Images verbales et images scientifiques dans La Formation de l’Esprit Scientifique (1)
Gauvain Leconte (Université Paris 1, IHPST)
La contradiction entre les critiques et les usages de l’image par Bachelard
Dans le chapitre IV de La Formation de l’esprit scientifique, Bachelard affirme que les images verbales – comparaison ou métaphore – sont des obstacles épistémologiques. De tels obstacles à la connaissance objective ne préexistent pas à l’activité de connaissance, ils ne résultent pas d’une trop grande complexité de l’objet à connaître ou d’un manque de moyens techniques des scientifiques, mais apparaissent à l’occasion même de cette tentative de connaissance.
L’exemple principal d’image verbale étudié dans ce chapitre, celui de l’éponge, est ainsi un cas d’expérience sensible immédiate et simple – une éponge buvant un liquide – qui semble faciliter la description et la compréhension des mécanismes de nombreux phénomènes de condensation, de conduction et de raréfaction, mais qui empêche en réalité ceux qui l’emploient de fournir une vraie explication de ces phénomènes. Ceux-ci espèrent en effet, en étudiant le comparant, acquérir une connaissance sur le comparé, mais en réalité l’usage d’images verbales comme celle de l’éponge a au moins trois fâcheuses conséquences :
- Ces images, en substituant à un objet d’étude dont on fait l’expérience une autre expérience ne permet pas d’en rendre compte théoriquement. On ne fait que passer d’une expérience immédiate à une autre expérience immédiate pour la seule et unique raison que l’une d’entre elle est apparemment « claire et distincte à tel point qu’on ne se sent pas le besoin de l’expliquer »[1] : mais un tel sentiment est sujet à variation de personne à personne ou d’époque à époque et ne saurait en aucun cas être la base d’une connaissance objective.
- Dans l’usage de telles images, il n’existe qu’un lien de ressemblance et non d’identité de propriétés entre le comparant et le comparé. Or, la ressemblance étant dans l’œil de celui qui compare, une seule image peut devenir petit à petit un moyen de regrouper un très grand nombre de phénomènes. L’éponge permet ainsi à Réaumur de rendre compte de la dissolution de l’air dans l’eau, à Franklin des matières conductrices d’électricité, à Lémery des phénomènes de phosphorescence, à l’abbé de Mangin de la fonte de la glace, etc. Proportionnellement à cet agrandissement de l’extension du comparant, son pouvoir explicatif se rétrécit car le comparant, bien loin de révéler les mécanismes spécifiques de son comparé, en nie la nouveauté pour les ramener à des mécanismes qu’il croit déjà connus.
- Enfin, ces images ayant tendance à se substituer complètement à leur comparé, on ne peut plus sortir du domaine de l’image une fois que l’on a commencé par elle une explication. Ainsi Bachelard donne-t-il le cas de l’illustre inconnu père Lozeran du Fesc qui, assimilant la matière du tonnerre à de la poudre à canon, en vient à expliquer la colonne nuageuse donnant lieu à la foudre en la comparant à un canon : « Ainsi la poudre à Canon ne suffisait pas, il fallait le Canon pour que la théorie fût complète. »[2]
Tout le problème de l’usage des images verbales est donc qu’elles suggèrent des explications mais ne permettent d’en formaliser et d’en tester aucune : elles sont ainsi irréfutables et ne donnent lieu à aucune forme de progrès.
Ainsi les images verbales sont à la fois trop particulières parce que leur apparente évidence stoppe net l’effort de recherche des mécanismes et de la formalisation des évidences. Mais elles sont aussi trop générales, parce que plus elles sont simples, évidentes et claires, plus elles tendent à multiplier leurs comparés. Elles peuvent aussi bien, selon leur usage, faire tomber l’esprit scientifique dans les deux tendances dans lesquelles il peut se fourvoyer : « l’attrait du singulier et l’attrait de l’universel » que Bachelard conçoit comme « deux tendances caractéristiques d’une connaissance en compréhension et d’une connaissance en extension »[3] du point de vue conceptuel.
Mais si la connaissance scientifique ne croît ni en extension ni en compréhension sans se fourvoyer, de quelle nature est-elle ? Quelle autre dimension des concepts existe-t-il ? Pour exprimer sa pensée et résoudre ce problème, Bachelard n’a semble-t-il pas d’autre choix que de recourir lui-même à une image :
Il faudrait ici créer un mot nouveau, entre compréhension et extension pour désigner cette activité de la pensée empirique inventive. Il faudrait que ce mot pût recevoir une acception dynamique particulière. En effet, d’après nous, la richesse d’un concept scientifique se mesure à sa puissance de déformation.[4]
Même en s’en tenant à La Formation de l’esprit scientifique, on trouve sous la plume de Bachelard de nombreuses expressions imagées qui ont une apparence plus suggestive qu’explicative. Comment expliquer cela après la critique cinglante que vient d’adresser Bachelard à l’emploie des images ?
De plus, la « puissance de déformation » ici employée pour illustrer cette nouvelle dimension des concepts scientifiques est une expression d’autant plus frappante qu’elle semble se rapporter à une expérience aussi immédiate et simple que celle de l’éponge : c’est celle des mousses, des pâtes et glues que l’on peut étirer sans casser, que l’on peut modeler sans rompre ; bref, c’est l’expérience de ces « objets privilégiés […] qui portent la marque de l’homo faber »[5] qui, toujours selon Bachelard, font souvent l’objet d’images verbales obstacles à la connaissance objective.
On peut faire deux hypothèses pour résoudre cette apparente contradiction du style de Bachelard avec sa doctrine de l’emploi des images :
– Bachelard se propose, dans La Formation de l’esprit scientifique, de réaliser une psychanalyse de la connaissance objective ; or le statut scientifique de la psychanalyse est fort différent de celui de la physique et de la chimie qu’analyse Bachelard, et l’usage des images y est différent, légitime et nécessaire. C’est l’hypothèse la plus évidente, celle qui explique le plus de cas, mais que l’on a tendance à considérer comme la seule existante ou valide.
– Lorsque Bachelard emploie des images il les emploie comme les images scientifiques qu’utilisent les sciences formelles et les sciences de la nature après avoir surmonté l’obstacle épistémologique des images verbales suggestives.
En effet, il suffit de se pencher sur la structure et l’histoire de n’importe quelle branche de la physique pour se rendre compte que dans l’enseignement comme dans la recherche, les scientifiques ne sont pas avares en métaphores et comparaisons, sans que cela semble pour autant créer les problèmes remarqués par Bachelard dans l’usage des images par l’esprit préscientifique. La thèse que je défends ici est que Bachelard emploie certaines de ses images de la même manière que les sciences mathématisées, et non toujours comme un psychologue cherchant à désamorcer les complexes qui peuvent faire obstacle à la connaissance objective. Mon but ici est d’expliquer ce type d’utilisation d’images scientifiques à la fois dans la pratique scientifique mature et dans l’emprunt qu’en fait Bachelard.
Un exemple d’image scientifique : les modèles atomiques.
Afin de comprendre quelles sont ces images scientifiques, il faut se pencher plus précisément sur un exemple d’usage fécond de telles images. Peu de domaines en ont autant employées et ont autant progressé grâce à elles que la théorie de l’atome durant les treize premières années du XXe siècle. Ces recherches, qui touchèrent aussi bien à la chimie qu’à la spectroscopie, sont connues, depuis le début des années 30 comme l’« ancienne théorie quantique »[6] et ne pouvaient être ignorées de Bachelard si l’on considère ses centres d’intérêts.
A partir des travaux de Thomson en 1904, déjà connu pour sa découverte de l’électron sept ans plus tôt, les physiciens et les chimistes cherchèrent à découvrir la structure des particules indivisibles de matière, en employant pour chaque conception une nouvelle image. Thomson admet la « vision d’atomes d’éléments [chimiques] consistant en un certain nombre de corpuscules négativement électrifiés enclos dans une sphère positivement électrifiée »[7], conception qui est imagée par le plum-pudding ou pudding de Noël : les électrons – les corpuscules négativement électrifiés – étant représentés par les fruits secs baignant dans la pâte du pudding qui représente la sphère positivement électrifiée.
Cette image est remise en cause par l’expérience de Rutherford, qui observe en 1911 qu’un petit nombre des particules alpha (de l’ordre de 0,01%) traversant une fine feuille d’or dévient d’angles importants par rapport à l’axe du faisceau. Or un tel résultat expérimental est très peu probable dans un modèle comme celui de Thomson. Rutherford propose alors une autre conception de l’atome : « pour être concret, considérez le passage d’une particule alpha de haute vélocité à travers un atome ayant une charge centrale positive Ne, entourée par une charge équivalente de N électrons »[8], conception qui renvoie explicitement au « modèle saturnien » que le physicien japonais Nagaoka avait déjà proposé en 1904 pour proposer une alternative au modèle de Thomson :
Il est intéressant de remarquer que Nagaoka a considéré mathématiquement les propriétés de l’atome saturnien qu’il supposa consister en une masse centrale entourée d’anneaux d’électrons en rotation. Il montra qu’un tel système était stable si la force attractive était large.[9]
Le modèle proposé par Rutherford fut ainsi rapidement renommé « modèle planétaire » de l’atome, car comme celui de Nagaoka il semble reposer très directement sur une image des électrons « gravitant » autour du noyau atomique comme le cortège des planètes autour du soleil, ou comme des satellites autour d’une planète gazeuse. Cette image eut beaucoup plus de succès que celle du pudding de Thomson : en témoignent tous les sigles officiels représentant l’atome comme un noyau entouré d’orbites circulaires. C’est l’image qui est devenue l’image commune, habituelle et simple de l’atome.
Mais si cette image du système atomique comme un système planétaire est ainsi entrée dans les images scientifiques communes, n’est-ce pas parce qu’elle repose sur un principe simple à retenir, fortement valorisé par l’imagination et pourtant totalement étranger à la science moderne : celui de l’identité entre microcosme et macrocosme ? Cette thèse alchimique et astrologique est un désir très puissant de la connaissance : le monde prendrait la même forme au bout des deux infinis. L’être humain ne serait plus alors perdu, à une place indifférente, entre l’infiniment petit et l’infiniment grand : sa position mitoyenne lui permettrait au contraire de les voir se rejoindre et donc de contempler l’harmonie d’un monde où tout se répond. Comment cette image de l’atome de Rutherford peut-elle s’appuyer sur une telle conception inconsciente et ne pas être pour autant un obstacle épistémologique ? Comment a-t-elle pu être un facteur de progrès scientifique et ne pas tomber dans les travers 1 à 3 de l’usage des images verbales décrits ci-dessus ?
Cette image scientifique présente en réalité trois caractéristiques opposées à ces défauts :
1’. Là où les images verbales dont parle Bachelard ne renvoient pas qu’à une expérience sensible, immédiate et non théorisée, l’image de l’atome de Rutherford s’appuie sur un exemple déjà théorisé et maîtrisé, considéré comme un classique de la culture scientifique. Or en 1911, parler de système planétaire c’est avant tout pour un physicien faire référence aux équations de la gravitation newtonienne. Et il est bien connu que la loi d’électrostatique de Coulomb – qui exprime l’attraction ou la répulsion de deux charges électriques – a une forme analogue à celle de l’attraction de Newton :
Attraction universelle de Newton |
Loi de Coulomb |
FG = G.M1.M2/r² – où M1 et M2 sont les masses des corps 1 et 2 en kilogrammes – où r est la distance entre 1 et 2 en mètres – où G est la constante gravitationnelle et vaut 6,67.10-11 N.m².kg-2 |
FC = kC.q1.q2/r² – où q1 et q2 sont les charges électriques des corps 1 et 2 en Coulomb – où r est la distance entre 1 et 2 en mètres – où kC est la constante de Coulomb et vaut 8,99.109 N.m².C-2 |
Cette similitude n’est pas fortuite : la loi de Coulomb a été construite pour ressembler à celle de la gravitation ; mais elle permet précisément de rapprocher les systèmes planétaires et atomiques. En effet, là où FG s’applique à des masses, FC s’applique à des charges. Or l’électron et le noyau de l’atome d’hydrogène par exemple – c’est-à-dire le proton – ont une charge dont l’ordre de grandeur est bien supérieur à leur masse : la charge du proton en Coulomb (1,6.10-19 C) est en effet cent millions de fois plus grande que sa masse en kilogrammes (1,7.10-27 kg). Cette remarque suffit pour montrer que la force d’attraction entre protons et électrons compte pour nul et que seule doit être prise en compte la force électrostatique. Cette situation est l’exacte réciproque du cas des systèmes planétaires où la charge des corps est globalement neutre et n’intervient pas dans le mouvement des planètes, uniquement dirigé par la force d’attraction newtonienne.
2’. A la différence du cas de l’éponge où faute de théorisation mathématique on ne s’appuie que sur une relation de ressemblance étirant indéfiniment l’extension de l’image, ici on peut évaluer si la relation de comparaison est légitime ou non. On peut, grâce à cette similitude entre les équations du comparant et du comparé, contrôler très précisément l’extension de l’image « système planétaire » et mesurer si elle permet bien de représenter la structure de l’atome. Une des surprises de la découverte de Rutherford fut qu’il calcula que le rayon du noyau de l’atome d’or était de 2,7.10-14 m, alors que le rayon de l’atome est de l’ordre de 1,4.10-10 m (soit dix mille fois plus grand), ce qui signifie qu’un atome est essentiellement constitué de vide. C’est ce fait important que cherche à souligner la comparaison avec le système planétaire. Il suffit de comparer l’ordre de grandeur du rapport entre le rayon du noyau de l’or et le rayon de l’atome d’or à l’ordre de grandeur du rapport du rayon solaire au rayon du système planétaire[1] :
R noyau de l’or / R atome d’or = 2,7.10-14 m / 1,4.10-10 m ≈ 10-4
R Soleil / R Système solaire = 6,9.108 m / 4,9.1012 m ≈ 10-4
Cet ordre de grandeur étant le même on peut bien considérer que les deux systèmes (atomiques et planétaires) peuvent sur ce point se représenter l’un l’autre.
3’. A la différence de l’image verbale préscientifique l’image scientifique est réfutable. Puisque l’on peut déterminer où l’analogie commence on peut aussi déterminer où elle s’arrête. Si la métaphore du système atomique comme système planétaire n’a pas été un frein à la recherche sur la structure de l’atome c’est qu’elle a permis de mettre en lumière des problèmes et non de les dissimuler, comme l’image de l’éponge dissimula des problèmes en physique des gaz et en électricité.
Ainsi, dès 1913, Niels Bohr modifie le modèle de Rutherford pour y intégrer la constante de Planck : l’énergie au sein d’un atome n’est pas émise ou absorbée de manière continue mais discontinue : l’état énergétique de l’atome est constitué de différents états stationnaires correspondant à différentes couches électroniques plus ou moins éloignées du noyau. La transition entre ces états ne suit pas les lois classiques de la mécanique et de l’électrodynamique mais elles valent pour décrire la dynamique des électrons dans ces états[2]. L’analogie avec le système planétaire se trouve donc restreinte, dans le modèle de Bohr, à la description des mouvements orbitaux des électrons, et non à l’évolution des électrons lorsque l’atome émet ou absorbe de l’énergie. De plus, avec la publication de la mécanique ondulatoire de Louis de Broglie en 1924[3], puis de l’équation de Schrödinger en 1926, l’idée même de « corpuscules électriquement chargés » pour décrire les électrons/protons devient caduque. La dualité onde/corpuscule des particules subatomiques détruit l’image simple du corpuscule comme « petit corps » et empêche de comparer sans simplification dangereuse un noyau atomique à une étoile et un électron à une planète : l’image du système planétaire a été réfutée et on a pu sortir du règne de l’image pour aller vers un modèle de l’atome qui n’est même pas imaginable et encore moins représentable par une image verbale : le modèle de l’atome de Schrödinger.
L’image scientifique de l’atome planétaire n’est donc pas dénuée de motifs inconscients qui pourraient en faire un obstacle à la connaissance objective, mais le fait que le comparant soit un exemple scientifique déjà mathématisé empêche son emploi de tomber dans les travers de l’image préscientifique.
D’un point de vue formel, cet usage de l’image est assimilable à la tentative de bâtir un isomorphisme entre modèles. On dit que deux modèles ou structures M et M’ sont isomorphiques si et seulement si il existe une bijection f du domaine de M au domaine de M’ telle que pour n’importe quelle relation R de M, il existe une relation R’ de M’ telle que l’on ait R(x1, …, xn) si et seulement si on a R’(f(x1), …, f(xn)). C’est le cas ici puisque dans la théorie de Rutherford on peut bâtir une bijection les éléments du modèle planétaire et du modèle atomique – d’une part entre les électrons et les planètes et d’autre part entre le noyau et le soleil. De plus, on a montré que la relation de gravitation universelle est aux planètes et soleil ce que la relation de Coulomb est aux électrons et noyau. Il semble donc bien que l’on puisse dire que si f(planète) = électron et f(soleil) = noyau, alors pour FG(planète, soleil) on peut trouver FC(f(planète), f(soleil)) – c’est-à-dire FC(électron, soleil) – dans le modèle atomique.
L’usage scientifique de la métaphore consiste donc en une tentative pour trouver un tel isomorphisme[4], car si on arrive à l’établir on peut être assuré, par les propriétés mêmes de cette application d’une structure dans une autre, que les résultats obtenus sur un des modèles – par exemple les théorèmes de Newton sur les forces centrales – pourront s’appliquer à l’autre.
D’où l’importance que l’image employée en sciences soit scientifique, déjà maîtrisée et théorisée : c’est ce qui permet d’espérer que la comparaison s’accompagne d’un transfert de résultats d’un modèle à l’autre. En soi l’image scientifique n’est pas différente d’une image verbale comme l’éponge : mais le fait qu’elle soit issue d’une culture scientifique, qu’elle soit déjà théorisée, permet d’en faire un usage scientifique différent – car mathématique – des usages que l’on peut faire, à une fin de connaissance objective, des images verbales comme celle de l’éponge.
Enfin, l’intérêt de cette relation d’isomorphisme est qu’elle est évaluable : on peut, par une preuve mathématique ou expérimentale, la réfuter. Elle ne risque donc pas d’embarrasser la connaissance scientifique qui peut s’en débarrasser comme les autres théories.
Ainsi, d’un point de vue cette fois psychologique, on peut caractériser l’image scientifique comme une image psychanalysée par les mathématiques : sans en effacer les complexes et les symboles parfois archaïques comme les rapports entre microcosme et macrocosme, les équations qui rendent possible cette image nous garantissent contre les risques d’une trop grande valorisation de cette image. Elle n’est que métaphore, illustration tenant à distance comparant et comparé, et non suggestion.
C’est exactement la thèse que soutient Bachelard lorsqu’il considère qu’un certain usage des images est légitime, celui qui ne se substitue pas à ce qu’il nomme l’ « abstraction » :
Quand l’abstraction aura passé par là, il sera temps d’illustrer les schémas rationnels. En résumé, l’intuition première est un obstacle à la pensée scientifique ; seule une illustration travaillant au-delà du concept, en rapportant un peu de couleur sur les traits essentiels, peut aider la pensée scientifique[5].
Cette abstraction, Bachelard la détermine très clairement dans le chapitre VI sur l’obstacle substantialiste (qui poursuit en grande partie le propos du chapitre IV) comme une théorisation mathématique. Lorsqu’il étudie le « concept abstrait » de résistance électrique proposé par Ohm, il remarque qu’il n’y a plus rien d’image qui renvoie à des qualités sensibles immédiates dans ce concept, car « la résistance électrique est une résistance épurée par une définition précise ; elle est incorporée dans une théorie mathématique qui en limite toute extension abusive »[6].
[1] En prenant l’orbite de Neptune, dernière des planètes du système solaire, comme limite de ce système, on peut identifier le rayon du système planétaire au demi-grand axe de l’orbite de Neptune qui est de 4,5 milliards de kilomètres.
[2] Cf. BLOCH Eugène, L’Ancienne et la nouvelle théorie des quanta, Op. Cit., p.76.
[3] LAKATOS Imre, « Methodology of scientific research programmes », in Philosophical Papers Volume I, édité par Worrall et Currie, Cambridge, Cambridge University Press, 1995, p.68.
[4] Ou bien trouver un homomorphisme, qui est une relation entre structures identique à l’isomorphisme mais où f n’est pas une bijection mais une injection ou une surjection. A strictement parler, l’analogie entre système planétaire et système atomique est plutôt un homomorphisme qu’un isomorphisme puisque le nombre d’électrons et de planètes n’a pas besoin d’être égal pour que l’analogie fonctionne.
[5] BACHELARD Gaston, La Formation de l’esprit scientifique, Op. Cit., p.78.
[6] BACHELARD Gaston, La Formation de l’esprit scientifique, Op. Cit., p.105.
[1] BACHELARD Gaston, La Formation de l’esprit scientifique, Op. Cit., p.73
[2] BACHELARD Gaston, La Formation de l’esprit scientifique, Op. Cit., p.81.
[3] BACHELARD Gaston, La Formation de l’esprit scientifique, Op. Cit., p.60. L’extension d’un concept est l’ensemble des éléments qui sont regroupés par une ou plusieurs propriétés communes. La compréhension – ou intension – d’un concept est l’énoncé ou l’expression de cette ou ces propriétés. Voilà pourquoi on lit souvent que la compréhension d’un concept est sa définition et donne son extension.
[4] BACHELARD Gaston, La Formation de l’esprit scientifique, Op. Cit., p.60.
[5] BACHELARD Gaston, La Formation de l’esprit scientifique, Op. Cit., p.80.
[6] Cf. par exemple BLOCH Eugène, L’Ancienne et la nouvelle théorie des quanta, Paris, Hermann et Cie, 1930.
[7] THOMSON Joseph John, « On The structure of the atom ». in Philosophical Magazine, série 6, volume 7, numéro 39, Mars 1904, Londres, Taylor and Francis, 1904, p.237.
[8] RUTHERFORD Ernest, « The Scattering of α and β Particles by Matter and the Structure of the Atom », in Philosophical Magazine, série 6, volume 21, mai 1911, numéro 41, Taylor and Francis, Londres, 1911, p.686
[9] RUTHERFORD Ernest, « The Scattering of α and β Particles by Matter and the Structure of the Atom », Op. Cit., p.688.