Qu’est-ce que l’intentionalité ? Recension
Valérie Aucouturier Qu’est-ce que l’intentionalité ? paru aux éditions Vrin dans la collection Chemins Philosophiques en 2012
Timur Cengiz Uçan chargé de cours et doctorant en cotutelle aux universités de East Anglia et Bordeaux III (Laboratoire S.P.H. – EA 4574)
Dans son ouvrage introductif intitulé « Qu’est-ce que l’intentionalité ? » Valérie Aucouturier entreprend d’esquisser un synopsis des traitements philosophiques de la notion d’intentionalité aussi bien classiques (Aristote, Thomas d’Aquin, Descartes, Brentano, Husserl) que contemporains (Ryle, Anscombe, Searle, Dennett, Benoist).
Pour ce faire l’auteure part d’une oscillation qu’elle tient pour caractéristique du problème de l’intentionalité, entre la question de la nature ontologique des objets intentionnels (de pensée, de perception, etc.) et celle de la nature du mental et de la capacité propre à l’esprit de se rapporter à quelque chose (p.7). La réflexion sur l’intentionalité oscillerait entre la question de savoir ce que nous avons à l’esprit lorsque nous percevons ou pensons à quelque chose et celle de savoir comment il est possible de percevoir ou de penser à quelque chose.
Le problème de la nature ontologique des objets intentionnels trouve selon l’auteure, son origine chez Brentano (p.9). En effet, si celui-ci emprunte le terme d’intentio (désignant l’aptitude d’une conscience à porter sur quelque chose qui lui est extérieur – p.8) à la tradition scolastique le problème consistait jusqu’à lui dans l’articulation de modes d’être des objets, selon qu’ils se trouvent ou non engagés dans et par des actes sensoriels ou cognitifs, ce qu’enregistre la distinction de Thomas d’Aquin entre l’être intentionnel (esse intentionale) et l’être matériel (esse materiale) d’un objet (p.10). Par contraste ayant considéré l’intentionalité comme « la marque du mental », le propre des faits psychiques à présent conçu comme étant de porter sur quelque chose, d’avoir un objet (de conscience, de perception, etc.), surgit pour Brentano le problème de comprendre le mode d’être de l’objet sur lequel porte un fait psychique (p.16).
La question de l’existence interne à l’esprit des objets intentionnels, ledit « problème de Brentano » est pour l’auteure la première des trois façons de décliner le problème de la nature ontologique ou du mode d’être des objets intentionnels (p.16). Il provient du malaise généré par les cas d’objets semblant n’exister qu’en pensée (Pégase) et par là indifférents à l’état du monde (p.18). Comment parvenons-nous à penser à ce qui n’est pas ? Une seconde manière de décliner le problème proviendrait de l’opacité liée à l’intensionalité des énoncés intentionnels (p.18). On peut connaître Cicéron, connaître Tullius, et ne pas savoir que ‘Cicéron’ et ‘Tullius’ désignent la même personne. Mais comment parvenons-nous alors à penser de façon vraie, si ce qui est connu ne l’est que depuis un certain point de vue ? La troisième déclinaison du problème serait liée à la question de l’indétermination de la pensée (p.19). On peut parler d’un objet (ex : un bonbon), sans avoir spécifié ses caractéristiques (sa couleur, son goût…). Mais comment pouvons-nous viser un objet particulier et déterminé (‘je veux un bonbon à la menthe’) si la visée intentionnelle est générale et indéterminée par rapport à ce qui pourrait la satisfaire (un bonbon à la menthe et au chocolat pourrait faire l’affaire – pp.19-20)?
L’objectif principal de l’ouvrage est d’interroger pour la dépasser la position du problème classique de la nature ontologique des objets intentionnels, en vue de parvenir à repenser l’intentionalité comme visée ou point de vue intentionnel ainsi que ses objets. La raison principale en est que cette position présupposerait la réduction des relations intentionnelles au monde à une modalité unique qui risquerait de nous mener à confondre l’intentionalité de la pensée et de la sensation (pp.22-23).
L’auteure distingue pour ce faire la phénoménologie husserlienne héritant de Brentano, d’une certaine philosophie analytique de l’esprit et de l’action héritant de Wittgenstein. Il devient alors possible de localiser un double-débat dans les conceptions contemporaines de l’intentionalité. D’une part un débat entre les deux conceptions distinguées : alors qu’une certaine phénoménologie héritée de Husserl conçoit l’intentionnalité comme la caractéristique ontologique essentielle de la conscience, celle d’être toujours conscience de quelque chose, Anscombe la conçoit comme une caractéristique conceptuelle ou grammaticale de certaines de nos pratiques linguistiques (pp.21-23). D’autre part un débat initié par la tradition dite analytique, portant sur la question de la localisation de l’intentionalité : doit-on admettre qu’elle est une propriété de la conscience à la suite de Searle (p.37) ? Ou bien une fonction naturelle des phénomènes de conscience à la suite de Dennett (p.41) ? Ou bien plutôt une spécificité de nos pratiques et de nos manières de concevoir le mental à la suite de Wittgenstein et d’Anscombe (p.23 et 76) ?
L’exposition de ce second débat de la philosophie dite analytique constitue le biais central par lequel l’auteure entreprend de déplier les problèmes de l’intentionalité et ses solutions contemporaines. Il s’agit de voir ce débat s’organise autour de la question de savoir s’il faut naturaliser (pp. 23-25) c’est-à-dire rendre compte de l’inscription de l’intentionalité dans le champ d’investigation des sciences naturelles (Searle et Dennett), ou bien extérioriser l’intentionalité (pp. 51-56) c’est-à-dire la penser comme l’activité d’un être dans son entier, auquel cas elle requiert un niveau d’explication distinct de celui des sciences naturelles.
Le projet de naturalisation de l’intentionalité s’appuie sur le paradigme cartésien dans son effort même de rompre avec lui (p. 25). En effet le paradigme cartésien supposant un contraste inéliminable entre l’esprit et un monde matériel brut en soi dépourvu de sens (p.14) – ledit principe du dualisme des substances (p.24), la naturalisation doit permettre de permettre de résoudre l’apparent problème du fossé explicatif entre la pensée et le corps (comment mon corps peut-il être mû par ma pensée ?) en tâchant de comprendre comment la pensée peut émerger de la matière (p.25). Il constitue l’arrière-plan d’un débat opposant Searle et Dennett, portant sur la manière correcte de comprendre l’éventuelle naturalisation de la pensée (pp.27-28). En effet si la naturalisation paraît constituer une manière adéquate de rendre compte de l’intentionnalité, c’est qu’elle semble mettre fin au supposé mystère d’un ordre strictement indépendant et hétérogène de la pensée à l’égard du reste des phénomènes naturels. La naturalisation semble pouvoir permettre de rendre compréhensible l’intentionalité : « naturaliser, c’est expliquer ou décrire par les sciences de la nature, montrer en quoi un phénomène appartient ou n’échappe pas au domaine des phénomènes naturels » (p.24). Il s’agit de la comprendre comme une capacité naturelle de nos esprits à se rapporter à ce qui leur est extérieur. C’est alors la manière de comprendre la naturalité de l’intentionnalité qui motive le débat. On peut, avec Searle, tenter de comprendre comment l’esprit-cerveau « produit » de l’intentionnalité. Mais on peut aussi tenter avec Dennett de modéliser la pensée et l’intentionnalité en construisant des « systèmes intentionnels » (p.25).
L’option searlienne consiste à penser que le cerveau produit de l’intentionnalité, mais que celle-ci est indissociable d’un vécu de conscience dont il entend démontrer l’irréductibilité à l’aide de l’expérience de pensée dite de la chambre chinoise (pp. 30-31). Il s’agit d’établir qu’un usage maitrisé du langage se double d’une intentionalité et que la reproduction artificielle même parfaite d’un comportement linguistique ne suffit pas à produire de l’intentionnalité, comprise ici comme une conscience de dire ce que l’on dit en le disant (p32). Searle peut alors proposer de comprendre l’intentionalité comme « la propriété en vertu de laquelle tout sorte d’états et d’événements mentaux renvoient à ou concernent ou portent sur des objets et des états de choses du monde » (p.37). L’intentionnalité est alors à comprendre comme une double relation externe entre l’esprit et le monde de causation et de coïncidence. Dans la perception l’état du monde perçu coïncide avec et cause un certain état mental (celui dans lequel se trouve celui qui perçoit). Dans l’action l’état du monde qui peut être tenu comme réalisation d’une intention doit être causé et coïncider avec celui que l’on vise. « Le composant expérientiel de l’action intentionnelle est causalement sui-référentiel » (p.38).
Pourtant un état mental intentionnel ne saurait déterminer par lui-même ses conditions de satisfaction. Le contenu de l’intentionalité ne peut selon l’auteur provenir directement ou indirectement que de l’extérieur (p.39). Et Frege et Wittgenstein ont montré qu’une pensée était indissociable de son contenu. Une pensée n’est pas censée devoir exister indépendamment d’un tel contenu et ceci se voit à ce qu’il est n’est pas possible d’en identifier indépendamment de tout contenu (p.40). Concevoir l’intentionalité de cette manière nous accule en ce sens à négliger le rôle de l’extériorité et à méconcevoir la nature de la pensée.
Par contraste, l’option dennettienne consiste à soutenir que les concepts psychologiques, réifiés dans un cadre mentaliste, ne sont que des constructions linguistiques et langagières: ces mots n’admettent pas d’usage référentiel et ne désignent pas d’entités ou d’états quelconques (p.41). La pensée et les tâches complexes émergent à la faveur de la collaboration d’un nombre incalculable « d’agents » dans notre corps et notre cerveau, qui mutualisent le produit d’innombrables micro-tâches (p.29). L’intentionalité est alors à penser en termes de système intentionnel, c’est-à-dire comme une fonction téléologique d’un organisme (reproductible dans d’autres systèmes, un robot par exemple) qui doit, par ailleurs être interprétée de l’extérieur en termes d’intensionalité. En ce sens peut être dit intentionnel tout ce dont nous avons tendance à décrire le fonctionnement en termes intentionnels (cela va des « comportements » d’un thermostat aux mouvements des animaux et à l’action humaine – p.41).
Pourtant le problème est qu’à admettre ceci on écrase le contraste qu’il y a entre décrire les mouvements d’une machine en termes intentionnels (par extension ou métaphore) et attribuer une intentionalité ou un esprit à un agent ou un locuteur. Nous ne tirons pas les mêmes conséquences pratiques du fait que ce soit notre lave-vaisselle qui ne fonctionne plus ou notre colocataire qui rechigne à laver les assiettes (pp.42-43). Il est en ce sens risqué de caractériser l’intentionalité en s’appuyant sur un modèle particulier d’attitude dite « intentionnelle » (la perception, le langage et l’action) et compliqué de se débarrasser de la dimension d’appréhension subjective, c’est-à-dire d’une saisie d’un contenu propre à l’intentionnalité (p.44).
De fait l’auteure en vient à montrer que c’est l’alternative concernant la production artificielle de l’intentionnalité qui est à critiquer : nous avons jusqu’ici assumé que soit elle était reproductible car réductible à des mécanismes manifestés par des comportements ou bien qu’elle ne l’est pas car irréductiblement mentale bien que matérialisable (p.44). Le problème commun aux deux membres de l’alternative est qu’ils aplanissent voire annihilent l’intérêt à rendre compte de ce que l’auteure nomme le « frottement avec le réel » (p.45) et que l’on peut comprendre comme l’ensemble des tensions résultantes de l’inscription de l’intentionalité dans des contextes à même lesquels elle peut voir ce qu’elle vise satisfait ou non (ce qui importe pour rendre compte par exemple de l’apprentissage : il faut pouvoir reconnaître une erreur si l’on veut pouvoir se corriger et pouvoir commettre des erreurs si l’on veut pouvoir apprendre).
Par contraste, le paradigme aristotélicien concevant l’activité comme celle d’un être pris dans sa totalité est indifférent au dualisme cartésien du corps et de l’esprit (pp.47-48). Cela permet de penser que les actions des vivants peuvent être comprises à un niveau d’explication qui est distinct et autonome par rapport à celui des explications en termes de régularités du mouvement et de lois de la nature (pp. 48-49). Un extrait de « Sur les Mouvements des Animaux » d’Aristote (700b-701) commenté par l’auteure fournira par ailleurs l’occasion au lecteur de prolonger sa réflexion sur ce point (pp.105-126). Une « histoire naturelle de l’homme » devient alors concevable et l’hylémorphisme aristotélicien semble fournir – tel que Nussbaum et Putnam le considère – une alternative réelle à l’opposition entre réductionnisme matérialiste et dualisme cartésien (p.50).
Dès lors il devient possible « d’externaliser » l’intentionalité. Tout d’abord pour reprendre les termes de Descombes, il devient possible d’élaborer une doctrine du mental qui inclut le mental dans l’agir, au lieu de voir dans le premier la cause du second (p.51). Il s’agira dès lors à la suite de Descombes, Benoist et Putnam, de chercher l’intentionalité non plus dans les propriétés des phénomènes, mais dans ce qui est dit ou peut se dire des phénomènes c’est-à-dire dans les pratiques. Pour ce faire distinguons l’intentionalité comprise visée d’un acte intentionnel par lequel on vise quelque chose (dans la perception ou dans l’action par exemple) de l’intentionalité comme intensionalité c’est-à-dire comprise comme une façon de saisir un objet par un biais conceptuel, ou pour reprendre à la suite de l’auteur les termes d’Anscombe « sous une description » (p.52).
Le problème du modèle de la visée pure est qu’il ne permet pas de rendre compte de la distinction entre un état de chose visé et les modalités de la visée, cette distinction n’étant possible que si le rôle de l’extériorité est reconnu quant à la détermination du contenu de la visée (p.53). Par contraste, si l’intentionalité se comprend à partir de l’intensionalité, il devient possible de penser les échecs et les succès de la visée et l’écart entre la particularité du réel et la généralité de la saisie intentionnelle (p.54). Ainsi l’auteure soutient à la suite de Benoist que le concept général n’acquiert la spécificité de la saisie intentionnelle que sur fond de circonstances qui viennent spécifier la portée (ce qui pourra valoir comme ce que le concept désigne) du concept en une occasion donnée (p.55). Pour que la saisie intentionnelle puisse porter sur le réel, il importe donc que la visée ou la saisie soit déjà marquée par un contexte de saisie, qui limite ce qui comptera comme objet de cette saisie. Ainsi un énoncé seul comme par exemple « aller chercher un ballon de foot » ne saurait déterminer ses conditions de satisfaction (un ballon de baby-foot pourrait-il faire l’affaire ?), mais uniquement assorti des circonstances de l’action. L’intentionalité est en ce sens à comprendre en contexte (p.56).
Il s’agit alors de développer la conception anscombienne de l’intentionalité, dont le lecteur pourra apprécier de trouver un texte commenté portant sur la question de l’intentionalité de la sensation et commenté par l’auteure (pp79-104). Ainsi il semble correct d’observer que la règle consiste à présupposer que tous ceux que nous voyons quotidiennement agir savent ce qu’ils sont en train de faire, et qu’en ce sens, sauf à supposer une tromperie, les actes des personnes peuvent être pris comme des révélateurs pertinents de leurs intentions (pp.59-60). Dès lors l’identification d’une action intentionnelle peut se faire à l’aide de la question « Pourquoi ? », qui nous permet d’interroger les motifs ou les raisons qu’un agent a ou a eu de faire telle ou telle action (p.61). Est alors dite intentionnelle une action à laquelle s’applique la question « pourquoi ? » et dans laquelle la réponse mentionne, si elle est positive, une raison d’agir (p.64). Il est en ce sens une dépendance fondamentale entre la notion d’action et la pratique consistant à donner des raisons d’agir et à s’interroger sur les raison d’agir des agents (p.61-62).
Une même action pouvant recevoir plusieurs descriptions, certaines mentionnant une raison d’agir, on peut à présent reconnaître une distinction entre ce que quelqu’un fait, et ce qu’il fait intentionnellement puisqu’il est possible de faire une chose sans le savoir (parce que nous n’en avons pas conscience, parce que nous n’avons pas conscience que c’est nous qui le faisons, ou parce que nous ne faisons que le constater) ou involontairement (par réflexe ou lorsque nous sursautons à la vue ou au son de quelque chose (p.65). La capacité que nous avons à justifier et ou expliquer des actions par des raisons témoigne d’un certain savoir pratique que nous possédons, c’est-à-dire qu’il est un certain nombre de descriptions sous lesquelles nous connaissons notre action et la reconnaissons comme nôtre (p.66). Toujours est-il qu’il ne faut confondre ce savoir (i) ni avec une prétendue connaissance de nos propres intentions, car si nous pouvons les exprimer cela n’implique pas que nous ayons à les connaître avant de pouvoir de les exprimer, (ii) ni des mouvements de nos membres, car il porte sur une action, c’est-à-dire sur ce que fait l’agent dans le monde, pris sous l’angle d’une description donnée (p.67). Il s’agit en ce sens de faire place à un savoir pratique non-observationnel c’est-à-dire à une connaissance de nos actions qui n’est pas obtenue à la suite d’une observation ou d’une introspection (pp.66-70).
L’auteure s’attache alors à montrer que l’entreprise d’externalisation de l’intentionalité permet le dépassement du problème de la nature ontologique des objets intentionnels (p.73). En effet si la dépsychologisation du contenu intentionnel est menée à son terme, elle doit permettre la mise au jour du caractère insensé de toute tentative de concevoir un objet intentionnel que l’on ne saurait individuer matériellement ou sémantiquement, ce que l’auteure appuie sur ladite critique wittgensteinienne du langage privé (p.74). Dès lors l’intentionalité peut être comprise comme un trait sémantique, saisissable depuis l’extérieur par l’examen de la grammaire du langage et permettant de caractériser certaines activités comme l’action et la perception (p.76).
Ainsi l’auteure fournit-elle par son ouvrage les moyens d’entrer de plain-pied dans les débats contemporains concernant l’intentionalité en fournissant au lecteur une généalogie pertinente des paradigmes concurrents qui les motivent. Mis à part le rôle sans doute trop mince accordé à la conception phénoménologique de l’intentionalité dans cette généalogie et l’absence notable d’un rendu de la conception sartrienne de l’intentionnalité (Voir la radicalisation de Husserl proposée par Une idée fondamentale de la phénoménologie de Husserl : l’intentionnalité dans laquelle Sartre montre l’inanité de l’usage de la distinction du vide et du plein pour rendre compte de l’intentionalité et dépasse du même coup la position du problème de la nature ontologique des objets intentionnels) et de l’action (Voir la critique de la distinction entre acte et intention dans L’être et le néant – p.529, ce qui le rapproche singulièrement d’Anscombes alors même qu’il s’appuie sur ledit paradigme cartésien), Valérie Aucouturier signe un manuel qui sera utile aussi bien à ceux qui veulent découvrir les traitements philosophiques de la notion d’intentionalité, qu’à ceux qui veulent prendre connaissance des débats plus récents la concernant.[1]
Essai
Pégase ne met personne mal à l’aise et existe parfaitement, certes tant que je l’imagine, car c’est cela, l’objet intentionnel : l’objet ajouté par l’esprit, perçu ou imaginé selon qu’il existe ou non un support sensible.
Si je connais Cicéron, je sais adéquatement que ‘Cicéron’ et ‘Tullius’ désignent la même personne : sinon je n’en connais que le nom, pas même l’histoire.
L’indétermination de la pensée : mais l’on peut viser un élément aussi bien qu’un ensemble !
Tout ceci, ce sont des expériences de pensée, artificielles et verbiages.
Il est écrit : « Anscombe la conçoit comme une caractéristique conceptuelle ou grammaticale de certaines de nos pratiques linguistiques » : Anscombe a pourtant bien dû lire l’inhérence catégorème/syncatégorème qui se trouve bien déjà chez Husserl, quatrième RL ?
« doit-on admettre qu’elle est une propriété de la conscience à la suite de Searle (p.37) ? Ou bien une fonction naturelle » : y aurait-il différence entre propriété et fonction naturelle ?
« en tâchant de comprendre comment la pensée peut émerger de la matière » : tous les médecins et biologistes nous l’expliquent, mais la philo aura bien peine aujourd’hui à faire comme Aristote, donner des réponses philosophiques à des questions médicales ! À quoi sert que JP Changeux ait déjà dit ça il y a trente ans ?
« Le composant expérientiel de l’action intentionnelle est causalement sui-référentiel » : ou bien simplement en actions corrélatives indissociables personnelle/impersonnelles ?
Donc ce livre me paraît bon à lire comme bon exemple de grands n’importe quoi puisque la recension bien faite en donne un à chaque phrase.
Mais il y a mieux à faire, par exemple montrer au contraire la très grande proximité (plutôt que la coupure qui n’est que superficielle et convenue) entre phénoménologie et philo analytique ! Enfin, pour ceux pour qui la chose plutôt que le mot importe.
Remarques positives.
Il est dit « Il s’agira dès lors à la suite de Descombes, Benoist et Putnam, de chercher l’intentionalité non plus dans les propriétés des phénomènes, mais dans ce qui est dit ou peut se dire des phénomènes c’est-à-dire dans les pratiques » : oui, mais j’ai eu l’occasion d’écrire et donc d’ajouter : « et de Parménide »…
Et « distinguons l’intentionnalité comprise [comme] visée (…) [de celle] sous une description » : cette distinction est faite (encore là) chez Husserl, quatrième RL.
« Le problème du modèle de la visée pure est qu’il ne permet pas de rendre compte de la distinction entre un état de chose visé et les modalités de la visée » : pourtant le vécu (interne) chez Husserl le permet.
« il importe donc que la visée ou la saisie soit déjà marquée par un contexte de saisie » : à la suite de Jocelyn Benoist, certes, mais déjà de Parménide (son non-être).
« Est alors dite intentionnelle une action à laquelle s’applique la question « pourquoi ? » » : alors ? Pourquoi alors ? Un retour à Kant ?
Sartre : oui oui.