La définition de l’homme – Conclusion
Par Alice Finateu
Les hommes ne se rangent pas sous un sur-concept «homme». Cette conclusion tragique doit-elle clore le thème de la définition de l’homme chez Rousseau ? Apparemment non, puisque ce constat vaut si on comprend le récit de soi seul et non en rapport aux démarches scientifique, descriptive, du récit de l’individu collectif qui le complètent. Or le but de notre travail consistait certes à examiner chaque méthode (et ses résultats) en elle-même, mais aussi à considérer les méthodes dans leurs articulations.
L’examen séparé de chaque méthode fait apparaître les traits de l’homme et les différentes figures d’hommes. La démarche scientifique évoque l’homme originel. Elle précise que l’homme libre et perfectible ne se réduit pas à un être sociable ou raisonnable. A cet égard, Lévi Strauss (Tristes Tropiques) saluera ce geste d’ouverture large de l’espèce humaine. La description des hommes dévoile un aspect de la liberté humaine l’ « hybris », l’homme indéterminé capable du pire. Le récit de l’humanité annonce la liberté authentique de l’homme : autonomie, liberté cadrée (par la nature ou la volonté générale), il a des accents stoïciens (compréhension de la nature, de la sagesse dans l’Emile).
L’étude de l’interaction entre ces méthodes fait apparaître une unité : la notion de liberté[1] qui émerge dans toutes les figures d’hommes. En effet l’homme originel est indépendant (forme de liberté), l’homme civil possède une liberté démesurée, le citoyen est autonome (liberté politique), Emile et Rousseau sont libres. La liberté rassemble ces hommes si différents. Ainsi on conclue que la définition de l’homme chez Rousseau est une unité qui réfléchit la multiplicité : l’homme reflète les hommes sans se laisser dévorer par eux. Il faut accepter une pluralité d’hommes (tous les commentateurs la reconnaissent) chez Rousseau, les portraits des hommes dans notre étude rendent compte de cette dimension de diversité. En même temps, il convient de maintenir l’idée d’un homme, d’une définition de l’humain qui dépasse la diversité des hommes : la notion de liberté rend possible cette unité. Ultimement, l’homme est un être libre. L’originalité de Rousseau ne réside pas dans ce constat, mais dans le détail de cette liberté, le souci de préciser toutes ses formes en l’homme : de l’indépendance à l’autonomie, de la liberté destructrice à la liberté authentique.
Bibliographie
A/ LITTERATURE PRIMAIRE : ECRITS DE ROUSSEAU :
ROUSSEAU Jean Jacques (1782), Les Confessions, Paris, Gallimard, coll. Folio classique, 1995, 858p.
ROUSSEAU Jean Jacques (1755 et 1750), Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes et Discours sur les sciences et les arts, Paris, Garnier Flammarion, 1992, 282p.
ROUSSEAU Jean Jacques (1762), Du Contrat Social, Paris, Le livre de poche, coll. Classiques de poche, 1996, 224p. En particulier : Livre I chap. VIII et livre II chap. VII
ROUSSEAU Jean Jacques (1762), Emile ou de l’éducation, Paris, Garnier Flammarion, 1966, 629p.
ROUSSEAU Jean Jacques, l’Homme, textes choisis par Florence Khodoss, Paris, PUF, coll. Les Grands Textes, 1971, 159p.
ROUSSEAU Jean Jacques, Lettres philosophiques, Paris, Le livre de poche, coll. Classiques de poche, , 2003, 571 p., Lettre à François Joseph de Conzié (7 janvier 1742) p45-48, lettre à Dom Deschamps (Montmorency le 8 mai 1761) p208-211, lettre à Malesherbes (Montmorency le 12 janvier1762), p248-255, lettre à Malesherbes (Montmorency le 26 janvier1762) p256-263, , lettre à Malesherbes (Montmorency le 28 janvier1762) p264-271, lettre à M.Philopolis (vers le 15 octobre 1755) p78-88, lettre à Voltaire (l’Ermitage, le 18 août 1756) p89-114, lettre à Voltaire (Paris le 7 septembre 1755) p71-77
ROUSSEAU Jean Jacques (1782), Rêveries du Promeneur solitaire, Paris, Gallimard, coll. Folio Classique, 1984, 227p.
B/ LITTERATURE SECONDAIRE :
I/ OUVRAGES GENERAUX SUR L’HUMANISME :
GROETHUYSEN Bernard, Anthropologie philosophique, Paris, Gallimard, coll.Tel, 1980, 284p.
TODOROV Tzvetan, Le jardin imparfait : la pensée humaniste en France, Paris, Grasset, 1998, 180p.
II/ COMMENTAIRES SUR L’ŒUVRE DE ROUSSEAU :
DERATHE Robert, L’homme selon Rousseau in BENICHOU P., CASSIRER E., DERATHE R., EISENMAN Ch., GOLDSCHMIDT V., STRAUSS L., WEILL E., Pensée de Rousseau, Paris, Seuil, coll. Points, 1984, 180p.
DERATHE Robert, Le rationalisme de Jean Jacques Rousseau, Paris, PUF, 1948, 201p.
GOLDSCHMIDT Victor, Anthropologie et politique : Les principes du système de Rousseau, Paris, Vrin, 1974, 804p, p229 à 394
GROETHUYSEN Bernard, Jean Jacques Rousseau, Paris, Gallimard, coll. Idées, 1983
LEDUC LAFAYETTE Denise, Jean Jacques Rousseau et le mythe de l’Antiquité, Paris, Vrin, coll. Varia, 1974, 194p., p89 à 101
MOREAU Joseph, Jean Jacques Rousseau, Paris, PUF, 1973, 190p., chap. I, IV, V, VI et VII
TODOROV Tzvetan, Frêle bonheur : essai sur Rousseau, Paris, PUF, coll. Textes du XX siècle, 1985, 91p.
VARGAS Yves, Introduction à l’Emile de Rousseau, Paris, PUF, coll. Les grands livres de la philosophie, 1995, 343p., chap I « Education et nature »
C/ DIVERS :
AUROUX Sylvain, JACOB André, Les notions philosophiques, Paris, PUF, coll. Encyclopédie philosophique universelle, 1998, tome I, 1517p., Art. « Homme » et « Humanisme »
EIGELDINGER S. et TROUSSON R., Dictionnaire de Jean Jacques Rousseau, Paris, Honoré Champion, 1996, 961p., Art. « art » « civilisation » « luxe » « perfectibilité »
ROSSET Clément, L’anti-nature : éléments pour une philosophie tragique, Paris, PUF, coll. Quadrige grands textes, 2004, 330p, 4ème partie, chap. V « Rousseau », p275 à 277
[1] Il semble que Derathé ait entrevu cette idée sans la radicaliser car la liberté réconcilie selon lui le citoyen et l’homme naturel (Emile, Rousseau) et non l’ensemble des hommes (originel, civil, citoyen, naturel) dans son essai : L’homme selon Rousseau in BENICHOU P., CASSIRER E., DERATHE R., EISENMANN Ch., GOLDSCHMIDT V., STRAUSS L., WEILL E., Pensée de Rousseau, Paris, Seuil, coll. Points, 1984, p124 « les deux modes de vie (homme naturel et citoyen) ont ceci de commun qu’ils s’opposent l’un et l’autre à la société corrompue et qu’ils tendent tous deux, quoi que par des voies divergentes, à la réalisation d’un même idéal de liberté et d’égalité »