La Mort de Marat de Jacques-Louis David
La Mort de Marat de Jacques-Louis David, ou le corps-écriture
Par Étienne Besse.
Quant à ces horreurs, ne m’en parlez pas ! Une chose dont on ne parle pas n’a jamais existé. C’est l’expression seule qui donne la réalité aux choses, comme dit Harry (…) (Oscar Wilde, Le portrait de Dorian Gray)
C’est de la fin des êtres qu’était venue leur signification, qui est l’être. (Maurice Blanchot, La littérature et le droit à la mort)
Introduction
Après nous être penchés sur le corps-temple avec Rothko, puis sur le corps de société avec Vélasquez et Mantegna, nous allons tenter d’interpréter l’œuvre de David, La mort de Marat, selon le corps-écriture[1]. Passé le premier choc face au corps mourant, on peut remarquer dans ce tableau une multiplicité d’écritures variées : la lettre de Charlotte Corday, un ordre écrit de Marat, un assignat en billet d’imprimerie et enfin la dédicace de David sur le billot de bois.
Planche 1 : David, La mort de Marat, détails.
Si nous voulons interpréter philosophiquement ce tableau à partir du corps et de l’écriture, c’est pour montrer comment David a rendu compte, à la fois du contexte particulier révolutionnaire de l’assassinat de Marat sans s’y limiter, et en même est parvenu à dépasser une représentation de la Mort qu’un académisme aurait offert selon un universalisme vide, en une creuse allégorie éthérée : le génie de David est d’avoir incarné la mort sans pour autant la diluer dans un témoignage de circonstance enfermé dans un contexte particulier et ses caractères datés. Tout en les conservant dans cette peinture de propagande, nous pensons cependant que David est parvenu effectivement à dépasser ces différents écueils par une singularisation picturale qui fait coïncider le corps et l’écriture dans l’expression de la mort : c’est cela qui donne une teneur artistiquement parfaite à ce chef-d’œuvre.
Nous voulons donc déterminer, une fois examiné le contexte historique de l’œuvre, comment David conserve, dépasse et exprime avec génie plusieurs régimes d’écritures concrétisés au régime du corps assassiné pour singulariser la mort de Marat. L’écrit présent dans ce tableau implique une multiplicité de modalités que la peinture synthétise : mais comment s’effectue et se concrétise cette multiplicité d’écriture au sein de cette unité picturale de la scène et du corps de Marat ? Faut-il la lire et la déchiffrer dans son contenu scriptural particulier, sa désignation en surimpression de la scène, son mode de communication daté, et alors laisser la dimension picturale se perdre au second plan ? Faut-il au contraire laisser seulement l’écriture « à voir » pour mieux se laisser transporter par l’édification de la mort – cette universelle destinée – et regarder seulement ce cadavre après l’assassinat ? Ainsi, l’écrit ne serait que décoratif et superflu, alors que pourtant David explicite et donne clairement une place évidente aux écrits dans cette scène. Selon quoi s’articule le régime pictural du corps avec celui des écritures ? Comment interpréter cette affinité entre le corps et l’écriture exposée dans la mort? Dans ce tableau de David, comment s’opère et se concrétise picturalement l’effective singularisation des modalités de l’écriture dans le corps, le cadavre de Marat assassiné ?
Par « singularisation », nous entendons celle qui est à l’œuvre dans le syllogisme. Ce n’est évidemment pas une démonstration rationnelle qu’effectue le tableau de David, mais une expression qui, en tant que résultat singulier, expose et fait circuler l’universel et le particulier[2]. Et ici les modes de cette circulation de l’universel et du particulier s’effectuent à deux niveaux, c’est-à-dire concrétisent le régime corporel et celui de l’écriture pour singulariser La Mort de Marat ou Marat assassiné.
D’une part, l’universel est la mort comme destinée valable pour tout être fini, et d’autre part, le particulier est l’individu Marat comme simple cadavre. Pour que la scène accède à la vérité, c’est-à-dire au singulier (de la même façon que la conclusion « donc Socrate est mortel »), il faut que s’articulent et s’unissent cette universalité de la mort avec cet événement historique daté particulier pour accéder à la singularité de Marat assassiné. Abstraitement parlant, le problème à élucider dans le tableau de David est de savoir comment mettre en relation l’universel et le particulier pour qu’en résulte le singulier : Marat assassiné. Nous pensons que le ressort principal qui explique cette singularité de Marat assassiné se syllogise ou s’exprime par une transposition de l’universel (la mort) et du particulier (le contexte historique de son assassinat) dans l’écriture concrétisée par la peinture : David peint selon une circulation syllogistique l’écrit manuscrit de Marat expirant avec la lettre de Charlotte (ceux sont donc des éléments particuliers), puis sur le billot de bois l’écrit imprimé de l’hommage national officiel, une police de caractère conventionnellement acceptée et reconnue par tous (donc universel) qui se singularisent ensuite dans la tension de l’attitude du corps de Marat, c’est-à-dire la singularité d’un corps-écriture exprimée par la plume qu’il tient dans sa main avec une digne rectitude tout en expirant. C’est à travers cette singularité qui médiatise et organise le tableau, qui fait circuler et met en tension ces éléments et les syllogise, que l’on peut rendre compte de l’expression même du tableau de David. Car, comme nous le verrons, l’écrit est ce signe qui, pareille à la pyramide égyptienne, « thésaurise la vie en marquant qu’elle continue ailleurs »[3]. A partir de cet examen de l’écriture et de son incarnation, nous tenterons enfin d’en dégager les différents modes avec Blanchot, et les aspects avec Schiller, en tant qu’ils expriment à la fois grâce et dignité dans la mort, « expression de la domination des pulsions », « liberté par la domination des mouvements involontaires »[4].
Nous suivrons donc dans notre analyse du tableau de David ces phases de singularisation afin d’expliquer celles-ci avec, tout d’abord, l’exposition du contexte historique particulier. Puis nous en aborderont la transposition par l’écrit, et nous analyserons ensuite l’expression de la mort à partir d’une comparaison avec le Christ crucifié de Vélasquez. Enfin, nous terminerons avec Hegel pour prendre la mesure de l’effectivité de la singularisation expressive de l’œuvre de David, et expliciter les différents aspects du corps-écriture avec Schiller et Blanchot.
Planche 2 : David, La mort de Marat, (1793), Musées royaux des beaux-arts de Belgique à Bruxelles.
I. Contexte historique particulier
Rappelons donc succinctement le contexte historique particulier de la composition de ce tableau. David était lié à Robespierre, député jacobin, dans les rangs de la Montagne ; il était lié à Marat par les Comités de salut public. De 1793 à 1794, David effectua des tableaux en hommage à ce que les révolutionnaires considéraient comme ses martyrs : La mort de Lepelletier de saint Fargeon (aujourd’hui disparu) et La mort du jeune Bara (mort du jeune tambour tué en Vendée, dont il ne reste qu’une esquisse au crayon, à moins qu’il ne s’agisse d’un tableau inachevé).
Le 14 juillet 1793, au lendemain de la mort de Marat, Guirault, porte-parole de la section du Contrat social, demanda au député-peintre David d’immortaliser Marat. David accepta immédiatement et proposa les titres suivants pour le traitement du sujet : Marat à son dernier soupir ou bien Marat du séjour des immortels aux français[5]. David a alors croqué dans ses esquisses préparatoires la figure de Marat juste après sa mort.
Planche 3 : David, Marat, dessin préparatoire.
David était aussi chargé d’organiser la présentation publique du corps de Marat au Peuple : il plaça sur la tête de Marat une couronne de laurier et constata à l’occasion de la présentation du corps du lundi 15 Juillet à 7 heures du soir : « la putréfaction empêche de le placer debout »[6]. C’est donc dès cette présentation qu’il décida de dissimuler la laideur du corps pour ne conserver que la justesse d’une attitude dans son dessin ultérieur. Au pied du lit de triomphe, on avait écrit ceci : « Marat l’ami du peuple, assassiné par les ennemis du Peuple. Ennemis du peuple modérez votre joie, il aura des vengeurs »[7]. Plus tard, pour justifier la composition de son futur tableau, David expliqua ceci à la Convention le 15 juillet 1793 :
La veille de la mort de Marat, la Société des Jacobins nous envoya, Maure et moi, nous informer de ses nouvelles. Je le trouvai dans une attitude qui me frappa. Il avait auprès de lui un billot de bois sur lequel étaient placés de l’encre et du papier, et sa main, sortie de la baignoire, écrivait ses dernières pensées pour le salut du peuple. Hier le chirurgien qui a embaumé son corps m’a envoyé demander de quelle manière nous l’exposerions aux regards du peuple dans l’église des Cordeliers. On ne peut point découvrir quelques parties de son corps, car vous savez qu’il avait une lèpre et que son sang était brûlé. Mais j’ai pensé qu’il serait intéressant de l’offrir dans l’attitude où je l’ai trouvé, écrivant pour le bonheur du peuple.
Le 14 octobre 1793, le peintre annonce que le tableau est achevé. Il l’expose le 16 octobre dans la cour du Louvre surmonté d’une phrase inspirée de Tacite faisant allusion à sa présentation à la Convention, « N’ayant pu me corrompre, ils m’ont assassiné ». Celle-ci sera d’ailleurs reprise dans une des copies du tableau à la place de la dédicace de David.
Le 16 novembre 1794 le corps de Marat est inhumé au Panthéon ; dans le discours de cérémonie on commente : « Comme Jésus, Marat aima ardemment le peuple et n’aime que lui ».
Que peut-on lire dans ce tableau ? En lettre capitale imprimée sur le billot de bois la dédicace : « A Marat – David » et plus bas « l’an deux ». Dans la main gauche de Marat, le billet de Charlotte Corday qui lui a permis de s’introduire auprès de lui : datée du 13 juillet 1793 – « Marie Anne Charlotte Corday au citoyen Marat – il suffit que je sois bien malheureuse pour avoir droit à votre bienveillance ». Posés sur la caisse, un encrier, un assignat et une lettre qui fait état de la générosité de Marat : « Vous donnerez cet assignat à cette mère de cinq enfants et dont le mari est mort pour la défense de la patrie ».
II. Universalité de la mort et l’écrit
La Mort de Marat ou Marat assassiné, est donc une œuvre de propagande révolutionnaire qui en fait un martyr, symbole du sacrifice pour la liberté du peuple français. Ces éléments historiques sont présents mais seulement en tant qu’ils sont écrits et non pas exprimés, montrés comme peinture mais par la peinture, donc soumis à la plasticité picturale et non au sens historique (d’ailleurs, presque tous les accessoires présents dans le tableau sont inventés si l’on en croit les pièces du procès rassemblées par les historiens) ou un sens politique que le tableau illustre platement ; David a rajouté l’écrit dans la peinture et par là seulement on peut se référer au contexte, à l’objet et aux circonstances de la mort de Marat et ce qu’il était : tout cela est indiqué à travers la lettre de Charlotte et le billet de Marat. Sur le billot avec lequel écrivait Marat, on peut lire « A Marat, David », ce qui est plus qu’une signature : cela indique là encore qu’un changement du regard est à effectuer pour le spectateur du tableau, car deux modes sont présents et s’articulent dans la scène. David n’a pas signé mais rendu un hommage officiel en lettre majuscule, il l’a écrit comme imprimé et non peint (ou du moins, il en a peint l’écrit). Mais dans la manière dont il a organisé son tableau, David distingue le cadavre de l’écrit : le corps de Marat est à gauche et les écrits sont à droite avec le billot, la plume tenue par Marat délimitant les deux ordres à partir du bas de la toile tout en en faisant la médiation.
Ce qui fait que cette œuvre a subtilement tenu cet équilibre d’un contexte chargé en références avec la teneur esthétique du martyr que l’on admire (dans le confort comique d’un bain), c’est que David a maintenu la tragédie du corps et de l’attitude de Marat comme vertu héroïque digne dans la mort, et ainsi, repoussé le contexte dans l’ordre purement écrit, lu (et non pas regardé) : deux ordres de signes sont peints mais ne se mélangent pas et déterminent le regard autrement, changent subtilement les modalités du regard et ses compréhensions : l’un est regardé, vu pour être ému, et l’autre est déchiffré, lu pour être instruit. L’humble bonté de Marat et son assistance aux pauvres familles ayant versé leur sang pour la Révolution ne s’expriment pas dans ce tableau : tout cela est lu, déduit après avoir déchiffré ce qui est écrit ; de l’expression pure qui articule en son processus ces écrits, s’expose la simple attitude sacrifiée, morte posture qui ne s’écrit pas mais qui, comme nous le verrons, intègre pourtant dans son attitude une affinité avec l’écriture.
Là où cependant David a rendu cette œuvre partisane, c’est à travers la forme de sa dédicace écrite en lettre majuscule d’impression et datée ; car cela ouvre la porte à la reproductibilité ; et en effet, David a supervisé ensuite des copies de son œuvre originale à l’atelier des Gobelins (quatre nous sont parvenues, dont une au musée du Louvre ; l’œuvre originale est en Belgique). Nous développerons ce point lors de la conclusion.
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Planches 4 : copies de La mort de Marat : 1 : Musée du Louvre ; 2 : Musée des Beaux-Arts de Dijon.
Afin de comprendre ce statut de l’écrit dans le tableau, comparons avec la Crucifixion de Vélasquez : nous remarquons pratiquement les mêmes procédés alors que le sujet est complètement différent. Le Christ est mis en croix ; au-dessus de sa tête expirante couronnée d’épines, on peut lire le placard d’un texte en trois langues imprimées nettement en hébreux, en grec et en latin : « Jésus de Nazareth, Roi des Juifs ». On peut rappeler ici la référence complète au chapitre XIX de l’évangile selon saint Jean pour se rendre compte du contexte politique de la scène :
Pilate leur dit: « Crucifierai-je votre roi? » les Chefs des prêtres répondirent: « Nous n’avons de roi que César. » 16 Alors il le leur livra pour être crucifié. 17 Et ils prirent Jésus et l’emmenèrent. Jésus, portant sa croix, arriva hors de la ville au lieu nommé Calvaire, en Hébreu Golgotha; 18 C’est là qu’ils le crucifièrent, et deux autres avec lui, un de chaque côté, et Jésus au milieu. 19 Pilate fit aussi une inscription, et la fit mettre au haut de la croix; Elle portait ces mots: « Jésus de Nazareth, le roi des Juifs. » 20 Beaucoup de Juifs lurent cet écriteau, car le lieu où Jésus avait été crucifié était près de la ville, et l’inscription était en hébreu, en grec et en latin. 21 Or les princes des prêtres des Juifs dirent à Pilate: « Ne mets pas: Le roi des Juifs, mais que lui-même a dit: Je suis le roi des Juifs. » 22 Pilate répondit: « Ce que j’ai écrit, je l’ai écrit. ».
Planche 5 : Vélasquez, Christ crucifié, 1632, Musée du Prado, Madrid.
Considérons la mention de ce texte placardé au-dessus du crucifié : elle marque conformément à l’évangile qui le rapporte, non pas le mobile de la condamnation, mais le nom, l’origine du condamné et son titre. La situation apparaît alors comme absurde ou tragi-comique puisque l’on voit désigné un Roi mais mis en croix, couronné d’épine, nu et livide. Pourtant ce que Vélasquez montre dans ce corps martyrisé n’est pas l’illustration du texte, mais la dignité lumineuse de la mort d’un homme et la divinité de sa mort, la lumière de l’éternité qui auréole sa tête ensanglantée et la droite passion, la rectitude hiératique qui traversent ce corps expirant d’une lumière sacrée. La lumière vient d’en haut à gauche du tableau si l’on suit les ombres, et pourtant c’est bien du corps même du Christ qu’elle émerge. Ainsi, l’illumination inverse l’ordre de lecture en hébreux (de droite à gauche) pour en effectuer la relève et poursuivre le mystère selon l’ordre de lecture du grec et du latin qui suivent l’ordre de la lumière de gauche à droite, tout en étant relevé par la lumière du corps lui-même. Le texte imprimé au-dessus du martyr s’est éludé, il n’a plus de fonction historique mais se rejette de lui-même dans l’anecdotique qui est dissonant avec ce qui est montré ; le lu se supprime dans la relève du montré, de l’expression ou plutôt ici, l’écrit imprimé lu en hébreux, grec et latin se traduit par le corps du Christ Jésus mort. L’éclairage de l’écrit retombe dans l’ombre de l’histoire politico-judiciaire mentionnée par l’évangile, et s’obscurcit dans la graphie imprimée car ces langues sont plus mortes que le corps illuminé du crucifié dont la lumière préfigure la résurrection.
Cette ellipse, cette éclipse de l’écrit par le pictural, du montré traduisant l’écrit, de l’écrit articulé par les postures du corps, ce mode pictural est réinterprété par David dans la mort et le dernier souffle de Marat. Le corps martyrisé de Marat contredit l’écrit : pour avoir pris en pitié une femme, une veuve et lui avoir porté secours par la signature d’assignats, Marat a signé son arrêt de mort, agonie sordide dans une baignoire, donnant audience officielle à une femme dans son bain : voilà presque une mauvaise scène de théâtre de boulevard… Le bois de la croix est ici un billot signé par David « A Marat – David – l’an deux». La pointe des épines et des clous sont celles du poignard, de la plume, mais l’encre de Marat n’est pas encore sèche contrairement à l’impression bien calligraphiée de la pancarte de Vélasquez ou de la dédicace de David. L’encre de Marat saigne aussi, elle est écriture mais contredit aussi, dissone avec sa mort : Charlotte Corday l’a manifestement tué alors qu’elle lui demandait assistance ; Marat a pourtant accédé favorablement à sa demande comme en témoigne la signature d’assignat. Nous sommes dans la même contradiction entre l’écrit et l’image : un Roi déclaré sur la pancarte qui pourtant apparait nu et couronné d’épine chez Vélasquez ; et de même, l’Ami du Peuple tué par la veuve Charlotte qui lui demandait de l’aide, une aide que Marat venait de lui accorder ainsi qu’en témoignent les assignats et sa lettre. Car en effet, les écritures de Marat et Charlotte s’évanouissent dans la peinture des lettres manuscrites mais restent lisibles. La graphie du billot est en revanche imprimée nettement en lettres majuscules, comme pour le Christ de Vélasquez : ce qui est affiché nettement est l’amitié déclarée de David pour Marat, cela ne se traduit pas, ni ne se déchiffre contrairement aux lettres et assignats que tient Marat dans le tableau. Autrement dit, l’Histoire, le régime officiel de la Révolution française, les actes de Marat sont rendus à la graphie manuelle ; la dédicace du peintre à l’impression conventionnelle instituée ou officielle. On voit donc une écriture à traduire chez Vélasquez, une écriture à déchiffrer chez David, avec malgré tout un deuxième type d’écriture dans la dédicace, comme pour expliciter la solennité de l’amitié de David pour Marat qu’il avait vu la veille de sa mort. Le corps du Christ – comme le corps de Marat – n’est pas une illustration, ou un témoignage de l’écrit historique qui accompagne et détaille leur martyr ; bien plus, ce sont eux qui traduisent ou explicitent ces écrits, sont principes de leurs apparaîtres. En ce qui concerne David, c’est la mort même de Marat qui caractérise les billets d’assignats dans la composition puisque d’après les actes du procès de Charlotte Corday, rien d’autre dans la chambre de Marat – en dehors d’anciens numéro de « L’Ami du peuple » que Marat voulait rééditer – ne fut trouvé[8].
Le problème esthétique de ce tableau est que David a voulu peindre un homme particulier à une époque particulière mais pour l’exprimer, le faire apparaître, il fallait le saisir et le manifester dans l’instant même de sa mort, l’universaliser dans sa particularité ou le particulariser dans l’universel. Or cette universalisation n’était possible qu’en sacrifiant le caractère daté, le contexte particulier du tableau : tous les autres pseudo-artistes ont au contraire voulu rendre témoignage de Marat selon le caractère daté du meurtre (que cet assassinat soit déploré ou au contraire glorifié).
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Planche 6 : 1 : Jean-Joseph Weerts (1880) Musée de Roubaix. 2 : Joseph Roques (1793) Musée des augustins à Toulouse. 3 : anonyme, gravure, Musée Carnavalet à Paris.
Le citoyen-député-révolutionnaire David résout ce problème expressif dans la singularisation de la Mort de Marat et non pas son assassinat comme scène de meurtre contrairement aux peintres de seconde zone – ainsi que vous pouvez le constater avec les reproductions ci-dessus. David a réussi à maintenir le caractère daté et politique mais en le montrant sous un mode non pictural : la lecture de l’écrit peint. Il fallait malgré tout rendre à même le tableau une liaison nécessaire du mode purement contemplatif du corps de Marat avec le mode de l’écrit à lire. Vélasquez n’avait pas besoin dans sa crucifixion de rendre, d’expliciter expressivement ce lien ; il l’a fait par convention, dans une respectueuse référence à l’Écriture dont on doit faire l’effort de traduire mais en et selon l’Église (car elle-même est corps du Christ dont chacun est membre). David avait besoin d’articuler cette mort sordide en sa circonstance pour la purifier par un caractère héroïque[9] : David a trouvé cet héroïsme dans l’acte d’écriture que Marat semble prolonger dans son ultime souffle. Ainsi le mode expressif du corps de Marat meurt tout en conservant la forme de son acte d’écriture ; l’attitude de Marat est héroïque, non pas par sa mort qui est peinte dans toute sa fatuité sordide, naturellement grotesque, mais héroïque par son attitude d’écrivain : Marat s’affaisse mais tient encore sa plume avec rectitude, noblesse et dignité.
Tous les autres tableaux qui ont peint cette scène ont tous été ratés artistiquement car ils ont précisément voulu peindre ce que David avait abandonné à l’écrit historique. Tous les autres peintres n’ont fait qu’illustrer l’Histoire et la prise de parti politique dans ce sujet de la mort de Marat, ils ont réagi comme les chefs des Prêtres devant l’écrit de Pilate en voulant peindre ce qui avait été écrit et non comme David décrit l’écrit.
III. Grâce et dignité singulière du corps et de l’écriture
Comment comprendre cette attitude de Marat qui semble écrire en expirant ? Le geste naturel qui dans un mouvement fluide apparaît comme libre par rapport à la nécessité des affects est selon Schiller dans ses Essais esthétiques, la grâce, la beauté mobile volontaire en harmonie avec les instincts naturels qui en cela suscitent l’amour : mais ici c’est la mort, donc une certaine grâce de la mort qui achève le corps et lui offre le rayonnement de sa limite ou l’enveloppe impalpable de sa finitude. La dignité héroïque de Marat – dignité qui consiste à lutter contre les instincts naturels sans en paraître affecté, ou bien encore, la vertu sereine qui maîtrise sa souffrance – n’est plus qu’un souvenir dans son attitude. Le génie de David est d’avoir conservé dans la mort cette vertu (sa lutte contre la maladie, son assistance au malheur du peuple), cette dignité qui n’a plus à lutter contre la nécessité naturelle ou lutter contre l’affect particulier. David a exprimé la dignité à travers la simple plume de Marat, dans son acte héroïque d’écriture pour le bonheur du Peuple jusque dans la mort.
L’acte d’écriture est en effet ce qui dissout toute particularité et accède à l’universel libre et serein : la dignité est dans l’attitude d’écriture parce que l’écrit est l’accès à la désignation, donc universalité du vrai ; c’est l’écrit qui n’est plus conditionné par l’« Ici et Maintenant », tout en étant comme signe, la vérité de cette même condition qui s’exprime « Toujours ». On peut effectuer très grossièrement le syllogisme suivant pour expliquer cette circulation expressive de l’écriture comme langage : l’universel d’une part est l’universalité du langage en tant qu’ayant une valeur inscrite en tous les hommes (et c’est ce qui les spécifient) ; d’autre part, la langue est valable pour chacun des hommes comme opinion particulière ; et sa vérité s’exprime dans la singularité de la parole, ses accents, qui réunit cette « valeur valable » comme effectivité de chacun en tous. Relisons Hegel :
A la question : qu’est-ce que le Maintenant ? Répondons donc, par exemple : le Maintenant, c’est la nuit. Un seul et simple essai suffira pour mettre à l’épreuve la vérité de cette certitude sensible. Nous inscrivons cette vérité quelque part ; une vérité ne peut pas perdre quoi que ce soit à être écrite ; et tout aussi peu à être conservée par nous. Et si nous revoyons maintenant, ce midi, la vérité inscrite, nous serons bien obligés de dire qu’elle est devenue vide et sans saveur (…) Mais c’est le langage, nous le voyons, qui est le plus vrai ; en lui, nous réfutons même immédiatement ce qui est notre opinion intime, et comme l’universel est le vrai de la certitude sensible, et que seul le langage exprime le vrai, il est tout à fait impossible que nous puissions jamais dire un être sensible que nous avons en tête[10].
C’est en cela que l’écrit que reproduit David a cette part de circonstance « vide et sans saveur » car cet écrit est d’emblée dans l’universel d’un témoignage qui fait mourir et se détruit en tant qu’écrit. Mais « l’intimité » est décrite, tout en ayant sa « vérité » comme « certitude sensible » qui indique, qui porte dans le signe écrit ce geste qui nie en même temps ce qui est désigné en particulier et accède, par sa détermination, à « l’universel » (au sens de Hegel), au « langage qui exprime le vrai » ; et c’est cela que David exprime dans l’attitude de Marat dont l’agonie et la mort n’ont pas fait vaciller la plume. C’est là la contradiction vivante de l’écrit que David peint dans cette posture de la main de Marat expirant qui est comme encore en train d’écrire, dans un frêle équilibre, au milieu d’écrits se dissipant peu à peu dans une incarnation effective.
Autrement dit, si l’on reprend le syllogisme hégélien, le langage est universel en tant que système de signes spécifiquement humain, mais, en même temps, il est bien évidemment particulier en tant que langue nationale ou code ; ce n’est que lorsqu’il s’incarne, s’articule et est reproduit pour désigner et communiquer que s’exprime alors une parole véritable, vivante, c’est-à-dire effectivité singulière que chaque homme incarne. De même avec le tableau de David, l’écrit de Marat manuscrit s’incarne même par-delà la mort et ainsi traverse l’universalité de la dédicace datée, officielle, imprimée pour être reconnue et lue par tout le monde ; de même, l’expression du tableau dépasse la particularité des circonstances sordides en rejetant dans l’anecdote les motifs criminels de Charlotte (tout en les relevant dans l’écrit) : David singularise ainsi la mort de Marat par cette circulation expressive de l’universel et du particulier dans la posture d’écriture du corps de Marat qui continue de tenir avec grâce et dignité sa plume, jusque dans la mort[11]. C’est là la plus parfaite expression du Vrai, la Vie s’éternisant dans la Mort.
Planche 7 : Paul Baudry, Charlotte Corday, 1860 Musée de Nantes.
Si l’on veut caractériser les marques de cette singularisation qui effectue « l’Aufhebung »[12] de l’écriture, reprenons les éléments : la lettre de Charlotte Corday est tâchée de sang, et la lettre d’assistance, les assignats demeurent immaculés ; si selon Schiller, « la grâce réside dans la liberté des mouvements volontaires »[13], ceux-ci n’existent plus par la mort de Marat, mais malgré tout, ils demeurent dans le tableau comme un dépôt d’attitude en Marat expirant : il tient sereinement la lettre de Charlotte, et le papier de la missive traître n’est pas froissée par la douleur ou la surprise de l’assassinat. Marat tient également sa plume en équilibre, verticalement tenue entre ses doigts dans sa main déposée au sol mais encore formée pour écrire ; Marat n’a pas lâché sa plume pour se protéger du couteau de cuisine qui le transperçait, ou souillé d’encre ses propres papiers, son billot dans les convulsions de son agonie : comme s’il allait continuer à lire et écrire, poursuivre son travail, maîtriser l’expression spirituelle pour les œuvres révolutionnaires et le bonheur du Peuple, Marat a suspendu le cours de la mort par cette attitude d’écrivain que la grâce picturale de David a cristallisé dans la Mort, sans le particularisme de l’exactitude historique, hors de toute dramatisation de la scène meurtrière : la grâce s’identifie alors à la dignité qui pour Schiller est « dans la domination des mouvements involontaires », et ceux-ci sont dominés par la grâce de la mort comme la dignité du travail d’écriture qui va au-delà de la personne de Marat, au-delà de lui pour le « bonheur du Peuple », incarnant la Patrie en danger de mort, qui par sa liberté accède à l’éternité. C’est cette attitude de Marat prêt à écrire que nous appelons « corps-écriture » : il singularise la particularité des circonstances historiques de la scène avec l’universelle destinée de la mort par une conversion et une coïncidence de ces deux pôles dans l’attitude corporelle d’écriture : l’écriture particulière de Marat, Charlotte, les assignats signés d’une part, et l’écriture conventionnelle du billot imprimé pour être officiellement visible pour tous d’autre part. L’attitude du corps-écriture de Marat mort articule ces deux types d’écritures manuscrites (particulières) et conventionnelles (universelles) dans une singularisation qui incarne la circonstance particulière écrite et incorpore l’universel destin de la mort tout en le surmontant par cette attitude tenant sa plume en équilibre, cette plume légère immaculée qui se tient encore prête à écrire à travers la mort. Et les aspects de cette attitude d’écriture de singularisation ont les aspects – en tant que corps-écriture – de la grâce unifiée à la dignité au sens de Schiller.
Si l’on veut comparer cette scène par rapport aux traitements des autres artistes, c’est-à-dire voir par contraste le génie de David avec le talent des ouvriers, il suffit de prêter attention à la plume de Marat et aux lettres qui composent les autres tableaux : tous les artisans du pinceau les ont éparpillés, délaissé dans l’encrier de circonstance, théâtralisés pour caractériser le meurtre, alors que David maintient ces éléments dans un acte qui n’est pas affecté par la mort, qui se retient dans la Mort, alors même que ces lettres témoignent des circonstances de son assassinat que le tableau conserve.
David a su suggérer à même l’inertie de la posture morte, à même le cadavre inerte de Marat un mouvement : c’est l’écriture qui s’exerce encore dans ce dernier souffle de l’âme qui « voltige » dans toute la moitié obscure du tableau comme l’a analysé Baudelaire. On peut également commenter avec Blanchot :
La littérature n’est pas la nuit, elle en est la hantise ; non pas la nuit, mais la conscience de la nuit qui sans relâche veille pour se surprendre et à cause de cela sans répit se dissipe. Elle n’est pas le jour, elle est le côté du jour que celui-ci a rejeté pour devenir lumière. Et elle n’est pas non plus la mort, car en elle se montre l’existence sans l’être, l’existence qui demeure sous l’existence, comme une affirmation inexorable, sans commencement et sans terme, la mort comme impossibilité de mourir[14].
C’est cette longue expiration d’une mort liée à l’écriture comme impossibilité de mourir que hante l’existence de Marat par sa posture, son attitude qui meurt et poursuit son travail d’écriture : s’exprime alors par-là le martyr de Marat et la mort de l’écrit, la lumière de l’acte d’un corps-écriture, les signes expressifs d’une affirmation inexorable.
La dignité de Marat, c’est que même dans son agonie et son dernier souffle, il semble encore prêt à écrire, à lire encore avec bienveillance la lettre de Charlotte Corday ; la grâce, c’est que ce mouvement est comme schématisé, il souffle sa forme libre dans l’instant de la Mort et ainsi exprime la liberté de ce travail spirituel que l’attitude de Marat n’achève pas mais prolonge à travers sa fin, par-delà lui-même et au-delà de son décès : la mort dépouille la particularité historique de Marat et le place dans l’universalité des destins, le commun de la condition humaine, mais son œuvre se conserve et se fait, se poursuit, s’incarne, se singularise : son écrit apparaît comme son écriture manuscrite ; sa lettre, la Mort ne l’a pas atteinte mais au contraire elle s’est singularisée dans la Mort : l’acte d’écrire de Marat emporte la Mort.
Planche 8 : Jules Aviat, Charlotte Corday et Marat, 1880 Musée de Vizille.
Conclusion
Reprenons brièvement les tensions contradictoires dont David a soutenu le processus plastique dans son tableau selon une sorte de syllogisme expressif consistant à : 1. Maintenir et perdre le caractère particulier du contexte sordide de l’assassinat dans le simple texte d’une écriture manuscrite. 2. Exposer et dépasser l’universalité de la mort dans le cadavre expirant, et, comme le Christ de Vélasquez, relever la dédicace officielle conventionnelle (ainsi qu’en témoigne les copies d’atelier de propagande) 3. Singulariser Marat à travers son attitude qui articule l’universel et le particulier par son corps-écriture ; c’est-à-dire, l’unité d’un corps prêt à écrire jusque dans la Mort (universel) et en dépit des circonstances (particulier), gardant ainsi grâce et dignité à travers la tenue de cette plume en équilibre dans la déchirure. Il a ainsi perdu la mort puisque, selon Blanchot :
La mort aboutit à l’être : telle est la déchirure de l’homme, l’origine de son sort malheureux, car par l’homme la mort vient à l’être et par l’homme le sens repose sur le néant ; nous ne comprenons qu’en nous privant d’exister, en rendant la mort possible, en infectant ce que nous comprenons du néant de la mort, de sorte que, si nous sortons de l’être, nous tombons hors de la possibilité de la mort, et l’issue devient la disparition de toute issue[15].
Dans son attitude digne, comme corps-écriture, Marat dépose son néant qui devient l’être de la mort qui expire avec grâce.
Comme condition humaine universelle, la mort se médiatise, car en tant que condition, elle est également conditionnée comme circonstance : c’est peut-être là le sens du titre qui accole l’universel au particulier, la mort à la circonstance particulière : « La mort de Marat ou Marat assassiné ». L’universalité de la mort se représente dans le cadavre inerte, et par-là se médiatise dans l’individu qui se concrétise dans la circonstance particulière vivante, Marat dans une baignoire ; et cette particularité elle-même se médiatise, se nie et se détermine dans la transposition de l’écrit : en tant que particulière, elle est manuscrite, en tant qu’universelle, elle est caractère conventionnel d’imprimerie comme hommage de la Nation des Droits universels de l’homme, et se singularise comme signature de David à Marat. La tension de ces doubles contradictoires de l’universel et du particulier transposés dans l’écrit circulent donc et s’incarnent : d’où résulte l’attitude de Marat singulier qui incorpore l’écriture et même dans la mort écrit, tenant sa plume avec sérénité, conservant grâce et dignité après l’assassinat. Marat expire, livide et sobre, et la scène s’éteint, silencieuse dans l’écrit. Et en regardant la partie sombre qui plane au-dessus de Marat, on retrouve ce dont parlait Cocteau à propos de la mort de Proust : « il y régnait ce silence qui est au silence ce que les ténèbres sont, à l’encre »[16].
Planche 9 : David, Détail de La mort de Marat.
Revenons pour terminer sur la dédicace de David, « A MARAT, DAVID – L’AN DEUX » en lettres capitales imprimées : ce n’est, de toute évidence, pas une signature discrète et pudique que David introduit-là furtivement. Si l’histoire et la politique sont rejetées dans un mode lu qui n’apparaît que comme écriture manuscrite, ici David rend un hommage direct en plus de sa peinture, et même sur sa peinture dans une écriture conventionnelle imprimée et reproductible comme nous l’avons vu plus haut : cette écriture n’est pas à déchiffrer, elle est comme une publicité du tableau, le slogan de l’hommage. C’est là l’ouverture à la prise de parti car elle affecte l’originalité autonome de l’œuvre qui sera recopiée avec sa bénédiction, tout comme cette écriture conventionnelle imprimée que David réutilise. Mais en même temps, la lettre conventionnelle dissout l’auteur particulier avec son écriture manuscrite dans et par la convention même qu’il reproduit : David ne signe pas de sa main, mais laisse l’imprimerie majuscule officielle instituer son hommage : il meurt ainsi avec Marat (et si l’on observe les copies du tableau, c’est précisément ce texte du billot qui est supprimé ou modifié) ou s’efface dans cette dédicace pour mieux montrer sa peinture ; il fige son nom dans l’impression officielle des lettres policées pour revivre dans l’expression plastique picturale. Par-là, l’universalité de l’hommage en caractère imprimé, valable et lisible pour tous, détruit la contingence de la signature particulière : le David particulier se tait dans l’écrit conventionnel et se singularise dans son tableau, c’est-à-dire sa relation. Mais cette relation singularisante n’est plus comme celle de Marat directement liée à l’écriture, mais sa relation à Marat par la peinture qui rejette l’auteur David dans l’écrit conventionnel pour plastiquement exprimer son amitié ; sa relation d’amitié que les fonctions politiques imprimaient dans les rangs d’un parti déterminé, affichaient officiellement en Comité, mais dont la teneur se singularisait selon un autre ordre, par-delà la Mort, par-delà l’image, en se médiatisant avec grâce et dignité à la mort de Marat, à l’acte d’écriture immortel.
[1] Cf. https://www.implications-philosophiques.org/langage-et-esthetique/implications-esthetiques/rothko-ou-la-peinture-de-temple-grec/ et https://www.implications-philosophiques.org/langage-et-esthetique/implications-esthetiques/le-double-corps-du-roi-dans-les-menines-de-velasquez-ou-le-corps-de-societe/
[2] Pour plus de détails sur le langage chez Hegel, nous renvoyons aux références de notre article : https://www.implications-philosophiques.org/semaines-thematiques/actualite-de-hegel/marc-richir-et-les-lectures-hegeliennes/ et également à la « Doctrine du concept » dans la Science de la logique notamment les §§164-165 et §181.
[3] Cf. Derrida, Marges, « Le puits et la pyramide ».
[4] Schiller, Textes esthétiques, « Grâce et dignité », Vrin, p. 297sq et p. 50sq.
[5] Jacques Guilhaumou, La mort de Marat – 1793, Complexe, 1989, p. 41.
[6] Jacques Guilhaumou, op.cit. p. 52.
[7] Jacques Guilhaumou, op. cit. p. 51.
[8] Olivier Coquard, Revue Historia, Juillet 2004, numéro 691, p. 59.
[9] Cf. Jacques Guilhaumou, La mort de Marat – 1793, Complexe, 1989, p. 53 : « L’allure catastrophique de la mort de Marat se précise avec le bruit de peste qui commence à se répandre dans Paris le jour même où le corps de Marat est exposé aux yeux du peuple ! Les autorités constituées s’insurgent contre une telle calomnie et communiquent aux Parisiens, par voie d’affiche, tous les renseignements propres à les rassurer ».
[10] Hegel, Phénoménologie de l’Esprit, I, Certitude sensible, 25sq, tr. fr. Lefbevre, éditions Aubier, p. 93sq.
[11] On se réfère là-dessus à Hegel, Encyclopédie des sciences, Science de la logique, §181, tr.fr De Gandillac, éditions Gallimard, « NRF », p. 200 :
Le syllogisme est le fondement essentiel de tout ce qui est vrai (…) Tout est concept, et sa présence est la différence de ses moments, de telle sorte que sa nature universelle se confère une réalité extérieure au moyen de la particularité et se fait ainsi réalité singulière comme réflexion négative en elle-même. Ou inversement, l’effectif est un singulier qui, au moyen de la particularité, s’élève à l’universalité et se fait identique à elle. – L’effectif est un, mais il est tout autant l’acte par lequel les moments du concept se séparent les uns des autres, et le syllogisme est le cycle de la médiation entre ses moments, grâce auquel l’effectif se pose comme un.
Le jeune Marx réexpose ainsi : « La pensée et l’Être sont donc certes distincts, mais en même temps ils forment ensemble une unité. La mort apparaît comme une dure victoire du genre sur l’individu déterminé et semble contredire leur unité ; mais l’individu déterminé n’est qu’un être générique déterminé, et à ce titre mortel ». (Manuscrit de 1844, 3ème manuscrit, VI).
[12] Cf. Jean-Luc Nancy, La Remarque spéculative, Galilée, 1973, p. 178 :
L’aufheben ne se laisse pas tout à fait concevoir. Elle est monstrueuse. Elle écrit malgré tout – mais elle est aussi toujours en danger de ne pas pouvoir écrire en un certain sens. C’est arrivé à Hegel : « Je me suis longtemps demandé si je devais t’écrire, parce que tout ce que l’on écrit ou dit dépend seulement de l’explication qu’on en donne, ou parce que je craignais cette explication, étant donné qu’elle est si dangereuse lorsqu’on en est venu au point de devoir expliquer quelque chose » (Hegel, Lettre à sa fiancée, Nüremberg, été 1811).
[13] Cf. Schiller, Grâce et dignité, Vrin, p. 297sq, et p. 50sq :
La grâce réside dans la liberté des mouvements volontaires ; la dignité dans la domination des mouvements involontaires. C’est pourquoi la dignité est rangée et montrée plus dans la souffrance (pathos), la grâce plus dans le comportement (ethos). Comme la dignité est une expression de la résistance que l’esprit autonome oppose à la pulsion naturelle, celui-ci devant être considéré comme une force rendant nécessaire une résistance, elle est ridicule là où il n’y a pas de telle force à combattre ; et méprisable là où il ne devrait plus y en avoir. On rit du comédien (quels que soit son état et ses titres) qui affecte une certaine dignité même dans les actes les plus indifférents. On méprise la petite âme qui pour l’exercice d’un devoir ordinaire, qui n’est souvent que l’omission d’une bassesse, se rémunère de dignité.
[14] Blanchot, Le livre à venir, Gallimard, Folio, p.42.
[15] Blanchot, L’Espace littéraire, Gallimard, Folio, p.61.
[16] Cité par Ernst Jünger, Journal de guerre 1939-1948, Second journal de Paris, Paris, 23 avril 1943, éditions Julliard, p. 225.