inférieurs » au détenteur de ce statut. Si on refuse une telle orientation, il ne reste qu’à élargir l’éthique aux non-humains de toute sorte, la restriction de l’éthique au strictement humain ayant échoué.
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