Introduction
Par Thibaud Zuppinger
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Introduction
La création du Conseil Consultatif National d’Éthique (CCNE) en 1983 avait pour objectif de réfléchir aux questions de bio-éthique et de proposer en France un espace de discussion où les arguments pouvaient être échangés. Cependant malgré les efforts du CCNE pour fonder en raison ses avis éthiques, il semble que la bio-éthique, en attendant davantage d’investissement philosophique, soit surtout dominée par d’autres forces normatives qui tendent à saturer le champ des arguments en imposant leur propre contenu normatif, médical, juridique ou encore religieux.
L’argument majeur qui est avancé contre les manipulations génétiques appliquées à l’homme repose sur l’atteinte à trois domaines spécifiques de son existence : la liberté, la responsabilité et la signification de sa vie. Ces trois points peuvent être réduits à un : la question de la dignité humaine. Ce type de manipulation menacerait en fait la possibilité même de continuer à penser une morale car on perdrait la responsabilité d’être soi, ce qui remettrait en cause l’autonomie de l’individu qui structure la modernité.
C’est pourquoi il est primordial de déterminer quelle est l’attitude la plus en conformité avec la modernité, entre le refus et le souhait de l’anthropotechnique. Cependant, si l’on adhère au principe moderne d’échange d’arguments rationnels, il semble alors que le débat s’évanouisse, car au nom de quoi refuser la marche rationnelle du progrès ? Existe-il des arguments non-métaphysiques qui permettraient de fonder en raison des structures normatives immanentes à la société pour guider les progrès bio-technologiques ?
La problématique cherchera à déterminer si les manipulations génétiques humaines remettent réellement en cause la structure de la modernité, reposant sur la dignité intrinsèque de l’être humain et sa capacité à être autonome. Cela implique donc que la modernité telle qu’elle se présente dans les démocraties libérales technologiquement évoluées sera à l’arrière-plan culturel de la réflexion. D’autre part, il s’agira d’examiner les enjeux des manipulations géniques appliquées à l’homme en vue de son amélioration. Il ne sera donc pas abordé ici les questions relatives aux OGM ou les débats autour du diagnostique pré-implantatoire.
Les manipulations du génome humain abordées seront considérées comme possible (ce qui n’est pas encore totalement le cas), sans danger, avec un taux de réussite extrêmement élevé, accessible à beaucoup (sinon tous), et sans effet secondaire (stérilité, disponibilité plus grande à l’endoctrinement, dégénérescence par instabilité métabolique…). Il semble qu’il y ait consensus pour refuser ces manipulations si ces conditions ne peuvent être remplies. La problématique cherche à savoir si l’on doit encourager les recherches dans ce sens quand bien même ces conditions seraient effectivement remplies. Cet usage de la technique est-elle en conformité avec la représentation que nous avons de nous ?
Les apories irréductibles que rencontre Habermas en voulant appuyer sa position sur le concept de dignité humaine sans s’écarter du cadre post-métaphysique qu’il considère être celui de la modernité nous conduiront à évoquer, en contrepoint, la position polémique mais néanmoins cohérente développée par Sloterdijk. L’examen attentif des postulats de Sloterdijk demandera alors d’interroger le couple technique/culture qui, dans ce débat, prend l’homme en tenaille. Cette deuxième étape s’appuiera notamment sur une approche phénoménologique de la culture. L’intervention de la phénoménologie nous offrira alors une troisième voie avec la recherche d’une « transcendance dans l’immanence », en particulier par l’intermédiaire de la signification. En réarticulant le débat autour de la question du sens, nous pourrons alors nous tourner vers des approches pratiques issues de l’herméneutique susceptibles de trouver une mise en pratique effective dans les comités d’éthiques.
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