Dossier Hegel 2019Histoire des idéesune

L’Archaïque et ses fantasmes

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L’Archaïque et ses fantasmes. Dialectique et critique de la modernité dans la correspondance entre Benjamin et Adorno. 

 

Veronica Ciantelli, Ehess/ Fondation pour la Mémoire de la Shoah

Résumé : Centrale dans les dernières œuvres benjaminiennes, la notion de dialectique à l’arrêt occupe aussi une place importante dans l’échange avec Adorno. Au fil des lettres émerge ainsi la dimension critique de cette nouvelle expérience historique rendue possible par le moment d’arrêt qui interrompt le continuum d’une histoire dominée par l’idéologie du progrès. Mais les critiques d’Adorno mettent aussi en évidence les risques auxquels la réflexion de Benjamin s’expose en tentant de définir la relation entre l’histoire primitive et la modernité en termes de rêve : tomber sous le charme de l’archaïque et d’une vision cyclique et onirique de l’histoire.

Mots clés : modernité, mythe, matérialisme historique, images, rêve, irrationalisme, Passages, inconscient collectif

Abstract : Central component of the latest Benjamin’s writings, the idea of dialectics at a standstillalso holds an important space in the exchanges with Adorno. In these letters emerges the critical dimension of this new historical experience, made possible by the downtime interrupting the continuum in a history dominated by the ideology of progress. But Adorno’s criticisms also highlight the risks threatening Benjamin’s thought as it tries to define the relationship between primitive history and modernity in terms of dreams : to fall under the charm of both archaism and a cyclic and dreamlike vision of history.

Keywords: modernity, myth, historical materialism, images, dream, irrationalism, Passages, collective unconscious

 

Dans la correspondance qui, pendant plus de dix ans, lia Benjamin à Adorno, peu de sujet ont été autant débattus que la dialectique. Cela s’explique par l’importance que cette notion revêt, chez l’un autant que chez l’autre, dans la manière de définir la tâche critique qui revient à l’historien matérialiste à l’égard de la réalité historique et sociale. Contre une vision homogène et linéaire du temps historique, façonnée par les idéaux humanistes et progressistes hérités du XVIIIesiècle, la méthode dialectique permet de penser de manière critique le rapport entre passé, présent et avenir. De fait, en opérant une rupture dans le continuum temporel, elle fait émerger les tensions et les contradictions qui sont au cœur de la modernité, sans céder à l’illusion de la philosophie idéaliste de saisir le réel dans sa totalité. Mais derrière cette visée commune, les lettres de la moitié des années 1930 montrent aussi les points de friction entre deux conceptions différentes quant à la façon dont la science historique peut devenir réellement dialectique. Pour Benjamin, en effet, il s’agit avant tout de rompre avec l’idée selon laquelle le passé serait une donnée figée et immuable, prête à être étudiée par l’historien. La révolution opérée par la dialectique consiste ainsi à mettre « sens dessus dessous » le passé et faire ressortir le lien intime qui le lie au présent et au futur, en redonnant ainsi à l’instant historique tout son sens. De sorte que, comme l’indique la note K 1, 3 des Passages, « la nouvelle méthode dialectique de la science historique se présente comme l’art de voir le présent comme un monde éveillé auquel ce rêve que nous appelons l’Autrefois se rapporte en vérité[1]. »

Or, selon Adorno, une telle vision est doublement problématique, car une fois situé dans l’espace symbolique du rêve, le passé perd certes son caractère statique, mais il perd aussi tout contact avec la réalité sociale. Comment dégager les éléments critiques pour définir la relation entre l’histoire primitive et la modernité, lorsque celle-ci est comprise comme une donnée de la conscience dont l’immanence exclut précisément la prise en compte de l’élément socio-historique et économique ?Le risque est alors de tomber dans le piège d’une conception archaïsante du passé où les événements ne font pas l’objet d’une analyse critique, leur enracinement social restant caché derrière l’apparence mythique qu’ils affichent. Ce risque est d’autant plus présent compte tenu des usages politiques dont la référence au primordial fait l’objet, notamment dans l’entre-deux-guerres, dans la pensée réactionnaire et racialiste, à travers la rhétorique du Volk et le renouveau du mythe de l’âge d’or.

Face aux critiques d’Adorno, l’urgence avec laquelle Benjamin revendique la nécessité de saisir le passé, y compris en tant que pré-histoire, par l’ancrage qui le lie au présent et par conséquent par son actualité, pose le problème d’une confrontation qui ne peut plus être repoussée. À juste titre, Mosès souligne que l’exigence de penser l’« actualisation du temps historique »qui accompagne chez Benjamin la critique de la Raison historique – de même que chez Rosenzweig et Scholem – doit être considérée à l’aune de la « rupture irréversible du tissu historique »que fut la Première Guerre mondiale[2]. Celle-ci marque, en effet, la fin d’un « monde réglé par la tradition », qui pouvait donc faire appel à une mémoire d’« expérience historique »transmise au fil des générations[3]. Une fois perdu ce lien direct avec une mémoire collective et commune, reste-t-il encore quelque chose de ces expériences ? Et si tel est le cas, comment sauver cette trace ? Chez Benjamin, la méthode dialectique s’avère ainsi l’outil théorique qui, en révolutionnant le rapport au passé par le bousculement de son récit linéaire, construit un nouveau rapport à cette mémoire commune. Un rapport qui, toutefois, ne se réalise que de manière instantanée et fulgurante. C’est en effet par ce moment de rupture qui définit la dialectique benjaminienne comme une dialectique à l’arrêt que les œuvres de la fin des années 1930 cherchent à contrer l’image d’un passé atemporel et authentique fantasmé par la pensée fasciste, par une compréhension historique du passé qui, néanmoins, ne dure que l’espace d’un instant.

Dans l’échange entre Adorno et Benjamin émergent ainsi toutes les difficultés de sauver le passé de l’oubli, percevoir son actualité à travers les traces qui restent au sein du présent, sans pour autant le sanctifier au nom de l’héritage qu’il nous lègue ou vers lequel il faudrait revenir. À la lumière des critiques formulées par Adorno, il s’agit alors de comprendre comment se construit chez Benjamin le moment de rupture dialectique, à partir notamment de l’Exposé de 1935 et des notes sur la connaissance historique de la section K des Passages. Cependant, c’est dans la réflexion sur Kafka que se précise le type d’expérience historique que ce moment d’arrêt rend possible – la révolution copernicienne de l’histoire souhaitée par les Passages – à partir de laquelle le passé en tant que tradition, mais aussi l’archaïque, cet âge reculé qui se situe en dehors de l’histoire, s’éclairent d’un nouveau jour. 

I. Image dialectique et image archaïque

On le sait, chez Benjamin, l’image dialectique naît d’une rencontre, celle entre l’Autrefois et le Maintenant. Toutefois, si elle émerge au sein du temps historique, la dialectique benjaminienne n’a plus rien de ce processus de déploiement des contradictions décrit par Hegel. Au contraire, elle se soustrait à toute progression, pour affirmer son historicité comme rupture : elle est dialectique à l’arrêt. La note N3, 1 des Passages éclaire davantage les enjeux de ce moment d’arrêt, en précisant les modalités d’une relation entre deux temps, l’Autrefois et le Maintenant, qui dépassent la temporalité historique. Il convient donc de l’examiner de plus près.

Il ne faut pas dire que le passé éclaire le présent ou le présent éclaire le passé. Une image, au contraire, est ce en quoi l’Autrefois rencontre le Maintenant dans un éclair pour former une constellation. En d’autres termes : l’image est la dialectique à l’arrêt. Car, tandis que la relation du présent au passé est purement temporelle, la relation de l’Autrefois avec le Maintenant est dialectique : elle n’est pas de nature temporelle, mais de nature figurative. Seules des images dialectiques sont des images authentiquement historiques, c’est-à-dire non archaïques. L’image qui est lue – je veux dire l’image dans le Maintenant de la connaissabilité – porte au plus haut degré la marque du moment critique, périlleux, qui est au fond de toute lecture[4].

Dans cet extrait, deux éléments nous offrent une clé pour creuser plus avant le concept d’image dialectique. Le premier concerne la manière dont convient de s’en approcher. Si elle doit être lue, la façon de le faire n’est pas anodine, car elle implique déjà un moment critique qui déplace cette lecture de la sphère de la contemplation à celle de l’action. En effet, comme le souligne Sigrid Weigel, il est difficile de comprendre ce passage sans tenir compte de la valeur particulière que Benjamin attache à l’acte même de lire autant qu’à la lisibilité de l’image[5]. Réduire la lecture à une opération de déchiffrage des signes, c’est se méprendre sur la nature d’un processus qui ne s’applique pas aux seules données sensibles. Il y a un deuxième sens, plus important, dans lequel on peut entendre la lecture : lire « ce qui n’a jamais été écrit ». Ce modèle de lecture, plus profonde et liée à la faculté mimétique, correspond à l’illumination profane que le surréalisme a cherché à atteindre – sans toujours y réussir – à travers une dialectique de l’ivresse, des « expériences magiques sur les mots » où l’image et le langage ont la « préséance[6] ». Surtout, elle appartient intrinsèquement à une langue qui a perdu sa pureté adamique, frappée par la déchéance. D’après les écrits sur le langage et la perception des années 1910, la chute entraînée par Babel et la dispersion des langues impliquent avant tout une rupture dans le lien immédiat et matériel qui unit la parole à la chose : « là où se compliquent les choses, là ne peuvent que se confondre les signes[7]. »

Derrière l’usage instrumental du nom en tant qu’indicateur d’une fonction, il s’agit alors de lire les signes qui recouvrent les choses et qui témoignent d’autant plus des usages et des significations dont elles sont chargées dans leur existence au sein du monde social. De sorte que, en s’approchant de l’image dialectique, l’historien devra adopter un regard qui s’apparente à celui du physiognomoniste, sous peine de ne pas saisir les contenus symboliques qu’elle véhicule. Mais il devra aussi s’efforcer de saisir une temporalité qui ne se donne plus comme une succession ininterrompue d’événements. C’est la deuxième indication que cet extrait nous donne. La rencontre qui a lieu dans l’image dialectique ne se situe pas entre le présent et le passé, mais entre le Maintenant et l’Autrefois. C’est cette dernière relation qui est dialectique, alors que la première n’est que temporelle. Si dans le Maintenant, on peut reconnaître l’instant d’illumination profane, les contours de l’Autrefois restent toutefois à préciser. Surtout, il s’agit de déterminer ce qui le distingue du passé historique. Cela est d’autant plus important que, si l’on suit Benjamin, les images dialectiques sont « authentiquement historiques, c’est-à-dire non archaïques[8]». De sorte que, si l’Autrefois ne coïncide pas avec le simple passé, il ne se situe pas pour autant en dehors de l’histoire, dans cet âge reculé auquel l’archaïque renvoie. Pour comprendre alors en quoi consiste l’historicité authentique propre à l’image dialectique, il s’agit avant tout de préciser ce à quoi elle s’oppose. En effet, que faut-il entendre ici par image archaïque ?

Certes, l’espace auquel elle se rapporte, on le voit bien, est celui de ce passé proche des origines auquel se rattachent également les matériaux mythologiques. Mais dans cette expression, image archaïque, il y a aussi une référence ultérieure que l’on oublie souvent, et qui nous rappelle justement la critique qu’Adorno adresse à Benjamin à propos de la première version de l’Exposé des Passages, rédigée en 1935. Parler d’image archaïque dans les années de l’entre-deux-guerres signifie faire appel, même implicitement, à la théorie des images de Ludwig Klages et au modèle d’expérience qui s’en dégage[9]. Membre du groupe des Kosmikers lors de ses années munichoises, très proche du poète Stefan George, Klages est une figure centrale de la discussion sur la « science de la mythologie » au tournant du siècle et de la revendication du savoir contenu dans les matériaux mythologiques face à la connaissance rationnelle[10].

Dans l’Eros cosmogonique, texte paru en 1922, et que Benjamin autant qu’Adorno connaissaient bien, Klages formule une critique contre la modernité qui met précisément en cause le modèle d’expérience hérité des Lumières[11]. Si force lui est de constater le déclin de notre propre monde, les causes profondes de la crise qu’il traverse doivent être recherchées dans la prééminence accordée à la rationalité sur tout autre mode de connaissance. Ce qui se perd dans l’expérience rationnelle et scientifique moderne, Kopfgedanken, c’est un rapport plus direct avec le réel, un rapport osmotique au vivant qui permet de saisir ce qui précède la chose en tant que phénomène et qui enferme sa signification profonde. En imposant la domination de l’esprit et du rationnel, la modernité opprime la consciente voyante par laquelle une humanité pas encore corrompue réussissait à saisir dans le réel des images qui dépassent la perception, les images archaïques. De fait, elles font émerger, selon Klages, le lien profond qui relie la psyché à la nature et qui est au fondement d’une forme authentique de l’expérience, originelle et extatique. Autonomes par rapport aux processus perceptif et à la conscience, les images se situent en dehors du flux temporel : elles revêtent une valeur archétypique, car elles ne représentent pas le réel tel qu’on le voit, comme c’est le cas pour les images perceptives, mais elles se limitent à le montrer. L’essor des religions monothéistes, en scellant la victoire de l’esprit sur les sens – qui atteint son apogée dans le judaïsme avec l’interdiction des images – contribue le premier à l’affaiblissement de la conscience voyante originelle que la rationalité moderne viendra étouffer définitivement. Les prévisions de Klages quant au destin d’une humanité sont catastrophistes : « La nature du processus “historique” de l’humanité (appelée aussi “progrès”) est la lutte victorieuse et progressive de l’esprit contre la vie dont la fin toutefois prévisible logiquement est la destruction de cette dernière[12] ». Face à la menace représentée par la domination de la technologie et de la raison, l’humanité a alors le choix entre la catastrophe et la prise de conscience de la nécessité de revenir à une forme plus authentique du rapport au réel, à travers la revalorisation de la dimension sacrée et symbolique de l’expérience humaine.

Dès la lettre du 5 août 1935, Adorno invite Benjamin à prendre ses distances d’une vision qui mène de fait à un éloge inconditionné de l’irrationalisme, au nom de la nécessité pour le présent de revenir à l’origine, à un autre modèle, plus authentique, de rapport au réel[13]. Mais a-t-il vraiment raison de s’inquiéter ? Bien que Benjamin partageât avec Klages une inquiétude profonde quant à l’appauvrissement de l’expérience de l’homme moderne, coupée désormais de tout lien avec le spirituel, son diagnostic et ses conclusions n’empruntent jamais la voie de l’irrationalisme et de la régression. De plus, l’antithèse établie entre l’espace symbolique de la nature et la technologie dans Éros cosmogonique ne lui apparaissait pas pertinente, car elle faisait l’impasse sur les nouvelles « images » dont celle-ci est en fin de compte porteuse – et que l’enfance découvre et incorpore au « trésors d’images de l’humanité ». En somme, Benjamin aurait difficilement repris à son compte une théorie qui postulait la cyclicité de l’histoire sur la base d »un état authentique, car originel et surtout naturel vers lequel l’humanité devrait revenir. Pourtant, en signalant la « tendance mythologisante ou archaïsante de l’Exposé », Adorno touche à un point problématique de toute démarche théorique qui cherche à comprendre la présence de contenus relevant de l’archaïque au sein du présent et surtout à en expliquer le statut. Le risque est en effet de ne pas percevoir, derrière leur aura mythique, les raisons historiques et sociales qui sous-tendent leur émergence au sein de la modernité. D’où la nécessité d’une analyse qui refuse résolument d’y voir là une résurgence de l’archaïque, pour adopter au contraire une posture critique qui montre, à partir du plan social, pourquoi ces formes apparaissent comme pré-modernes, sans l’être vraiment. C’est le manque d’une telle résolution que la longue lettre d’Adorno semble reprocher à l’Exposé de 1935. Deux éléments de la réflexion benjaminienne lui paraissent, en effet, opaques et pour cela même ambigus. Le premier est le fait de concevoir ces images dialectiques non pas comme des images objectives, mais comme des rêves. Le deuxième, qui est strictement lié au premier, est de voir dans la conscience collective l’auteur de ce rêve. Et la preuve de ces deux erreurs théoriques, qu’Adorno définit, sans trop d’hésitations, comme gravissimes, apparaît dans cette phrase que Benjamin emprunte à Michelet et à laquelle il accorde une grande importance : « Chaque époque rêve la suivante[14]. »

Or, le problème est qu’une fois transposée au niveau psychique, en tant que rêve de la conscience ou inconscience collective, l’image dialectique perd précisément son caractère objectif : elle cesse d’être une constellation réelle dans laquelle l’état de la société se présente en lui-même. Désormais, elle apparaît comme un produit social, une rêverie tournée vers le futur – chaque époque rêve la suivante. Elle se charge ainsi d’un contenu utopique au détriment justement des contradictions propre au processus social auquel elle se rattache. Psychologisée, l’image dialectique semble ne plus laisser d’espace pour la critique, car derrière son immanence elle masque son lien avec la société bourgeoise. D’où la nécessité, selon Adorno, d’avoir recours à une entité comme celle de la conscience collective, en tant que sujet de ce rêve. Une conscience collective qui, telle que Benjamin la définit, n’est pas très distante de la théorie des archétypes et du moi archaïque formulée par Jung. D’après Adorno, ce qu’on ne voit plus ici, c’est le fait que ces images dialectiques sont précisément le produit du caractère marchand « justement pas – souligne Adorno – dans un moi archaïque, mais chez les individus aliénés du monde bourgeois[15]. »

Une telle conception entraîne une double conséquence du point de vue de la recherche que les Passages se proposaient de mener. En premier lieu, postuler l’existence d’une conscience collective signifieregarder à l’époque comme à un sujet unifié qui ne renvoie ni à la société et à ses formes économiques, ni à l’individu, mais bien à un moi archaïque et donc à un primordial qui ne laisse bien sûr aucun espace pour la différence de classe, mais qui au contraire projette vers l’avenir le modèle d’une « société sans classes » comme utopie. Au sein du présent, le rapport entre ce qui est le plus nouveau et ce qui est le plus ancien se décline alors sous le signe de l’image d’un âge d’or qui indique dans le retour, dans la régression, l’espoir utopique du futur. D’emblée, l’archaïque se retrouve ainsi dédialectisé, car il est présenté comme la reprise de ce qui est plus ancien, d’un intemporel qui revient donc au sein du présent, au lieu de se montrer comme ce qui est le plus nouveau.

Au contraire, selon Adorno, l’archaïque n’a rien de « préhistorique », car c’est l’histoire qui le produit comme « histoire primitive », c’est au rythme de la temporalité historique que se mesure donc ce qui a été oublié et qui est tombé dans le silence[16]. D’autre part, l’image dialectique, transformée en contenu de conscience, se voit privée de sa force qui est justement celle de « produire de la conscience ». Dans son immanence, elle n’est plus en mesure, en effet, de montrer le revers de la médaille, peut-on dire, l’autre côté de ce rêve, à savoir le désir et l’angoisse qui l’accompagnent dans la conscience. « Quand vous transférez l’image dialectique dans la conscience à titre de rêve, le concept n’est pas seulement par là désenchanté et banalisé, il perd aussi son pouvoir objectif clé, susceptible précisément de le légitimer en termes matérialistes[17]. »

Cela ressort de manière nette lorsque l’on regarde à l’analyse que les Passages proposent de la marchandise comprise comme image dialectique. D’après Adorno, il faudrait en effet montrer quel est donc ce caractère marchand qui est propre du XIXe siècle, à partir notamment d’une analyse socio-historique et économique qui puisse montrer en quoi la production industrielle des marchandises se distingue des formes plus anciennes. Mais pour réussir à dégager l’histoire primitive du XIXe siècle à travers la marchandise, il faudrait aussi comprendre son histoire du point de vue matériel, au sein de la modernité qui, dès le début de la manufacture, trouve son unité dans le caractère marchand. Au lieu de cela, Benjamin, en mettant l’accent sur la fantasmagorie de la marchandise, reste en fin de compte trop lié à une dimension métaphorique, délaissant donc les implications politiques et sociales. Et pourtant, c’est précisément dans cette définition que les Passages proposent de la forme marchande que l’on trouve quelques éléments de réponse de la part de Benjamin aux critiques d’Adorno.

II. Rêve collectif et expression

Deux points en particulier nous aident à préciser les caractères de l’image dialectique et montrent dans quelle mesure Benjamin tient en effet compte de ces manques de dialectique qu’Adorno lui fait remarquer tout en essayant de justifier théoriquement le manque de médiation qu’on lui reprochait. Tout d’abord, les mécanismes qui président à la formation de ce rêve collectif et que Benjamin décrit dans une note de la section K des Passages :

Bien des choses sont naturellement, pour le collectif, intérieures, qui sont extérieures pour l’individu. Les architectures, les modes et même les conditions atmosphériques sont, à l’intérieur du collectif, ce que les sensations cénesthésiques, le sentiment d’être bien portant ou malade sont à l’intérieur de l’individu. Et tant qu’elles gardent cette figure onirique, informe et inconsciente, elles sont des processus naturels au même titre que la digestion, la respiration, etc[18].

On comprend mieux maintenant la relation que les manifestations de la vie culturelle entretiennent avec l’imaginaire social et le collectif. En fait, nous dit Benjamin, elles sont comparables aux sensations du corps chez l’individu, ou mieux, aux perceptions que le travail constant et silencieux de ses organes lui renvoie. De fait, c’est parce qu’elles se présentent comme des processus naturels que la conscience collective se trompe à leur compte. Là où elle croit reconnaître une expression naturelle de sa propre vie, qui reflète son fonctionnement interne et son âme, c’est plutôt une méprise qui s’annonce. Ce qu’elles dénoncent, c’est la difficulté de la société et de l’époque à s’auto-représenter, à prendre conscience de ce qu’elles sont vraiment. Définir ces phénomènes culturels comme des processus physiologiques, c’est avant tout leur attribuer la même temporalité cyclique qui est intrinsèque au monde naturel. À terme, la quête infinie de la nouveauté à laquelle le siècle se voue trouve en effet son dernier aboutissement dans son contraire, le retour du même. Le temps de la répétition n’est rien d’autre, nous dit Benjamin, que le temps de l’Enfer ; l’ennui, c’est son masque. « L’ennui est une étoffe grise et chaude, garnie à l’intérieur d’une doublure de soie aux couleurs vives et chatoyantes. Nous nous roulons dans cette étoffe lorsque nous rêvons. Nous sommes alors chez nous dans les arabesques de sa doublure[19]. »

Voici donc expliqué l’état onirique dans lequel plonge le collectif et surtout ses effets. Ce que le collectif perçoit comme ses expressions naturelles, processus physiologiques de sa propre vie, sont en réalité des visions oniriques, images suspendues entre le rêve et l’hallucination. L’ennui les déguise, il en estompe les contours en ayant sur la conscience l’effet d’un narcotique puissant. C’est pourquoi les modes, l’architecture et toutes les formes dans lesquelles le collectif existe, en sont des expressions, certes, mais des expressions qui à la manière des rêves demandent à être déchiffrées pour révéler leur vérité[20]. Derrière elles, il s’agit en effet de retrouver le « signal de véritable existence historique » caché par l’historicisme narcotique dont se masque le XIXe siècle. D’où l’importance de ces images de rêves qui permettent de porter une critique sur l’époque : elles nous « font voir la mer sur laquelle nous naviguons et la rive d’où nous sommes détachés.[21] » En proposant de penser la société comme un collectif endormi dont les rêves ne sont rien d’autre que ses propres formes culturelles, Benjamin reprend, on le voit bien, la conception marxienne du rapport entre superstructure et infrastructure. La confrontation avec la pensée de Marx est le deuxième élément qui peut nous aider à dégager les prémisses théoriques qui sous-tendent sa définition de rêve collectif. Cependant, c’est moins dans la théorie marxienne en tant que telle que dans l’écart que l’interprétation benjaminienne opère par rapport à celle-ci qu’il faudra chercher des indications. Trois points de divergence sont en ce sens particulièrement révélateurs.

Le premier est lechamp recouvert par la notion d’infrastructure dans les Passages. Elle ne se limite pas, en effet, aux structures sociales et aux rapports économiques, maiselle inclut aussi tout ce qui relève du monde matériel et donc les architectures, les modes, les objets, etc Ensuite, en choisissant de décrire ce rapport en termes de rêve, à la lumière comme nous avons vu de la théorie psychanalytique, il indique que c’est moins à une fausse conscience que l’on a à faire qu’à des pulsions et de visions de l’inconscient. Si le Capital pose donc le problème au niveau de l’idéologie, les Passages suggèrent au contraire d’analyser cette fausse image que la société marchande a d’elle-même en se tournant vers ses mythes, ses désirs et ses angoisses. Et cela parce que – et nous arrivons donc à la troisième différence, sans doute la plus significative – pour Benjamin, le rapport entre structure et infrastructure, s’il est immanent, ne se décline pas pour autant comme reflet, mais bien comme expression.

La superstructure est l’expression de l’infrastructure. Les conditions économiques qui déterminent l’essence de la société trouvent leur expression dans la superstructure, de même que, chez l’homme qui rêve, un estomac surchargé trouve dans le contenu du rêve, non son reflet mais son expression, bien qu’il puisse le  »conditionner » d’un point de vue causal.[22]

La société capitaliste produit un espace symbolique où elle se transfigure et c’est seulement en analysant cet ensemble de croyances que l’on peut trouver les moyens de son dépassement.De fait, ce qu’il faut déchiffrer dans ces images de rêves, ce sont justement les symboles qu’elles cachent et qui en dénoncent l’origine. De sorte que, si ces images tiennent du rêve, leur interprétation implique, quant à elle, le réveil. En arrachant le collectif de son sommeil, le réveil est une « expérience absolument unique de la dialectique »,car il lui permet de s’emparer des symboles qui s’expriment de manière fragmentaire et composite dans ces images oniriques, pour qu’il « fasse avec elles de l’histoire[23] ». Reconnaître ces symboles, c’est alors mettre au jour la dialectique qui unit les formes culturelles aux rapports économiques et sociaux. Comme dans le cas de la marchandise, c’est en réalité retrouver une signification qui est tombée dans l’oubli tout en creusant plus avant les couches et les formations symboliques que le temps dépose sur le visage de la matière. En ce sens, selon Benjamin, le surréalisme a montré ses limites, en restant trop près du monde chiffré du rêve, sans jamais réussir à franchir le seuil du réveil et accéder ainsi à la pratique – au lieu de se figer dans la contemplation[24].

Or cela nous ramène à ce modèle de lecture exigée par l’image dialectique et dont il était question dans la note N3, 1 des Passages cité au début, et donc à la nécessité pour l’historien matérialiste d’adopter un regard physiognomonique, la seul approche qui peut lui offrir les outils pour désenchanter les images oniriques, sans pour autant tomber victime de leur charme. Mais quel est alors l’objet de ce regard ? Tout simplement la matière, les objets, à partir desquels donc il serait possible de retracer l’histoire primitive du XIXe siècle que les Passages visent. Le collectif assoupi, nous dit Benjamin, « dans les passages, s’enfonce au dedans de lui-même. Nous devons l’y suivre, pour interpréter le XIXe siècle, dans la mode et la publicité, l’architecture et la politique, comme la suite de ses visions oniriques[25]. »

Mais encore plus que les architectures, les modes et même les marchandises avec leurs lubies, il y a un objet qui, aux yeux de Benjamin autant que d’Adorno, cristallise cette dialectique de l’oubli. Il s’agit de l’étrange créature protagoniste d’un des récits de Franz Kafka, « Le souci du père de famille ». Or, ce souci, c’est bien Odradek. Qui est-il ? D’après Benjamin, il s’agit du « plus singulier bâtard que le monde primitif ait conçu avec la faute[26] . »Son apparence est celle d’une bobine de fil en forme d’étoile, mais il n’en est pas vraiment une, car il marche à l’aide d’un petit pivot, comme s’il se tenait sur des jambes. Personne ne sait à quoi il sert, même si, nous dit Kafka, Odradek est un être achevé à sa manière. C’est pour cette raison peut-être qu’il est le « souci du père de famille ».

On serait tenté de croire – écrit Kafka – que cette figure a eu jadis quelque forme fonctionnelle et qu’elle est à présent cassée. Mais cela ne semble pas être le cas ; du moins il n’y a aucun indice de cela ; on ne voit nulle part de pièces ajoutées ou de signes de fracture qui indiqueraient quelque chose de semblable ; l’ensemble a bien l’air inutile, mais il est achevé à sa manière[27].

L’importance de cette figure tient, d’après Adorno, précisément à son inutilité et au fait que, malgré tout, abritée dans le grenier de la maison, elle est destinée à survivre aux êtres humains qui l’habitent. En effet, en survivant, Odradek semble déjà annoncer le dépassement à la fois de la culpabilité dont la figure du père est le symbole et de la frontière qui sépare l’organique et l’inorganique. Mais pour Adorno, Odradek est avant tout l’image de cette marchandise « en survie sans utilité »qui annonce donc le déclin du monde marchand et la possibilité de son dépassement[28].  Au contraire, Benjamin reconnaît là surtout une résurgence du primitif. L’importance d’Odradek tient à son statut de reliquat : il symbolise ce que les choses deviennent une fois oubliées, une fois que nous ne sommes plus capables de reconnaître les significations dont elles sont chargées, les symboles qu’elles véhiculent comme tels. À mi-chemin entre la matière et le monde des humains, entre le présent et le passé, Odradek est un bâtardsingulier, car son existence symbolise le lien originel qui unit ces deux mondes, mais que l’oubli à désormais rendu méconnaissable. Mais en survivant, Odradek nous rappelle aussi que les forces ancestrales et archaïques que la modernité croit avoir vaincues pèsent encore sur le présent. De fait, il suggère qu’en réalité l’oubli nous charme avec une illusion autant fascinante que dangereuse : que ce qui a été oublié le soit pour toujours. Au contraire, les objets, le monde de la matière montrent que des images et des symboles subsistent en lui, en témoignant d’autres usages, d’autres formes sociales, d’autres significations que le présent est incapable de reconnaître, mais par lesquelles il est attiré.

Conclusion

C’est à la lumière de la réflexion sur Odradek que l’on peut alors revenir à la définition d’image dialectique et essayer de conclure ce parcours, en formulant quelques hypothèses quant à la nouvelle forme de l’expérience historique qui émerge dans l’arrêt dialectique. Si l’Autrefois, comme l’incipit des contes « Il était une fois », semble nous ramener vers la tradition, sa voix, à l’instar de celle d’Odradek, ne nous parvient que de manière indistincte. Kafka en était bien conscient, car il avait renoncé à chercher la sagesse là où il n’y avait ni « de doctrine à apprendre ni de savoir à retenir », mais seulement des « choses qui ne sont destinées à aucune oreille.[29] »C’est pourquoi, selon Benjamin, ses textes sont des « contes pour dialecticiens », où les récits du passé transmis par la tradition, dans les légendes et dans le mythe, réapparaissent par fragments pris dans une tension qui les fait apparaître à la fois incroyablement anciens et radicalement nouveaux.

Le fin mot de l’histoire est qu’il fallait manifestement en appeler à rien de moins qu’aux forces de cette tradition pour qu’un individu (nommé Franz Kafka) puisse se confronter à cette réalité qui se projette comme nôtre au plan théorique – dans la physique moderne, par exemple – et au plan pratique – dans la technique de la guerre[30].

Certes, dans cette rencontre avec le présent, la tradition ne retrouve pas son autorité ; elle ne cesse pas d’être malade. Mais dans la nouvelle constellation qui voit le jour, elle prend un sens éminemment politique. En effet, de cette rupture de la temporalité historique émergent les traces de ce qui a été oublié, mais avec elles émergent aussi les récits qui n’ont pas été écrits, les histoires qui n’ont pas été racontées – la tradition des vaincus que les Thèses sur le concept d’histoire opposent à l’historiographie qui relate depuis toujours le récit des vainqueurs. Ce qui reste alors de la tradition est la transmissibilité de tous ces contenus que le récit officiel vise à effacer et qui pourtant se perpétuent sous forme de traces, reliquats que seul un moment précis du présent rendra lisibles. Si l’image dialectique correspond ainsi à la « mémoire involontaire de l’humanité délivrée[31] », comme l’indique une des notes préparatoires aux Thèses, alors l’archaïque auquel renvoie l’histoire primitive cesse d’être le symbole d’un état authentique, une instance essentialiste et intemporelle, pour désigner les traces qui survivent, malgré l’oubli – dans la perspective d’une transmission phylogénétique. De ce point de vue, le sauvetage du passé ne peut pas se faire sans que ne soit dépassée également une conception naturalisante de l’archaïque qui le situe justement en dehors de la transmissibilité. Ce qui rend donc cette confrontation à la fois urgente et périlleuse.


[1]    Walter Benjamin, Paris, Capitale du XIXe siècle.. Le livres des Passages, traduit de l’allemand par Jean Lacoste Paris, Cerf, 1989, p. 406

[2]    Stéphane Mosès, L’Ange de l’Histoire, Paris, Gallimard, 2006 p. 28

[3]    Ibidem, p. 29-30

[4]    Ibidem, p. 479-480

[5]    Sigrid Weigel, « Die Entstehung der Kulturwissenschaft aus der Lektüre von Details. Übergänge von der Kunstgeschichte, Medizin, und Philologie zur Kulturtheorie: Warburg, Freud, Benjamin », Literatur als Voraussetzung der Kulturgeschichte. Schauplätze von Shakespeare bis Benjamin, Munich, Fink, 2004, pp. 15-38.

[6]    Walter Benjamin, « Le Surréalisme », in Œuvres complètes, traduit de l’allemand par Maurice de Gandillac, Rainer Rochlitz et Pierre Rusch, Paris, Gallimard, 2000, t. II, p. 115-116

[7]    Walter Benjamin, « Sur le langage en général et sur le langage humain », in, Œuvres complètes, op. cit., t. I, p. 162

[8]    Walter Benjamin, Paris, Capitale du XIXe siècle. Le livres des Passages, op. cit., p. 480

[9]    La confrontation avec Klages et sa théorie des images archaïques joue également un rôle important chez Ernest Bloch, Le Principe espérance, traduit de l’allemand par, Paris, Gallimard, 1976, t. 1, p. 193

[10]   Sur l’importance de Klages et du groupe de Kosmikers pour le développement dans l’Allemagne du début du XXesiècle d’un culte du primitif, très marqué par des tons mystiques et néopaïens, voir Jason Ā Josephson-Storm, The Myth of Disenchantment. Magic, modernity, and the birth of human sciences, Chicago & London, University of Chicago Press. 2017 p. 210-213. Sur l’intérêt de Klages pour la « science de la mythologie », voir Peter Davies, Myth, Matriarchy and Modernity. Johann Jakob Bachofen in German Culture, Berlin/New York, De Gruyter, 2010, p. 190-195

[11]   Ludwig Klages, Eros cosmogonique, traduit de l’allemand par Ludwig Lehnen, Paris, L’Harmattan, 2008 

[12]   Ludwig Klages, Der Geist als Wiedersacher der Seele, Bonn, Bouvier Verlag Herbert Grundmann, 1981, p. 73

[traduction : Veronica Ciantelli]

[13]   Theodor W. Adorno – Walter Benjamin, Correspondance 1928-1940, op. cit., p. 119-120

[14]   Walter Benjamin, Paris, Capitale du XIXe siècle, op. cit., p. 36. Pour une analyse détaillé de l’usage de cette phrase dans l’Exposé de 1935, voir M iguel Abensour, « Le Guetteur de Rêves. Walter Benjamin et l’Utopie », in Tumultes, Paris, Kimé/ L’Harmattan, 1999, p. 81-119

[15]   Theodor W. Adorno – Walter Benjamin, Correspondance 1928-1940, op. cit., p. 122

[16]   Ibidem, p. 46

[17]   Ibid., p. 120

[18]   Walter Benjamin, Paris, Capitale du XIXe siècle, op. cit., p. 407

[19]   Ibidem, p. 130

[20]   C’est sur ce point, bien sûr, que Benjamin aurait dû, selon Adorno, se confronter avec la théorie des rêves de Freud. Une confrontation qui lui aurait fournit des bases théoriques plus solides pour penser l’articulation entre rêve et éveil à partir justement du moment de l’interprétation.

[21]   Walter Benjamin, Paris, Capitale du XIXe siècle, op. cit., p. 408

[22]   Ibidem, p. 410

[23]   Ibidem, p. 406-407

[24]   Walter Benjamin, « Le Surréalisme », in Œuvres complètes, op. cit., p. 131-133

[25]   Walter Benjamin, Paris, Capitale du XIXe siècle, op. cit., p. 406

[26]   Walter Benjamin, « Franz Kafka », in Œuvres complètes, op. cit., t. II, p. 443

[27]   Franz Kafka, « Le souci du père de famille », in Œuvres complètes II, traduit de l’allemand par C. David, Paris, Gallimard, 1980, p. 524

[28]   Theodor W. Adorno – Walter Benjamin, Correspondance 1928-1940, op. cit., p. 79

[29]   Walter Benjamin, Sur Kafka, traduit de l’allemand par Christophe David et Alexandra Richter, Paris, Nous, 2015, p. 172

[30]   Ibidem, p. 171

[31]   Walter Benjamin, Écrits français, Paris, Gallimard, 1991, p. 349

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