Modèle-Représentation de la Connaissance relationnelle (2/2)
Étendue de l’argumentation linguistique et computationnelle
Diane Gamache – UQAM, Québec
Version pdf : Espace d’avant-plan (texte complet avec annexe et bibliographie.)
Le paradigme « Faites-le vous-même » fondé sur des méthodes ouvertes de développement individuel et collectif des pratiques donne l’évidence d’un mouvement qui transite d’un monde gouverné par des experts à un monde pris en charge par un individu ordinaire, détenteur d’une « langue ordinaire » plus naturelle que celle de ces experts. Inspirée de cette mouvance à la fois relationnelle et technique, nous reprenons les compétences et contraintes d’une « activité langagière » type, simple et familière de représentation de la « connaissance relationnelle », celle de la droite orientée et étiquetée, pour offrir à l’internaute, une langue, un patron d’usage lui donnant l’occasion de dessiner à l’écran de l’ordinateur une partie des idées qu’il a dans la tête.
La « connaissance relationnelle » (en anglais relational knowledge) est une connaissance liée à une autre connaissance, et ce, selon une approche notionnelle à la connaissance qui va au-delà de l’information. « Une distinction commune de trois notions précise qu’une donnée est un contenu directement observable, une information consiste en données analysées et la connaissance est le résultat de l’interprétation d’informations basées sur les valeurs, les perceptions et l’expérience individuelles » (Jacques Folon, 2015)
Mots clés : représentation de soi, espace d’énonciation active, langue d’écriture digitale, altérité des processus sous-jacents, valeur de vérité, continuum d’échange, sens commun, sens spécifique, processus créatif à valeur ajoutée.
Abstract The « Do it yourself » paradigm based on the open methods of individual and collective development practices gives evidence of a shift from a world ruled by experts towards to a world taken over by an ordinarily-skilled actor, possessing « ordinary language », more natural than that of the experts. Inspired by all this relational and technical movement, we fall back on the abilities and constraints of a typical simple and familiar “language activity” representation of « relational knowledge »1, that of the labeled oriented line, to offer the internet surfer, a language, a usage pattern giving it an opportunity to draw on the computer screen some of the ideas he has in mind. Keywords : self-representation, dynamic enunciative space, digital writing language, underlying process otherness, thruth value, continuum exchange, common sense, specific sense, valuable independently minded process.
Étendue de l’argumentation linguistique et computationnelle
Lacan s’inscrit dans la lignée des penseurs qui ont éprouvé ce besoin de forger une langue à la mesure de leur objet. (Antonia Soulez, 2002)[1]
Et si elle [chose] n’est que mon prétexte, ma raison d’être, s’il faut donc que j’existe, à partir d’elle, ce ne sera, ce ne pourra être que par une certaine création de ma part à son propos. Quelle création? Le texte. [… ] Et ce n’est pas parce que je dis « j’aime la pomme » que je rendrai compte de la pomme. (Francis Ponge)
Le pouvoir de la transparence et de l’intelligence collective ne pourra se passer ni d’image, ni de musique, ni de mise en récit, ni même d’une architecture abstraite de l’information propre à rendre sensibles les interactions cognitives complexes où les citoyens de l’avenir devront apprendre à s’orienter. (Pierre Lévy, 2011)
Au même titre que le support graphique s’est substitué à une tradition orale en ouvrant de nouveaux possibles pour l’expression des connaissances, le support numérique se substitue au papier et ajoute une dimension dynamique pour leur conception et leur transmission. (Bruno Bachimont, 2007)
Droite orientée et étiquetée (DOE) – une langue – un patron d’usage
Bien qu’il soit de tout temps facile pour un non-spécialiste SIC de mettre en relation sur papier deux objets A et B en faisant usage d’une notation symbolique explicite comme celle de la DOE, il lui est aujourd’hui nécessaire, malgré les avancées des technologies descriptives du WS, de faire appel à des experts cogniticiens, analystes et codeurs, pour modéliser cette relation d’ordre. Relation d’ordre qui débute par un point d’origine (xi,yj) , se prolonge vers un autre point dans une direction indiquée par une pointe de flèche et se coiffe d’une valeur d’étiquette (?) (un label) fixant le niveau d’attachement entre ces deux points. Modélisation qui, dans les visées d’ouverture et de justesse actuelles du WS, se doit de revêtir la forme d’une « structure énonciative »([2], [3]) ou « structure référentielle » interprétable / lisible / négociable par les deux catégories d’agents, humain et non humain (en anglais human and machine readable), du WS. L’exploitation de la DOE par l’intermédiarité d’une langue LDOE à potentiel de prise en charge par l’internaute met à sa disposition un espace socio‑géométrique de raisonnement et d’inférence adapté à ses compétences d’analyse et d’organisation. En répétant la figure de la DOE dans l’espace-temps de son activité langagière, l’internaute modélise lui-même des références croisées entre des objets sources et cibles qu’il repère, retient et associe à titre de points d’intérêt (notion de modèle)[4]. Ce référentiel énonciatif construit sur le sens littéral de la DOE (un niveau k d’abstraction) révèle, sur un arrière-plan « profond de sens » et probant (un niveau k+1 d’abstraction), celui des objets A et B ainsi liés, des connaissances nouvelles (a deep logical structure[5], a situated inference[6], a structural blending[7]) qui se doivent d’être négociables par les deux catégories d’agents du WS.
Au-delà de l’acte de présence – le web participatif
Aussi dénommé par Manuel Zacklad (2003, 2005, 2013) et Cahier et al. (2003) de web socio sémantique (W2S ou WSS) et par Tim Berners Lee (2005, 2009) de web participatif, l’évolution ou (ré)volution actuelle du WS dénote que cette tribune virtuelle d’expression communautaire se libère, se démocratise et se personnalise sur la base de ses usages. Notre nouvelle stratégie d’énonciation active s’inscrit dans cette mouvance technico-socio-sémantique du web libre et ouvert où l’internaute fabrique lui-même, au moment de l’interaction, sur la base d’un « modèle-représentation de la connaissance » relationnelle (M‑RCr) qu’il a « dans sa tête » (K. Marx)[8], celui de la DOE, une forme et un sens communément rapportable sur le WS. La langue LDOE s’apprend à la petite école. Son schéma mental ou cognitif fait référence à un formalisme non ambigu, quasi universel, ouvert sur une variabilité de pratiques. Sa syntaxe concrète et sa logique observable et manipulable dans un plan positionnel et dimensionnel rejoint les caractéristiques générales du modèle épistémologique de la « pensée par cas » de Jean-Claude Passeron et Jacques Revel (2005). Modèle épistémologique décrit par Philippe Lacour (2005) comme : une manière distincte « de raisonner et d’argumenter » les pratiques ; un méta modèle d’énonciation où le cas « constitue lui-même la norme de sa vérité et de son sens » ; une sorte de preuve sensible au contexte ; une résultante probante de l’activité dénotant les efforts/effets de l’Homme sur les médias qu’il reconnaît et utilise.
Les énoncés bien formés qui émanent de cette LDOE sont des cas, des « faits de langue », des « faits d’usage » qui se vérifient/valident (V&V) communément, a priori et a posteriori de l’échange, sur la base de son vocabulaire (lexique), de sa grammaire (syntaxe) et de sa sémantique (sens) propres. En correspondance à la « sémantique du prototype »[9] de Georges Kleiber (1990), la sémantique de la DOE est, sur la base de la stabilité structurelle et de la flexibilité de son prototype, référentielle, inférentielle et différentielle. Référentielle sur l’existence de points d’ancrage situés/localisés dans un plan positionnel et dimensionnel. Inférentielle sur la base d’une relation binaire volontairement et intentionnellement construite. Différentielle sur la base d’une valeur d’étiquette attribuée/assignée par un acteur, ici l’internaute, conscient de lever par la révélation publique de son POV une part d’incertitude. Selon les écrits rapportés de Roger Bacon (« moine franciscain qui [… ] comprit la haute utilité des langues »[10]), la certitude ne naît pas du discours, mais de l’expérience de ce discours[11]. Dans un continuum d’échange en rupture comme celui du WS, ces énoncés ou faits de langue sont des entités singulières « c’est-à-dire des faits qui sont objets de l’expérience » (Guillaume d’Ockham, 1993). Expérience directement transposable, dans le cadre de notre recherche, à l’expérience utilisateur en ligne (en anglais User eXpérience – UX) d’un internaute, non-spécialiste SIC, adéquatement instrumenté/outillé d’une DOE pour organiser et rendre compte lui-même et publiquement de son POV, de ‘SA’ vérité.
Alignement de la production individuelle et de la consommation collective
À l’heure de la communication de masse, de la nécessaire « interopérabilité sémantique » des contenus échangés sous une forme hybride porteuse « de données et de sens »[12] et de notre quête à la réification du pouvoir de signifier de l’internaute compétent dans une langue de lecture/écriture particulière : la figurativité, l’observabilité, la compositionnalité, la calculabilité et l’intelligibilité des énoncés bien formés qui émanent d’une langue comme celle de la LDOE offrent un potentiel de rapprochement, d’unification et de continuité des espaces de « production individuelle » et de « consommation collective » du WS. Rapprochement pouvant réduire le ∆ entre le « ce qui se dit » localement (a priori) et le « ce qu’on en dit » publiquement (a posteriori).
À la question récente soulevée dans Questions numériques 2014/2015[13] : « Le numérique distribue-t-il du pouvoir au plus grand nombre ou renforce-t-il le pouvoir de quelques-uns ? », notre riposte à l’éventuelle domination ou aliénation de l’homme par la machine sous le contrôle d’un petit nombre d’acteurs est d’outiller maintenant[14] l’internaute pour qu’il prenne en charge une partie de son ÉD. Bien que Ray Kurzweil (2007), futurologue des technologies de l’information « met en évidence et réclame » la singularité humain machine, nous nous rallions à Jaron Zepel Lanier (2010)[15], philosophe penseur des sciences de l’information, qui « met en garde et conteste » ces approches faisant de l’humain un gadget technologique. L’ÉD que nous prônons est celle d’une figure géométrique simple et familière qui s’édifie en transparence, à l’avant-plan d’un monde sous-jacent (un fond) porteur de sens. Écrits prenant place dans une simultanéité de rapports réglés sur une diversité de parcours, de registres, de POV. Écrits où la frontière en tant qu’invariant est un « ouvert » : « ouvert (à la manière d’une droite) », cette « ligne séparatrice » de Pierre Boudon (2014)[16], qui demande à notre internaute non pas de maîtriser l’orthographe et la grammaire d’une langue, mais sa pensée logique, sa force argumentative et sa valeur de persuasion. Ouvert que nous souhaitons créer en nous inspirant de la notion de « matériel-outil (incluant la langue) » [en anglais materials-tools (including languages)] du linguiste Robert Nicolaï (2016)[17]. Un mélange (en anglais blending) en direct des langues, une sémiotique dynamique particulière que Nicolaï dénomme « contact des langues ». Sémiotique que nous jugeons transposable en amont de l’échange à la co-construction de l’UX en ligne. Comme l’indique André Tabouret-Keller en citant Nicolaï, « s’intéresser au sémiotique revient à conserver à l’objet d’étude son lien manifeste avec les faits de langue, les pratiques langagières et discursives, tout en le faisant sortir de la clôture a priori que la terminologie disciplinaire (la sémiotique) pourrait (a pu) lui imposer » (Keller, 2011, p.17)[18]
Ted Nelson has spent more than 50 years making us aware of the need for and exhorting us to develop the tools that would change the world’s way of seeing, accessing, and connecting information. And once we agree that disciplinary barriers need to be taken down, the whole idea behind the worldwide web becomes simply the technological realization of an intellectual decision. (Conference Chapman 2015)[19]
La prise en charge énonciative, un allant-de-soi à exploiter par les spécialistes SIC
Les linguistes Danielle Coltier et al. (2009) font de la notion de « prise en charge » d’un énoncé linguistique (en anglais support of a linguistic utterance), leur cheval de bataille. Dans leur mise en perspective, ils énumèrent différents linguistes (Culioli, 1971, Grize, 1982, Laurendeau, 1989, Nølke, 1994, Martin, 2005) qui utilisent, définissent ou théorisent sur cette notion en déplorant toutefois que la notion de « prise en charge » soit une notion négligée de la recherche. Pour eux, la prise en charge à titre de constituante de l’énonciation est, selon les auteurs qu’ils relèvent : une modalité mettant en coprésence un sujet énonciateur, un objet d’énonciation, une finalité ; un phénomène intentionnel, volontaire, libre et ordonné d’ajustement d’un sujet à une situation donnée ; l’interrogation d’un sujet soucieux d’accorder à un objet d’énonciation une « valeur de vérité ». Dans leur perspective, Coltier et al. ne font pas état des travaux (2006-2009) de leur contemporain, linguiste, logicien et spécialiste du traitement automatique de la langue naturelle (TALN) Jean-Pierre Desclés (2009), qui publie, dans le même numéro (pp. 29 à 53) l’article « Prise en charge, engagement, désengagement ». Article où il met en lumière, au regard des travaux de Wittgenstein et de Culioli, les constituants d’une situation référentielle prise en charge (PEC) par un acteur d’énonciation. Pour Desclés alors en quête d’avancer la scientificité des productions textuelles des sciences humaines, la PEC est un allant-de-soi de l’énonciation. Elle se formalise et se calcule sous la forme de schèmes applicatifs et de schémas langagiers à valeur d’ordre. Schèmes et schémas déjà-formés, déjà-connus qui « dictent/orientent » le comportement langagier du locuteur, ce JE à qui sont attribuables les marques d’énonciation. Selon Desclés et Jackiewicz (2006) cette PEC conduit le locuteur à inférer sur la base d’indices plausibles qu’il reconnaît/perçoit/repère dans l’espace-temps de son activité d’énonciation, la meilleure explication. Meilleure explication prenant la forme d’un énoncé linguistique personnalisé, bien formé, distinct de la proposition linguistique. Pour Desclés, bien que la proposition linguistique (ex : Socrate est mortel) soit une forme déclarative (voire une forme qui se dit/décrit, verbalise/formalise), elle est un simple état qui ne peut, sur l’évidence de sa non-prise en charge par un locuteur (un JE) ou de son inaccomplissement par un sujet « parlant » (Frege dirait de sa « non-assertion »[20]), être un « fait d’usage », un « fait de langue ». La proposition linguistique est un simple état qui ne peut être une instance observable dans un plan spatio-temporel et ne peut être une entité descriptible sur la base de l’espace-temps de l’activité langagière lui donnant naissance. Par contre, dans la perspective de Desclés, l’énoncé linguistique (ex : Je dis, sur la place publique, que Socrate est mortel) qu’il formalise dans une architecture computationnelle en reprenant des schèmes et des schémas à valeur d’ordre est descriptible sous la forme d’une PEC processuelle (voire un procès) (voire l’activité langagière en train de se faire d’Humboldt [Energeia]) (Nicolaï, 1988). Procès conduit par un locuteur qui détermine, quantifie, thématise le monde qu’il perçoit en « disant/écrivant » quelque chose de sensé. Pour ce faire, le locuteur : pense/parle/écrit en son nom, au JE ; consomme de façon successive un temps linéaire qui débute et se termine ; aspectualise (voire décore/personnalise sans égard à son métier) ce qu’il dit/écrit, verbalise/formalise dans l’espace-temps d’une activité langagière donnée, bornée, limitée (p. 3). Desclés parle alors de l’énoncé linguistique bien formé comme d’un « état résultant » d’un événement passé « détachable du monde externe » mais « en contexte » i.e. « indépendant/autonome », mais « non dissociable des marqueurs cognitif, culturel, social de la prise en charge ».
Pour nos visées de recherche, bien que nous ne soyons ni linguiste, ni spécialiste du TALN, la réification du pouvoir de signifier de l’internaute est pour nous, tout comme la notion de PEC énonciative de Desclés, un allant-de-soi. Allant-de-soi « détachable du moment d’interaction » (voire le en amont de l’échange, là où l’internaute s’exprime) mais « rapportable en contexte » (voire le en aval de l’échange, là où dans la continuité de l’échange les usages se font dans d’autres contextes). Sous l’angle de vue de la PEC verbalisable/formalisable dans des schèmes, schémas de Desclés, le construit linguistique réel ou virtuel, comme l’énoncé textuel dérivé d’une grammaire à syntaxe abstraite ou comme l’énoncé résultant de l’usage d’une DOE « sans texte » à syntaxe concrète, est, sur la base de l’« invariant langagier » de la PEC, un phénomène généralisable de détermination/organisation/individuation, de tout énoncé linguistique bien formé, avec ou sans texte.
Les qualités de « détachabilité » d’un énoncé [… ] ne sont d’ailleurs pas sans rappeler ce que la rhétorique antique avait identifié sous le jour de la memoria (figures et formes favorables à la mémorisation et à la reprise). (Alice Krieg-Planque, 2013, en parlant des phrases sans texte de Dominique Maingueneau qui sont des phrases qui échappent à l’ordre du texte)[21]
Une langue idéale pour les internautes non-spécialistes SIC
Ne pouvons-nous, les uns et les autres, « à la fois pédaler (Agir) et lever la tête au dessus du guidon (Penser) (J.-L. Le Moigne, 2010)
L’idée de réifier le pouvoir de signifier de l’internaute par l’intermédiarité d’une LDOE questionne la nécessité et volonté de l’internaute à faire du code informatique et de l’algorithmique. Certains stratèges du numérique comme Axelle Lemaire (2015)[22] croient que ces champs de compétence à ce jour réservés au génie informatique doivent faire partie de la culture générale. D’autres, comme le philosophe chercheur Pierre Lévy (2013), croient que sur la base de la sémantique et de la pragmatique il est possible d’initier le grand public à l’intelligence algorithmique (ordre d’instruction) sans en faire des codeurs informaticiens. En 1982 James Martin auteur de l’ouvrage « L’informatique sans programmeur » (en anglais Application development without programmers) voyait déjà se dessiner à l’horizon, par le « biais d’outils graphiques organisés autour d’un référentiel d’instructions », l’éventuelle libération de l’internaute appelé à l’époque simple utilisateur. Joseph A. Goguen auteur d’un manifeste sur la catégorie parlait lui de l’importance que les informaticiens s’ouvrent à d’autres champs disciplinaires en apprivoisant et en exploitant la catégorie (1989) et la sémiotique algébrique (1999), deux processus de l’intelligence collective permettant de formaliser des représentations basées connaissance. Dans une entrevue (2004) intitulée « Intelligence collective ou révolution invisible », Martin Quinson, spécialiste de l’informatique distribuée à grande échelle, déclarait : « On ne peut plus se permettre d’avoir une majorité de citoyens ignares et des décideurs mal informés en informatique après Snowden »[23]. Selon nous, l’internaute moderne à titre de citoyen de l’ère numérique ne souhaite pas avoir à se taper une langue hermétique et formelle comme celle utilisée par les spécialistes SIC. Il souhaite s’exprimer à l’aide d’une langue vivante, simple et familière, quasi naturelle. Une langue d’usage comme celle de la LDOE qui lui permettrait d’édifier un « nouveau code » en mettant la main à la pâte.
L’internaute – une autorité agissante – un artisan au plus près des pratiques ordinaires
De fait, pour définir la figure de ce à quoi réfère tout énoncé au passé, il faut articuler ensemble une propriété de non actualité (le passé n’est pas l’actuel) et une propriété d’actualisation (distinguant le révolu de l’à venir) (Culioli, 2005)
Transposé à la notion de prise en charge de Desclés (2006, 2009), ce « nouveau code » est, pour notre recherche, co-construit en amont de l’échange par deux acteurs d’énonciation. 1) Un spécialiste SIC qui utilise sa langue de spécialité pour mettre en scène un premier référentiel énonciatif (REN). 2) Un non-spécialiste SIC qui réutilise (ajuste/manipule) ce REN au moment de l’interaction en « parlant/écrivant » une langue particulière, celle de la LDOE. Toujours selon Desclés, ce REN est constitué de trois référentiels temporels : un référentiel externe (REX) ; un référentiel non actualisé (RNA) ; un référentiel des (situations) possibles (RPO). Référentiels temporels que le non-spécialiste SIC ajuste/manipule au moment de son interaction. À titre de spécialiste « distant » des pratiques ordinaires, le spécialiste SIC campe ainsi le rôle d’une « autorité de contrôle » responsable de conventionner et de contraindre l’imaginaire de l’internaute. À titre d’artisan au plus près des pratiques ordinaires, l’internaute campe ainsi le rôle d’une « autorité agissante » libre d’un imaginaire en devenir. Imaginaire en train de naître (voire contingent) au moment de l’interaction. Imaginaire qui se doit, dans une quête à l’« intégrité contextuelle », à la pertinence et à l’efficacité, d’évoluer non pas sur des « représentations tenues pour vraies (RTPV) » (Fabrice Clément, 2014)[24], mais sur du ‘vrai’. Dans cette co-construction SIC — non SIC, une prémisse demeure. Celle d’agents intelligents reconnus compétents à organiser/structurer leur Action langagière à l’aide des outils/instruments mis à leur disposition (voire accessible). Edwin Hutchins (1980; 1995)[25], [26] intéressé par la science cognitive et les environnements ambiants dits naturels, disait de ce type de procédé d’énonciation de la connaissance qu’il ne s’agissait pas d’un phénomène purement individuel, mais d’un processus cognitif résultant de l’activité coordonnée des participants et de leurs instruments.
Conclusion — SIC et non SIC dans le continuum de l’échange
En prenant en charge une DOE par l’intermédiarité d’une LDOE pensée par le spécialiste SIC comme un « matériel-outil (incluant la langue) », l’internaute catégorise, sur la base d’une langue et d’un arrière-plan qu’il détermine, un rapport personnalisé dénommé par Boudon (2004, p. 27) de « catégorisation de l’instanciation ». Selon Reuchlin (1990, p. 146)[27], ce type de rapport laisse « de la latitude au sujet pour exercer lui-même un contrôle sur ses propres activités cognitives » de formalisation(F)/réalisation(R). Un rapport que nous construisons sur l’« ouvert (à la manière d’une droite) », cette ligne séparatrice de la sémantique de l’édification du territoire de Boudon (2007)[28]. Ouvert mettant à disposition trois opérations de base 1) énonciation, 2) référenciation, 3) différenciation qui délimitent la frontière et configurent la réflexion de son auteur. Opérations de base transposables à notre LDOE pour : 1) ancrer dans un plan positionnel et dimensionnel des objets jugés d’intérêt ; 2) associer un à un ces points d’intérêt au regard d’un enjeu particulier d’analyse ; 3) valuer/pondérer cette mise en correspondance d’une valeur signifiante représentative d’une perspective, d’un POV. Dans notre quête à la réification du pouvoir de signifier, nous jugeons cette langue LDOE comme étant une condition nécessaire et suffisante à l’expression d’un sujet qui se porte garant de ce qu’il dit/écrit, verbalise/formalise. Par conséquent, dans le cadre de notre recherche, les énoncés linguistiques qui émanent de cette langue LDOE se rapportent, se comprennent et se calculent sur une croyance du ‘vrai’. Croyance relevant d’un sujet qui énonce, met en référence et différencie une partie de sa connaissance en faisant usage d’une DOE dans l’espace et le temps d’une activité langagière particulière prenant place en amont de l’échange. Croyance réutilisée collectivement dans un continuum d’échange nécessitant de mettre en perspective un savoir informationnel inhérent à ses origines langagières ou, comme le dit Barthes pour les paroles(1966)[29], à la « langue » dont ils sont issus, pour espérer évoluer sur du ‘vrai’.
Le lecteur désireux d’entrevoir les traits distinctifs d’une preuve de concept (POC) à venir est invité à consulter l’annexe Projet de recherche (M-RCr) – un matériel-outil (incluant la langue). Il y découvrira une méta-technique ouverte à la manière d’une « pratique transparente du sens spécifique »[30].
[1] Antonia Soulez, Le nœud dans le tableau, 2002, ERES, [En ligne] https://www.cairn.info/revue-essaim-2002-1-page-121.htm. Lacan (1964) parle alors de lalangue comme d’une « structure grammaticale singulière mais riche » (Wikipédia) qui « algébrise ex abrupto, c.à.d. sans la médiation de concepts » (Soulez) le sujet « parlant », « agissant ».
[2] Any time we place two or more objects on a page in relation to each other they form a structure. There becomes some kind of organization between the elements and the more elements that make up our structure the more complex and interesting that structure will be. (BRADLEY, Steven, Structures As Patterns and Textures : The Elements Of Design Part IV, 2010, Vanseo design—Web Design
[3] En énonciation ce qui est primordial ce n’est pas la dichotomie signifiant/signifié, c’est la référence, autrement dit le renvoi aux objets du monde, qu’ils soient repérés par rapport à la situation ou détachés de la situation d’énonciation (Fusellier-Souza Ivani, Analyse descriptive de la LSF (voire Langue des Signes Fonctionnels) approches discursives et énonciatives, 2005)
[4] La notion de modèle comme : « modèles formalisés non-réduits aux modèles-mathématiques (H.A. Simon, 1955) » comme : « Une idée neuve du modèle : Modèle (ou représentation) de connaissance » ; comme : formulations textuelles/ graphiques, verbalisables/informatisables ; comme : « instrument de production et d’exposition des connaissances » ; comme : « production intelligible de représentations opératoires par le modélisateur-acteur », Le MOIGNE, J-L., Qu’est-ce qu’un modèle, in Les modèles expérimentaux et la clinique, 1985, Numéro spécial consacré aux MODÈLES.
[5] Travaux de Lakoff, Turner, Fauconnier, Goguen (1999)
[6] Jon Barwise (1988), lecture notes
[7] Joseph A. Goguen, Harrell D. Fox (2004)
[8] La parabole de l’abeille et de l’architecte de K. Marx où l’avantage de l’abeille experte sur le plus mauvais architecte est d’avoir, à titre de modélisateur-acteur, le modèle dans sa tête. (Le MOIGNE, J.L., op. cit)
[9] La Sémantique du prototype suppose que le sens des mots n’est pas composé de petites particules de sens, mais dérivé d’un certain degré de proximité avec un prototype [… ] le prototype ne consiste pas en un objet central, il est présent de manière diffuse, sous la forme d’un » air de famille « . (La sémantique du prototype. Catégories et sens lexical, Georges Kleiber, Puf, 1990, Sciences Humaines, 2003)
[10] Émile Saisset, Rober Bacon, sa vis son œuvre, revue des Deux Mondes, 2e période, tome 34, 1861 (pp. 361-391)
[11] traduit de Wikipédia, Empirisme
[12] L’interopérabilité sémantique, c’est « la capacité pour deux utilisateurs, modules ou systèmes différents d’échanger des informations sous une forme, qui véhicule non seulement les données, mais aussi leur sens », 2009, TicSanté.com, Interopérabilité sémantique : des enjeux relatifs à la qualité et la sécurisation des soins
[13] Questions numériques 2014/2015 : Controverses : Cahier d’enjeux et de prospective, fr.slideshare.net/slidesharefing/cahiersqncontroversespdfwebplanches
[14] clin d’œil aux travaux de Michel Serres, #petitepoucette « maintenant tenant en main le monde ! », #journée de « l’inversion », Les nouvelles technologies : révolution culturelle et cognitive, documentaire 22 janv. 2015
[15] auteur d’un manifeste annonciateur d’une communication post-symbolique par la pensée; Également auteur de Who Owns the Future (2013) faisant état de son influence par les travaux de Ted Nelson, père de l’hypertexte et auteur de Computer Lib/Dream Machines (1974).
[16] Le dispositif territorial que nous venons de proposer est établi sous la forme d’une stratification en niveaux de générativité : a) un plan de repérage (orientation, direction) [… ] ; b) un plan d’inscription (temporaire, permanente) [… ] distribuant les rapports entre un intérieur et un extérieur, un dessus et un dessous ; c) enfin, un plan de localisation [… ] organisant une multiplicité d’occupations.
[17] Communication is manifested through the available materials-tools (including languages) which human actors actualize.
[18] cité par André Tabouret-Keller in Langage et société , 2011/4 (no 138), http://www.cairn.info/revue-langage-et-societe-2011-4-page-141a.htm.
[19] Preface Conference Intertwingled : The work and influence of Ted Nelson (2014), DECHOW, R. Douglas ; STRUPPA, C. Daniele editors, Chapman.edu, Springer Open
[20] Un énoncé non encore asserté est une lexis. « Cette lexis n’est ni affirmée, ni niée (elle n’est pas assertée) et n’est pas orientée [… ] (extrait de Coltier et al., op. cit)
[21] Alice Krieg-Planque, Dominique Maingueneau, 2012, Les phrases sans texte (Paris : Colin), Argumentation & Analyse du discours : L’argumentation dans le discours politique, 10|2013
[22] Axelle Lemaire, secrétaire d’état au numérique du gouvernement français, Le code est partout [… ] ce langage est devenu aussi important qu’une langue étrangère, http://fr.euronews.com/2015/02/18
[23] http://testconso.typepad.com/Intelligence_Collective_Revolution_Invisible_JFNoubel.pdf
[24] Paissa Paola, Comptes rendus de Danblon, Emmanuelle, Victor Ferry, Loïc Nicolas & Benoit Sans (éds). 2014. Rhétoriques de l’exemple. Fonctions et pratiques, Le(s) discours de l’action collective, revue électronique Argumentation et analyse du discours 14|2015.
[25] Culture and Inference, Harvard University Press, 1980
[26] Cognition in the Wild, MIT Press, 1995
[27] extrait de Marc Weisser, La construction du sens par le sujet apprenant, in HAL, 2010, https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-00501611
[28] une sémantique qui se dégage de l’espace habitable et qui se représente sous la forme d’une logique formelle (voire une sémiotique des lieux)(voire une théorie générale des lieux considérés du point de vue de leur sémantique)
[29] Roland Barthes, Introduction à l’analyse structurale des récits, 1966, Communications, vol. 8, no. 1, pp. 1-27
[30] Philippe Charron, La représentation de l’objet chez Francis Ponge, mémoire études littéraires 2007