Justice sociale et défense des marchés concurrentiels : peut-on réconcilier Rawls et Hayek ?
Nathanaël Colin-Jaeger est doctorant en Philosophie politique à l’ENS de Lyon au laboratoire Triangle. Courriel: nathanael.colin@ens-lyon.fr.
Résumé
La défense des marchés concurrentiels et celle de la justice sociale sont souvent perçues comme contradictoires. Deux traditions libérales sont opposées, illustrées par deux libéraux emblématiques, Friedrich Hayek et John Rawls. Dans cet article je montre que l’opposition entre justice sociale et marchés concurrentiels n’a pas lieu d’exister, car les défenseurs d’un libéralisme impliquant des institutions capitalistes robustes justifient toujours leur théorie par une conception de la justice sociale. Récemment John Tomasi a montré comment les positions de Hayek et de Rawls pouvaient être conciliées au niveau le plus fondamental de la philosophie politique idéale. Cette défense produit néanmoins des interprétations particulières des idéaux constitutifs du libéralisme, qui impliquent de nouvelles lignes de tension au sein du libéralisme.
Mots-clefs: libéralisme, marché, justice sociale, Friedrich Hayek, John Rawls, John Tomasi
Abstract
The defense of competitive markets and that of social justice are often perceived as contradictory. Two liberal traditions are in opposition, illustrated by two emblematic liberals, Friedrich Hayek and John Rawls. In this article I show that the opposition between social justice and competitive markets is irrelevant, because the defenders of a liberalism involving robust capitalist institutions always entail a conception of social justice. Recently John Tomasi has shown how to reconcile Hayek and Rawls’ views at the most fundamental level of ideal political philosophy. This defense, however, produces particular interpretations of liberalism’s constitutive ideals, which imply new lines of tension within liberalism.
Keywords: liberalism, markets, social justice, Friedrich Hayek, John Rawls, John Tomasi
Introduction [1]
Le libéralisme est une famille philosophique plurielle. On distingue généralement aujourd’hui, en suivant Freeman (2011), deux grandes branches : le libéralisme dit classique (classical liberalism), qui met l’accent sur les bienfaits d’une société organisée autour du concept de marché, et le « haut libéralisme » (high liberalism), qui défend l’égalitarisme. Ces deux branches centrales du libéralisme sont conflictuelles sur plusieurs points importants, qu’il s’agisse de leurs relations au capitalisme, aux droits économiques, à la conception de la personne ou encore vis-à-vis de la justice sociale.
Deux figures sont traditionnellement associées à ces courants : d’une part l’économiste d’origine autrichienne Friedrich Hayek, d’autre part le philosophe de Harvard John Rawls. Ces deux figures cristallisent les différences entre les deux libéralismes précités. Rawls développe, en effet, des principes de justice qui ouvrent la possibilité d’une redistribution des richesses importante. Lorsque Rawls, dans la préface de l’édition révisée de la Théorie de la justice (Rawls, 1990, xv), s’exprime sur les formes sociales susceptibles de correspondre à sa théorie de la justice, il favorise deux possibilités : le socialisme libéral et la démocratie de propriétaires. Ces deux formes, différentes, conservent le marché de manière instrumentale (pour conserver la liberté de choisir son activité et une structure d’incitations sociales), mais autorisent des limitations de la concurrence et de l’extension du marché. Pour le cas du socialisme libéral, la propriété privée des moyens de production, ou en corrigeant substantiellement la distribution qu’établit le processus concurrentiel Le marché n’est donc pas totalement aboli – puisque le marché demeure un espace de liberté de choix (Rawls, 1971, 310-315) –, mais fortement limité dans certains arrangements institutionnels, qui doivent respecter les principes de justice. Ces principes doivent garantir notamment l’émancipation des individus vis-à-vis du pouvoir privé, ainsi que l’autonomie politique des individus, qui n’est possible qu’à partir d’une certaine autosuffisance économique et sociale.
Symétriquement, Hayek est en partie connu pour sa critique féroce de la justice sociale, qui donne le nom du deuxième tome de Droit, législation, liberté : « Le mirage de la justice sociale » (Hayek, 1976). Au moins trois arguments, d’importance croissante, sont développés dans ce texte. D’une part le concept, notamment du fait de l’adjectif « social », est flou, et conduit à des instrumentalisations politiques nombreuses. D’autre part, il relève d’une vision organiciste de la société, selon lequel il est possible d’organiser activement la société depuis un point de vue unifié semblable à celui du planificateur. Enfin, la mise en place d’une conception quelconque de la justice sociale suppose un interventionnisme destructeur, qui entre en tension avec les bienfaits de l’ordre spontané libéral. La justice sociale, comprise comme volonté d’instituer une organisation sociale égalisant les conditions des individus, se trouve entrer en contradiction avec un ordre libéral porté par des marchés concurrentiels dont le processus engendre une différenciation et des inégalités qui sont le moteur de l’activité et du florissement de la société en question. Entre marché et justice sociale, ordre spontané et mise en place d’une société juste, il faudrait donc choisir. DiQuattro (1986) – en réponse à Connin (1985) – défend ainsi que les deux théories sont irréconciliables.
Néanmoins, cette opposition est remise en question depuis plusieurs années. En effet, cette dichotomie donne la fausse impression d’incommensurabilité : les libéraux classiques s’intéresseraient avant tout aux arrangements institutionnels permettant le bon fonctionnement de marché ; alors que les libéraux égalitaristes se situeraient au niveau de la philosophie politique normative idéale, ne prenant pas en considération la réalisabilité institutionnelle de leur théorie. Or, les libéraux dits classiques, Hayek le premier, développent explicitement une entreprise de justification et s’opposent à une vision particulière de la justice sociale, principalement la justice sociale comme justice allouant les biens en fonction du mérite des individus. Les marchés concurrentiels eux-mêmes n’existent qu’en vertu de règles qui délimitent très largement les résultats possibles au sein d’une société de marché, et ces règles elles-mêmes, chez les libéraux défendant la centralité du marché dans les sociétés libérales, doivent être définies comme étant justes selon des critères extra-économiques ; elles participent donc d’une théorie de la justice sociale [2], et donc d’une théorie normative. Le fossé entre libéralisme classique et haut libéralisme ne repose donc pas sur l’absence ou la présence d’une défense de la justice sociale, mais sur la définition et la validité éventuelle de la justice sociale qui peut être rendue compatible avec les institutions de marché.
Dans cet article, je montre comment les partisans d’un libéralisme allant de pair avec des institutions capitalistes robustes développent une théorie morale. Ces derniers considèrent que leur version du libéralisme réalise, mieux que les versions alternatives, notamment les versions égalitaristes, les conceptions de la justice sociale. Pour mener cette analyse, je m’appuie principalement sur l’ouvrage de John Tomasi, Free Market Fairness (2012), qui est certainement l’exemple le plus fameux et cité des dix dernières années s’attaquant à cette tâche ardue. Je ne prétends pas, néanmoins, offrir un compte-rendu exhaustif des multiples positions et thèses défendues par l’auteur dans cet ouvrage. J’utilise dans les pages suivantes cette référence comme un révélateur. En effet, la réconciliation d’une certaine conception de la justice sociale et de la défense des marchés concurrentiels transforme les deux concepts. Cette tentative met en lumière des enjeux centraux du libéralisme du point de vue des valeurs, et éclaire les problèmes constitutifs, à mon sens, du libéralisme contemporain : comment peut-on justifier la centralité des marchés dans les sociétés libérales tout en maintenant substantiellement les valeurs d’autonomie et d’émancipation au cœur du libéralisme telles qu’elles se trouvent défendues dans un libéralisme à tendance égalitariste ? A quel prix la réconciliation est-elle possible ? J’emprunte le concept de valeur à Freeden (1996), qui caractérise les principales idéologies politiques comme organisée à partir de valeurs fondamentales, qui trouvent des expressions divergentes en fonction des recompositions théoriques. Le libéralisme, dans ce cadre, est caractérisé par trois valeurs nodales (Ibid., 145) : la liberté comme absence de contrainte et réalisation de soi ; l’individualisme comme fait que chaque individu est porteur de droits à respecter ; et le progressisme en ce que le libéralisme vise l’amélioration des conditions de tous. Ces valeurs trouvent des expressions différentes dans le libéralisme de Hayek et dans celui de Rawls, au point qu’on peut se demander si ces tensions ne font pas exploser le libéralisme.
I. L’attractivité de la justice sociale
Comme le remarque Sunstein (1997, 3), l’argument des défenseurs des marchés concurrentiels ne se réduit pas à souligner leur efficience productive. Une société de marché réalise une part importante de la liberté, puisqu’elle permet aux individus de choisir leurs fins, d’échanger des biens et des services comme ils le souhaitent, ce qui constitue une part essentielle de la vie sociale ; mais également de l’égalité, puisque chacun se voit obtenir un droit formel égal, qui participe à la contestation des privilèges et des situations de pouvoir. Cette forme d’égalité est défendue depuis longtemps comme une manière d’adoucir les relations politiques et de disperser le pouvoir. Certains auteurs, tel que Friedman (1962), maintiennent traditionnellement, par exemple, que les discriminations de sexe et de race sont accompagnées d’interdits, pour les individus discriminés, d’accéder au marché comme les autres. L’apartheid d’Afrique du Sud, la ségrégation aux États-Unis, et même les interdits économiques pour les femmes jusqu’à un stade avancé du XXe siècle en France, montrent comment les inégalités discriminatoires se prolongent en inégalités économiques, et donc comment la liberté économique en empêche le prolongement et l’accroissement. De plus, les défenseurs de la centralité des marchés concurrentiels insistent également sur le fait que des marchés correctement institués ne réalisent pas uniquement une efficience productive, mais également distributive. Des marchés concurrentiels correctement régulés produisent, selon cette perspective, des résultats justes sans interférer avec les libertés individuelles (Freeman, 2011, 22). Cette défense suppose que les marchés concurrentiels ne sont pas des entités naturelles, et le libéralisme classique n’est donc en aucun cas une forme de laissez-faire. Le libéralisme classique possède toujours une dimension de justification. Par justification, j’entends le fait que la défense du marché se fonde sur des arguments défendant la supériorité d’une société de marché sur des formes concurrentes. Les arguments les plus évidents pour une telle justification sont instrumentaux. Hayek (1935), lors du débat sur la possibilité du calcul économique en régime socialiste, propose un argument qui, dans la continuité des travaux de Mises, met en avant l’impossibilité pour un régime planifié de maîtriser la quantité d’informations circulant dans une société complexe, telle que les sociétés modernes. De plus, la concurrence permet une adaptation permanente des anticipations des individus, par le biais du mécanisme des prix, ce que Hayek défend dans « The Use of Knowledge in Society » en 1945[3]. Mais, chez Hayek comme chez d’autres, la justification n’en reste pas à ce stade économique, comme cela se lit fort bien dans le texte de Audier (2008), ou lors de la première réunion de la Société du Mont-Pèlerin, qu’on trouve analysée par Innset (2020). Le marché est également défendu comme un ordre permettant l’émancipation individuelle relativement à un pouvoir souverain centralisé. Le critère devient la minimisation de la coercition sociale, comprise comme soumission à la volonté arbitraire d’autrui (Hayek, 1960, chap. 4). Si la dimension justificative du libéralisme est inévitable, pourquoi les libéraux classiques s’opposent-ils bruyamment au concept de justice sociale ?
Comme tout concept politique, celui de justice sociale est plurivoque : il constitue un des exemples canoniques de « concept essentiellement contesté » chez Gallie (1956). La critique portée par Hayek (1976) relativement à la justice sociale attaque une conception particulière de la justice sociale, selon laquelle il est possible de rétribuer les individus selon leurs mérites respectifs (Lister, 2013). Il ne s’agit pas de la conception de Rawls, mais d’une théorie plus générale de la justice sociale. Cette dernière pose deux problèmes, pour Hayek : (i) l’identification de ce qui doit être le « mérite » suppose une unanimité morale au sein de la société, qui est une prémisse problématique au sein d’une société complexe. Faire comme si cette unanimité morale existait revient à nier le cœur du libéralisme, à savoir l’idée d’un pluralisme des valeurs et le respect de la diversité des individus. (ii) La mise en place systématique d’un système de rétribution du mérite suppose un point de vue centralisateur qui revient précisément à abolir la société libérale, y compris si le premier problème pouvait être réglé. Le mérite ne peut donc jamais fournir une base pour distribuer les biens[4]. Hayek met en balance la dimension aléatoire et dynamique de la distribution des biens dans une société de marché, qui revient parfois à ceux qui, précisément, ne méritent rien. Cependant, lorsqu’il est amené à justifier positivement les bienfaits d’une société de marché, il propose un argument assez proche de Rawls, puisqu’il énonce qu’une société de marché est bonne si elle maximise le niveau de vie et les opportunités d’un individu pris au hasard, comparativement à des arrangements sociaux alternatifs (Sugden, 1993). On peut donc sans difficulté retrouver, au sein du libéralisme dit classique, une certaine conception de la justice sociale. Chez Hayek celle-ci demeure néanmoins peu développée pour plusieurs raisons, et probablement en partie du fait que Hayek lui-même est réticent à s’engager sur la voie de la théorie idéale (Gaus, 2018).
Il faut donc garder à l’esprit que lorsque Hayek critique le concept de justice sociale il ne critique pas la théorie de Rawls, à laquelle il se réfère d’ailleurs positivement. Hayek (1976), dans l’avant-propos, indique d’ailleus que les désaccords avec Rawls sont plus « verbaux que substantiels ». Rawls développe une théorie libérale de la justice sociale dont la plupart des personnes reconnaissent l’attrait, y compris lorsqu’ils ne sont pas d’accord avec les implications qu’en tire son auteur. Cette conception de la justice sociale apparaît comme étant la plus robuste d’un point de vue idéal, car elle est fondée sur des idéaux partagés au sein de la tradition libérale. Trois principes sont généralement tirés de la théorie de Rawls. Je m’appuie ici sur la dernière formulation, tirée de La justice comme équité (Rawls, 2001, §13.1) :
- Chaque personne a une même prétention indéfectible à un système pleinement adéquat de libertés de bases égales, qui soit compatible avec le même système de libertés pour tous ; et
- Les inégalités économiques et sociales doivent remplir deux conditions : elles doivent d’abord être attachées à des fonctions et des positions ouvertes à tous dans des conditions d’égalité équitable des chances ; ensuite, elles doivent procurer le plus grand bénéfice aux membres les plus défavorisés de la société (le principe de différence).
En ordre d’importance lexicographique on trouve le principe de maximisation des libertés, selon lequel une société juste est une société qui garantit le plus grand nombre possible de libertés individuelles pour tous ; le principe d’égales opportunités, selon lequel les individus doivent posséder des chances égales d’accéder aux positions sociales valorisées ; et enfin le principe de différence, selon lequel les inégalités sont acceptables uniquement si elles bénéficient aux plus défavorisés. Chacun de ces critères, du fait de l’exégèse gigantesque portant sur Rawls durant les cinquante dernières années, a été l’objet d’interprétations diverses et variées, et j’en propose ici uniquement une lecture standard et minimaliste[5]. À l’exception notable des libertariens, il faut souligner qu’une part importante des libéraux, et donc des libéraux dits classiques, considèrent que ces principes sont attrayants moralement, car ils réalisent les idéaux au cœur du libéralisme : la défense de la liberté individuelle comme émancipation, la possibilité pour chacun de participer en égal à l’association qu’est la vie collective et de jouir des bénéfices de la coopération sociale[6]. Les libéraux se trouvent donc largement en accord avec les énoncés rawlsiens stipulant ce que doit être la justice sociale. Par exemple, Buchanan (2005) ne tarit pas d’éloges sur le travail de Rawls, et ne cesse d’énoncer à quel point il se trouve être proche des formulations rawlsiennes qui, pour lui, se trouvent être similaires à celles d’Adam Smith. Néanmoins des divergences importantes apparaissent relativement à l’interprétation qu’on peut tirer de ces principes pour le libéralisme, et notamment si ces principes sont compatibles avec une défense des marchés concurrentiels.
II. Réaliser la justice sociale dans un ordre spontané : une impossibilité ?
L’accord moral des libéraux n’implique pas nécessairement de consensus au niveau de l’identification de la forme que doit prendre la société politique. Le concept d’ordre spontané, qu’on trouve chez Hayek, acquiert ici une importance cruciale. En effet, les ambitions distributives du critère de justice impliquent prima facie des interventions gouvernementales régulières au sein de la société et plus particulièrement du fonctionnement économique. L’ordre spontané est-il compatible avec les interventions gouvernementales qui semblent nécessaires pour réaliser les principes de justice ?
Un ordre peut être dit spontané lorsqu’il est constitué (i) d’un grand nombre d’éléments, (ii) en constante interaction, (iii) rendant impossible la centralisation de l’information et (iv) présentant une dimension adaptative[7] importante. Il faut distinguer la spontanéité et la naturalité puisqu’un ordre apparaît au sein de règles juridiques constitutives, qui permettent aux éléments de l’ordre de se coordonner et de former des anticipations stables. Hayek (1973) développe une théorie relative à la nature des règles nécessaires à l’émergence d’un ordre spontané (généralité, abstraction, semi-permanence, caractère public). Le concept d’ordre spontané est avant tout descriptif, pour Hayek, c’est-à-dire qu’il fixe les limites vis-à-vis de ce qu’il est possible de réaliser. Un ordre spontané ne peut être, du fait des caractéristiques précitées, guidé comme un automate de façon à réaliser des fins particulières. La quantité d’information véhiculée dans les sociétés modernes, couplée au fait que de nouvelles connaissances locales et circonstanciées sont découvertes en continu dans des processus d’adaptations réciproques, rend le pilotage direct de tels ordres impossibles. On peut donc connaître les principes d’une société juste sans pour autant savoir comment les mettre en place. Des interventions bien intentionnées peuvent être condamnées à produire l’inverse de ce que le législateur visait. Pis encore, une société organisée selon les principes de justice de Rawls et mettant en place des politiques visant à réaliser ces principes peut produire une situation pire qu’une société qui n’est pas organisée en vertu de ces critères, et cela selon ces critères eux-mêmes.
Sunstein (1997, chap. 11) illustre ces paradoxes avec l’exemple de la régulation étatique auto-destructrice[8]. Trois exemples permettent de spécifier ce point. Le premier est celui de la surrégulation (overregulation) qui produit l’inverse de ce qui est prévu. Si le législateur met l’accent sur la lutte contre la pollution et met en place une loi extrêmement stricte sur les émissions de pollution (l’exemple de Sunstein est le Clean Air Act, sous Nixon), de nombreuses entreprises seront immédiatement touchées, et deux phénomènes apparaissent. D’une part, la contestation systématique des entreprises aux tribunaux, produisant une série d’analyses coût-bénéfice venant contester la régulation ; d’autre part, la réticence de l’administration à faire appliquer une loi dont elle sait pertinemment que le coût d’application est plus élevé que les moyens dont elle dispose. En surrégulant on produit ainsi une sous-régulation puisque la loi en question risque de ne pas être appliquée. Le deuxième exemple est celui de la régulation des risques liés à de nouvelles technologies. En faisant en sorte que les nouvelles technologies passent par un processus d’autorisation de mise sur le marché beaucoup plus rigoureux que les anciennes, on empêche certains produits dangereux d’advenir sur le marché, mais on favorise également les anciens produits, déjà présents sur le marché, et dont le coût d’expulsion est plus élevé, sur lesquels les consommateurs se rabattent. En voulant diminuer les risques liés à l’apparition d’un nouveau produit, on augmente en fait les risques agrégés du fait de l’adaptation des comportements individuels, qui se rabattent sur d’anciens produits plus dangereux. Le dernier exemple est celui des régulations sur la distribution de revenus. Selon Sunstein, certaines politiques visant à améliorer le statut des plus pauvres produisent en fait une situation plus mauvaise pour ceux-ci. Deux implications de la microéconomie standard sont relativement évidentes. D’une part, les régulations sur le salaire minimum, en introduisant un niveau minimal, produisent du chômage. Elles rigidifient le marché du travail, empêchant les entreprises de recruter en-dessous de ce niveau. D’autre part, le contrôle des loyers produit une pénurie de logements, en limitant les incitations à la mise en location au profit d’usages alternatifs, ainsi que la construction de nouveaux logements par les promoteurs, puisque les gains sont limités. Indépendamment du fait de savoir si ces faits sont empiriquement vérifiés[9], ces exemples montrent qu’il est tout à fait possible, et même largement courant, que des régulations étatiques produisent l’exact inverse de ce qu’elles prétendent faire.
Brennan (1997) développe cet argument contre les préférences de Rawls pour des arrangements sociaux dans lesquels les libertés économiques sont encadrées. Il développe le cas de deux mondes : le monde juste (FairnessLand) de Rawls, et le monde de Pareto Supérieur (ParetoSuperiorLand). Le monde juste de Rawls est un monde cherchant à maximiser la situation du moins bien loti, en limitant les gains des plus riches s’ils ne sont pas avant tout à l’avantage des plus pauvres ; alors que le monde Pareto Supérieur est celui qui, par définition, implique des gains mutuellement avantageux même si l’inégalité produite par les gains implique que le pauvre peut moins gagner que le riche lors du passage d’une distribution initiale à une distribution postérieure. Il suffit que dans le monde Pareto Supérieur la productivité liée à une plus grande efficacité économique soit plus importante que dans le monde de Rawls pour que, sur le long terme, il soit préférable d’être un pauvre dans le monde de Pareto plutôt que dans celui de Rawls, alors même que le monde de Pareto ne cherche pas à réaliser le principe de différence. Cela est le cas, selon Brennan, car le niveau de richesse globale est plus élevé, au bout d’un certain temps dans le monde Pareto Supérieur, ce qui implique que les plus défavorisés sont plus avantagés. L’argument de Brennan repose sur l’idée qu’il existe fondamentalement un arbitrage entre égalitarisme et efficience économique.
Les arguments tirés de Sunstein et de Brennan nous servent à clarifier un point : la complexité des ordres sociaux et les institutions propices aux marchés concurrentiels et la complexité des ordres spontanés semblent entrer en conflit avec le réquisit d’un interventionnisme pour instituer l’égalité. L’attrait moral des principes de justice de Rawls implique cependant d’aller plus loin que les constats d’une difficulté à intervenir pour réaliser les principes de justice. Est-il possible de rendre compatible les apports de la théorie de l’ordre spontané qu’on retrouve chez Hayek avec la théorie de la justice sociale proposée par Rawls ? Peut-on montrer que le caractère spontané des ordres sociaux et économiques du libéralisme ne constitue pas un obstacle insurmontable pour la réalisation des principes de justice mais au contraire une condition de réalisation ? C’est précisément ce que propose Tomasi en défendant un nouveau programme de recherche, qu’il nomme démocratie de marché.
III. La justice sociale dans un ordre libéral spontané : l’apport de la démocratie de marché
Tomasi défend une thèse originale. Non seulement il est possible de proposer une théorie défendant les marchés concurrentiels qui soit en adéquation avec les principes de la justice proposés par Rawls, mais en plus cette théorie est « moralement supérieure » aux autres interprétations desdits principes, y compris celles proposées par le philosophe de Harvard. La démocratie de marché se trouve être la forme la plus aboutie de libéralisme (Tomasi, 2012, 266). Cette position est caractérisée par le fait que l’ordre spontané n’est pas une donnée ontologique indépassable, mais un mode d’organisation sociale. Il s’agit, pour Tomasi, non pas d’intervenir sur les processus économiques de façon à corriger les résultats distributifs, mais d’instituer des règles faisant en sorte que la concurrence produise effectivement des résultats bénéfiques du point de vue des principes de justice. En cela, Tomasi est un partisan explicite de la tradition de l’ordre spontané hayékien. Il reste donc à montrer comment une société donnant une place centrale aux marchés concurrentiels peut réaliser les principes de justice de manière tout aussi, ou davantage, satisfaisante que des institutions sociales-démocrates, qui offrent certes une place au marché et à la concurrence, mais proposent des régulations plus importantes.
Tomasi procède par ordre ascendant d’importance – en suivant donc l’ordre lexical rawlsien –, en traitant d’abord du principe de différence, puis d’égale opportunité, et enfin de maximisation de la liberté. Pour le principe de différence, l’argument prend la forme suivante : on favorise le sort des plus défavorisés, calculé par leur niveau de vie et la richesse à laquelle ils peuvent accéder, en défendant un système de libertés économiques privées, protégé par un gouvernement, capable de maintenir les libertés individuelles et d’instituer les conditions juridiques pour l’existence des transactions, tout en délivrant également quelques biens publics indispensables pour le fonctionnement de la société politique (par exemple des routes, des infrastructures publiques, des écoles, etc.) (ibid., 230). L’effectivité de ces mesures dépend de la validité d’une thèse importante, à savoir celle des bénéfices tirés d’un ordre spontané bien régulé. Rien ne garantit qu’un ordre spontané laissé à lui-même ne produise des résultats bénéfiques, car les résultats généraux de ce type d’ordre dépendent des règles qui structurent l’ordre sans pour autant déterminer strictement les résultats. Comme l’indique Hayek, on ne peut aboutir qu’à des prédictions de types (pattern predictions) plutôt que de détails (Hayek, 1955, 15). Pour que l’ordre du marché produise des résultats bénéfiques, il faut donc s’assurer que les règles soient bien instituées, et qu’elles permettent, notamment du fait d’une concurrence réduisant les situations de pouvoir centralisées, d’augmenter le niveau de vie de chacun et notamment des plus pauvres. Les situations de pouvoirs centralisés sont des positions de pouvoir sur le marché, dont l’exemple le plus explicite est le monopole. Plus largement, il s’agit de tous les cas dans lesquels un individu ou une firme peut profiter d’une rente sur le marché, du fait d’un avantage permis par une concurrence insuffisante – et donc d’une mauvaise régulation. Il s’agit d’instituer les conditions pour que les individus puissent faire preuve de leur créativité et de leur inventivité, favorisant ainsi une croissance pour tous.
On peut développer cet argument en trois temps pour en montrer la désirabilité. Un ordre spontané libéral qui vise la réalisation du principe de différence est fondé sur (i) une efficience productive et informationnelle, qui alloue efficacement les ressources et encourage la croissance à un niveau agrégé ; (ii) la protection des libertés privées des individus et donc la possibilité pour chacun, notamment les plus pauvres, de participer au jeu économique et d’en bénéficier ; et (iii) le respect de la dignité des personnes en garantissant la capacité d’autodétermination des fins, puisque chacun se trouve pouvoir être l’auteur de sa propre vie (self-authorship). L’argument n’est pas différent de celui qu’on retrouve chez Hayek (1960, 1976), qui insiste également sur les aspects intrinsèquement bénéfiques de l’ordre spontané libéral constitué par de bonnes règles et un rôle de l’État en dernier recours pour soulager les perdants du jeu économique (par exemple, avec un revenu universel[10]). Dans ce cadre, le principe de différence est maintenu avant tout par un design institutionnel a priori, plutôt que par des redistributions ex post. Un marché concurrentiel bien institué est un marché qui implique une distribution des richesses à l’avantage de tous en multipliant les opportunités d’échanges mutuellement avantageux.
Cette réponse est « démocratique » en plus d’être pro-marché, car elle favorise la production et l’échange de biens que les individus eux-mêmes valorisent. Le marché constitue la sphère d’autonomie vis-à-vis du pouvoir politique, et permet l’expression des préférences individuelles, réalisant de ce fait ce que les individus considèrent comme ayant de la valeur. Les libertés économiques, dans un système bien réglé, sont censées bénéficier directement aux plus pauvres, plutôt que de bénéficier aux plus riches avant de ruisseler vers les plus pauvres. La démocratie de marché s’oppose de ce fait à la démocratie électorale, dans le sens où la démocratie électorale peut être capturée par des intérêts particuliers et des groupes de pression, imposant une fin particulière comme le télos de l’organisation sociale[11]. A contrario, la démocratie de marché permet aux individus de directement réaliser les fins qu’ils considèrent valides sans pour autant être contraints par la volonté d’autrui, qu’il s’agisse de la volonté arbitraire d’un individu ou de fins publiques se réclamant du bien commun, en limitant les incursions du pouvoir politique.
Bien évidemment, cette position suppose plusieurs thèses empiriques et normatives, relatives au fait que des marchés concurrentiels puissent effectivement améliorer la position des plus démunis, et à la désirabilité morale de la forme d’autonomie et d’émancipation proposée dans la version du libéralisme de Tomasi – je reviens sur ce dernier point à la fin de l’article. La question empirique demeure, dans le cadre de l’ouvrage de Tomasi, irrésolue. Il n’existe, en effet, pas de lois sociologiques ou économiques générales et universelles, indépendantes des arrangements sociaux, qui puisse permettre de dire avec certitude si les principes de justice seront mieux réalisés empiriquement dans une société telle que la démocratie de marché plutôt que dans une démocratie sociale. Néanmoins, la même objection fonctionne également pour la théorie sociale-démocrate. Il suffit ici de présenter une théorie idéale qui puisse avoir la même désirabilité morale[12].
L’égalité d’opportunités suppose que chaque individu connaît des chances équitables d’accéder aux positions sociales valorisées. Rawls spécifie parfois ce critère en indiquant que deux individus également capables doivent pouvoir, et ce, indépendamment de leur position sociale d’origine, avoir la même chance d’accéder à une position sociale donnée. Les opportunités sont définies en termes d’équité, et non pas de résultats, puisque tout le monde ne peut pas faire la même chose. En d’autres termes, chaque individu possède, en droit, une possibilité d’accéder aux positions désirées, mais les préférences et compétences des individus opèrent une dispersion des choix individuels. Cela revient à neutraliser tous les facteurs moralement non-pertinents, comme le fait d’être né blanc ou noir, dans une famille riche ou pauvre, d’être le premier ou le troisième de la fratrie, etc. La compréhension de Tomasi est légèrement différente, puisqu’il refuse de corriger ces « faits de la vie » (ibid., 238). Rechercher à corriger systématiquement toutes les inégalités injustes, tous les aléas de l’existence, nous entraîne sur la voie d’un contrôle centralisé de la société, qui rompt totalement avec le principe de l’ordre spontané. L’égalitarisme de la chance – incarné, pour Tomasi, par quelqu’un comme Cohen (2008) –, comme une interprétation radicale du principe rawlsien, doit donc être classé hors du libéralisme. L’interprétation du principe d’égale opportunité doit donc être différente. Tomasi propose de garantir la préservation d’un cadre constitutionnel dans lequel les individus peuvent échanger comme libres et égaux. L’accent est mis non pas sur l’offre de services publics offrant, idéalement, les mêmes chances pour tous, mais sur des règles qui favorisent l’apparition de tels services par le biais des marchés concurrentiels, étant entendu que les marchés produisent ce que les individus désirent réellement. L’objectif n’est donc pas de maximiser les opportunités, de façon à octroyer à tous une probabilité identique à niveau de départ égal, mais de maximiser le nombre d’opportunités offertes à l’ensemble des individus, en produisant une diversité de positions effectivement ouvertes à tous car « dans ces sociétés l’opportunité individuelle constitue le cœur de la vie économique » (ibid., 246). Un compromis (trade-off) doit donc être effectué entre maximisation des opportunités permis par un système libéral concurrentiel et égalisation des conditions. Cette dernière conduit, si elle est réalisée de manière extrême, à la planification et donc à la destruction des marchés qui font la vitalité des sociétés libérales[13].
L’argument ne repose pas uniquement sur une croyance, empiriquement non démontrée, que la concurrence produit bien, sur le long terme, une égalisation des conditions, mais aussi et surtout sur un argument moral. Il ne s’agit pas uniquement de défendre une liberté et une égalité formelles, ce qui est la tare du libéralisme classique au XIXe siècle, rendant la critique de Marx partiellement légitime. Les institutions de marchés concurrentiels encouragent réellement la production d’opportunités pour les individus tout en réalisant les idéaux de la tradition libérale, en favorisant les capacités d’auto-détermination[14] et d’agentivité des individus, plutôt qu’en leur accordant un statut sans leur laisser la possibilité matérielle – lorsque les individus participent à la coopération sociale par le marché – de le réaliser d’eux-mêmes.
Venons-en au troisième principe. Le principe de maximisation des libertés est le plus important, selon l’ordre lexical. Pour Tomasi, la protection des individus ne se réalise pas d’abord contre l’arbitraire de la vie économique et la soumission à la volonté d’autrui (dans le salariat par exemple), mais avant tout contre la volonté arbitraire du gouvernement et la tyrannie de la majorité. Le principe est interprété comme une défense de la rule of law, à savoir de la généralité de la loi, empêchant des changements arbitraires ou rétroactifs du droit, qui produit une faillite des anticipations individuelles et donc la possibilité pour chaque individu de réaliser ses fins et ses plans[15]. Il faut se rappeler ici du poids donné aux libertés économiques dans le cadre de la démocratie de marché. Les libertés économiques n’ont pas uniquement un rôle instrumental pour la production économique, mais sont fondamentales pour la réalisation de soi. La majorité de nos choix journaliers relèvent des choix économiques, et ces libertés ne peuvent passer au second plan. Les choix de consommation possèdent, en effet, une visée instrumentale en vue d’autres finalités. J’achète une montre à offrir à ma fiancée, en vue d’exprimer matériellement l’attachement à notre relation, ou du vin à un dîner avec mes amis pour participer à la collectivité que je forme avec ceux-ci. Tomasi défend que les libertés économiques sont une composante incontournable des bases du respect de soi et de l’agentivité, qui ne sont pas mises en avant chez les héritiers sociaux-démocrates de Rawls. On ne peut prétendre rendre les individus plus libres en les empêchant de faire des choix privés pour eux-mêmes, ce qui arrive quand on restreint le domaine du marché par des régulations trop importantes, ou en instituant un service public qui fait les choix pour les individus (ibid., 251)[16]. En défendant les libertés économiques, Tomasi argumente que la concurrence permet aux individus de développer leurs capacités morales d’auto-détermination, et ainsi de s’émanciper de la domination à la fois d’un gouvernement mais aussi des autres individus. L’égalisation des libertés est produite par une constitution qui incite la création d’un ordre spontané dans lequel les libertés individuelles sont préservées et encouragées. Il faut donc comprendre l’ordre spontané avant tout comme un mode de gouvernement, qui implique de gouverner par des règles, ce qui s’oppose au pilotage des processus économiques et sociaux (Colin-Jaeger, 2021b).
En défendant cette position, Tomasi prétend que son interprétation des principes de justice de Rawls consiste en une utopie tout aussi réaliste que les autres alternatives généralement favorisées, y compris par Rawls lui-même, tout en respectant les limites à l’intervention politique mises en avant par Hayek. De plus, Tomasi défend que cette interprétation est plus désirable moralement, en ce qu’elle offre un plus grand rôle aux droits économiques individuels (le droit de contracter librement, de propriété, de consommer), qui doivent être considérés pour des raisons avant tout morales, au vu de leur importance pour le florissement individuel. La démocratie de marché encourage, en effet, la réalisation de soi par le truchement du libre exercice des libertés privées, rendant possible le fait d’être l’acteur de sa propre vie et de se réaliser soi-même par le biais de ses choix privés.
IV. Une tentative/proposition de réconciliation qui éclaire les divisions profondes de l’idéologie libérale
Freeden (1996, 141), dans son analyse du libéralisme comme idéologie, souligne que le libéralisme est un ensemble d’idéaux qui mènent à des conflits lorsque ceux-ci doivent être réalisés, d’autant plus lorsque cette réalisation est simultanée. L’entreprise de réconciliation, proposée par Tomasi, entre les théories de Rawls et de Hayek n’échappe guère à ce diagnostic. Dans cette partie, je défends que sa position révèle des tensions profondes au sein du libéralisme, tensions dont j’identifie trois sources : la compréhension de l’auto-détermination et de l’individu qui la sous-tend ; la défense de l’égalité comme maximisation du nombre des opportunités ; et enfin la conception de la liberté comme émancipation du pouvoir politique. Ces trois problèmes sont autant de déclinaisons d’une difficulté fondamentale du libéralisme, à savoir : qui doit être le sujet libéral ? Quelle conception de l’individu doit prévaloir dans le libéralisme ? En somme, la réconciliation entre Rawls et Hayek se fait au prix d’une interprétation spécifique des valeurs cardinales du libéralisme, rendant visible les divisions profondes internes au libéralisme comme philosophie politique. Ma thèse, dans cette partie finale, est que la réconciliation opérée par Tomasi suppose des choix difficiles entre les différentes conceptions libérales incompatibles entre elles.
Commençons par la conception de l’auto-détermination. L’argument moral de Tomasi consiste à soutenir que les individus valorisent la défense de leurs droits économiques, notamment parce que leurs choix économiques privés constituent la majeure partie de leurs décisions et participent de leur capacité d’être les auteurs de leur propre vie et, ainsi, de se réaliser en tant qu’individus. Pour cela, il faut favoriser les marchés concurrentiels, qui offrent le plus de latitude aux individus pour réaliser des choix différents et atteindre ce qu’ils valorisent réellement. L’auto-détermination est considérée comme la possibilité, pour les individus réels, de mener leur vie comme ils l’entendent, étant entendu qu’une plus grande variété de choix correspondants à leurs préférences est offerte par une société de marché. Cette position, argumentée, se heurte à mon sens à trois problèmes intrinsèquement liés : le problème du statu quo, le problème des conditions de formation des préférences, et le problème de la distinction entre marché et forum.
Le premier problème est celui de la justifiabilité des institutions politiques et économiques actuellement existantes. Une des particularités notables de la position de Rawls – particulièrement à partir de Libéralisme Politique – est d’insister sur le concept de raisonnabilité (reasonableness)[17]. Le concept de raisonnabilité est solidaire de la thèse selon laquelle la légitimité des principes organisant la société – les principes de justice – dépend du caractère justifié et justifiable de ces principes auprès des individus de cette société. Pour que cet accord puisse être unanime, il est nécessaire d’introduire une dose d’idéalisation, c’est-à-dire de ne pas considérer les individus réellement existants hic et nunc, mais les individus tels qu’ils choisiraient s’ils raisonnaient depuis une position à même de leur permettre de réaliser le point de vue depuis lequel énoncer des principes de justice[18]. Cela suppose la possibilité pour les individus d’adopter une attitude constitutionnelle, c’est-à-dire de faire des choix non pas au sein des règles instituées dans une société donnée, mais de se décider sur les règles de la société. La difficulté ainsi contournée est celle d’une définition des règles sociales qui, établie au sein d’une société déjà existante, tendrait à conduire au statu quo. Une philosophie politique ne peut, si elle veut être normative, être une simple défense du statu quo, qui implique une dépendance au sentier (path-dependency) des préférences des individus. Cela suppose que le marché n’est pas nécessairement l’institution légitime, d’un point de vue normatif, pour décider ce qui est juste et ce qui est bon pour les individus, étant entendu que la capacité constitutionnelle suppose précisément de s’extraire des relations empiriques et des préférences façonnées par notre environnement social. Le marché doit, en effet, dépendre de principes et de règles qui en déterminent la forme. Il faut conserver, dans cette perspective, une place spécifique à la délibération politique pour régler les questions de justice, étant entendu que la délibération politique est le lieu dans lequel les règles peuvent être acceptées par les individus, et que cette délibération (le forum) introduit un type de rationalité discursif distinct de la rationalité qui se réalise sur le marché (Elster, 1986) . L’opposition est reconduite, entre Rawls et Tomasi, entre deux conceptions du libéralisme, l’une mettant l’accent sur la raisonnabilité du sujet libéral, capables de s’extraire des choix économiques et d’une rationalité instrumentale individuelle, par la délibération politique, l’autre insistant sur l’importance des choix effectifs des individus dans les sociétés de marché. Cette opposition fait apparaître deux conceptions différentes du sujet libéral. D’un côté, une théorie – celle dont Rawls est un héritier – qui considère le sujet libéral comme n’étant autonome qu’à condition d’être un partenaire dans une société considérée comme davantage qu’une association ou qu’un simple modus vivendi, mais capable de délibérer avec ses semblables ; de l’autre, une théorie – celle qu’actualise Tomasi à la suite de Hayek – qui considère que l’autonomie passe par la défense de l’individu vis-à-vis de la coercition par l’État, et dont le rôle est de garantir une sphère de décision privée la plus large possible. Cette sphère privée est maximisée, au sein de cette tendance, dans l’exercice de la décision privée sur des marchés concurrentiels.
Les mêmes différences entre un libéralisme mettant l’accent sur l’autonomie des sujets raisonnables et les individus actuels est reconduite dans la défense de l’égalité d’opportunité lorsque celle-ci est définie comme une maximisation quantitative. Nonobstant que la maximisation des opportunités ne nous dit rien de la qualité de ces opportunités, notamment pour les individus les plus défavorisés, la maximisation du nombre d’opportunités se heurte à deux problèmes, l’un qualitatif, l’autre en termes de capabilités. Le problème qualitatif peut se formuler de la manière suivante. On se représente que l’ensemble d’opportunités d’un individu travaillant dans un fast-food est augmenté à partir du moment où il peut également travailler pour d’autres métiers précaires et mal payés. Dans un cas on a, O(a) = {A}, dans l’autre O(a’) = {A, B, C}, où O(a) représente les opportunités d’un individu donné, et A, B et C représentent des opportunités, dans mon exemple des emplois. On aurait du mal à défendre ce critère purement quantitatif, sans ajouter qu’il faut, pour que O(a) < O(a’), qu’au moins une des alternatives de O(a’) soit supérieure qualitativement, pour l’agent ou selon un critère autre, à A. En d’autres termes, l’agrandissement de l’ensemble des opportunités ne peut, seul, donner lieu à parler d’une amélioration. De plus, l’augmentation factuelle des opportunités données à un individu pris au hasard n’est un gain que si les opportunités peuvent être effectivement saisies, ce qui suppose que les individus possèdent les capabilités à même d’identifier les opportunités. Ce problème est connu depuis la critique des biens sociaux premiers de Rawls par Sen. L’argument est le suivant : les biens sociaux premiers, que sont par exemple les libertés égales et les aspects sociaux économiques, dont l’accès à des opportunités, demeure formels sans prendre en compte les possibilités pour chaque individu de jouir de ces biens premiers. L’exemple à partir duquel Sen développe cette théorie est la pauvreté implique une difficulté plus importante pour les individus en situation de précarité de jouir des opportunités offertes par une société donnée. Sen (2002, 221)[19] énonce ainsi :
Il faut tenir compte du fait que nombre de « pauvres », en termes de revenus et d’autres biens premiers, présentent également des caractéristiques – âge, handicap, mauvais état de santé, etc. – qui leur rendent plus difficile la conversion des biens premiers en capabilités de base, telles que la capacité de se déplacer, de mener une vie saine et de prendre part à la vie de la collectivité.
L’implication de cette critique est fondamentale, puisque la hausse des opportunités objectives, si elle n’est pas accompagnée de politiques visant la formation de capabilités individuelles, et donc prenant en compte la façon dont les personnes peuvent transformer les opportunités formelles en modifications de leur mode de vie, produit directement un effet Matthieu, à savoir que la multiplication des opportunités objectives ne bénéficie qu’à ceux qui sont déjà dotés en capital et capables d’identifier les opportunités pour en tirer profit. La répugnance de Tomasi à vouloir corriger directement les « choses de la vie », à savoir les inégalités antécédentes à la multiplication des opportunités par la centralité des marchés concurrentiels, est solidaire de la thèse selon laquelle l’autonomie individuelle se construit par la concurrence et la liberté privée, plutôt que de celle selon laquelle une concurrence juste n’est possible qu’à partir du moment où les conditions minimales de participation active à la coopération sociale sont garanties (Rawls, 2001, §7.3). Dans le cadre d’une prise en compte de ces problèmes, la maximisation quantitative des opportunités ne peut valoir qu’au sein d’un système qui garantit au préalable les bases minimales de l’autonomie individuelle de manière positive, ce qui nous conduit à mon dernier point.
La liberté, pour Tomasi et à la suite de Hayek, est avant tout définie comme une émancipation vis-à-vis du pouvoir politique et comme la préservation d’une sphère individuelle privée. Cette conception fondamentale est largement ancrée dans l’histoire du libéralisme, qui s’est défini par la défense des libertés individuelles contre les interférences ou les ingérences du pouvoir politique et du corps public. Le libéralisme s’oppose dans ce cadre à la domination politique. Tomasi prévoit, pour la mise en œuvre de sa conception de la démocratie de marché, l’institution de garanties constitutionnelles limitant l’extension de l’activité du gouvernement, afin de préserver les sphères individuelles des interférences produites par les interventions étatiques. Cependant, les formes de domination émergeant dans les domaines privés ne font pas l’objet, chez Tomasi, d’une acuité critique semblable, alors même que la conception de la liberté mobilisée pourrait y donner lieu. La conception qu’on trouve chez Hayek ou Tomasi est plus forte qu’une simple liberté comme absence de coercition ou non-interférence, mais rejoint la théorie néo-républicaine qu’on trouve chez Pettit (2001) de liberté comme non-domination, qui renvoie à l’idée de l’impossibilité d’être soumis à la volonté arbitraire d’autrui (Irving, 2021).C’est ainsi qu’on peut comprendre la défense de la concurrence dans la sphère marchande, ou les critiques adressées au pouvoir de l’État et du gouvernement, ainsi que la défense de la rule of law. Il ne faut pas uniquement que l’État n’interfère pas avec les affaires des individus, mais qu’il n’ait pas le pouvoir de le faire, en étant contraint par la forme que doit prendre la régulation libérale. Le salariat, fondé sur la disparité des dotations initiales, est compris comme, au mieux, un mal nécessaire ou bien comme justifié par le fait que des marchés concurrentiels éliminent systématiquement les formes d’oppressions, en donnant le pouvoir aux employés de changer de métier. Pour autant, la distinction entre public et privé est poreuse lorsque l’objet considéré est le travail. En effet, les relations sociales salariales constituent tout autant le suc de la vie sociale que les modes d’organisations du vote ou de la démocratie : elles sont également politiques (Richard, 2019). Pourquoi, alors, devraient-elles se soustraire à la critique libérale de la domination politique ? La conception de la liberté comme émancipation suppose que la liberté est maximisée lorsque les obstacles institutionnels et politiques sont levés, et se trouve être fondamentalement une conception négative de la liberté comme absence d’interférence, que Tomasi partage avec Hayek. Elle s’oppose à une conception positive, attentive aux conditions sociales et politiques de la réalisation de la liberté individuelle, qui s’illustre en partie chez Rawls par le fait que les marchés doivent être subordonnés à des conceptions égalitaristes. Une disparité de richesse importante mène en effet à la domination sociale – par des négociations trop asymétriques dans la relation de travail – et politique – par la formation d’une nouvelle classe favorisée à même d’orienter l’agenda politique d’une société donnée (ibid., §13.2). La réconciliation proposée par Tomasi se rend ainsi aveugle, en étant avant tout attentive à l’émancipation individuelle vis-à-vis du pouvoir public, aux dominations inhérentes à l’apparition de marchés concurrentiels. Cela est le pendant de son interprétation spécifique de ce qui constitue le sujet libéral.
Conclusion
J’espère avoir montré, par l’étude de ces trois problèmes, comment la réinterprétation de la justice sociale dans le cadre d’une défense des marchés concurrentiels met en lumière les tensions fondamentales inhérentes au libéralisme. La proposition de réconciliation entre les thèses de Rawls et de Hayek élaborée par Tomasi, se fait au prix d’une prise de position relative aux valeurs fondamentales du libéralisme, qui, in fine, aboutit à une conception plus favorable au libéralisme de Hayek. L’opposition n’est pas tant celle entre l’existence de marchés compétitifs et la justice sociale – comme je l’ai montré, la défense des marchés concurrentiels implique, chez Hayek, des arguments faisant appel à une conception de la justice sociale, souvent proche de ce qu’on peut trouver chez Rawls ; et, à l’inverse, Rawls ne s’oppose jamais totalement à l’existence de marchés concurrentiels, pourvus qu’ils se déploient dans certaines limites. Cette opposition porte davantage sur l’interprétation fondamentale des principes constitutifs du libéralisme comme idéologie, à savoir la conception de la personne, de l’autonomie et de l’émancipation. Chez Rawls, ces concepts prennent place au sein d’une théorie qui maintient l’idéal d’un individu autonome capable de délibération publique et de coopération sociale dans la sphère politique. Chez Hayek et Tomasi, le libéralisme est compris comme une théorie maximisant avant tout l’espace de décision privé des individus, émancipés du pouvoir souverain et de sa coercition arbitraire, dont le mode relationnel est celui de la négociation privée plutôt que de la délibération (Valentini, 2012). Cette opposition séminale aboutit à deux conceptions distinctes de la justice sociale, l’une défendant la nécessité d’établir les conditions socio-économiques propices à la coopération politique et à l’autonomie des personnes[20] ; l’autre considérant que la régulation concurrentielle aboutit à une distribution du pouvoir, des opportunités et des richesses, à même de promouvoir la liberté et l’auto-détermination.
L’objectif de cet article était triple. En premier lieu, faire connaître en français des débats peu connus et discutés au sein du libéralisme, entre des positions défendant la justice sociale et d’autres les marchés concurrentiels, dont les figures tutélaires dans les débats contemporains sont John Rawls et Friedrich Hayek. En second lieu, j’ai monté que cette opposition est à bien des égards trompeuse, car elle relève ou bien d’une mauvaise compréhension des critiques de certaines conceptions de la justice sociale et d’une ignorance de la dimension justificative de toute défense du marché, ou bien de l’ignorance des propositions contemporaines cherchant précisément à résorber ce fossé théorique. J’ai illustré cette dernière position par une lecture de certaines thèses de John Tomasi. En dernier lieu, j’ai montré que les tentatives de réconciliations entre libéralisme de marché et libéralisme égalitariste réintroduisent, au niveau des valeurs, les tensions constitutives du libéralisme comme idéologie. Les tentatives de réconciliation entre deux branches du libéralisme – qui remontent, de manière plus lointaine à l’opposition entre le libéralisme de Mill et celui de Bastiat, celui de Dewey et celui de Spencer[21] – déplacent les tensions plutôt qu’elles ne les résolvent, et laissent ainsi ouvertes toute une série de questions de recherche au sein du libéralisme.
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[1] Je remercie les participants du séminaire « Comment peut-on être libéral ? », organisé par Marc Goetzmann et Stanislas Richard, les 2 et 3 septembre 2021, pour les commentaires et remarques sur une première version de cet article. Je remercie également les deux relecteurs anonymes pour leurs commentaires avisés et informés qui ont participé à l’amélioration de cet article.
[2] Gamel (2009) et Lister (2013) montrent ainsi à quel point Hayek et Rawls peuvent être rapprochés sur ce point. Plusieurs travaux récents se proposent de rapprocher théoriquement les travaux de Rawls et de Hayek, au premier rang desquels, au-delà de Tomasi (2012), auquel je consacre une partie substantielle du présent travail, on peut citer Melkevik (2020) et Cowen (2021), à la suite des travaux pionniers de Gaus (2011). Sugden (1993) met en avant la dimension de justification normative des analyses hayékiennes. Levy et Peart (2020) et Colin-Jaeger, Dold et Gascoin (2022) travaille les rapprochements entre Rawls et un autre penseur emblématique du libéralisme classique au XXe siècle, à savoir l’économiste James Buchanan.
[3]Sur cette critique de la planification, et la dimension aussi bien politique qu’économique de l’argument de Hayek, voir Colin-Jaeger (2021a).
[4]On retrouve, d’ailleurs, cette même critique de l’idée de mérite chez Rawls, avec une critique explicite de la conception méritocratique (Rawls, 1971, 137).
[5]Le principe de différence, plus particulièrement, a été l’objet d’une série d’interprétations et de discussion impressionnante. Voir, sur ce point, Van Parijs (2003) pour un remarquable travail de synthèse. Par ailleurs, les spécialistes de Rawls peuvent noter que dans le second principe les deux parties ont été inversées vis-à-vis de ce qu’on trouve dans la Théorie de la justice.
[6]Pour une étude historique des proximités entre Buchanan et Rawls, voir Jackson et Stemplovska (2021). Pour une étude conceptuelle allant plus loin que le présent article, voir Colin-Jaeger, Dold et Gascoin (2022).
[7]Pour une présentation plus développée de ce concept chez Hayek, on pourra lire, en français, Bourdeau (2014).
[8]J’utilise ici les exemples de Sunstein pour illustrer l’argument de Hayek, mais ma présentation n’est pas fidèle à l’esprit du texte, puisqu’en effet Sunstein défend la nécessité de régulation, mais comme devant prendre une forme spécifique (des règles générales incitatives) pour respecter la nature complexe de l’ordre économique dans les sociétés libérales.
[9]Pour la régulation sur le salaire minimum, Sunstein reconnaît que la question est très largement débattue en économie expérimentale, puisque les marchés réels ne se conforment que peu aux modèles microéconomiques standard. Il en va par ailleurs de même pour le marché immobilier dans la plupart des grandes villes. Sur ce dernier point, voir l’article de Marc Goetzmann dans le présent dossier.
[10]Hayek (1976, 105) : « Il n’y a pas de raison pour que le gouvernement d’une société libre doive s’abstenir d’assurer à tous une protection contre un dénuement extrême, sous la forme d’un revenu minimum garanti, ou d’un niveau de ressources au-dessous duquel personne ne doit tomber. » Le revenu universel joue le rôle d’option exit de dernier recours, qui affaiblit les positions de pouvoir sur le marché du travail : aucun individu n’est absolument captif de son employeur.
[11]La référence sur ce point est bien sûr l’école du Public Choice, dont l’ouvrage fondateur est Buchanan et Tullock (1962). Au contraire, la démocratie de marché implique une décentralisation de la prise de décision, en faisant des marchés un véhicule de la raison publique. Nous développons les différentes recatégorisations de la démocratie par les néolibéraux, dans la continuité de cet argument, dans Colin-Jaeger et Verlengia (2020).
[12]À la question de savoir si le régime concurrentiel est conforme aux principes de la justice, et notamment si le régime de propriété privée est supérieur à un socialisme de marché, Rawls exprime qu’il « n’y a probablement pas de réponse générale à cette question puisqu’elle dépend, pour une large part, des traditions, des institutions et des forces sociales propres à chaque pays ainsi que du contexte historique particulier. » (Rawls, 1971, 314). Rawls prend par la suite position pour la démocratie de propriétaire (voir Rawls, 2001).
[13]Pour une défense récente de l’idée d’une maximisation des opportunités d’échanges mutuellement avantageux dans une société libérale caractérisée par des marchés concurrentiels, voir Sugden (2018).
[14]Je traduis self-authorship improprement par autodétermination, mais en français l’expression idoine serait : « être auteur de sa propre vie. » Je choisis de conserver autodétermination pour ne pas utiliser systématiquement de périphrase.
[15]Dans un autre article, je propose de considérer le cœur normatif de la théorie politique de Hayek comme étant constituée par un principe de maximisation des anticipations correctes, ce qui n’est possible qu’au sein d’un ordre réglé et stable. Hayek développe ce critère contractualiste en référence directe à Rawls. Pour plus de détails sur cette position, voir Colin-Jaeger (2021b).
[16]On trouve une discussion du caractère plus ou moins fondamental des droits économiques dans Melkevik (2020, chap. 5).
[17]Pour une synthèse des discussions sur la reasonableness, voir Colin-Jaeger, Dold et Gascoin (2022), notamment la première section.
[18]L’exploration des principes méta-éthiques d’origine kantienne de la raisonnabilité est développée par Korsgaard (1996).
[19]On trouve une spécification de cet argument pour le cas des femmes, chez Nussbaum (1995). Pour une présentation en français des enjeux de la théorie des capabilités, voir Monnet (2007).
[20]Chez Rawls (1986, 13) cela se lit particulièrement dans la défense de la démocratie de propriétaire, dans laquelle il faut « garantir une large dispersion de la propriété des atouts productifs et du capital humain constitué par l’éducation des capacités et des talents dès le début de chaque période », ce qui évite notamment le « contrôle de l’économie, et, indirectement, de la vie politique elle-même » par une petite partie de la société.
[21]Audard (2009) et Freeman (2011) travaillent ces deux traditions internes au sein du libéralisme. Milanèse (2020) étudie également cette division qui se trouve au sein d’un même auteur, Lippmann, qui passe d’un nouveau libéralisme au néo-libéralisme au cours de ses écrits.