Bilan et perspectives
Nolwenn Picoche
Critique personnelle
Le principal atout de l’article de Diane Sainsbury est de mettre en lumière les insuffisances des analyses existantes sur les États-providence quand il s’agit de s’intéresser plus particulièrement au genre. En effet les modèles traditionnels ne le prennent pas en compte. Pour une grande partie des critiques féministes, les États-providence sont synonyme du modèle « l’homme chef de famille ». Même celles reconnaissant des variantes dans les systèmes des États-providence n’introduisent pas toutes les composantes du genre dans leur analyse. L’étude proposée par Diane Sainsbury montre que les systèmes sociaux des quatre pays dans les années 60 différaient ce qui n’est pas le cas des théories ne comptant pas le genre dans leurs catégories.
La forme que prend l’analyse de Diane Sainsbury – étudier les quatre pays séparément puis les comparer – entraîne des répétitions qui alourdissent ses propos. La partie expliquant d’où vient son modèle et pourquoi elle a voulu le créer est intéressante. Pour chaque pays, elle aurait dû être plus schématique en mettant à chaque fois ce qu’il en est pour les assurances, la fiscalité, le marché de l’emploi toujours dans le même ordre. Cela permettrait au lecteur de voir en un coup d’œil les différences par catégorie. Mais la forme que prend un article empêche ce schématisme. De plus, elle ne va pas suffisamment loin dans ses conclusions et sur les implications qu’entraînent son analyse. Notamment le schéma « Individualiste » et son rôle ne sont pas développés.
Il aurait été intéressant – mais probablement cela a-t-il été fait dans une autre étude – de voir ce qu’il reste du modèle « l’homme chef de famille » dans les systèmes sociaux des États-providence d’aujourd’hui. Les idéologies présentes dans les années 60 n’ont pas disparu avec les politiques mises en place pour l’égalité des hommes et des femmes. Il est possible d’observer qu’il ne suffit pas de promulguer une loi pour que les mentalités changent.
Débat
Le but de ce débat est de voir si l’idéologie « l’homme chef de famille » a pu influencer le traitement de la pauvreté dans les États-providence de la même façon qu’elle a influencé les systèmes sociaux de ces pays selon le genre. En effet, la séparation nette des tâches entre le mari « gagne-pain » et la femme au foyer est la composante centrale de ce modèle. Que se passe-t-il quand l’homme se retrouve au chômage et qu’il n’est plus en mesure d’assurer les revenus du foyer ? Quel impact cette idéologie va avoir ? Voici une ébauche de réponse grâce aux données de Diane Sainsbury et à l’ouvrage La régulation de pauvres de Serge Paugam et Nicolas Duvoux.
Dans leur livre, Serge Paugam et Nicolas Duvoux reproduisent un extrait de l’article « Le lien social » de Gøsta Esping-Andersen dans Les trois mondes de l’État-providence. Les États-Unis et la Grande-Bretagne font partie du modèle libéral où l’État encourage le marché, limite ses interventions dans la protection sociale et favorise les assurances privées. Le modèle nordique ou social-démocrate, dont la Suède, applique le principe de l’universalité des droits sociaux avec un haut niveau de protection sociale. Pourtant Diane Sainsbury a montré qu’il existe des différences pour le genre entre les États-Unis et la Grande-Bretagne, par exemple.
Diane Sainsbury évoque la typologie d’Esping-Andersen dans ses conclusions. Ce modèle pose deux fondements du droit dans la famille traditionnelle : le principe d’entretien et le principe de soins. Son but est de montrer les similitudes entre les États-providence de la Suède et des Pays-Bas. Mais le modèle de Diane Sainsbury illustre les différences qui existent entre la Suède d’un côté et les Pays-Bas, les États-Unis et la Grande-Bretagne de l’autre en regard des droits sociaux masculins et féminins. La question de la pauvreté diffère de celle du genre et l’influence de l’idéologie « l’homme chef de famille » est toujours en débat.
Pour les États-Unis, l’idéologie « l’homme chef de famille » y est fortement implantée. Le libéralisme n’a pas aidé à ouvrir la frontière entre le privé et le public mais a, au contraire, renforcé l’idée sacrée de la famille et celle de l’ingérence minimale de l’État pour Diane Sainsbury. Cette idéologie a influencé le système social puisque « l’assistance est donnée en échange d’une stricte contrepartie de travail »[1]. L’aide sociale ne fait pas partie des mentalités et ne peut être apportée qu’avec une compensation de travail. Ainsi l’intrusion de la sphère publique dans l’État est limitée puisqu’il y a un semblant de travail.
La Suède se différencie autant pour les questions du genre que pour le traitement de la pauvreté. Dans la logique du welfare regime, le pays mise sur « l’accompagnement social de tous les chômeurs »[2] avec des programmes ambitieux de qualification de la main-d’œuvre, un haut niveau de couverture sociale et d’indemnisation du chômage. Il existe de nombreux services sociaux pour les familles. L’accent mis sur le droit aux prestations et services comme composante des droits de la citoyenneté et de la résidence touche également les pauvres et les chômeurs qui disposent de nombreux avantages par rapport à ceux des pays du modèle libéral.
Même s’il est impossible à partir de ces deux exemples de faire des généralisations et qu’il manque toujours des données, il semble y avoir un lien entre l’idéologie « l’homme chef de famille » et le traitement de la pauvreté. Cela n’est pas étonnant. Il est normal qu’une idéologie qui occupe une place importante dans la conception des rôles publics et privés touche toutes les strates de la société. La séparation entre sphère publique et privée est devenue floue avec l’accroissement du nombre de chômeurs et les aides d’État, ce qui a affaibli cette idéologie. Les changements de perception de la pauvreté décrits par Serge Paugam et Nicolas Duvoux peuvent découler de retours passagers de cette idéologie dans les mentalités.
[1] Serge Paugam, La régulation des pauvres, Paris, Puf, 2008, page 109.
[2] Idem, page 108.