L’athée vertueux, le méchant homme : endroit et envers d’un paradoxe de Bayle
Andy Serin est agrégé de philosophie, doctorant contractuel à l’EPHE-PSL et à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, rattaché au Laboratoire d’études sur les monothéismes (UMR 8584).
Résumé
À travers l’analyse d’un célèbre paradoxe, celui de l’athée vertueux chez Pierre Bayle, nous entendons montrer de quelle manière et pourquoi l’athée a longtemps incarné la figure d’un « méchant homme ». Comment l’athée s’inscrit-il dans une histoire intellectuelle de la méchanceté et précisément des figures du méchant ? La critique du préjugé de l’athée vicieux a ainsi entraîné des mutations conceptuelles pour une double histoire : d’une part de l’athéisme et de l’irréligion, d’autre part de l’immoralité et de la méchanceté. C’est là l’endroit et l’envers du paradoxe subversif de Bayle.
Mots-clés : athée, vertueux, méchant, Bayle.
Abstract
Through the analysis of a famous paradox, that of the virtuous atheist in Pierre Bayle, we aim at showing how and why the atheist has long embodied the figure of an « evil man ». How does the atheist fit into an intellectual history of evil and precisely of the figures of evil? The critique of the prejudice of the vicious atheist has thus led to conceptual mutations for a double history: on the one hand of atheism and irreligion, on the other hand of immorality and wickedness. It is the frontand back of Bayle’s subversive paradox.
Keywords: atheist, virtuous, evil, Bayle.
Introduction
Dans une fameuse tirade à la fin de la scène 1 de l’acte 1, Sganarelle fait le portrait haut en couleur de son maître à Guzman. À l’écouter, Dom Juan est le « plus grand scélérat que la terre n’ait jamais porté », « qui ne croit ni Ciel, ni Enfer, ni loup-garou », un « pourceau d’Epicure », « un épouseur à toutes mains », et enfin « un grand seigneur méchant homme »[1]. Cela pose une question : si d’un point de vue de l’analyse littéraire, les traits caractéristiques de Dom Juan semblent n’être que juxtaposés, en revanche d’un point de vue philosophique et d’histoire des idées, cela n’est pas sans suggérer un lien plus fort entre incrédulité et débauche, entre libertinage d’esprit et libertinage de mœurs. À travers le personnage de Dom Juan, Molière a donné chair à un préjugé répandu à son époque : l’athée est un « méchant homme », parce que l’athéisme incline nécessairement à mal agir. Dans l’imaginaire culturel de l’époque moderne jusqu’à nos jours, Dom Juan est ainsi devenu la figure de l’athée vicieux[2], contribuant à faire la mauvaise réputation des athées.
Pierre Bayle est celui qui a notoirement fait la critique de ce préjugé. Dans les Pensées diverses sur la comète de 1682, lorsqu’il répond à la première objection[3], Bayle fait scandale en osant soulever le paradoxe d’un athée vertueux, et son corollaire : la possibilité d’une société d’athées parfaitement viable. Un « athée vertueux » va non seulement contre l’opinion commune, mais surtout paraît être un monstre ou plutôt une chimère de l’esprit. Bayle n’aura de cesse de justifier son paradoxe, tout en repoussant l’accusation d’athéisme dont il est désormais suspect aux yeux de ses contemporains et de certains commentateurs de sa pensée[4]. Précisons d’emblée que le préjugé de l’athée vicieux ne se limite pas à cette seule épithète, mais emploie tout un champ lexical de l’immoralité qui inclut aux côtés du terme de « scélérat », celui de « méchant » comme adjectif et substantif. Le paradoxe de Bayle s’inscrit donc pleinement dans le cadre d’une histoire intellectuelle de la méchanceté.
Mais qu’est-ce qu’un méchant et la méchanceté au XVIIème siècle ? Depuis les dictionnaires médiévaux et la plupart du temps encore, sous la vieille orthographe « meschant » dans les dictionnaires modernes, comme ceux de Ménage, de Richelet, de Furetière et de l’Académie française, la notion oscille entre deux grandes acceptions, sur fond d’une controverse étymologique entre mala cadens (mal chu, mal tombé, malheureux et malchanceux) et mechanicus (machine, mécanisme) : l’une évoque le caractère mauvais, imparfait, défectueux d’une chose tandis que l’autre désigne non seulement le fait d’être contre la raison, les mœurs, les lois, la probité, la justice, mais aussi d’avoir un penchant au mal, d’être sujet à mal agir. Or, progressivement à partir de l’époque moderne et autour du XVIème siècle, prédomine le sens d’être porté à faire du mal. Enfin, c’est au sein d’un même réseau conceptuel que se définissent, plus ou moins les uns par les autres, les termes de méchanceté, vice, scélératesse et malice. De même, Bayle varie entre tous ces termes, mais il privilégie souvent celui de « méchant ». En l’espèce, le préjugé de l’athée vicieux pose qu’un penchant au mal est inhérent à l’athéisme. Aussi, dans la hiérarchie chrétienne des « êtres méchants », trône le diable, puis vient à la seconde place l’athée qui constitue toutefois, au plan humain, la figure archétypale et hyperbolique du méchant.
On considère souvent le paradoxe de l’athée vertueux du seul point de vue de sa contribution à l’histoire intellectuelle de l’athéisme et de l’irréligion. Le préjugé de l’athée vicieux est d’abord vu comme un préjugé sur l’athée. Mais, inévitablement, c’est aussi un préjugé sur l’immoralité et ce qui fait la méchanceté. Comment l’athée s’inscrit-il dans une histoire intellectuelle de la méchanceté et précisément des figures du méchant ? La critique du préjugé de l’athée vicieux a dès lors entraîné des mutations conceptuelles pour une double histoire d’une part de l’athéisme et de l’irréligion, et d’autre part de l’immoralité et de la méchanceté. En effet, dans le sillage de la littérature secondaire[5], nous analyserons le schème de Bayle[6] : « L’homme n’agit pas selon ses principes », par lequel il entend remobiliser le problème de l’acrasie et l’appliquer stratégiquement au cas particulier de l’athée. L’anthropologie des passions n’est cependant pas le dernier mot de Bayle, car l’acrasie ne témoigne pas seulement du fait que tous les hommes, quels que soient leurs principes de religion ou d’incroyance, sont en réalité mus par leurs passions, mais parfois que l’athée est moins immoral que le croyant et cela rend finalement possible d’imaginer une société d’athées comme idéal contretypique à la société théologico-politique qui prévaut encore dans l’Occident chrétien moderne. C’est là l’endroit et l’envers de ce paradoxe dont nous tâcherons d’expliciter toute la puissance de subversion[7]
I. Les présupposés du préjugé
Le préjugé de l’athée vicieux repose sur l’argument que plus rien ne retient l’athée de faire le mal quand celui-ci profite d’une situation d’impunité parmi les hommes, alors que le croyant demeure au moins bridé par la crainte de Dieu. Puisqu’il ne croit pas en l’existence de Dieu, l’athée n’a rien à craindre et espérer de celui-ci, ni enfer ni paradis. Quand il est assuré de n’être puni ni des hommes, ni d’une quelconque divinité, pourquoi s’abstiendrait-il de mal agir ? Le penchant au mal serait donc inhérent au fait d’être athée.
Dans le §133 des Pensées diverses sur la comète, Bayle montre que l’argument a trois présupposés : 1° Dieu est providentiel, 2° l’homme est une créature raisonnable et 3° il est en quête de bonheur. C’est donc la croyance en une providence justicière, et pas seulement en l’existence d’une divinité, qui est vraiment essentielle pour soutenir un eudémonisme moral et sotériologique qui réserve le bonheur à la récompense de la pratique de la vertu, et le malheur au châtiment du vice. Étant raisonnable, l’homme calcule qu’il vaut mieux renoncer aux « voluptés corporelles » qui ne procurent ici-bas qu’un plaisir fini et fugace pour le bonheur infini et éternel du paradis. En revanche, celui qui n’y croit pas tendra plutôt vers une conception hédoniste du bonheur dans laquelle la finalité de satisfaire les désirs terrestres justifie tous les moyens, y compris immoraux et illégaux, quand l’impunité est garantie. Par conséquent, la métrétique du plaisir et du bonheur s’inverse et c’est maintenant de mal agir qui devient « raisonnable » de faire pour un athée qui bénéficie de l’impunité.
Toutefois, la contrepartie est que l’athée inspire une profonde défiance, étant perçu comme un criminel en puissance et éternellement suspect d’avoir dissimulé ses crimes. L’athée n’a, pour ainsi dire, pas droit à la présomption d’innocence : « il n’y a point de crime qu’on ne doive attendre de lui » (ibid.) dans la mesure où le fait d’agir mal relève pour lui d’une cohérence de la rationalité pratique. « Si bien qu’étant inaccessible à toutes ces considérations, il doit être nécessairement le plus grand et le plus incorrigible scélérat de l’univers. » (ibid.). C’est pourquoi l’athée est la figure archétypique et hyperbolique du méchant homme.
II. Le démenti de l’expérience : athées vertueux et croyants vicieux
Le préjugé tire sa force de sa validité logique. Mais qu’en est-il des athées dans les faits ? La stratégie argumentative de Bayle est de se placer dans l’expérience : il y a des athées vertueux et des croyants vicieux[8]. Donc, l’expérience prouve que c’est un « faux préjugé » (PDC, §133).
Dans le premier cas de figure, Bayle prend l’exemple de philosophes qui ont été accusés d’athéisme (Épicure et Spinoza) et d’athées martyrs (Vanini et Mahomet Effendi). Dès son époque et encore au XVIIème siècle[9], Épicure est accusé d’athéisme et d’immoralité, alors que sa physique atomiste et anti-providentialiste ne l’empêche pas d’affirmer l’existence des dieux et que le plaisir est certes au centre de son éthique, mais dans le cadre précis d’une ascèse des désirs (PDC, §174 ; DHC, art. Épicure). De même, surtout à cause de son ontologie de la substance et des modes et de sa critique du finalisme, Spinoza incarne le parfait athée moderne au point qu’il est courant de voir son nom adjectivé « spinoziste » comme étant synonyme d’« athée ». Bayle juge également que Spinoza est le « plus grand athée qui n’ait jamais été », mais que sa vie solitaire et ascétique témoigne en sa faveur de mœurs irréprochables (PDC, §181 ; DHC, art. Spinoza). Bayle en tire ici un argument que les véritables athées « ne sont pas pour l’ordinaire des gens fort voluptueux » (PDC, §175). De tels athées ne s’intéressent qu’au savoir, tandis que les croyants dociles ont tout le temps de se divertir en sombrant dans le vice et la débauche. Dans un écho pascalien, Bayle opère une rétorsion argumentative : l’athéisme est un meilleur préservatif de l’immoralité que la religion, mais ce n’est pas non plus sans ironie critique envers ces athées « qui se font un titre d’esprit de douter de tout », « qui se piquent de douter avec raison », « rêvent même en mangeant à quelque figure de géométrie » (ibid.). Ces athées sont également sous le joug de leur tempérament et d’une passion du savoir, tout en nourrissant leur vanité élitiste d’être de purs intellectuels.
Quant aux athées martyrs, Bayle rend raison du sacrifice de leur vie par une certaine « idée d’honnêteté » (PDC, §174, 182). Qu’aurait fait un athée vicieux sous la menace d’être condamné à mort ? Par exemple, Vanini et Mahomet Effendi auraient pu mentir et l’abjuration publique de leurs erreurs n’aurait été qu’hypocrite. En s’opiniâtrant jusqu’au bout, ils sont restés fidèles à ce que leur conscience leur dictait de croire et ont donc agi tel que l’aurait fait un honnête homme. Dans la Réponse aux questions d’un provincial, Bayle répond à Jacques Bernard qu’un athée « peut avoir de la conscience » sans être un « monstre, ou plutôt un de ces êtres de raison, un cercle quarré, un bâton infini dont l’existence est impossible » (III, 29). « Avoir de la conscience », c’est ici la capacité d’être moral. Bayle accorde que l’athée ne peut logiquement pas avoir une « conscience » si celle-ci est le « jugement de l’esprit » (ibid.) conditionné par la religion, mais cela lui est tout à fait possible dans le cadre d’une moralité naturelle et rationnelle. Un athée peut donc éprouver le scrupule ou le remords de la conscience « selon [qu’il] s’est conformé aux idées du devoir, ou que l’on s’en est écarté » (ibid.). Ainsi il faut décontaminer des notions afférentes, comme la conscience, de cette idée fausse que la morale dépend de la religion.
À l’inverse, les croyants vicieux ne manquent pas tant du côté des païens que des chrétiens. Ce second cas de figure permet à Bayle d’établir qu’il n’y a pas de liaison nécessaire entre religion et moralité, infirmant ainsi la réciproque entre athéisme et vice. Mais lorsqu’il prend des exemples de païens (PDC, §130 : Tarquin, Catilina, Néron, Caligula, Héliogabale), puis de chrétiens (PDC, §139 : la vie des soldats, §140 : les désordres des croisades, §142 : la conduite des femmes), Bayle doit à chaque fois récuser l’habile objection que dans tous ces cas apparents de « croyants vicieux », ceux-ci ne seraient pas de véritables croyants, mais en réalité des athées cachés. Sur le témoignage des historiens, Bayle défend au contraire que « ceux qui ont été très méchants parmi les païens n’ont pas été athées » (PDC, §130) et que le bon sens rend les soldats chrétiens insoupçonnables d’athéisme. De surcroît, Bayle pointe le fait que le respect du culte s’accommode bien souvent à l’immoralité des mœurs (PDC, 137) : on pratique la circoncision, les fêtes, les jeûnes, sans rien changer à ses vices de médire, de voler, de forniquer, de se venger… Comme Bayle s’en justifie dans la quatrième proposition de l’Éclaircissement sur les athées, le véritable scandale n’est donc pas tant son athée vertueux avec le corollaire d’une société d’athées parfaitement viable, mais qu’il y ait des croyants vicieux. Que des chrétiens n’agissent pas selon leur croyance en une providence divine, laquelle a pourtant clairement établi des devoirs moraux, voilà ce dont il faut se scandaliser et surtout ce qu’il faut expliquer.
III. « L’homme n’agit pas selon ses principes »
Mais pourquoi l’expérience ne montre-t-elle pas des athées vicieux et des croyants vertueux comme on devrait s’y attendre ? Bayle élabore alors le schème explicatif que « l’homme n’agit pas selon ses principes » (PDC, §136, 160, 177). Cela tient structurellement aux conditions de l’action humaine : l’exécution de celle-ci n’est que le terme d’une phase mentale où l’agent met aux prises son jugement particulier avec ses connaissances générales. L’agent est ultimement déterminé par son jugement particulier, intégrant les circonstances de l’action, et se conformant ou non aux connaissances générales des devoirs moraux qu’il reconnaît pourtant comme lui étant « principiels ». Bayle soutient que s’il y a désaccord, c’est parce qu’il y a concomitamment un autre accord : l’agent est tiraillé entre d’un côté la lumière de sa conscience (au sens de la syndérèse) qui lui dicte et rappelle ses premiers principes moraux et de l’autre côté le jugement particulier de son esprit qui « s’accommode presque toujours à la passion dominante du cœur, à la pente du tempérament, à la force des habitudes contractées ou à la sensibilité que l’on a pour certains objets » (PDC, §135). C’est pourquoi Bayle affirme souvent que les opinions ne sont pas la « règle » des actions (PDC, §138, 143). L’homme n’agit pas « selon », c’est-à-dire conformément à ses principes, car le contenu propositionnel que sont les croyances et les opinions n’a pas assez de force normative sur les actions. Précisons que Bayle emprunte ici plusieurs éléments à la scolastique thomiste[10] : la double science (universelle et particulière) afin de pouvoir bien agir, la distinction entre syndérèse et conscience.
Or Bayle se met à citer la célèbre parole de Médée : « Je vois et j’approuve le bien, mais je fais le mal a parfaitement bien représenté la différence qui se rencontre entre les lumières de la conscience et le jugement particulier qui nous fait agir » (PDC, §135). Mais le sens et l’usage de cette référence chez Bayle ont finalement été assez peu commentés et surtout mis au seul compte de son moralisme augustinien[11]. D’une part, ce vers des Métamorphoses d’Ovide est effectivement devenu la référence littéraire classique au problème de l’acrasie[12]. Cela signifie donc que Bayle insérait son schème « L’homme n’agit pas selon ses principes » dans l’horizon conceptuel, bien déterminé depuis Aristote, de l’acrasie et cela mérite ainsi d’être analysé[13]. D’autre part, le moralisme augustinien de Bayle ne rend pas totalement compte de cette référence à Médée. Certes Bayle apprécie beaucoup les Essais de Morale de Pierre Nicole qui décrit l’acrasie en des termes similaires à Calvin à partir de l’apôtre Paul, mais il faut prêter attention à ce que Bayle dit juste après la citation : il s’agit surtout d’illustrer la différence entre la conscience et le jugement particulier, laquelle est une reformulation de la distinction scolastique entre syndérèse et conscience. Ce n’est d’ailleurs pas si étonnant de la part de Bayle puisque Thomas d’Aquin, chez qui on trouve une telle distinction, se fonde également sur Aristote lorsqu’il traite de l’incontinence (acrasie) dans le cadre du péché de passion.
Depuis le livre VII de l’Éthique à Nicomaque d’Aristote[14], l’acrasie s’entend le plus souvent comme la faiblesse de la volonté, le fait d’agir contrairement à son choix, à son meilleur jugement, l’incapacité de se contrôler de Médée par différence avec l’incapacité d’agir de Ménélas (aboulia). On peut indiquer sommairement qu’Aristote concevait l’acrasie par 1° sa distinction avec le vice qui poursuit volontairement le mal, 2° comme le fait d’agir contre son savoir (en un sens il sait et ne sait pas que ce qu’il fait est le mal), 3° un modèle syllogistique de l’action (une défaillance au cours du syllogisme pratique), 4° un conflit psychique entre deux jugements, sous l’emprise accidentelle du désir ou de l’appétit. Et surtout, Aristote engage le débat avec Platon parce que l’acrasie offre un cas limite de l’intellectualisme moral. Celle-ci est impensable et niée dans la conception de la vertu-science de Socrate (si je sais vraiment ce qu’est le bien, infailliblement je ne peux qu’agir bien, d’où le paradoxe que « nul n’est méchant volontairement »).
« Que l’homme soit une créature raisonnable, tant qu’il vous plaira ; il n’en est pas moins vrai qu’il n’agit presque jamais conséquemment à ses principes. » (PDC, §136). Bayle touche ici le nerf du préjugé, à savoir une forme d’intellectualisme moral qui réduit l’athéisme à une ignorance qui empêcherait d’être moral. Or l’acrasie témoigne de ce que le problème de l’action morale est moins cognitif que volitif : ce n’est pas tant de savoir ce que l’on doit faire que de le faire effectivement et il ne suffit pas de connaître ses devoirs moraux pour « tirer en conséquence » la bonne action. En employant l’adverbe « conséquemment », Bayle conçoit le fait d’agir « selon » ses principes à l’aune d’une rationalité pratique qui s’inscrit dans la lignée du modèle syllogistique de l’action d’Aristote[15]. Pour ce dernier, le « syllogisme pratique » met en rapport une majeure et une mineure, une prémisse universelle sur une opinion « il est interdit de goûter ce qui est sucré » et une prémisse sur des choses particulières « ceci est sucré », dont la conclusion est l’action elle-même. Si l’agent est continent, il ne mange pas la chose sucrée ; mais s’il est acratique, il est alors tiraillé par une autre opinion « tout ce qui est sucré est agréable » qui sous le joug de l’appétit et du désir vainc par accident la majeure. Et c’est pourquoi, en un certain sens, l’acratique sait et ne sait pas la majeure, tel un homme en sommeil, un fou, ou ivre.
Précisément, l’acrasie résulte d’un conflit entre les lumières de conscience qui se définit justement comme un « jugement »[16], et les passions du cœur qui influencent fortement l’issue du jugement particulier. Et Bayle inscrit alors ce modèle syllogistique de l’action dans le cadre d’une dichotomie spéculatif/pratique[17]. En matière de spéculation, l’écueil du savant n’est pas d’abord de tirer de justes conséquences, mais d’avoir de vrais principes car la vérité du raisonnement ou du syllogisme démonstratif est indépendante de sa validité déductive. Mais, lorsqu’il s’agit de la pratique et de la morale, « ne donnant presque jamais dans des faux principes, retenant presque toujours dans sa conscience les idées de l’équité naturelle, [l’agent] conclut néanmoins presque toujours à l’avantage de ses désirs déréglés » (§136). En d’autres termes, le problème du rapport principes/conséquences est donc maintenant totalement inversé[18], car les devoirs moraux sont des principes assez clairement et facilement connus de tous, autant par la morale naturelle[19] (la raison) que religieuse (la Révélation).
Dans l’histoire intellectuelle de la notion, l’acrasie est souvent conçue sous le prisme négatif d’une défaillance de l’agent moral. Là où, nous semble-t-il, Bayle se révèle original est d’avoir « appliqué » [20] le problème de l’acrasie à l’athée. Rappelons que le préjugé de l’athée vicieux suppose 1) une rationalité pratique de l’incroyance à l’immoralité, 2) la force normative des opinions sur les actions du fait que l’homme est raisonnable. Si cela était vrai, il ne devrait pas y avoir de croyants vicieux et méchants. Bayle se sert de l’acrasie des croyants pour démentir l’idée d’une force normative des opinions sur les actions et ainsi infirmer le préjugé. Quoique Bayle n’en ait pas explicitement traité, parce qu’il se concentre d’abord sur l’acrasie des croyants, on peut alors se demander ce qu’il en est de l’acrasie des athées. Après tout, « l’homme n’agit pas selon ses principes » est formulé comme une vérité générale et universelle. Si l’on feint de concéder que le préjugé a raison d’estimer a priori qu’un athée conséquent serait vicieux (la rationalité pratique de l’incroyance à l’immoralité), il s’ensuit que l’acrasie neutraliserait, dans son strict cas et contre toute attente, son penchant au mal[21]. Un athée acratique serait certes inconséquent, mais il ne serait pas immoral. Et l’acrasie n’est plus, comme pour le croyant, à mettre au compte d’une défaillance de l’agent moral qui fait le mal, mais plutôt revient à une paradoxale neutralisation de la tendance de l’athée à l’immoralité. La valeur de l’acrasie s’avère donc asymétrique entre le croyant et l’athée[22]. Néanmoins, peut-on vraiment considérer un athée acratique comme étant moral ? Ne pas faire le mal, est-ce pour autant faire le bien ou être bon ? En un sens, on pourrait arguer d’une moralité négative, comme par-défaut, qui ne préjuge en rien d’une capacité positive et méritocratique de l’athée à être véritablement moral[23]. Dans la Réponse aux Questions d’un provincial (III, 19), Bayle a d’ailleurs dû répondre à une objection de Jacques Bernard : il n’aurait pas prouvé et serait bien embarrassé de le faire que les athées vertueux l’ont été « conformément à leurs principes », « en conséquence de leurs principes » (ibid.). Pour Bayle, c’est une faible objection puisqu’il avait défendu que l’homme n’agit pas selon ses principes, il n’a justement pas à prouver que les athées vertueux l’ont été « à cause qu’ils étaient athées » (ibid.). Aussi bien pour l’athée vertueux que pour le chrétien vicieux, Bayle se garde d’imputer la « source des mœurs » (ibid.) aux opinions, soit de l’athéisme soit de la religion.
Sur l’arrière-fond du dualisme de l’âme et du corps, Bayle réaffirme que la nature de l’homme n’est pas réductible à son être raisonnable, mais qu’il est également constitué de passions. L’homme n’agit pas selon ses principes, c’est-à-dire en accord avec ses croyances et opinions, parce que le « véritable principe des actions de l’homme » (PDC, §136) n’est autre que la constitution affective de l’agent. Insistons là-dessus : le glissement des « principes » au « principe » n’est pas que grammatical, mais aussi conceptuel car Bayle confère désormais à la notion le sens du ressort ou de la cause efficiente de l’action[24]. D’où il s’ensuit que 1° les actions et les mœurs ne doivent pas être expliquées par la différence des croyances et des opinions, mais « par un même principe » (PDC, 144) à tous les hommes : l’affectivité de leur corps et que Bayle illustre maintenant avec une autre référence latine, Trahit sua quemque voluptas[25]. Et 2° la nature universelle du corps vient compenser la relativisation ethnoculturelle des idées, expliquant pourquoi les hommes se ressemblent autant dans les mœurs. Par-delà le temps, l’espace et la civilisation, on n’est vertueux ou vicieux, bon ou méchant, que par tempérament. Il ne faut donc pas chercher la cause de l’athée vicieux dans la cohérence d’une rationalité pratique qui découlerait de son incroyance, mais toujours « s’enquérir des passions auxquelles leur tempérament [l’athée et l’idolâtre] les assujettit » (ibid.). Si un athée boit, ce n’est pas par athéisme mais par tempérament personnel. Or il y a des athées qui n’ont pas le moindre goût et plaisir à cela, et surtout de nombreux chrétiens sont des ivrognes. L’athée vicieux n’est donc qu’un méchant homme parmi et comme les autres sous le joug de ses passions. Dans le cadre de son anthropologie des passions, Bayle « banalise »[26] l’athée vicieux lequel n’a plus à être la figure archétypique du méchant.
Qu’est-ce alors qu’un méchant homme ? Ce qui fait le méchant n’est pas d’être un athée, un idolâtre ou un chrétien, mais plus modestement de n’être qu’un homme, un corps qui est le siège des passions corruptrices. L’« inclination à mal faire » ne dépend pas de la connaissance ou de l’ignorance de Dieu, mais « vient du fond de la nature de l’homme et qu’elle se fortifie par les passions qui, sortant du tempérament comme de leur source, se modifient ensuite de plusieurs manières, selon les divers accidents de la vie. » (PDC, §145)[27]. Dire que la méchanceté se localise entièrement dans la nature humaine est néanmoins ambivalent. Bayle disculpe certes l’athéisme, mais c’est au prix d’un certain pessimisme anthropologique[28]. Soit dit en passant, Bayle s’appuie sur un argument augustinien qui a été remis en avant lors du débat moderne sur la « vertu des païens », suite à l’ouvrage éponyme de La Mothe Le Vayer[29]. La foi ne suffit pas, mais il faut la grâce pour bien agir, laquelle est justement une « disposition du cœur » (PDC, §157) qui fait aimer la vertu. Les païens et chrétiens méchants ont une foi sans la grâce. Puisque la vertu n’est pas due à la présence de la foi, l’absence de celle-ci ne prive pas de celle-là. C’est pourquoi Bayle dénie tout scandale, répétant que son paradoxe s’accorde pleinement avec le système de la grâce (ADP, réponse à la 9ème objection, et EA 11).
IV. Nécessité d’une typologie des athées
La « banalisation » que Bayle a amorcée de l’athée vicieux pose la question de savoir pourquoi l’athée est celui qui incarne le plus grand méchant homme : « quelle est la raison pour laquelle on se représente les athées extraordinairement méchants » (PDC, §177). Comme l’indique l’anaphore que nous mettons en italique, Bayle va détripler le travail de « démontage de l’amalgame »[30]. Il rappelle sans s’y attarder 1° « c’est qu’on s’imagine faussement qu’un homme agit toujours selon ses principes […] » (ibid.). Puis, il explique que 2° « c’est qu’on a vu des personnes sans religion commettre les plus effroyables désordres qui se pussent voir […] et qu’on ne considère pas que ces gens-là n’en feraient pas moins quand même ils croiraient en général qu’il y a un Dieu » (ibid.). En d’autres termes, l’expérience de quelques athées d’une grande méchanceté qui n’a pas été relativisée – le sultan athée Mahomet II a eu son précédent en l’empereur païen Néron – a suscité l’amalgame de tous les athées. Enfin, Bayle défend que 3° « c’est qu’on ne distingue point les athées qui commencent par douter d’avec ceux qui finissent par douter » (ibid.). Il cible les croyants débauchés qui cherchent à étouffer leur foi et à s’autopersuader d’être athées, afin de soulager leur mauvaise conscience et s’adonner plus librement à leur vie de dissolution. De la part de Bayle, c’est un subversif renversement de causalité : « Mais ils ne sont pas méchants parce qu’ils sont athées ; ils deviennent athées parce qu’ils ont été méchants ; et s’ils ne peuvent pas devenir athées, ils ne laissent pas de vivre comme s’ils l’étaient. » (ibid.). Bayle l’applique de façon similaire à Épicure : « Ils n’étaient donc pas devenus débauchés parce qu’ils avaient embrassé la doctrine d’Épicure, mais ils avaient embrassé la doctrine d’Épicure mal entendue parce qu’ils étaient débauchés. » (PDC, §174). Quand un athée est débauché, cela n’est donc pas due à son opinion, mais à son tempérament personnel. Cependant, il est fort possible que ce débauché soit un ancien croyant qui est devenu athée par commodité : « l’athéisme n’est pas une cause nécessaire de méchante vie, mais seulement une cause par accident, ou bien une cause qui ne produit la corruption des mœurs qu’en ceux qui ont assez de penchant au mal pour se débaucher sans cela » (PDC, §175). L’athéisme n’est que le prétexte de débauchés hypocrites qui « tâchent » avec plus ou moins de succès de ne plus croire en l’existence de Dieu. Selon Bayle, ce ne sont pas les athées méchants, mais les méchants athées qui sont « les plus méchants hommes du monde » (PDC, §177) puisqu’ils sont non seulement dans la débauche, mais aussi l’hypocrisie. Étant donné le contexte moderne d’un Occident encore très chrétien, ces débauchés qui ne sont souvent que des croyants refoulés et de faux athées, offrent donc un cas fréquent de méchants hommes, mais entretiennent l’amalgame.
Mais ô combien ces « méchants athées », plus souvent connus sous le nom d’« athées de pratique », sont problématiques. En effet, ils ne sont dits « athées » que pour l’immoralité de leurs mœurs, agissant comme si Dieu n’existait pas. Pourtant, ils restent intimement persuadés de l’existence de Dieu, croyants malgré eux et sont d’ailleurs prompts à se repentir de leurs péchés au chevet de la mort. S’agit-il alors vraiment d’athées ? De fait, cela enveloppe le problème à l’époque moderne, qui n’est pas que terminologique mais conceptuel, de définir l’athéisme[31]. Qu’est-ce que ou plutôt « qui » est athée à une époque qui en fait un gros mot et une arme de répression ? Les dictionnaires modernes tendent à caractériser l’athéisme par une négation, mais peuvent varier quant à l’acte et l’objet de celle-ci. Cela est manifeste chez Furetière : « qui nie la Divinité, qui ne croit pas en Dieu, ni en sa Providence, qui n’a point de religion vraie, ni fausse », mais est précisé qu’« être vrai Athée, c’est-à-dire, nier tout à fait la divinité » et que « on prend souvent les libertins pour les Athées ». Et dans le §. LXXXIV des Continuation des Pensées diverses, Bayle reprend la typologie des athées établie par M. du Bosc à partir d’un critère d’objet : 1° de son existence, 2° de sa providence, 3° de sa nature, et 4° de son service dans lequel se range les « athées d’œuvre et d’action ». On peut être athée de plusieurs manières. Mais dans le préjugé, de quel athée parle-t-on ?
Pour Bayle, il n’est justement pas question des athées de pratique mais des athées spéculatifs : « la question roule uniquement sur les mœurs de cette classe d’Athées, c’est à l’égard de ceux-là que j’ai souhaité que l’on m’indiquât des exemples de mauvaise vie. » (EA, 13). L’athée spéculatif est-il porté à faire le mal ? Il faut distinguer le type de l’athée spéculatif qui est sincèrement persuadé de l’inexistence de Dieu, de l’athée de pratique qui n’est qu’un croyant refoulé[32]. Or lui substituer ce dernier, c’est carrément « renverse[r] l’état de la question » (CPD, §. LXXXIV). À une objection qui lui était faite, Bayle rétorque que les athées qu’elle suppose sont les athées de pratique qu’il a « exclu […] de la dispute » (ibid.) et que même si l’existence de véritables athées spéculatifs fait l’objet d’un vif débat moderne, elle n’avait pas le droit de supposer qu’il n’y a que des athées de pratique (CPD, §. XCIX). Dans la Réponse aux questions d’un provincial, Bayle relève d’ailleurs la contradiction de soutenir que l’athéisme spéculatif est impossible, tout en imputant le vice au fait que les gens ne sont « point persuadés de la vérité de la religion, c’est-à-dire que le monde est tout plein d’Athées spéculatifs » (IV, 18). De surcroît, Bayle soutient que les « athées de pratique ne sont pas de véritables athées » (CPD, §. CIII), puisque ce sont des croyants refoulés et des athées insincères. Mais là encore, quand « il faut comparer de véritables athées avec les idolâtres » (ibid.), il introduit une seconde distinction typologique entre l’athéisme négatif[33] de ceux qui ignorent involontairement l’existence de Dieu et l’athéisme positif de ceux qui croient sciemment en l’inexistence de Dieu. L’athée pour lequel Bayle a infirmé qu’il soit nécessairement vicieux est donc l’athée spéculatif positif. Pour finir, Bayle y voit même une confirmation théologique dans le contre-modèle du diable : étant « la plus méchante des créatures, mais incapable d’athéisme […] il faut que la plus outrée méchanceté de l’homme ait le caractère de celle du Diable » (EA, 13). En revanche, les athées de pratique qui ne sont pas de véritables athées répondent, au niveau humain, aux mêmes critères que la méchanceté diabolique : faire le mal tout en étant persuadé de l’existence de Dieu.
V. La société d’athées, un idéal contretypique
Mais la dispute ne s’arrête pas là, parce que ce qui a fait le plus scandale est l’hypothèse d’une « société d’athées ». Dans les Pensées diverses sur la comète, le paradoxe de l’athée vertueux a effectivement pour corollaire qu’une société d’athées serait parfaitement viable. La première objection avait d’ailleurs introduit l’athéisme sous l’aspect socio-politique[34] : « Et après tout, les comètes et les autres prodiges ont été d’un grand usage, ayant empêché que les hommes ne tombassent dans l’athéisme, qui eût été la ruine de la société humaine. » (§102). C’est un des points de cristallisation de la dispute entre Bayle et ses divers contradicteurs : « La créance d’un Dieu, des peines et des récompenses après cette vie, sont regardées par tout comme un frein qui empêche le débordement, lequel ferait périr les sociétés » (APD, IV, 8èmeobjection) ; « au lieu que l’Athéisme […] rompait absolument le lien des sociétés, et changeait le monde en un brigandage affreux, où chacun n’aurait plus eu pour règle que son intérêt temporel particulier, et la fougue de ses passions » (RQP, III, 17).
En effet, l’athée vicieux est perçu comme un danger social permanent, préjudiciable à autrui et aux lois civiles. L’athée n’est pas seulement présumé « sans foi ni loi », mais aussi dépourvu de « bonne foi » puisque ne croyant pas en l’existence d’une divinité qu’il prendrait à témoin, il ne craindrait pas de manquer à sa parole et de faire de faux serments. Or la vie en société exige de ses membres qu’ils puissent donner des gages de fiabilité et l’athée n’est pas en mesure de le faire[35]. C’est pourquoi les princes et les magistrats luttent contre l’athéisme[36]. Laisser les athées se propager dans la société, c’est avoir de plus en plus de criminels en son sein qui sapent l’autorité de l’Etat et fomentent l’anarchie, parce que leur quête individualiste du bonheur cause le drame d’une atomisation de la société : rupture du lien social, par-là ruine des sociétés. Bayle rappelle ainsi que les politiques païens s’efforçaient de prévenir les crimes à la fois par l’exemplarité du châtiment public et par la fraude pieuse « de les attribuer à leur impiété » (PDC, §133). D’où le fait que l’athéisme est demeuré intolérable à l’époque moderne[37], alors même que l’idée de tolérance s’imposait progressivement dans les esprits pour mettre fin à la violence religieuse. Par exemple, un idolâtre est un moindre mal et plus tolérable que l’athée. Mieux vaut donc la fausse religion que l’irréligion.
Une « société d’athées » s’apparente dès lors à une terrifiante dystopie. Qui désirerait vivre dans une société de gens vicieux et méchants ? À l’instar de l’état de nature hobbesien, où « tous les hommes sont naturellement méchants »[38], l’insécurité et la crainte y seraient à nouveau permanentes. Mais cette société n’en est pas vraiment une, parce qu’elle tendrait naturellement à l’autodestruction, c’est-à-dire à tomber dans l’anarchie ou dans une sorte d’état de nature, puisque l’athéisme est ce qui cause la ruine des sociétés. Pour l’Occident chrétien et moderne, il n’y a jamais eu de société d’athées : elle constitue donc une hypothèse, plus ou moins fictive[39], qui tient lieu de repoussoir au modèle théologico-politique où la religion est le ciment de la société. Même s’il reconnaît également qu’ « il n’y a point d’annales » de société d’athées (PDC, §129, 145), Bayle nie toutefois que cela prouve a priori que celle-ci n’est pas viable et possible. De plus, Bayle pointe que l’hypothèse d’une société d’athées parfaitement viable est souvent rejetée de manière totalement contradictoire : « Il avoue que plusieurs athées ont vécu vertueusement, et il nie qu’une société d’athées se puisse faire des lois d’honneur et de bienséance » (ADP, IV, réponse à la 14ème objection) ; « si les hommes vicieux sont athées, les sociétés dont la plus grande partie des membres sont athées, se peuvent fort bien maintenir » (RQP, IV, 18).
Bayle défend au contraire que son hypothèse est plausible, puisque la société d’athées remplirait les conditions nécessaires et suffisantes de toute société (PDC, §161, 172) : 1° un ensemble de lois qui rendent possible de vivre ensemble, en délimitant ce qui est permis et interdit de faire, 2° un pouvoir exécutif qui veille à les faire respecter et à punir les criminels, 3° la quête d’estime sociale sur laquelle Bayle est le plus exhaustif car il vise à désamorcer le problème de l’impunité dans le préjugé. En effet, il explique que l’athéisme ne rend pas insensible à la gloire, l’honneur, la réputation. Par exemple, si un athée est capable de restituer un dépôt qu’il pourrait ne pas rendre en toute impunité, c’est parce qu’il est bridé par la crainte du déshonneur et tous les dommages qui s’ensuivraient, tel que d’avoir perdu la confiance de ses amis ou de ses partenaires commerciaux : « car c’est à l’estime intérieure des autres hommes que nous aspirons surtout » (PDC, §179). Un athée est certes sans foi, mais peut donc être de bonne foi, quoique cela ne soit encore que par passion, c’est-à-dire par crainte du déshonneur ou amour de la gloire.
La différence entre l’athée et le croyant n’implique toutefois pas une alternative entre la crainte du déshonneur et la crainte de Dieu. Bayle prend l’exemple des femmes qui résistent mieux que les hommes au vice de l’impudicité, alors que cela est interdit de Dieu et laissé impuni par l’Etat. Pour lui, ce n’est pas que la vertu est genrée, ni par amour ou crainte de Dieu, mais « c’est que[les femmes] sont retenues par la dure loi de l’honneur, qui les expose à l’infamie quand elles succombent au penchant de la nature » (PDC, §162). Autrement dit, le croyant n’éprouve pas moins la crainte du déshonneur que l’athée, et surtout elle est plus forte que sa crainte de Dieu. Bayle le réaffirme au début de l’Eclaircissement sur les athées : « I. La crainte et l’amour de Dieu ne sont point l’unique ressort des passions humaines. Il y a d’autres principes qui font agir l’homme : l’amour de la louange, la crainte de l’infamie […] sur le cœur humain » et « II. La crainte et l’amour de Dieu ne sont pas toujours un principe plus actif que tous les autres. ». Bayle emploie « principes » au pluriel, en lui donnant le même sens de cause efficiente qu’à « ressort ». Bien que l’athée ait une crainte de moins que le croyant, du moins a-t-il la plus forte des deux. On retrouve la même dialectique de la quantité et de la qualité : « Je ne prétends point nier que la religion ne soit un bon frein ; je prétends seulement qu’elle n’est pas l’unique base des sociétés » (ADP IV, réponse à la dixième objection). Bayle développe l’analogie de la société qui peut « marcher » sans religion, à un vieillard sans sa canne ou une reine malade sans son écuyer. La religion n’est qu’un « appui » supplémentaire aux deux autres nécessaires que sont l’intérêt de faire partie d’une société ayant des lois et la crainte des punitions. Bayle conçoit une autre analogie (RQP, III, 17) : l’invention de la charrue n’implique pas l’incapacité humaine de faire de l’agriculture sans elle, mais seulement qu’elle rend leur labeur plus « commode ». De même, si la religion n’est qu’une invention des politiques afin de mieux contrôler les hommes[40], cela n’implique pas qu’elle soit nécessaire aux sociétés. Les contradicteurs de Bayle n’ont ainsi pas tort de considérer que son hypothèse d’une société d’athées remet en question le modèle théologico-politique qui fait de la religion le ciment des sociétés. Une société d’athées est parfaitement viable et Bayle précise qu’il ne nie pas que celle-ci aurait également des méchants, car il ne s’agit pas non plus d’imaginer utopiquement une société d’athées que vertueux.
Finalement, Bayle érige la société d’athées en « idéal contretypique »[41] de la société tolérante, à un moment où la notion de tolérance est réévaluée positivement. Il soutient que les minorités religieuses auraient plus d’intérêt à vivre dans une société dont le roi et la majorité des membres seraient des « spinozistes » plutôt que d’une autre religion, parce que des spinozistes ne se soucient pas de convertir à la religion et sont donc plus enclins à la tolérance, tant que les lois civiles sont respectées (RQP, III, 20). Si bien que les protestants et les papistes estimeraient même préférable la tolérance des athées à celle d’une religion concurrente, puisque n’étant pas animés d’un zèle religieux ceux-ci leur seraient toujours moins dangereux. Il n’est pas anodin que Bayle ait envisagé une société de « spinozistes » et non d’ « épicuriens », car Spinoza est à ses yeux le modèle de l’athée spéculatif vertueux. Or, à travers cette hypothèse d’une société dont le roi et les sujets sont spinozistes, Bayle montre qu’une société d’athées est plus encline à une tolérance dont le discours préliminaire du Commentaire philosophique a démontré que ce n’est pas elle, mais l’intolérance qui est cause des maux de la société, et qu’elle n’affaiblit pas le prince. Par conséquent, une société d’athées serait moins propice à l’intolérance et au déversement de méchanceté et de crimes dont elle est la cause. La meilleure garantie à la coexistence pacifique des religions dans l’espace public serait dans le contretype d’un « roi spinoziste », non prosélyte mais tolérant des religions, et dont la neutralité résultant de la séparation de la religion et du politique a ainsi pu s’interpréter comme une proto-laïcité[42].
Conclusion
L’élaboration d’un paradoxe tel que celui de l’athée vertueux ne manquait pas de réinterroger les catégories de l’immoralité et de la méchanceté. En effet, si être athée n’implique pas nécessairement d’être méchant, il s’ensuit de manière réciproque qu’être méchant n’est pas davantage la preuve d’un athéisme latent ou dissimulé. Selon Bayle, l’acrasie humaine dément l’idée d’une relation tant causale que sémiotique : aussi bien ce que l’on croit ne détermine pas ce que l’on fait, que les actions ne sont le simple et fidèle reflet des opinions, car l’homme n’est pas qu’une créature raisonnable, mais souvent l’esclave de ses passions. Et c’est pourquoi il y a des athées méchants, mais également des athées vertueux, de même que de nombreux païens, chrétiens ou même le diable ont été méchants alors même qu’ils croyaient en l’existence d’une providence divine. Comme l’ont souligné Gianluca Mori et Élodie Argaud, les actions humaines répondent à un « principe anthropologique » : la constitution affective de l’homme qui va d’une première nature (le tempérament, les humeurs, les passions, le plaisir, l’intérêt personnel) jusqu’à ce qui relève d’une seconde nature (l’incorporation d’habitudes et l’éducation reçue). En ce sens, Bayle a une conception naturaliste de la méchanceté, pouvant donner prise à un certain pessimisme anthropologique : celle-ci est un penchant au mal qui vient « du fond de la nature [affective] de l’homme » (PDC, §145), mais de laquelle on pourrait alors inférer que l’humanité est naturellement méchante. Reste que les hommes ne sont pas tous également méchants et coupables de l’être au même degré : le croyant est pire que l’athée, parce qu’il méprise en pleine connaissance de cause et hypocritement la loi de Dieu qui lui ordonne pourtant de bien agir. Et ainsi, Bayle accentue l’effet de miroir-inversé de son paradoxe à l’égard de la société de croyants qui est mise face à ses propres vices et contradictions. De manière encore plus critique et subversive, Bayle n’avance plus seulement le cas d’athées vertueux, mais ose défendre que la méchanceté d’un athée est toujours d’une moindre gravité que celle d’un croyant.
[1] Molière, Dom Juan ou le Festin de Pierre, 1665, acte I, scène 1.
[2] Observations sur une comédie de Molière intitulée Le Festin de Pierre par le Sieur de Rochemont : « on n’en veut pas à sa personne, mais à son athée », pamphlet réagissant aussitôt à la pièce en 1665. Consulter Antony McKenna, Molière, dramaturge libertin, Paris, Honoré Champion, chapitre IV : « Dom Juan, le faux libertin », 2005.
[3] Dieu envoie des comètes qui fortifient certes l’idolâtrie, mais surtout qui empêchent l’athéisme de se propager.
[4] Pour une critique de l’interprétation par Gianluca Mori d’un Bayle crypto-athée, voir Hubert Bost, Bayle calviniste libertin, Paris, Honoré Champion, 2021.
[5] Élisabeth Labrousse, Pierre Bayle, t. II, Hétérodoxie et rigorisme, La Haye, M. Nijhoff, chapitre 4 « Le fait de l’athéisme et les facteurs de la sociabilité : pessimisme et naturalisme, 1964. Gianluca Mori, Bayle philosophe, Paris, Honoré Champion, chapitre 5 « Athéisme et fidéisme », 1999 ; Isabelle Delpla, « Le parallèle entre idolâtrie et athéisme : questions de méthode » in Isabelle Delpla et Philippe de Robert (dir.), La Raison corrosive. Études sur la pensée critique de Pierre Bayle, Paris, Honoré Champion, 2003, p. 143-173 ; Hubert Bost, Pierre Bayle, Paris, Fayard, chapitre VII « Sans plan sur la comète », 2006 ; Jacqueline Lagrée, « Athéisme et idolâtrie dans les « Éclaircissements », Lorenzo Bianchi, « « Il y a d’autres principes qui font agir l’homme » : mœurs et passions humaines dans l’ »Éclaircissement sur les Athées » », Nicola Stricker, « Religion et morale : le premier « Éclaircissement » à la lumière du débat entre Bayle et Bernard » in Hubert Bost et Antony McKenna, Les « Éclaircissements » de Pierre Bayle, Paris, Honoré Champion, 2010, p. 265-282, p. 283-298, p.429-446 ; Jean-Michel Gros, « Bayle et la banalisation de l’athéisme » in Philippe Fréchet et Anthony Mckenna (éd.), Pierre Bayle et la liberté de conscience, colloque du Carla-Bayle, octobre 2009, Toulouse, Anacharsis, 2012, p. 239-264 ; Lorenzo Bianchi, « Libertinage et hétérodoxie chez Bayle. Quelques questions », Nicole Gengoux, « Le mal est-il un problème ? De l’athéisme du Theophrastus redivivus à Bayle », Anne Staquet, « De l’athée vicieux à l’athée vertueux. Genèse du démontage d’une idée toute faite » in Nicole Gengoux, Pierre Girard, Mogens Laerke (éd.) Libertinage et philosophie à l’époque classique (XVI -XVIII siècle), no 15, 2018, « Pierre Bayle et les libertins », p. 19-38, p. 81-103, p.59-79 ; Élodie Argaud, Épicurisme et augustinisme dans la pensée de Pierre Bayle. Une affinité paradoxale, Paris, Honoré Champion, partie II, chapitre 3, 2019.
[6] Pensées diverses sur la comète (PDC), Addition aux Pensées diverses (APD), Continuation des Pensées diverses (CDP), Réponse aux questions d’un provincial (RQP), Système abrégé de philosophie (SAP), Éclaircissement sur les athées (EA), Dictionnaire historique et critique(DHC) in Œuvres diverses de Mr Pierre Bayle, professeur en philosophie et en histoire à Rotterdam, La Haye, P. Husson et al., 1727-1731, 4 vol. et Dictionnaire historique et critique, par Mr Pierre Bayle, Cinquième édition, Amsterdam, P. Brunel et al., 1740, 4 vol.
[7] Nous tenons à remercier Hubert Bost pour sa précieuse relecture, ainsi que Ana Alicia Carmona Aliaga pour nos discussions sur les passions de l’athée.
[8] Consulter le tableau synthétique de Jacqueline Lagrée, « Athéisme et idolâtrie », art.cit., p.274.
[9] Voir la Lettre à Ménécée d’Épicure 123-124, et la Vie et des mœurs d’Epicure de Pierre Gassendi (« Du reproche fait à Épicure quant à son impiété » L.IV, « quant à sa méchanceté » L.V, « quant à sa goinfrerie » L.VI, « quant aux plaisirs de l’amour » L.VII). Il n’est pas anodin que Dom Juan soit qualifié de « pourceau d’Épicure ».
[10] Thomas de Aquino, Summa theologiae, Prima secundae, Q.77, art.2 (sur le péché de passion) et Q. 79, art.12-13 (sur la syndérèse) in Thomas de Aquino, Opera Omnia, IV-XIII, Édition Léonine, Rome, 1888-1906. À propos de l’influence de la scolastique thomiste sur Bayle, voir en particulier les articles de Jean-Luc Solère.
[11] Elisabeth Labrousse, op.cit.,p. 81 : pour la superposition d’Ovide à la distinction chair/esprit de saint Paul. Antony Mckenna, « Pierre Bayle : moralisme et anthropologie », in Antony McKenna, Gianni Paganini, Pierre Bayle dans la République des Lettres, Philosophie, religion, critique, Paris, Honoré Champion, 2004, p. 327-329 : sur l’« exploitation » du moralisme augustinien chez Bayle. Lorenzo Bianchi, op.cit., p. 283-298 et Élodie Argaud, op.cit., p. 191-209 : pour l’influence de Pierre Nicole, dans la lignée de saint Paul et Calvin, sur Bayle. Notons qu’en préférant Médée à Paul, c’est aussi une stratégie de Bayle de se positionner en philosophe et non théologien, et de hisser sa pensée du particulier à l’universel, de la théologie chrétienne à l’anthropologie des passions.
[12] Descartes, Lettre à Mersenne du 27 avril 1637 ; Hobbes, Traité sur la liberté et la nécessité, XXIII ; Spinoza, Ethique, IV, Prop. VII, scolie, Leibniz, Essais de théodicée, II, 154.
[13] Bien qu’il soit question d’acrasie, notons que Bayle n’emploie pas ce terme tiré du grec Acrasia. En revanche, on trouve assez fréquemment celui d’« incontinence » qui est plus ou moins l’équivalent latin.
[14] Christopher Bobonich et Pierre Destrée, Akrasia in Greek Philosophy. From Socrates to Plotinus, Philosophia antiqua, 106, Leiden, Boston, Brill, 2007; René Lefebvre et Alonso Tordesillas, Faiblesse de la volonté et maîtrise de soi. Doctrines antiques, perspectives contemporaines, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2009.
[15] Aristote, Éthique à Nicomaque, VII, 1146b35-1147a9, 1147a24-1147b9. Voir aussi Thomas de Aquino, Summa theologiae, Prima secundae, Q.77, art.2 : l’incontinent conclut bien un syllogisme pratique mais composé de quatre propositions.
[16] SAP, Éthique, « de la conscience et de la droite raison », in OD IV, p. 261 : « la conscience est un jugement pratique de l’entendement ».
[17] SAP, Éthique : Bayle n’évoque pas le syllogisme pratique. Mais la Logique expose la théorie classique du syllogisme.
[18] Élodie Argaud, op.cit., p. 200 : « le jugement général est spéculatif […] le jugement particulier « s’accommode » au contraire, dit Bayle, à la « passion dominante ». » Il nous semble que l’auteure confond l’opération (le jugement général/particulier) avec l’objet d’application (spéculatif/pratico-moral).
[19]Sur le rationalisme moral de Bayle, consulter Élisabeth Labrousse, op.cit., chapitre 9 « La morale naturelle », ainsi que les divers articles d’Anthony Mckenna.
[20] Voir Élodie Argaud, op.cit., p. 28-32 : la notion d’« application » chez Bayle ou son art de la citation.
[21] Ce prolongement sur l’acrasie des athées, à l’état implicite ou potentiel chez Bayle, implique d’y voir la stratégie rhétorique d’un Datum non concessum.
[22] Jean-Michel Gros, « Bayle et la banalisation de l’athéisme », art.cit., p. 255. Bayle a certes banalisé l’acrasie, mais elle n’a pas la même valeur entre un croyant et un athée.
[23] PDC, §146 : Bayle reprend l’argument augustinien qu’en l’absence de grâce, les bonnes œuvres et les vertus civiles ne sont que des splendida peccata qui déguisent l’amour-propre, tout en rendant possible la vie en société.
[24] SAP, Éthique : il y a un même glissement de la section « des principes de la morale » (OD IV p. 259) à celle « des principes des actions humaines » (OD IV p. 264). Les principes passent alors de « propositions » et « axiomes » à des « causes efficientes ».
[25] Voir Lorenzo Bianchi, « « Il y a d’autres principes qui font agir l’homme » », art.cit., p. 291-292 : sur l’anthropologie des passions et l’idée d’un « déterminisme passionnel » chez Bayle. Voir aussi Élodie Argaud, op.cit., p. 209-211 : son analyse du jeu d’opposition par Bayle des citations d’Ovide et de Virgile nous semble compatible avec la nôtre de l’acrasie.
[26] Jean-Michel Gros, « Bayle et la banalisation de l’athéisme », art.cit., p. 253. Outre le sens quantitatif et extensif que J-M Gros donne à « banalisation », nous soulignons sa dimension qualitative : l’athée vicieux n’est pas extraordinaire et un monstre, mais qu’un homme normalement méchant.
[27] Sur ce passage, voir Antony Mckenna, « Pierre Bayle : moralisme et anthropologie », art.cit., p. 333 et 347 : « Bayle constate avec les moralistes augustiniens que l’homme est conduit par l’amour-propre, par les passions ; sur ce point, son analyse n’a rien d’original. Il tire la conséquence : puisque les hommes sont conduits par les passions, ils ne se conduit pas selon leurs convictions. Conséquence de l’analyse augustinienne. Telle est la nature humaine. Pourquoi ? C’est sur ce point crucial que Bayle rejette les explications augustiniennes : les hommes sont tels parce qu’ils sont hommes… »
[28] Sur le pessimisme anthropologique de Bayle : Elisabeth Labrousse, op.cit., p. 118 et 603 ; Gianluca Mori, op.cit., V, p. 19 ; Lorenzo Bianchi, « « Il y a d’autres principes qui font agir l’homme » », art.cit., p. 286 ; Nicole Gengoux, « Le mal est-il un problème ? De l’athéisme du Theophrastus redivivus à Bayle », art.cit., p. 96.
[29] Voir Sylvia Giocanti, « Bayle et La Mothe Le Vayer », in Antony McKenna, Gianni Paganini, Pierre Bayle dans la République des Lettres, Philosophie, religion, critique, Paris, Honoré Champion, 2004, p. 243-263 ; Didier Foucault, « Vertu des païens ? Vertu des athées ? Héritages humanistes et libertins et position de Bayle dans les Pensées diverses sur la comète » et Isabelle Moreau, « Pierre Bayle et La Mothe Le Vayer : de la liberté de conscience à l’indifférence des religions » in Pierre Bayle et la liberté de conscience, colloque du Carla-Bayle, octobre 2009, Toulouse, Anacharsis, 2012, p. 109-134, p. 135-150 ; Lorenzo Bianchi, « Libertinage et hétérodoxie » et Anne Staquet, « De l’athée vicieux à l’athée vertueux », art.cit., p. 19-38, p. 59-79.
[30] Anne Staquet, « De l’athée vicieux à l’athée vertueux », art.cit., p. 59-79.
[31] Voir le schéma de Gianluca Mori, op.cit., p. 205-217. Voir également pour le débat sur l’existence des athées spéculatifs : Paul Rateau, « Leibniz, Bayle et la figure de l’athée vertueux » in Christian Leduc, Paul Rateau, Jean-Luc Solère, (éd.), Leibniz et Bayle : confrontation et dialogue, Stuttgart, Franz Steiner Verlag, 2015, p. 300-304 et Jean-Michel Gros, « Bayle et la banalisation de l’athéisme », op.cit., p. 240-241, p. 247-251.
[32] Jacqueline Lagrée, « Athéisme et idolâtrie », art.cit., p.272 : le tyran Critias pose le problème de savoir s’il est un athée spéculatif méchant ou un athée pratique, c’est-à-dire un méchant qui devient athée par politique.
[33] Dans le contexte des Grandes découvertes, le christianisme moderne se trouve désormais confronté à l’existence de peuples sans religion. CDP, §LXXXV in OD III, p. 311-312 : « les sauvages du Canada », §LXXXVIII in OD III, p. 316 : les cafres, les iroquois et les îles Marianes. Bayle se fonde sur les récits de voyage de Jean de Léry ou de Marc Lescarbot.
[34] Isabelle Delpla, « La société d’athées selon Pierre Bayle. Une expérience de pensée ? », Éthique, politique, religions, no 20, 2022 – 1, Émergence du libéralisme, transformations du républicanisme : XVII -XVIII siècles, p. 159-180.
[35] Cicéron, De Officiis, I, §7 : « Fundamentum autem est iustitiae fides, id est dictorum conventorumque constantia et veritas.». La fides au sens de bonne foi est le fondement de la justice laquelle est la vertu qui maintient la société humaine. Sans bonne foi, point de justice ni société.
[36] C’est l’argument de John Locke dans sa Lettre sur la tolérance pour exclure les athées du droit à la tolérance : on ne peut se fier à des gens sans bonne foi.
[37] Voir les chapitres 2 et 6 du livre XXIV de L’esprit des lois de Montesquieu (1748), le chapitre 20 du Traité sur la tolérance de Voltaire (1763), le chapitre 8 du livre IV du Contrat social de Rousseau (1762).
[38] DHC, art. Hobbes : Bayle reprend la critique que fait Descartes à Hobbes « d’avoir supposé les hommes méchants et qui leur donne sujet de l’être » qui décalque la phrase de Machiavel au chapitre 3 du livre I des Discours sur la première décade de Tite Live.
[39] Voir Gianluca Mori, « Politique et religion dans l’œuvre de Pierre Bayle » in Xavier Daverat et Antony McKenna Pierre Bayle et le politique, Paris, Honoré Champion, 2014, p. 79-96 ; et Isabelle Delpla, « La société d’athées selon Pierre Bayle », art.cit., p. 168.
[40] C’est la thèse de l’imposture politique des religions ou de la religion comme instrumentum regni, qui est celle des libertins érudits du XVIème siècle.
[41] Hubert Bost, « Protestantismes et culture dans l’Europe moderne, xvie-xviiie siècles. Les pensées diverses sur la croyance de Pierre Bayle (1647-1706) », Annuaire de l’École pratique des hautes études (EPHE), Section des sciences religieuses, 116, 2009, p. 283-288 : nous lui empruntons cette formule qui permet de tenir à distance l’interprétation d’une « apologie de l’athéisme ».
[42] Voir Gianluca Mori, Bayle philosophe, op.cit., p. 314 et suiv. ; Isabelle Delpla, « Pensées diverses sur l’athéisme ou Le paradoxe de l’athée citoyen » in Laurent Jaffro, Emmanuel Cattin, et Alain Petit (dir.), Figures du Théologico-politique, Paris, Vrin, 1999, p. 117-147 ; Jean Baubérot « Tolérance, liberté, laïcité : Pierre Bayle et nous » in Philippe De Robert, Claudine Pailhes, Hubert Bost (éd.), Le rayonnement de Bayle, Oxford, Voltaire Foundation, 2010, p. 181-186 ; Gianluca Mori « Politique et religion dans l’œuvre de Pierre Bayle », Jean-Michel Gros, « Le désenchantement du politique chez Pierre Bayle », in Xavier Daverat et Anthony Mckenna, Pierre Bayle et le politique, Paris, Honoré Champion, 2014, p. 79-96, p. 175-186 ; Hubert Bost, op.cit., chapitre 20, « Bayle « précurseur de la laïcité » ? entre modélisation et anachronisme contrôlé », p. 375-390.