Plaisir et apprentissage sur les réseaux numériques
Jean FRAYSSINHES Professeur de Marketing et Commerce International Docteur en Sciences de l’Éducation Chercheur UMR EFTS – Université de Toulouse le Mirail
Plaisir et apprentissage sur les réseaux numériques
Résumé : Apprendre tout au long de sa vie est une nécessité pour chacun d’entre nous, afin que nous conservions un haut niveau d’employabilité. Mais qui dit nécessité, dit souvent : contrainte, obligation, astreinte à faire quelque chose que nous n’avons pas obligatoirement choisi, et dans ce cas, cet apprentissage « contraint » s’effectue souvent sans réel « plaisir ». D’où la question : Peut-on concilier plaisir et apprentissage ? L’interactivité sur les réseaux numériques lors d’un apprentissage en FOAD peut-il être un facteur de plaisir afin de combattre l’obligation de se former tout au long de sa vie ? Nous proposons de mener une réflexion philosophique et psychologique sur ces problématiques liées à l’apprentissage des adultes, à l’aide des concepts de volition, de l’eudémonie, et de la théorie de l’autodétermination. L’objectif est de tenter d’en définir les contours et d’en extraire des hypothèses pour de futurs travaux, en s’appuyant sur une théorisation en cours.
Mots clés: plaisir, apprentissage, FOAD
INTRODUCTION
Le cyber-apprentissage ne cesse de se développer depuis douze ans, et alors que la théorisation pédagogique sur les réseaux numériques piétine faute d’études scientifiques conséquentes, les plateformes et autres outils logiciels disponibles pour se former, sont par contre de plus en plus nombreux. Le e-learning se trouve de plus en plus techno-centré, au grand détriment des apprenants qui n’ont pas tous le profil ad’ hoc pour apprendre avec succès sur les réseaux numériques (Frayssinhes 2012). Au lieu d’être seulement des vecteurs des savoirs, ces outils deviennent, à lire la masse des articles qui leur sont consacrés, le centre des préoccupations des organismes de formation. Mais qu’en est-il des apprenants ? Nous allons présenter une réflexion de fond sur la notion de plaisir qui selon nous peut être une composante importante de la réussite des apprenants sur les réseaux numériques.
1/Qu’est-ce que le plaisir ?
Si l’on en croit le dictionnaire, le plaisir est un « état affectif agréable, durable, que procure la satisfaction d’un besoin, d’un désir ou l’accomplissement d’une activité gratifiante ». L’être vivant est selon Maslow (2008), un être de besoins non encore assouvis qu’il cherche à satisfaire de façon successive. Ainsi, le plaisir est le nom générique donné à la satisfaction d’un besoin physique, affectif ou intellectuel ou encore de l’exercice agréable d’une fonction vitale, comme manger. L’affliction, l’amertume ou l’ascèse, en sont les antonymes qui offrent un malaise, un mécontentement, ou un désagrément. Le plaisir a de nombreux synonymes : joie, bonheur, délice, volupté, mots qui désignent des différences plus ou moins subtiles de l’expérience de satisfaction d’un besoin. Si le plaisir est la conséquence d’une satisfaction obtenue, la réciproque n’est pas vraie : satisfaire un besoin ne conduit pas systématiquement et obligatoirement au plaisir.
2/Que nous révèle le plaisir ?
Nous avons la révélation du plaisir, lorsqu’un besoin, supposé ou réel est comblé, c’est-à-dire lorsque nous avons obtenu satisfaction dans la plénitude de sa réalisation. La graduation du plaisir est plus ou moins importante, selon le poids du besoin non encore assouvi, et l’intensité de sa réalisation. Le plaisir est un état du moi qui est fugace, c’est-à-dire changeant, fragile et éphémère. Il tend généralement à disparaitre dès que le besoin a été satisfait, et l’individu cherche alors à satisfaire un nouveau besoin qui s’impose à lui, parmi tous ceux qui sont encore inassouvis. Selon la théorie de l’intelligence émotionnelle (Goleman 1997), cette révélation du plaisir nous permet de prendre conscience de nos émotions, de les identifier, et de les réguler pour mieux faire baisser notre angoisse éventuelle. Ainsi, en décodant le message véhiculé par les émotions, nous pouvons déterminer la graduation du plaisir ressenti. De là, nous pouvons développer une stratégie d’apprentissage appropriée. Que ce soit en formation initiale ou en formation continue (tout au long de la vie), les émotions vécues par les élèves ou les apprenants ne tombent plus dans les pièges motivationnels classiques. Pour les enseignants ou les formateurs, les émotions doivent être vues comme une composante importante de l’apprentissage.
3/Variations philosophiques et psychanalytiques du plaisir
Chez Platon (Leuwers 1985), le plaisir est défini comme la réponse à un manque. Le désir est vécu comme un vide à combler, dont la réalisation se caractérise par un assouvissement appelé plaisir. Socrate, montre à travers l’exemple concret d’une chaîne qui le démange, que le plaisir est intimement lié à son contraire : la douleur. Ainsi, le plaisir de se gratter la jambe se transforme dans une vision paroxysmique, à la douleur. Epicure va définir précisément le plaisir comme l’absence de trouble, l’ataraxie, refusant ainsi l’idée positive du plaisir. L’épicurisme bien compris a donc peu à voir avec l’hédonisme. Comme repas, Epicure se contentait d’un simple morceau de pain rassis et d’un bol de lait caillé. Par ailleurs, il estimait que le plaisir sexuel, bien que naturel, n’était pas indispensable au bonheur humain. Du point de vue d’Epicure, le plaisir serait avant tout la capacité à vivre dans l’instant présent en cueillant le jour ici et maintenant (carpe diem, hic et nunc).
Freud (1968) définit le plaisir comme l’état de détente faisant suite à la décharge d’une tension. Cette définition très « mécaniste » du plaisir est surtout valide pour le plaisir sexuel que Freud érigea en plaisir suprême. Le plaisir sexuel est intimement lié à l’intensité du désir qui est assouvi. Plus le désir sexuel est « insoutenable », plus la jouissance sexuelle est intense. Mais plus la jouissance sexuelle est intense, plus la frustration qui en découle est jugée douloureuse par Freud, d’où son pessimisme fondamental. Valable pour le sexe, la définition de Freud peut selon nous s’appliquer à la plupart des autres plaisirs, qu’ils soient physiologiques, physiques ou intellectuels. Ainsi, le plaisir de la table qui permet d’atteindre cette félicité à la fin du repas, après la tension du plaisir ressenti à manger les mets les plus raffinés, ou la vision d’un film qui, grâce à la beauté des images et la profondeur des sentiments exprimés, met en émoi le spectateur.
La question « qu’est-ce que le désir », conduit nécessairement à une aporie car il est difficile d’avoir une définition objective à un terme aussi subjectif que le plaisir. Le personnage sadien trouve son plaisir dans la douleur qu’il inflige à autrui. Sacher-Masoch trouve son plaisir dans l’humiliation que lui inflige la belle femme tant désirée. Freud a un peu rapidement évoqué la pathologie du « sado-masochisme » en associant les deux auteurs maudits, car d’après Deleuze (1967), la logique sadienne n’a rien de commun avec la logique « masochienne » ; le plaisir de souffrir n’étant pas le symétrique du plaisir de faire souffrir.
Pour Aristote, nous jouissons quand notre activité se déploie librement, et nous souffrons quand elle est comprimée (Aristote 1823). Où trouver en effet une cause de plaisir, sinon dans la liberté? Le plaisir de l’être c’est son action propre. Cette théorie peut expliquer de nombreux faits : les exercices musculaires, les couleurs brillantes, les études, les plaisirs intellectuels nous plaisent parce que nos divers modes d’activité peuvent s’y exercer. La libre activité devient ainsi la principale cause du plaisir.
4/ Plaisir et apprentissage
Des caractérisations précédentes, nous pouvons déduire que pour apprendre avec plaisir sur les réseaux numériques, et ainsi décupler notre efficience, il serait nécessaire de :
1/Se former dans un contexte non formel où les activités s’effectueraient en toute liberté de choix et d’action, sans entrave. (Quoi ; quand et où on le souhaite…)
2/Multiplier les modes d’apprentissage à l’aide d’outils différenciés (auto-apprentissage, collaboratif, synchronisme, asynchronisme, chat, blog, vidéos, etc…)
3/Susciter le désir en réalisant des activités d’apprentissage gratifiantes, valorisantes, stimulantes, ce qui renforce la motivation,
4/Rechercher et obtenir du plaisir grâce à l’entretien et au développement de la motivation intrinsèque de l’individu par la valorisation de soi, et extrinsèque grâce à l’apprentissage collaboratif, au tutorat/mentorat,
5/Mettre en tension l’apprenant et la maintenir de façon itérative, afin qu’il conserve un haut niveau énergétique et atteigne au final le plaisir de la réussite
5/ Qu’est-ce qu’apprendre ?
Apprendre, bien que naturel comme boire ou manger, est un processus lent et complexe dont les définitions changent selon les auteurs et dépendent du contexte et des perspectives envisagées. Dès sa naissance, l’enfant apprend par étapes successives, d’abord à reconnaître l’odeur de sa mère, puis sa voix et l’environnement de son lieu de vie. Ensuite, il apprend progressivement à coordonner ses sens tels que la vue ou le toucher, puis son équilibre, les fonctions motrices. Viennent ensuite la parole et la lecture, d’abord balbutiante, puis de façon affirmée avec la découverte de la syntaxe et des règles grammaticales. Beaucoup plus tard, viennent la maîtrise des concepts et des opérations abstraites. Comme le dit si bien Hélène Trocmé-Fabre, « apprendre est un art de vivre en harmonie avec soi-même et avec son environnement auquel et duquel l’être humain participe » (Knowles 1990 p. 13).Cet apprentissage est long et progressif et s’appuie sur de nombreuses modalités : apprentissage par cœur, par instruction, par découverte, par essai erreur etc. La littérature scientifique nous offre une grande variété de définitions de l’acte d’apprendre et il existe une multitude de classifications selon des critères très diversifiés : apprentissages verbaux ou moteurs, apprentissages par l’action ou l’imitation. L’apprentissage est holistique et présente de multiples facettes aussi, ne ferons-nous pas ici état de l’explosion compilatoire des théories existantes car la recension en serait trop longue et fastidieuse, ni en épuiser toutes les définitions qui en furent données au fil des siècles. Pour Bachelard (1938), « on n’apprend pas comme on commence une leçon, on apprend toujours contre ce que l’on sait déjà », ce qui nous paraît particulièrement pertinent pour l’apprentissage des adultes qui s’appuient sur leur expérience pour apprendre comme le préconise la théorie andragogique (Knowles 1990, McCarthy 1985, Mucchielli 1992).
L’apprentissage est un « concept extensif, que l’on ne peut réduire aux seuls acquis scolaires. C’est une modification adaptative du comportement consécutive à l’interaction de l’individu avec son milieu » (Therer 1998). C’est aussi un processus d’assimilation et d’intégration qui se bâtit graduellement en créant des liens et en organisant l’accès à l’information. Pour réussir son apprentissage, il est nécessaire de se fixer des objectifs réalistes, c’est-à-dire atteignables, qui tiennent compte de ses aptitudes et de ses capacités. C’est ce que l’on propose aux apprenants qui suivent une Formation Ouverte et à Distance (FOAD), en signant un contrat pédagogique sur lequel s’inscrit les objectifs poursuivis par l’apprenant, par l’encadrant et l’organisme dispensateur de la formation. Néanmoins, il est toujours nécessaire de fournir un minimum d’effort pour que le plaisir se déclenche. Il ne faut donc pas s’attendre à ce que tout apprentissage soit au départ toujours excitant, ce serait entretenir une illusion. Mais dès lors que les objectifs sont clairement posés et l’engagement contractualisé, on peut espérer que chacun des signataires aura à cœur d’aller jusqu’au bout du succès. Au début du XX siècle, des penseurs intéressés par la pédagogie (Dewey, Maria Montessori, Decroly, Ferrière, etc) crurent découvrir une nouvelle loi de l’apprentissage, qui avait été entrevue par Rousseau, Pestalozzi et d’autres, à savoir qu’un sujet apprenant ne peut faire des acquisitions, développer des capacités et des savoirs que dans le plaisir, c’est à dire dans un contexte de libre choix et d’autonomie. S’ils avaient raison, cela contredisait la pratique installée depuis des millénaires dans les familles et dans les écoles, dont Henri-Irénée Marrou a fait une analyse magistrale dans son livre Histoire de l’éducation dans l’antiquité, pratique fondée sur la contrainte et la menace de sanctions. Cette idée révolutionnaire a donné naissance à des méthodes tout à fait nouvelles, comme les méthodes actives, la pédagogie Freinet, la pédagogie institutionnelle, etc. En outre, dans le concept de mathétique forgé par Thomas F.Gilbert, nous savons que : « la performance d’un individu est fonction de l’interaction entre le comportement d’un individu et son environnement » (Frayssinhes, 2012 p130). Peut-on en rester là ? Ou doit-on revisiter la « théorie du plaisir » adaptée à l’apprentissage ? Il nous semble que OUI ! Les décrochages importants chez les enfants, les abandons nombreux chez les adultes en FOAD, font qu’il semble nécessaire de continuer à théoriser le plaisir, le bonheur, que l’on peut rencontrer lors d’un apprentissage, afin d’en faire profiter le plus grand nombre. Bien travailler n’est pas plus difficile que mal travailler. Les deux modèles demandent autant d’efforts, mais dans le deuxième cas, on est obligé de refaire ce qui a été mal fait, ce qui génère une perte de temps, d’énergie, de la frustration, de la confiance en soi. Aussi, autant bien travailler dès la première fois. Mais comment motiver les apprenants à apprendre, afin qu’ils réussissent dès le départ ?
6/ Motivation et plaisir d’apprendre
Ce sont les travaux de Yerkes et Dodson (De Bonis, 1967), qui établirent scientifiquement le lien entre la performance et la motivation. Ils érigèrent une « loi » qui montre qu’il existe une performance maximale pour une gamme médiane d’investissement (Frayssinhes, 2012 p 158). Pour leur part, les travaux de Deci et Ryan sur le concept de « volition », c’est-à-dire sur la capacité d’un individu à réaliser un acte, une action, dans lequel sa faculté de vouloir, sa motivation, lui permettront d’aller jusqu’au bout et de réussir, nous montrent que les motivations intrinsèques et extrinsèques ne sont pas indépendantes l’une de l’autre, que l’une peut avoir un effet positif sur l’autre. Ces travaux leur ont permis de proposer la théorie de l’autodétermination. Cette théorie adopte le concept de l’eudémonie, sorte de « théorie du bonheur » issue de la psychologie hédoniste qui met l’accent sur l’obtention du plaisir et du bonheur, ou de la réalisation de soi comme critère d’existence de bien-être. La théorie de l’autodétermination définit précisément ce qu’il faut entendre par la réalisation de soi et par quels processus elle peut être atteinte. Ainsi, elle soutient que les humains ont des besoins psychologiques fondamentaux et que leur satisfaction est essentielle à leur croissance, à leur intégrité et à leur bien-être. Quand ces besoins sont satisfaits, l’organisme connaît la vitalité (Ryan et Frederick, 1997), la congruence interne (Sheldon et Elliot, 1999) et l’intégration psychologique (Deci et Ryan, 1991). La satisfaction de ces besoins est vue comme un but « naturel » de la vie, et ces besoins fournissent une grande partie du sens et des intentions sous-jacents à l’activité humaine (Deci et Ryan, 2000, 2002; Ryan et La Guardia, 2000). Cette théorie explique les conditions sous lesquelles le bien-être d’un individu est facilité au lieu d’être entravé, et propose une psychologie sociale du bien-être psychologique de l’être humain (Ryan, 1995).
La théorie de l’attribution est accordée à Weiner (1986). Elle fut développée dans le cadre de la recherche sur la motivation. Une attribution est une inférence ayant pour but d’expliquer pourquoi un évènement a eu lieu, ou encore qui essaie de déterminer les dispositions d’une personne. Ce pourquoi s’adresse autant à notre comportement qu’à celui des autres, et c’est la réponse donnée à cette question qui devient la cause perçue d’un évènement ou d’un comportement que l’on nomme « attribution ». Cette attribution vise à rendre compte des explications de la réussite et (ou) de l’échec d’un individu, dont on peut classer les explications sur plusieurs dimensions. Les facteurs qui affectent le plus l’attribution causale sont les efforts, la difficulté de la tâche, les capacités de l’apprenant ainsi que la chance.
L’attribution causale suppose un processus en trois étapes : 1/Le comportement est observable; 2/Le comportement est intentionnel ; 3/Le comportement est attribué à des causes internes ou externes. Selon Weiner, on attribue la réussite ou l’échec de nos actions à des causes en fonction de trois dimensions binaires :
• On attribue le succès ou l’échec de l’action à soi-même (cause interne) ou à une cause extérieure (cause externe) ?
• Les causes sont-elles persistantes (stabilité) ou changeantes (instabilité) ? Autrement dit : « A » va-t-il toujours donner B, ou peut-il donner C ou D ?
• Les causes sont-elles contrôlables comme le talent ou les compétences, ou incontrôlables comme la chance ou les actions d’autrui ?
Pour Weiner, certaines dimensions vont provoquer des émotions spécifiques, et avoir ainsi une valeur prédictive. Dans le domaine de l’éducation, tel étudiant connaîtra une émotion positive, s’il attribue le succès à son intelligence, conjuguée à ses efforts (cause interne, stable et contrôlable). Il sera donc motivé à se confronter à des tâches similaires éventuellement plus difficiles. En revanche, si la tâche était trop facile (cause externe, instable et incontrôlable), alors il ne se confrontera pas à des tâches similaires mais plus difficiles. En effet, il ne retirera aucune fierté (émotion positive) d’une part, quand d’autre part ses capacités (causes internes et stables) n’auront pas été vérifiées. Aussi cet étudiant craindra-t-il l’échec. Non seulement on n’est pas motivé par ce qui semble trop facile ou qui n’a pas beaucoup de valeur, mais on peut aussi tout simplement, être complètement démotivé. Si un étudiant attribue l’échec à un manque d’intelligence (cause interne, incontrôlable et stable), il ne sera pas prêt à recommencer cette tâche parce qu’il éprouvera un sentiment négatif, voire une certaine honte. En revanche, si un étudiant attribue l’échec à un manque de travail (cause interne, instable et incontrôlable), il pourra recommencer avec une motivation accrue, malgré un sentiment de culpabilité. Si la théorie de l’attribution causale de Weiner se vérifie empiriquement, il n’est pas dans notre intention d’en faire une règle générale car la difficulté tient dans l’interprétation personnelle que l’on donne aux causes. Ainsi, les innéistes qui pensent que l’intelligence est un don, vont attribuer l’échec à une cause interne, stable et incontrôlable. En revanche, les constructivistes qui pensent que l’intelligence est une compétence que l’on peut acquérir au travers d’un ensemble d’interactions propices à son développement, vont l’attribuer à une cause interne, instable et contrôlable. Pour notre part, nous estimons que pour conserver une motivation suffisante, la difficulté d’une tâche doit être proportionnelle aux capacités de l’individu, et on évitera de récompenser la réussite et de sanctionner l’échec. La réussite est en soi la récompense, et l’échec représente la sanction. Toute autre action nous semble inutile sinon néfaste, car elle peut provoquer un conditionnement négatif ayant pour effet de briser la motivation intrinsèque, la plus performante, au profit de la motivation extrinsèque. Enfin, pour soutenir l’intérêt aux études et y prendre plaisir, l’apprenant doit en apprécier l’utilité, c’est-à-dire qu’il doit être capable d’envisager des applications concrètes de ce qu’il apprend. L’acquisition de ces connaissances devient un élément de récompense immédiate avec en toile de fond la perspective d’améliorer ses chances sur le marché du travail.
7/ Les pré-requis
En interne, pour pouvoir expérimenter le plaisir d’apprendre, il faut être disponible physiquement, et prêt psychologiquement. La fatigue, ainsi que les préoccupations personnelles constituent les premières entraves à une bonne concentration propice à un apprentissage de qualité. Le stress, l’anxiété occupent la mémoire de travail et bloquent la capacité d’attention et d’assimilation. En identifiant les motifs de ce stress, on peut trouver le moyen pour résoudre les problèmes rencontrés afin d’abaisser la tension perturbatrice pour se rendre plus disponible au travail. Cela nécessite d’avoir un objectif d’apprentissage qui soit clair, bien formulé, avec des attentes concrètes, réalistes, avec un fort coefficient d’atteinte.
En externe, il est nécessaire de disposer d’une plateforme d’enseignement/apprentissage dynamique, qui diversifie les stratégies et modes d’apprentissage (synchrone, asynchrone, chat, son, vidéo, QCM, travaux collaboratifs, études de cas etc..). Au niveau pédagogique, les pré-requis s’appuient sur les découpages en grain, qui doivent permettre un apprentissage progressif, renforcés par des exercices et (ou) études de cas, travaux de groupes collaboratifs, pour permettre l’assimilation des nouveaux concepts nouvellement découverts. Au niveau didactique, les contenus doivent être réalisés en tenant compte qu’ils seront lus sur un écran d’ordinateur, de tablette numérique ou de smartphone, c’est-à-dire d’une manière fort différente de la lecture « papier ». La lecture sur écran : « demande une surcharge cognitive au cerveau, avec un mode de fonctionnement différent [….] les prises de décision et les raisonnements complexes sont plus sollicités que pour une lecture sur papier » (Frayssinhes, 2012 p.56).
8/ Essai de théorisation
Les références théoriques qui lient l’apprentissage et le plaisir sont nombreuses. Pour que l’apprentissage d’un individu sur les réseaux numériques devienne un plaisir afin qu’il puisse les pérenniser, et qu’il parvienne ainsi à la réussite de sa formation, différents facteurs doivent être réunis :
8.1/ Facteurs intrinsèques
– En premier lieu, bien poser les objectifs de la formation, en concordance avec ses aptitudes et capacités, ce qui nécessite de les connaître précisément avant de s’engager. Les grilles ISALEM97 pour déterminer son style d’apprentissage dominant, et ALK-I pour mesurer son niveau d’auto-apprentissage, permettent d’accéder à cette connaissance individuelle comme cela a pu être démontré par Frayssinhes (2012, p210-246) dans ses travaux de recherche.
– Evaluer le bienfondé de sa volonté d’entreprendre, de son autodétermination, de ses motivations, qui représentent l’ensemble des éléments individuels de la pérennisation de la formation,
– Etablir le lien entre performance atteinte et motivation déployée. Si les écarts sont trop importants, il y a un risque d’échec pour l’apprenant.
8.2/ Facteurs extrinsèques
– Développer un contexte d’apprentissage non-formel permettant une liberté de choix et d’autonomie à l’apprenant, en limitant les entraves au maximum,
– S’appuyer sur le concept de volition pour permettre à l’apprenant d’asseoir son vouloir, sa motivation, son autodétermination, pour lui conserver un haut niveau d’efficience,
– Graduer les tâches à effectuer selon les capacités individuelles des apprenants, en adaptant un système d’évaluation spécifique des acquis,
– Multiplier les formes et les modes d’apprentissage (auto-apprentissage, collaboration, chat, synchrone, asynchrone, etc) en tenant compte du médium utilisé (ordinateur, tablette, smartphone),
– Mettre en œuvre la théorie de l’attribution causale en évaluant les réussites et les échecs possibles, à l’aide d’un tutorat/mentorat « au plus près »,
– Vérifier la congruence entre l’interne (ce qui est souhaité par l’apprenant) et l’externe (qui est apporté, fourni par les pairs, la structure formatrice, le tuteur/médiateur/facilitateur),
– Maintenir une tension suffisante pour conserver au formé le plaisir de l’apprentissage, la satisfaction et le bonheur de sa réussite.
9/ Conclusion
Apprendre à contrecœur n’est pas productif, et ce ne sont pas les cent soixante milles « décrocheurs » annuels français qui nous démentiront, ni les salariés qui sont « envoyés » en formation par leur hiérarchie, souvent contraints et forcés, alors qu’ils n’en ressentent aucun besoin et n’en ont aucune envie. Apprendre n’est ni une contrainte, ni une punition, et si cela est vécu comme tel par de nombreux apprenants, il faut en déterminer les causes. Les nombreuses théories investiguées (Aristote 1823; Deci & Ryan 1991, 2000, 2002 ; Dewey 1958, Freud 1968 ; Goleman 1997 ; Maslow 2008 ; Platon 1985 ; Straka 2006 ; Therer 1998 ; Weiner 1986 ; Yorkes & Dodson, 1908) montrent qu’il est pertinent, et donc souhaitable, de déclencher le plaisir d’apprendre si l’on veut faciliter l’accès à la connaissance et renforcer les apprentissages pour tous les publics. Ce que l’on fait par plaisir est généralement mieux fait, et permet l’obtention de l’estime de soi, une grande satisfaction personnelle pour les efforts fournis, ce qui renforce la motivation à [re]faire et est le gage d’une pérennisation des nouveaux acquis. La somme des plaisirs ressentis permet d’atteindre le bonheur, la félicité, et nul doute que cet état du moi étant très agréable à connaître, l’apprenant qui l’aura expérimenté n’aura de cesse de le retrouver. En outre, la réussite est gratifiante pour l’individu car elle se traduit par la reconnaissance de ses enseignants/formateurs qui en évaluent les résultats, de son environnement familial et professionnel, et de ses employeurs pour les salariés. Apprendre tout au long de sa vie étant indispensable pour conserver son employabilité, concilier plaisir et apprentissage peut permettre d’adoucir les efforts consentis, développer sa confiance en soi, en limitant les abandons et les risques d’échec. Si l’on parvient à introduire et à entretenir du plaisir dans les apprentissages, nul doute que les taux de réussite s’en trouveront augmentés, pour la satisfaction de tous.
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