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Dossier de l’été – Philosophie et arts vivants

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  Dossier de l’été 2013 – coordination : Thibaud Zuppinger

 

La philosophie et les arts vivants

 

L’été est déjà là ! Longtemps attendu (car oui, Implications philosophiques s’occupe aussi de météo) il est maintenant bien installé. L’été c’est l’occasion de rompre le rythme quotidien. C’est le moment idéal pour sortir, voir un spectacle de rue au détour d’une place, une pièce de théâtre, se rendre à un festival attendu avec impatience durant l’année, de se plonger dans les passions exacerbées d’un opéra.

Voilà de quoi passer un été bien rempli et surtout de vivre un été très chargé philosophiquement. Même en vacances il est possible d’interroger le monde qui nous entoure, d’emporter un regard philosophique avec soi.

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Les dossiers de l’été d’Implications philosophiques sont un moment privilégié pour sortir des sentiers « classiques » de la philosophie et de mesurer combien l’expérience ordinaire est tissée d’implications philosophiques. La philosophie, c’est avant tout une capacité à interroger le monde – dans son ensemble, du plus simple au plus complexe, du plus ordinaire au plus exceptionnel, de la théorie éthérée des concepts polies avec soin jusqu’au sol rugueux de la pratique.

 

Dans ce dossier de l’été, notre intention est de rassembler des chercheurs de disciplines différentes, travaillant sur des aires disciplinaires distinctes, mais réunis par leur spécialisation dans ce domaine vaste et mouvant que sont les arts vivants.

Il n’y a guère de problématiques riches qui ne présentent de difficultés intrinsèques. Le rapprochement proposé ici entre la philosophie et les arts vivants n’est pas de ceux qui sont portés par une évidence qui le précède. Plusieurs interrogations sont au cœur du dossier : comment peut-on rendre compte théoriquement des arts vivants ? Quelles approches méthodologiques peut-on déployer pour les appréhender ? Où porter le regard pour saisir ce qui fait précisément l’essence des arts vivants ? Comment réussir à le mettre en mot sans détruire l’objet ?

Il s’agira en particulier de rendre compte du lien entre le spectateur et l’artiste. L’ensemble de ce dossier trouve une unité dans cette conception deweyenne : un spectacle ne devient spectacle qu’à partir du moment où il est regardé. C’est pourquoi la question du sens qui est au cœur de ces pratiques vivantes, sera interrogée en partie à l’aune de l’alternative, provisoire, entre la donation et la réception. Dans la question de la danse, par exemple, c’est le spectateur qui va donner un sens à la danse. Ainsi, chaque personne, en fonction de son genre, de son âge et de son histoire percevra une même chorégraphie de façon différente.

L’une des intentions de ce dossier est également de s’élever contre, ou plus exactement d’indiquer d’autres manières de voir et de penser le rôle du corps du spectateur. Ainsi, loin de l’idée qui postulait que le corps du spectateur idéal serait un corps absent ou mort, Chloé Charliac souligne qu’il convient de garder à l’esprit que :

«  le corps du spectateur est une réalité biologique et psychologique qui fait partie de la situation artistique[1] », ce qui lui confère une place centrale – au même titre que celle occupée par le corps du danseur – dans l’analyse sociologique du spectacle de danse contemporaine.

Cette mise en avant du corps du spectateur apparaît également, dans une autre approche, dans les travaux ici présentée par Anne-Sophie Sayeux. Comment vouloir égarer les sens et la perception du spectateur si l’on occulte sa sensibilité propre, sa corporéitété ? En s’interrogeant sur la perception du spectateur, on comprend à rebours l’intégration de cette corporéité dans le travail et l’intention de l’artiste.

La perspective de ce dossier se veut comparatiste et pluridisciplinaire. Les angles d’approches seront souvent transversaux. Les contributions seront l’occasion d’aborder un regard critique sur les traitements opérés dans les débats contemporains. Par exemple, l’évidence du corps au théâtre a laissé de côté d’autres analyses centrées plus spécifiquement sur les sens.

Pourquoi vouloir s’intéresser à la pratique des arts vivants ? Qu’y-a-t-il à chercher « derrière » le déjà-là et qui porte les arts vivants ? Le vécu subjectif résiste-il à l’objectivation du discours ?

En retour, il s’agira de se demander ce que peut l’écriture. Que faire du matériau brut pour l’analyse ? Comment rendre compte de l’ineffable ? S’agit-il de mieux comprendre ce que l’on fait pour le faire mieux ? La question à l’arrière-plan étant : peut-on continuer à faire bien quelque chose tout en étant conscient de ce que l’on fait ? Il serait alors intéressant de se poser la question dans une perspective éthique : développer chez le spectateur sa capacité à se rendre disponible, à capter des différences imperceptibles, tout ceci s’ancre dans une démarche de perfectionnisme. La question du traitement théorique des arts vivants, notamment dans le domaine de l’expression théâtrale sera au cœur de la contribution de Christine Farenc.

L’ensemble des contributions rassemblées s’attache à éviter une première difficulté, qui consiste à s’enfermer dans une définition apriori, qui bien souvent, ne sert pas de point de départ mais crée un cercle tautologique dont la pensée a bien du mal à s’extraire pour retrouver le contact de ce dont  elle prétend parler.

L’intention ici n’est donc pas de proposer une définition de ce que sont les arts de la rue tellement pétris de liberté, car « la tentative de borner les arts de la rue est à la fois vaine et contraire aux caractéristiques de ses productions[2] ». La résistance des artistes à ce type d’approche est alors compréhensible. Les essais de catégorisation sommaire ont en effet une redoutable tendance à fixer, voire figer, et de ce fait se révèle souvent dangereux pour la créativité car bien trop limitatif.

Nous aurons l’occasion de nous en rendre compte en lisant le témoignage que nous livre Susana Villafuerte de la pratique des techniciens éclairagistes à l’opéra. « à l’évidence je ne comprenais pas quelque chose d’important ( … ) dans leur travail. Il ne pouvait pas me le faire comprendre par la parole, il lui fallait me le faire éprouver »

Les arts vivants seront aussi l’occasion de mesurer combien ces pratiques sont universelles et constituent de véritables carrefours sur l’ordinaire, et l’expérience urbaine. En effet lors d’une prestation artistique réussie,  tout le corps se trouve en décalage avec la relation quotidienne que nous entretenons avec l’espace urbain.

En continuité avec la ligne éditoriale de la revue, le but de ce dossier est aussi d’apprendre à mieux voir, à sentir plus finement. Et en ce sens, les arts de la rue rejoignent clairement cet objectif, que ce soit par des perceptions chamboulées, des corps impliquées ou des collecte de sons qui forment la matière urbaine.

Pourtant, cette exigence de mieux voir n’est pas exempte de difficulté, car il s’agit là d’un thème particulier, qui se livre d’une manière spécifique. Les arts de la rue, jouant sur l’immédiateté,  et elles modifient « nos habitudes de perception sans les faire disparaitre[3] ». Les arts de la rue comme la philosophie renouvellent le regard que l’on pose sur notre environnement.

Ils créent une rupture avec l’environnement quotidien, et bouleversent nos usages sensoriels, avec en particulier une temporalité spécifique, celle de l’instant, du fugace, du geste qui s’esquisse et s’estompe en se produisant, pour en appeler un autre. Cette action qui ne s’étale pas sur le temps long, la rend d’autant plus irréductible à la pensée lourde et lente de la théorie. Mais réduire l’ensemble des arts vivants à l’instant, c’est tout aussi réducteur. Il existe aussi un temps long qui lui est consubstantiel, celui du souvenir que ce soit celui du vertige ou la perte de repère.

En vous souhaitant un été des plus vivants et des plus artistiques,

Sommaire

Mercredi 24 juillet : Chloé Charliac – le corps du spectateur, ce grand oublié.

Lundi 29 juillet : Anne-Sophie Sayeux – remarques sur l’anthropologie du corps sensible dans les arts de la rue : les sens dessus-dessous.

Lundi 5 aout : Susana Villafuerte – Les peintres – lumière du service électrique des théâtres d’opéra

Lundi 12 aout : Flavie Bitaud – Performance et spacialité

Lundi 19 aout : Anne-Marie Autissier – le festival : la sociologie au défi

Lundi 26 aout : Martine de Gaudemar – la voix dans l’opéra

Lundi 2 septembre : Christine Farenc – Comment rendre compte de la pratique théâtrale ?


[1]          Leveratto J.M., Introduction à l’anthropologie du spectacle, Paris, La dispute, 2006, pp. 182-183

[2] Gonon, A., Le théâtre de rue, un dispositif communicationnel analyseur des formes et récits de la réception, dir. S. Chaumier, Université de Bourgogne, 2007.

[3] Jeudy, H.P., Le corps comme objet d’art, Paris, ed. Armand Colin, 2005, p.92.

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