Recension, l’éthique sans l’ontologie
Recension – H. Putnam, L’éthique sans l’ontologie, Paris, les éditions du cerf, 2013 – Par Thibaud Zuppinger – UPJV – Curapp.
Introduction
La dernière parution, en France, de Putnam, est issue d’une série de conférences prononcées en 2001, c’est-à-dire une période reconnue comme particulièrement féconde dans la vie de notre auteur. Incontestablement cet ouvrage marque le paysage de la philosophie, en général, et à tout le moins représente une étape importante dans la pensée de Putnam aux côtés de Faits et valeurs. D’ailleurs, le lecteur un tant soit peu familier de Putnam et d’éthique ne peut que se réjouir de trouver enfin traduit cet ouvrage dont la réputation précède bien largement sa diffusion en France. Cette traduction ne s’adresse donc sans doute pas aux spécialistes qui ont déjà pris connaissance de ce texte essentiel, et l’ont pour certain déjà intégré dans leurs travaux. Pourtant, il est difficile d’y voir une porte d’entrée pour le lecteur qui souhaiterait découvrir et se former à la pensée de Putnam. En effet, les références aux autres ouvrages de Putnam qui figurent dans le texte représentent plus que des développements secondaires, elles sont nécessaires pour une réelle compréhension de l’ouvrage.
Bien que l’éthique sans l’ontologie ne vise pas la vulgarisation des thèses de Putnam, le contexte de création aurait pu s’y prêter, puisqu’il s’agit de conférences à destination du grand public, où il essaye, et avec un certain succès, d’expliquer de manière non technique les termes d’ontologie et d’éthique. L’ouvrage se présente en deux parties, qui représentent deux thématiques relativement détachées, bien qu’il soit possible de sentir la cohérence qui parcourt l’ouvrage. La première partie, qui donne son nom à l’ouvrage, traite des questions complexes du rapport entre l’éthique et l’ontologie. La seconde partie évoque la question du progrès, en l’interrogeant à l’aune de deux courants que sont les Lumières et le pragmatisme.
Chacune des conférences, bien que s’appuyant sur les acquis des précédentes, se concentre sur un point en particulier et rendre compte de l’ouvrage oblige, par sa structure, à traiter les conférences pour elles-mêmes.
Le titre choisi par Putnam,
L‘éthique sans l’ontologie évoque bien entendu l’ouvrage de Levinas, Autrement qu’être, d’ailleurs cette proximité est voulue et assumée par Putnam. Il existe une thèse commune dans le fait que l’éthique fondée sur une ontologie soit vouée à l’échec. Il y aussi une culture commune, Levinas est un penseur juif, et Putnam est, rappelons-le, l’auteur de la philosophie juive comme guide de vie, avec en ligne de mire l’idée de proposer non pas un éclairage sur son sentiment religieux mais bien de tenter d’interroger philosophiquement son engagement religieux. Parmi les auteurs majeurs qui imprègnent la pensée de Putnam on retrouve Wittgenstein et Dewey.
Pour saisir la place de cet ouvrage dans les débats contemporains, rappeler les inspirations ne suffit pas, car nous avons ici clairement affaire à un ouvrage de guerre contre l’ontologie de Quine, en particulier l’article « De ce qui est »[1]. Toutefois, il convient de nuancer ce propos en précisant que la posture portée par Putnam n’est pas seulement critique, mais tente de développer la version positive de sa conception.
Partie I – l’éthique sans l’ontologie
1 L’éthique sans la métaphysique.
Comment rendre compte de la vérité de nos jugements en éthique ? A cette question, Putnam précise dès le début qu’à ses yeux une tentative d’explicitation ontologique est profondément égarante. C’est pourquoi il faut penser l’éthique sans l’ontologie. Voilà la position de Putnam qu’il ne va cesser de consolider tout au long des pages et conférences suivantes. Sa posture possède deux faces : côté pile un rejet absolu de l’idée qu’il existe des objets éthiques qui correspondent aux jugements (avec pour tâche pour le philosophe de les découvrir) et côté face : une approche héritière du pragmatisme où il s’agit de rester faillibiliste, sans céder pour autant au scepticisme.
Précision importante, Putnam travaille au sein de la sphère morale. Il n’engage absolument pas une réflexion sur pourquoi se sentir concerné par la souffrance d’autrui, en d’autres termes, ne comptez pas y chercher une réfutation du scepticisme. Est-ce une lacune ? Une faille dans sa théorie appelant des développements futurs ? Non, car le fait que la position à l’intérieur de la sphère morale ne soit pas justifiée de l’extérieur ne signifie pas que les raisons et les justifications n’ont pas leur place à l’intérieur de la vie éthique.
Ces grandes manœuvres ont un but : défaire le grand ennemi théorique qu’est la conception de l’ontologie développée par Quine. Pour Putnam c’est une erreur de postuler une signification unique et déterminée d’« exister ». Selon lui, la philosophie est malade de cette tendance à vouloir expliquer pourquoi certains états de choses sont bons. Ainsi, aux côtés de Levinas, on ressent clairement l’influence de Wittgenstein et son analyse des tendances métaphysiques qui orientent la production philosophique vers des fins inaccessibles. La philosophie réduirait tous les problèmes de valeurs à une question qui est la présence ou non de cette « unique super chose » : le bien.
A cette posture, il oppose la réponse qui fut celle d’Aristote à Platon, il n’existe pas une forme unique pour le bien. Au contraire, il faut s’interroger sur le rôle joué par la réalité dans la validité des jugements. Pour cela Putnam propose d’emprunter la voie indiquée par le pluralisme pragmatique.
Par delà la charge critique dirigée explicitement contre Quine, il importe dans la progression de l’ouvrage d’être attentif à l’élaboration de la position positive qui est issue d’un « ni… ni… ». D’une part, Putnam refuse de dire qu’il n’y a pas de vérité, et d’autre part de donner un statut à part à la vérité.
Son modèle et sa référence sur ce point restent Dewey : les jugements éthiques sont des solutions qui répondent à des problèmes pratiques, c’est-à-dire qui possèdent en eux-mêmes une vérité, une objectivité et une validité. Putnam réinvestit ici la notion deweyienne d’enquête, et en particulier sa dimension dynamique, ouverte. L’enquête est vue comme un processus et renvoie ainsi à la démarche qui est à l’œuvre dans la production de la connaissance. Ainsi, les notions de vérité sont internes au raisonnement pratique. De là s’en suit une conception de la réalité (et donc de ce que l’on est en droit d’en attendre – question cruciale pour toute philosophie). Sa conviction étant que la réalité n’est pas moralement indifférente, elle nous impose ses exigences, « elle détermine si nos réponses sont ou non adéquates »[2]. En d’autres termes, Putnam développe ici une forme de réalisme, adossé à un cognitivisme : il ne dépend pas de nous que nos réponses soient ou non adéquates. Ce sont les situations qui expliquent si le jugement est adéquat.
Quand on cherche à développer la compréhension positive que Putnam entend donner de l’éthique on comprend qu’il ne cherche pas à construire un système cohérent de principes, mais bien plutôt à mettre en évidence un système de préoccupations qui se soutiennent et entretiennent des tensions partielles. Usant d’une métaphore, Putnam récuse l’idée du piédestal où placer l’éthique et y substitue l’image d’une table avec de nombreux pieds, branlante, certes, mais stable.
Ces préoccupations sont importantes au cœur de la vie morale, et sont révélées par l’existence de désaccords moraux. La question étant alors de savoir quel statut il convient d’accorder à ces derniers. S’il s’agit bien de formes de réflexion tout autant gouvernées par des normes de vérité et de validité que n’importe quelle autre forme d’activité cognitive, comment se fait-il que nous n’arrivions pas à nous mettre d’accord sur celles qui sont vraies ?
Putnam souligne que les désaccords pratiques ne sont pas directement ceux que les écrits d’éthiques nous présentent. En éthique, il n’y a pas de manière évidente de poser un problème. Pour le dire autrement, il est toujours délicat de cerner les traits moralement pertinents d’une situation. En effet certains énoncés éthiques cruciaux ne sont pas des descriptions, mais cela n’est pas une raison pour les placer hors des questions de vrai et de faux, et dire qu’il n’existe pas de bons ou de mauvais arguments.
Les vraies questions éthiques sont un genre de questions pratiques, et les questions pratiques ne comprennent pas seulement des positions évaluatives, mais aussi tout un mélange complexe de croyances philosophiques et factuelles. Par questions pratiques il entend par là ce que l’on rencontre dans la pratique, la vraie aurait-on envie d’ajouter. Celle qui est pratique ET située. C’est-à-dire des cas embrouillés, qui n’appellent pas des réponses tranchées, mais des manières plus ou moins bonnes de se laisser saisir et d’y répondre. Et si par chance on parvient à une réponse plus ou moins satisfaisante, la tentation philosophique est alors immédiatement de vouloir transposer, en généralisant aux situations proches.
Ainsi pour Dewey-Putnam – les positions des deux n’étant pas toujours clairement identifiables – il n’existe pas de réponses infaillibles, qui peuvent devenir une méthode pour les problèmes de l’humanité, mais il existe en revanche des recommandations à des problèmes philosophiques, d’ordre méthodologique pour des problèmes sociaux, mais qui ne visent pas à établir « un manuel de vérités éthiques universelles ».
2 Une défense de la relativité conceptuelle.
S’inscrivant à la suite de la première conférence, la défense de la relativité conceptuelle vise à dresser les apories d’une Ontologie (la majuscule est de l’auteur).
L’intention de cette conférence, qui s’appuie clairement sur les acquis de la première, est de rendre compte de deux phénomènes : la relativité conceptuelle et le pluralisme conceptuel.
Revenant sur la question de la vérité et de son lien supposé avec la question de l’existence, Putnam propose d’explorer le champ de la méréologie (une branche de l’ontologie qui s’occupe de la question de la relation entre les parties et le tout).
« Il n’y a rien dans la logique de la quantification existentielle et universelle qui nous permette de savoir si nous devons dire que les sommes méréologiques existent ou non. Et il n’y a pas non plus d’autre science qui réponde à cette question. Je suggère que nous pouvons décider de dire l’un et l’autre. »[3]
En somme, tout repose sur un décisionnisme, même si le terme n’est pas employé. Ce phénomène qu’il décrit, à savoir que dans certains cas ce qui existe peut dépendre de diverses conventions que nous adoptons est la relativité conceptuelle. La relativité conceptuelle soutient que la question de savoir quel est l’usage correct parmi ces usages d’« exister » est une question qui reste ouverte par la signification des mots dans leur usage courant.
3 Objectivité sans objets.
La troisième conférence est une articulation importante qui permet de lier la deuxième et la quatrième. Son importance en ce sens est relative mais, contrairement aux autres conférences qui exposent un point précis, l’apport de ce moment est clairement perceptible dans l’usage qui en est fait dans la quatrième conférence.
Toutefois, il serait dommage que le lecteur passe trop vite sur ce moment, d’une part pour l’économie générale de l’ouvrage, mais aussi parce que l’articulation des idées et la remise en perspective dans l’histoire des idées est tout simplement remarquable. Sensible aux alliages conceptuels que nous ont légués les philosophes antiques, Putnam tire avec beaucoup de clarté la portée contemporaine de ces choix rarement interrogés pour eux-mêmes.
Le point de départ est la théorie platonicienne des idées, où il pointe l’enchaînement des propositions, dépliant le raisonnement qui veut que si une affirmation est objectivement vraie, alors il doit y avoir des objets auxquels l’affirmation « correspond ». La deuxième idée, qui lui est liée, affirme que s’il n’y a aucun objet naturel manifeste dont les propriétés rendent l’affirmation vraie, alors il doit y avoir des objets non naturels qui jouent le rôle de « vérifacteur ». Si on adhère à ces deux conceptions, Putnam dessine alors les contours de la nasse qui emprisonne tant de philosophes :
« Acceptez ces deux idées et, très probablement, vous en accepterez une troisième, l’idée selon laquelle si une affirmation est vraie, alors cette affirmation est une description des objets et des propriétés, quels qu’ils soient, qui la rendent vraie. »[4]
Ce qui porte à « platoniser », c’est la tentation de poser des entités mystérieuses qui, d’une manière ou d’une autre, garantissent ou se tiennent derrière les jugements corrects portant sur ce qui est raisonnable et sur ce qui ne l’est pas. En acceptant ces trois idées conjointement et si on considère certains jugements de valeur sont (ou devraient être) objectivement vrais, alors on est amené à conclure qu’ils sont des descriptions ; et s’il ne s’agit pas de descriptions d’objets ou de propriétés naturelles, alors la tentation est là de vouloir faire référence à des entités non naturelles.
Fidèle à sa question de départ, l’éthique telle que la traite Putnam au fil des quatre conférences est interrogée à partir des notions de vérité et de réalité. Est-ce que les jugements de valeurs sont vrais ? Putnam démêle l’écheveau en conservant le cognitivisme et donc en remaniant de l’intérieur le sens de ce que l’on entend par « exister ». Redéfinition rendue nécessaire à ses yeux par la conception réductrice et dominante de Quine. Comment peut-il y avoir quelque chose comme une vérité qui ne soit pas la description d’un objet ?
Si la question semble insoluble en théorie, c’est parce que nous pensons dans le cadre des trois propositions platoniciennes. Observer la pratique est en ce sens riche d’enseignement. En fait, il n’est pas difficile de donner des exemples d’énoncés qui sont indiscutablement vrais mais qui ne peuvent pas être compris comme des descriptions d’objets. Par exemple la prise en compte des contextes et des définitions qui évoluent. Ainsi, il n’existe pas de description a priori de la conduite – les coutumes sont des réponses synchronisées à un problème. La conception de la vérité conceptuelle qu’il défend est attentive à ne pas dissoudre l’entremêlement de relations des concepts et des faits.
4 « Ontologie » : une nécrologie.
La plupart des jugements éthiques sont des jugements qui portent sur le raisonnable et le déraisonnable dans le sens de ce qui est et n’est pas raisonnable étant données les préoccupations de la vie éthique. Mais la diversité des jugements moraux perturbe les philosophes et la simplification voulue dans leurs écrits (voir ici la défense des questions pratiques dans la première conférence). Putnam pointe notamment deux difficultés : l’extension de l’éthique qui s’étend des principes hautement abstraits à des cas pratiques extrêmement localisés. D’autre part il n’y a pas de raison que le vocabulaire de l’éthique se limite à celui employé par les philosophes. « L’idée même que l’on puisse exprimer toutes les questions éthiques dans ce maigre vocabulaire est une forme de cécité philosophique. » A suivre Putnam cela explique pourquoi les philosophes qui écrivent sur le sujet ignorent si souvent de vastes pans de jugements éthiques.
Notre manière d’évaluer et de se comporter face ou dans une situation éthique ne reprend pas les termes consacrés par les philosophes. Une situation éthique dépasse, par son intrication, les cadres fixés par les termes « devoir, bien, mal,… »
Réinvestissant les acquis de la conférence précédente, Putnam entreprend maintenant d’explorer l’idée d’une objectivité sans objet (et donc d’une éthique sans l’ontologie). Pour éloigner la philosophie de la tentation platonisante, il est essentiel de reconnaître qu’il peut y avoir une « objectivité sans objets », et qu’un authentique énoncé (moral notamment) n’est pas nécessairement une description.
En effet, nous disons couramment des choses comme : « certains passages dans les écrits de Kant sont difficiles à interpréter. » Or si l’on devait réellement appliquer la thèse de Quine telle qu’il la développe dans « Sur ce qu’il y a », nous devrions nous engager à admettre l’existence de choses telles que des « passages- difficiles-à-interpréter », et, d’une manière plus générale, des choses telles que des interprétations correctes ou incorrectes de passages. Dès que nous supposons qu’il y a, fixé à l’avance, un seul sens « réel », « littéral », d’« exister », gravé dans le marbre, et que l’on ne peut ni réduire ni étendre, alors nous commençons à platoniser.
Seconde partie – Mouvements des Lumières et pragmatisme
1 Les trois mouvements des Lumières.
Le but de ces deux conférences qui occupent la fin du volume est tout à la fois d’examiner les mouvements des Lumières, au sens putnamien, qui commencent avec Socrate et se prolongent jusqu’à Dewey en passant par les Lumières classiques, et de tenter d’en indiquer une direction, ou du moins un horizon. En somme, montrer que l’espérance portée par les Lumières n’est pas morte, mais doit être adaptée à notre monde. Cette espérance est désignée ici par l’expression de troisièmes « lumières » ou lumière pragmatiste appelée par les vœux de Putnam et incarnée à ses yeux par Dewey, décidemment figure centrale de ces conférences au côté de Wittgenstein. Ces troisièmes lumières se définissent comme faillibilistes et anti-métaphysiques, mais sans tomber dans le scepticisme.
Les Lumières ont été grosso modo caractérisées par deux grandes forces. La première force correspondait à l’influence des nouvelles philosophies (Hobbes, Locke, Rousseau), la seconde grande force caractéristique des Lumières était les apports de la science nouvelle. Mais, selon Dewey, les philosophes des Lumières sont tombés dans deux pièges : ou bien ils ont tenté de raisonner sur tel ou tel point de façon aprioriste, ou bien ils ont imaginé (particulièrement les empiristes) la fiction d’une science psychologique sensationniste au lieu d’essayer de développer une véritable connaissance scientifique des processus sociaux. John Dewey caractérise les deux ailes des Lumières, l’aile rationaliste et l’aile empiriste, comme profondément aprioristes.
Pour Dewey, le problème est de justifier l’affirmation selon laquelle des communautés moralement convenables devraient être organisées démocratiquement. Il s’acquitte de cette tâche en signalant le besoin commun de traiter avec intelligence (plutôt que sans intelligence) les problèmes éthiques et pratiques auxquels nous sommes confrontés. Pour cela il est nécessaire de déterminer quel type d’appréhension et de jugement on peut tirer en démocratie. La réponse prosaïque de Putnam étant que « chacun sait au moins quand il est “mal à l’aise dans ses chaussures“ ce qui caractérise “la défense épistémologique de la démocratie“ »[5]. C’est incontestablement un recours intéressant à l’épistémologie ordinaire par temps démocratique, même si cela ne présente pas une défense face à des difficultés bien réelles comme la question de savoir quelles limites accorder aux préjudices émotionnels (c’est-à-dire les préjudices qui ne sont pas des dommages directs à une personne) – qui eux aussi sont bien réels.
Son insistance à dire que le plus ordinaire des individus a au moins un champ d’expertise spécifique vise avant tout à asseoir l’idée que l’éthique n’est pas un petit recoin du champ professionnel nommé « philosophie », et il est très dommageable de postuler que les problèmes éthiques soient toujours formulés dans un vocabulaire figé.
Pour Dewey, comme pour James, la philosophie n’est pas et ne doit pas être avant tout une discipline professionnelle, elle est plutôt ce à quoi se livrent tous les êtres humains qui réfléchissent en tant qu’ils pratiquent la « critique des critiques ».
La question de l’éthique est alors aussi large que les questions que la vie nous amène à rencontrer. Cette ouverture de l’éthique est aux yeux de Putnam vitale, pour faire « entrer de l’air frais » dans la pratique philosophique.
2 Scepticisme au sujet des Lumières.
Cette deuxième conférence porte plus particulièrement sur la question du progrès possible en éthique et pour l’ensemble de la philosophie, sur la possibilité du progrès, en un sens qui n’est pas celui qui s’est imposé au XIXe siècle comme téléologique. Le regard de Putnam se concentre en particulier sur les procédures d’apprentissages. La notion de progrès qui est évoquée dans ces lignes ne renvoie pas à l’idée d’une eschatologie, mais est tout simplement l’expression d’une croyance dans un progrès possible mais non certain – il n’y a pas un sens inéluctable de l’histoire. En fait, sa positon est la suivante : s’il existe une objectivité des jugements, alors le progrès peut exister. Ainsi, à la vérité des jugements correspond la possibilité d’un progrès et par ce lien, on comprend la structure qui réunit la première partie et la seconde, puisque la première partie s’efforce de penser l’objectivité sans objet des jugements moraux.
Conclusion
Putnam est connu pour être un philosophe riche, foisonnant, un peu touche-à-tout. Ses détracteurs décident d’ailleurs de voir des retournements inavoués et finalement un philosophe sans grande épaisseur. S’agit-il d’un opportunisme ou de pragmatisme intellectuel ?
Pour les lecteurs attentifs et fidèles à Putnam, il leur est possible de déceler au travers du foisonnement et des virages plus ou moins marqués dans sa pensée, cinq fils conducteurs que Pierre Fasula rappelle dans la présentation :
- Un réalisme dans la normativité rationnelle en philosophie.
- Un anti-essentialisme pour des concepts cruciaux en philosophie
- La réconciliation faits/valeurs
- Le passage d’un naturalisme scientifique réductionniste, à un naturalisme libéral.
- Une constance de la préoccupation éthique
L’éthique en effet est une réflexion constante chez lui, sans doute plus que la caricature qui est faite de sa pensée, trop souvent réduite à une simple critique de la dichotomie faits/valeurs.
On retiendra principalement de l’éthique sans l’ontologie le souci de dépasser la simple critique de l’Ontologie de Quine pour élaborer une conception positive et élargie des problèmes sociaux et éthiques, dans une perspective assumée dans la continuité de Dewey.
S’adressant à un public non spécialiste, les textes rassemblés souhaitent être accessibles mais se destinent avant tout à un public de philosophes, et si possible familier des autres écrits de Putnam. Une question demeure. Pourquoi vouloir maintenir le format conférences, plutôt que de les reprendre comme des chapitres d’un ouvrage ? Il est difficile de défendre ce format pour lui-même.
[1] W. V. O. Quine, « De ce qui est », in Du point de vue logique, Paris, Vrin, 2003, p. 25-48.
[2] H. Putnam, L’éthique sans l’ontologie, Préface, p. 15.
[3] Ibid., p. 67.
[4] Ibid., p. 86.
[5] Ibid., p. 154.