Cornelius Castoriadis et la création politique (1)
[box] Cornelius Castoriadis et la création politique comme invention de nouvelles façons de vivre
Aux amis des séminaires de Castoriadis, 1986-1995 [/one_half]
Approche de l’œuvre de Castoriadis
Je résumerai en quatre points les caractéristiques de l’approche de l’œuvre de Castoriadis dans cet exposé. Je présenterai les idées de Castoriadis en prenant en considération la globalité de son œuvre. Je considère Castoriadis comme un penseur politique très original. Je pense que son œuvre constitue un tremplin, pour aller plus loin. Enfin, je propose un regard critique sur certaines de ses positions. Une telle approche nous permettra de nous interroger, de manière fructueuse, je l’espère, sur ce que pourrait être la création politique aujourd’hui.
Nous abordons la pensée d’un auteur qui a toujours soutenu que, même quand nous jugeons la société présente, nous sommes dans celle-ci, et qui reconnaît explicitement que, dans une société en « crise », « notre pensée ne peut être elle-même qu’en crise ». « C’est à nous d’en faire quelque chose », ajoute-t-il.[1] Ce « nous » nous inclut nous-mêmes, nous tous, aujourd’hui. Toutefois – et c’est là ma première touche critique – nous devons désormais abandonner la notion de crise aussi bien pour une société en auto-altération continue, dont la « crise » dure trop longtemps pour être telle, que pour notre pensée qui doit, en raison de cela, être radicalement renouvelée. S’il fallait appliquer un mot à la situation sociale actuelle, ce serait le mot terrible, dans le double sens du terme. J’y reviendrai à la fin de mon intervention.
La globalité de l’œuvre
En préparant cette intervention, j’ai à nouveau survolé l’intégralité des écrits de Castoriadis ainsi que ce qui a été écrit sur lui. Et j’ai une fois de plus constaté, avec colère, que les lectures, les interprétations et les critiques de son œuvre sont dans la plupart des cas fragmentaires et oublieuses, et donc insuffisantes, appauvrissantes par rapport à sa contribution, et surtout qu’elles occultent l’essentiel, à savoir son originalité, j’oserais dire absolue. Je prendrai donc en considération la totalité de l’œuvre de Castoriadis, éditée et inédite. De plus, je présenterai ses meilleurs écrits, dont j’ai élaboré moi-même un catalogue précis. Je signale par ailleurs que notre auteur écrivait des articles, et non des livres. La question se pose alors : cela constitue-t-il une nouvelle forme – une création – de présentation par écrit d’une pensée ?
Un penseur politique original
Avant de répondre à cette question, signalons que le travail même de Castoriadis constitue une nouvelle forme intellectuelle. C’est la raison pour laquelle je me refuse personnellement à donner un titre conventionnel à ce penseur, tel que philosophe, économiste ou psychanalyste. Il a été un penseur global, qui a créé la forme d’une pensée globale. Un penseur qui définit la philosophie comme « la prise en charge de la totalité du pensable puisqu’elle est requise de réfléchir toutes nos activités ».[2] Et si ma préférence va à la définition de Castoriadis comme penseur politique, c’est parce qu’il a créé la pensée politique, et la politique, comme la forme la plus architectonique. Autrement dit, la plus globale et la plus synthétique, pour penser la société et pour agir dans la société. Sans néanmoins prétendre que l’on puisse tirer de sa « philosophie » une politique ou que l’on puisse les dissocier absolument.[3] On sait bien que le commencement de la philosophie est l’étonnement (thaumazein) et que son objectif est la quête interminable de la vérité. Mais sans la passion pour les affaires communes et le bien commun, sans la colère – passion elle aussi – contre ce qui est, et sans la lutte pour ce qui pourrait et devrait être, l’œuvre de Castoriadis, sa propre création, est inconcevable.
C’est une erreur de rechercher les filiations intellectuelles de Castoriadis, parce qu’il a créé, tout d’abord, et surtout parce qu’il a créé à partir de la réalité, de l’observation et de l’élucidation, sa propre élucidation, de la lecture comme il le disait parfois, de cette réalité. Il a souligné à maintes reprises cet aspect de son œuvre. En effet, les passages dans lesquels il affirme cette idée sont fort nombreux et parmi les plus parlants[4], ce qui me met en colère devant les contresens que l’on rencontre sans cesse dans les textes de ses exégètes. Probablement, cela irritait, jusqu’à l’humiliation totale Castoriadis lui-même, qui déclare dans un discours oral : « sans doute, je suis très mauvais dans l’explication de mes positions ». Dans le même discours, il se dit « vexé », parce que, pour la énième fois, on lui reprochait son « hellénocentrisme ».[5]
Castoriadis a incontestablement été un grand philosophe, un grand psychanalyste (à la fois théoricien de la psyché humaine et praticien du divan), un grand économiste, un grand helléniste, un créateur d’anthropologie politique, un fin connaisseur de la science moderne. Il a été militant, au sens plein et même… « clandestin » du terme – ce qui lui a valu 23 ans d’anonymat. Il est resté un citoyen critique démocratique. Ce qui explique pourquoi il a presque toujours préféré écrire des articles plutôt que des livres – les premiers étant plus adaptés aux besoins d’une intervention pointue et ponctuelle – et ce qui rend secondaire la question de savoir si l’article constitue une nouvelle forme de présentation par écrit d’une pensée, car c’est la pensée elle-même qui a créé la nouveauté en cherchant à être globale.
L’œuvre comme point de départ plutôt que point d’arrivée
Toute tentative d’extraire de l’œuvre d’un grand penseur les conclusions pour ce que l’on a à faire ici et maintenant est à rejeter catégoriquement. La société nous invite toujours à l’analyser avec nos propres moyens. En revanche, il y a dans la création de la pensée castoriadienne des points extrêmement importants que nous devons prendre en considération pour nous orienter politiquement. Cette création se résume en une phrase aussi simple que banale, que d’autres auteurs pourraient d’ailleurs avoir écrite et ont parfois écrite : « Il faut apprendre à penser autrement »[6]. Ce n’est cependant pas là une simple façon de parler : cette formulation se concrétise dans et par l’ensemble de son œuvre, comme nous tenterons de le démontrer brièvement. Cette création pose ses propres limites dans et par une autre phrase, l’une de plus belles phrases de l’un de ses textes les plus inspirés : « Tout peut être récupéré sauf une chose : notre propre activité réfléchie, critique, autonome. »[7]
L’examen critique de ses positions
J’ai considéré jusqu’à maintenant que la position que nous devons adopter devant son œuvre est indiquée par lui-même dans le passage suivant, le plus important à ce propos, dont j’avais fait ma bannière : « On n’honore pas un penseur en louant ou même en interprétant son travail, mais en le discutant, le maintenant par là en vie et démontrant dans les actes qu’il défie le temps et garde sa pertinence. »[8]
J’ai toutefois repéré un passage de Castoriadis, plus récent, beaucoup plus sévère « en sa défaveur » : « Il y a une chose qui depuis longtemps me frappe et même me choque. Il y a un paradoxe tragi-comique dans le spectacle de gens qui se prétendent révolutionnaires, qui veulent bouleverser le monde et qui en même temps cherchent à s’accrocher à tout prix à un système de référence, qui se sentiraient perdus si on leur enlevait ce système ou l’auteur qui leur garantit la vérité de ce qu’ils pensent. Comment ne pas voir que ces gens se placent eux-mêmes dans une position d’asservissement mental par rapport à une œuvre qui est déjà là, maîtresse de la vérité, et qu’on n’aurait plus qu’à interpréter, raffiner, etc. (en fait : rafistoler…).
» Nous avons à créer notre propre pensée au fur et à mesure que nous avançons – et certes, cela se fait toujours en liaison avec un certain passé, une certaine tradition – et cesser de croire que la vérité a été révélée une fois pour toutes dans une œuvre écrite il y a cent vingt ans. Il est capital de faire pénétrer cette conviction chez les gens, et en particulier chez les jeunes. »[9]
Considérations générales
Comme la plupart des grands penseurs, tout au moins à partir d’Aristote, Castoriadis définit très précisément ses propres concepts. Et, ne pouvant bien évidemment changer le langage, il donne un autre sens à ces concepts. Cet autre sens est une nouvelle forme (de la pensée), et donc une création effectuée par l’auteur.
Appartient à la création de Castoriadis ce qu’il a appelé élucidation, à savoir une nouvelle forme de lecture de la société humaine, en tant que résultat de l’imagination du collectif anonyme qui crée les significations imaginaires sociales. Appartient aussi à cette création la découverte de la caractéristique principale de l’être humain qu’est l’imagination radicale de la psyché, ainsi que l’affirmation du besoin impérieux de la psyché humaine de sens et l’énonciation corrélative que les institutions de la société sont ainsi faites pour offrir ce sens.
A la fois créateur politique et pédagogue, Castoriadis a également proposé une nouvelle définition de la praxis : « j’appelle praxis l’activité lucide dont l’objet est l’autonomie humaine et pour laquelle le seul “moyen” d’atteindre cette fin est cette autonomie elle-même. »[10]
Les idées mères de Castoriadis constituent une découverte. En effet, rien de ce qu’il a écrit sur le social-historique n’est controuvé par l’esprit d’un homme, mais tout est lu dans la réalité historique. Nous nous trouvons ici, je tiens à le souligner, devant un fait capital pour comprendre non seulement son œuvre mais également ce que doit être la pensée politique.
Dans ce colloque, il est aussi question de colère. Je le reconnais pour ce qui me concerne, je suis en révolte contre la réalité actuelle, ce qui implique la colère et plus que cela. Je suis en colère contre les lectures plates de cette réalité, et contre l’impuissance des penseurs politiques et des forces politiques à proposer quelque chose de nouveau. De toute façon, je pense que notre colère doit être double : contre une réalité, envers une situation qui a toutes les caractéristiques pour être considérée comme révoltante, puis une grande colère contre la réponse ou plutôt la non-réponse de la part de la majorité de la population, et plus particulièrement de la part de ceux qui pensent et ceux qui agissent de manière plus que traditionnelle.
Nous nous trouvons devant l’exigence absolue d’une création politique, exigence qui est révolutionnaire d’un autre point de vue cependant que celui de Castoriadis il y a 30 ans[11]. Pour satisfaire à cette exigence, nous trouverons de nombreux éléments dans la pensée politique démocratique de Castoriadis, qui est elle-même une création politique.
I. De la création en général…
La création constitue l’une des idées mères de Castoriadis. Elle est apparue avec la nouvelle étape de son œuvre qui commence par l’élaboration des textes de L’institution imaginaire de la société, chronologiquement à partir du début des années soixante. Elle se trouve mentionnée comme la première de ses idées mères dans la Préface de cet ouvrage.[12]
Il est nécessaire de préciser le contenu exact de cette notion. Dans une autre Préface, consacrée essentiellement à la définition canonique de ses idées mères, après avoir défini le terme de kairos : « moment de décision, occasion critique, conjoncture dans laquelle il importe que quelque chose soit fait ou dit », qu’il emploie pour sous-titrer la première section de son ouvrage, la création est la première des notions définies par Castoriadis. Voici donc l’une des définitions les plus complètes proposées sous la plume de l’auteur : « Création. Dans l’être/étant (to on) surgissent des formes autres – se posent de nouvelles déterminations. Ce qui chaque fois (à chaque “moment”) est, n’est pas pleinement déterminé – pas au point d’exclure le surgissement de déterminations autres. Création, être, temps vont ensemble : être signifie à-être, temps et création s’exigent l’un l’autre. »[13] On a ici la pleine définition, la définition philosophique pourrait-on dire, de l’idée mère de création. La création est la caractéristique principale aussi bien de l’être, de tous les modes d’être, que de l’être humain en particulier.
Parmi les innombrables passages dans lesquels notre auteur définit ce que signifie sous sa plume l’idée mère de création, voici une autre définition qui précise en même temps la signification de la création politique : « l’essentiel de la création n’est pas “découverte”, mais constitution du nouveau : l’art ne découvre pas, il constitue ; […] Et sur le plan social, qui est ici notre intérêt central, l’émergence de nouvelles institutions et de nouvelles façons de vivre, n’est pas non plus une “découverte”, c’est une constitution active. »[14]
S’il fallait insister sur un point, qui a été source de contresens et d’incompréhensions à propos de l’idée de création chez Castoriadis, ce serait l’idée que cette création est ex nihilo mais non pas cum nihilo et in nihilo. La création met en relief la possibilité de l’émergence du nouveau, de la nouveauté radicale, l’émergence de l’altérité, de quelque chose qui est autre et pas différent. « 34 diffère de 43, un cercle et une ellipse sont différents. L’Iliade et Le Château ne sont pas différents – ils sont autres. »[15] Et dans tous les domaines, plus spécifiquement dans le domaine de la création humaine, le domaine social-historique, l’autre, le nouveau, ne peut être réduit aux éléments qui lui sont préexistants ni (re)construit à partir de ces éléments. Lorsque Castoriadis parle donc de création, il met l’accent sur la nouveauté radicale. Et lorsqu’il dit que cette nouveauté est à partir de rien (mais non sans rien ni dans le rien), il veut dire que l’événement historique, en tant que nouveauté, ne peut pas être réduit à la situation qui l’a précédé ni être entièrement expliqué par celle-ci. Beaucoup d’éléments préexistants (donc, non sans rien), qui constituent un contexte particulier (donc, non dans le rien), composent les conditions (et non les causes) d’un événement, mais ce qui arrive finalement ne peut être reconstitué par aucun de ces éléments, ni totalement déterminé par aucune de ces conditions, ni reproduit par aucune recomposition de toutes ces composantes. Ce qui se produit finalement est à partir de rien.
Pour ouvrir une parenthèse sur une communauté d’idées entre notre auteur et Hannah Arendt, la création dans les affaires humaines de Castoriadis correspond, toutes proportions gardées, à l’idée de « miracle », sans aucune connotation religieuse, présente chez Arendt : « chaque fois que quelque chose de nouveau se produit, c’est de façon inattendue, incalculable et en définitive causalement inexplicable, à la manière dont un miracle se produit dans le cadre d’événements calculables. En d’autres termes, chaque nouveau commencement est par sa nature même un miracle »[16]. L’événement est l’inattendu, l’imprévu, ce que l’on ne peut pas expliquer entièrement, à moins d’essayer de le comprendre, comme disait Arendt, ou de l’élucider, comme aurait dit Castoriadis.
II. à la création humaine en particulier : le projet d’autonomie
Penseur profondément et décisivement irréligieux, Castoriadis déclare que l’institution de la société ainsi que l’histoire sont des créations humaines.[17] A partir de cette base inébranlable, il constate une bifurcation historique capitale entre les sociétés humaines : celles qui croient que leurs institutions proviennent d’une source extra-sociale et celles qui savent que leurs institutions sont leur propre œuvre. Les premières sont les sociétés hétéronomes, les secondes les sociétés autonomes ou, selon une formulation encore plus rigoureuse, les sociétés dans lesquelles le projet d’autonomie a émergé, a été créé.
La bifurcation s’effectue donc à partir de l’apparition, de la création, d’un projet, le projet d’autonomie, qui est exigence de l’autonomie à la fois collective et individuelle. Avec la création, l’autonomie, dans son sens plein, devient ainsi une autre des idées mères de l’œuvre de Castoriadis. Autonomie : autos–nomos, signifie, littéralement et profondément, se donner soi-même ses lois.
La première émergence du projet d’autonomie se réalise en Grèce ancienne et se présente indissociablement comme mise en cause des institutions sociales existantes, la création de la politique, et mise en question des représentations de la tribu, la création de la philosophie (qui est, de plus, une philosophie démocratique). La parenté et la simultanéité de l’apparition de ces deux créations humaines se confirment par les questions qu’elles posent. En effet, la première pose la question : Cette loi est-elle juste ?, la seconde pose la question : Qu’est-ce que la justice ? A la base des deux se trouve l’acceptation par les membres de la société de l’idée que c’est nous qui faisons nos lois, accompagnée de l’interrogation infinie sur ce qu’est la justice, ce qui exclut bien évidemment l’idée que la justice est un attribut de Dieu et de lui seul. Selon Castoriadis, le projet d’autonomie réapparaît, après une longue éclipse, dans les sociétés de l’Europe occidentale, à partir des XIIe-XIIIe siècles.[18]
Pour ce qui est du domaine social-historique, l’idée de création ne renvoie pas seulement à l’idée fondamentale selon laquelle la société et l’histoire sont des créations humaines. Elle est tout autant une idée qui renvoie à l’imagination radicale de la psyché de l’être humain, et à l’imaginaire social instituant, caractéristique capitale de l’anonyme collectif. En effet, imagination radicale (du sujet singulier) et imaginaire instituant (du collectif anonyme) sont ainsi caractérisés en raison de la capacité de l’individu et de la société à créer la nouveauté radicale, et à faire émerger l’altérité, en raison de leur faculté de création. On peut ainsi légitimement soutenir que, pour notre auteur, les sources principales de la création humaine sont l’imagination radicale du sujet singulier, capacité d’invention de nouvelles formes, et l’imaginaire social instituant, la faculté du collectif anonyme à créer des significations imaginaires sociales et des institutions qui les incarnent.
En ce qui concerne les significations imaginaires sociales, Castoriadis a expliqué à maintes reprises les termes « signification », « imaginaire » et « sociale ». Signification : « Lorsque l’homme organise rationnellement – ensidiquement –, il ne fait que reproduire, répéter ou prolonger des formes déjà existantes. Mais lorsqu’il organise poiétiquement, il donne forme au Chaos […] Cette forme est le sens ou la signification. Signification qui n’est pas simple affaire d’idées ou de représentations, mais qui doit prendre ensemble, lier dans une forme, représentation, désir et affect. »[19] Imaginaire et sociale : « J’appelle ces significations imaginaires parce qu’elles ne correspondent pas à et ne sont pas épuisées par des références à des éléments “rationnels” ou “réels”, et parce qu’elles sont posées par création. Et je les appelle sociales parce qu’elles n’existent qu’en étant instituées et participées par un collectif impersonnel et anonyme. »[20]
A propos de l’idée d’imaginaire, je note un point qui prête bien souvent à contresens : l’imaginaire n’est pas du tout le fictif. Il est – il est vécu comme – plus réel que toute « réalité ». Citons une des définitions, parmi les meilleures, des significations imaginaires sociales, qui nous aide à comprendre le sens de l’imaginaire : « L’être-société de la société ce sont les institutions et les significations imaginaires sociales que ces institutions incarnent et font exister dans l’effectivité sociale. Ce sont ces significations qui donnent un sens – sens imaginaire, dans l’acception profonde du terme, à savoir création spontanée et immotivée de l’humanité – à la vie, à l’activité, aux choix, à la mort des humains comme au monde qu’elles créent et dans lequel les humains doivent vivre et mourir. »[21]
III. La politique en tant que création
Définition ultime et définitive de la politique et de son objet par Castoriadis
Pensée en mouvement, consacrée à la recherche de « la vérité comme mouvement interminable de la pensée »[22], la pensée de Castoriadis est passée par plusieurs définitions de la politique. Cela est absolument certain, mais dans le cadre de cet exposé, je dois me limiter à la dernière définition, définitive, qui se trouve dans « Pouvoir, politique, autonomie », son texte politique de loin le plus important[23]. Je m’empresse de noter que nous comprenons, par ce texte, combien la pensée politique de notre auteur est, finalement, aisiodoxe, mot du grec moderne que je préfère traduire par les deux mots qui le composent, c’est-à-dire « opinion de bon augure », plutôt que par le terme « optimiste ». En effet, pour le dire en une formule lapidaire qui a un rapport direct avec notre sujet : ce texte nous fait comprendre que la création politique, faite de la main des hommes, est toujours à la portée de nos mains : « Si nous voulons être libres nous devons faire notre nomos [loi]. Si nous voulons être libres, personne ne doit pouvoir nous dire ce que nous devons penser. » (p. 129). [Et p. 158.]
Apparaît pour la première fois explicitement, dans ce texte, une distinction capitale entre le politique et la politique, distinction qui correspond à celle entre pouvoir explicite et infra-pouvoir. Le politique est tout ce qui concerne le pouvoir explicite, à savoir l’instance (ou les instances) instituée pouvant émettre des injonctions sanctionnables. Ce pouvoir explicite existe nécessairement dans toute société, sans avoir la même forme (par exemple la forme de l’Etat). Ce qui existe donc nécessairement dans toute société, c’est le politique. Mais avant tout pouvoir explicite, l’institution de la société exerce un infra-pouvoir radical sur tous les individus qu’elle produit. Cet infra-pouvoir « est, en un sens, le pouvoir du champ social-historique lui-même, le pouvoir d’outis, de Personne. » (p. 119). [Et p. 145.] La création de la politique a affaire avec cet infra-pouvoir ou pouvoir instituant, la politique « est une venue au jour, partielle certes, de l’instituant en personne » (p. 127). [Et p. 156.]
Parmi les quatre principales formulations homologues proposées dans le texte comme définition de la politique, nous retenons les deux suivantes, qui sont pour ainsi dire complémentaires : « Aussi bien la politique grecque, que la politique kata ton orthon logon [selon la raison droite], peuvent être définies comme l’activité collective explicite se voulant lucide (réfléchie et délibéré), se donnant comme objet l’institution de la société comme telle. » (p. 127). [Et p. 156.] « La politique est projet d’autonomie : activité collective réfléchie et lucide visant l’institution globale de la société comme telle. » (p. 135). [Et p. 166.] Et « la vraie formulation » qui précise l’objet de cette politique, en faisant d’elle une politique de la liberté, une politique de l’autonomie, une politique fondée sur la paideia (éducation), se propose comme suit : « Créer les institutions qui, intériorisées par les individus, facilitent le plus possible leur accession à leur autonomie individuelle et leur possibilité de participation effective à tout pouvoir explicite existant dans la société. » (p. 138, souligné dans l’original). [Et p. 170.][24]
Conséquences directes de ces définitions synthétiques
Ces définitions nous font entrer pleinement dans l’invention de nouvelles façons de vivre, loin de la course pour « un niveau de vie toujours plus élevé ». En effet, lorsque nous acceptons que la politique concerne l’ensemble des institutions de la société (et « en principe, aucune institution de la société moderne ne peut échapper à la mise en question »[25]), nous sommes pleinement dans la vie, « la vraie vie qui, elle, n’a pas de niveau », pour reprendre une belle formulation de Castoriadis.[26]
En 1980, dans une intervention de nature explicitement politique, au cours d’un débat avec Daniel Cohn-Bendit et le public de Louvain-La-Neuve, Castoriadis affirme : « une autre société, une société autonome, n’implique pas seulement l’autogestion, l’auto-gouvernement, l’auto-institution. Elle implique une autre culture, au sens le plus profond de ce terme. Elle implique un autre mode de vie, d’autres besoins, d’autres orientations de la vie humaine. […] Poser le problème d’une nouvelle société, c’est poser le problème d’une création culturelle extraordinaire. Et la question qui se pose, et que je vous pose, est : est-ce que de cette création culturelle nous avons, devant nous, des signes précurseurs et avant-coureurs ? »[27] Bien qu’il semble quelque peu étrange que Castoriadis pose la question de cette manière, nous nous demanderons, dans la dernière partie de cet exposé, si ce ne sont pas précisément ces « signes précurseurs et avant-coureurs » que le penseur n’a pas cherchés là où il fallait. (Encore faut-il se référer aux bons critères, selon les points de vue appropriés, pour avoir davantage de chances de déceler les « signes précurseurs ».) C’est l’une des raisons pour lesquelles Castoriadis ajoute : « Quant à moi, je ne me fais pas fort de répondre à la question : qu’est-ce qu’une société autonome considérerait comme étant pour elle la bonne vie et créerait comme bonne vie ? J’essaie seulement de lutter pour que cette possibilité lui soit, nous soit donnée. C’est tout. »[28] Nous allons nous interroger, également dans la dernière partie de cet exposé, sur ce refus quasi obsessionnel de Castoriadis de proposer quelque chose de concret en tant que projet politique global pour aujourd’hui, refus qui, nous le constaterons également, n’est pas en cohérence avec ses positions antérieures.
Il est vrai que si la politique est, comme l’histoire, une création humaine, cette création est rare et fragile. Elle n’apparaît pas dans toutes les sociétés ni pendant toutes les périodes. C’est pourquoi ce qui nous importe ici et maintenant, c’est de souligner que cette politique a existé dans les sociétés où nous vivons et qu’elle les a transformées, ce que l’on oublie souvent. Rien n’est évident par définition, rien de ce qui existe devant nos yeux ne nous indique que la réalité présente aurait été la même sans les luttes de ceux qui nous ont précédés. La société instituée est toujours travaillée par la société instituante. Elle est en partie le résultat de la société instituante ainsi que des luttes collectives et individuelles, luttes explicites mais aussi implicites et informelles – Castoriadis lui-même, du reste, a autrefois fortement insisté sur cette forme de luttes ouvrières. On l’oublie très souvent, toujours pris dans l’idée que nous sommes dominés par une situation, par un « système », alors que ce n’est pas entièrement vrai, et parfois même nullement vrai.
Si la création politique présuppose la création des institutions qui favorisent autant que possible l’autonomie individuelle et collective, cela signifie clairement qu’elle exige de nous l’invention de nouvelles institutions, et donc de nouvelles façons de vivre. D’autant plus que les sociétés humaines ont été à l’origine des sociétés hétéronomes, ce qui signifie aussi que les institutions fondamentales des sociétés dans lesquelles nous vivons sont des institutions d’hétéronomie. De toute façon, les institutions existantes aujourd’hui, qui possèdent nécessairement la propriété de consolider et de perpétuer la société présente dans son ensemble, comportent une part considérable d’hétéronomie. C’est la raison pour laquelle une autre définition de la politique, plus radicale, avait déjà été proposée par Castoriadis dans les dernières phrases de L’institution imaginaire de la société : « l’instauration d’une histoire où la société non seulement se sait, mais se fait comme s’auto-instituant explicitement, implique une destruction radicale de l’institution connue de la société, jusque dans ses recoins les plus insoupçonnables, qui ne peut être que position/création non seulement de nouvelles institutions, mais d’un nouveau mode du s’instituer et d’un nouveau rapport de la société et des hommes à l’institution. »[29]
Dans cette perspective, je considère, pour ma part, que la situation sociale actuelle rend nécessaire l’actualisation, voire la transformation, de la définition ultime de la politique par Castoriadis. Sans pouvoir m’attarder longuement, je proposerai trois corrections majeures. Tout d’abord, la politique ne peut être seulement considérée comme activité collective mais aussi comme activité individuelle. Corrélativement, on ne peut considérer seulement comme politiques les actions revendiquées explicitement comme telles mais aussi toutes les activités que Castoriadis appelaient luttes informelles, souterraines et atypiques. Enfin, une nouvelle élaboration de la distinction entre le privé et le public s’impose par le fait même que la politique à affaire avec toutes les institutions de la société.
Nicos Iliopoulos Paris, janvier 2010
[learn_more caption= »Note bio-bibliographique »] Nicos Iliopoulos, âgé aujourd’hui de 58 ans, a vécu jusqu’à l’âge de 34 ans en Grèce, où il a fait des études des mathématiques. Il a activement participé aux luttes étudiantes contre la dictature militaire entre 1972 et 1974, année de la chute de la dictature. Arrêté et torturé à plusieurs reprises durant cette période, il a été aussi emprisonné. Entre 1974 et 1986, il a milité dans les rangs d’un petit parti de la gauche grecque, d’orientation « eurocommuniste », appelé Parti communiste de l’intérieur, et est devenu membre du bureau exécutif de ce parti en 1984. Au cours de cette période, il a participé à toutes les luttes pour la démocratisation de la vie politique grecque et, pendant son service militaire, qui était alors d’une durée de vingt-deux mois, il était membre actif des comités de soldats. Venu en France en 1986, il vit désormais à Paris où il gagne sa vie comme « travailleur social » depuis douze ans. Dès son arrivée à Paris, il prend contact avec Cornelius Castoriadis, dont il devient un élève puis un ami. Nicos Iliopoulos a obtenu le Diplôme de l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales, en présentant, sous la direction de Castoriadis, un mémoire intitulé « Participation et apathie politiques dans la Grèce contemporaine, 1960-1990 ». Il a rédigé et soutenu, sous la direction d’Alain Caillé, une thèse de doctorat qui a pour titre « Participation et apathie politiques dans la France contemporaine (Ve République, de 1958 à nos jours) » et sous-titre « Démarche pour scruter les limites de la participation à la politique instituée et pour élucider l’apathie à l’égard de cette politique. Tentative pour réouvrir le chemin de la pensée politique démocratique ». Ce travail est dédié à Cornelius Castoriadis et à son œuvre.
Publications en France :
Participation et apathie politiques dans la France contemporaine, Lille, Atelier National de Reproduction des Thèses, 2005 (http://www.anrtheses.com.fr/ThesesCarte/SCat_1347.htm). L’exposé de la soutenance de cette thèse se trouve sur Internet (http://www.magmaweb.fr/spip/spip.php?article211) sous le titre : L’apathie politique en France contemporaine. Manque de créativité politique de la collectivité, absence de projets politiques positifs et globaux.
Publications en Grèce :
Νέοι δρόμοι για τη δημοκρατική πολιτική σκέψη. Κριτική παρουσίαση του πολιτικού στοχασμού του Κορνήλιου Καστοριάδη, Αθήνα, Θεμέλιο, 2005. (Nouveaux chemins pour la pensée politique démocratique. Présentation critique de la réflexion politique de Cornelius Castoriadis, Athènes, éditions Themelio.) Participation à l’ouvrage collectif Ψυχή, λόγος, πόλις. Αφιέρωμα στον Κορνήλιο Καστοριάδη, Αθήνα, Ύψιλον, 2007. (Psyché, logos, polis. Hommage à Cornelius Castoriadis, Athènes, éditions Ypsilon.) La traduction en français de cette contribution porte le titre Nouveaux chemins pour la pensée politique démocratique et se trouve sur Internet (http://www.magmaweb.fr/spip/spip.php?article215). Ce même texte sera publié prochainement en espagnol dans la revue Trasversales (Espagne). « Θεσμισμένη πολιτική συμμετοχή και απάθεια στη σύγχρονη Ελλάδα. Αλλοτριωμένη πολιτικοποίηση και ακαθόριστη αδιαφορία », (« Participation politique instituée et apathie dans la Grèce moderne. Politisation aliénée et indifférence indéterminée », dans le premier numéro de la revue Μάγμα, décembre 2007. « Οι νέοι, εμείς και η κοινωνία » (« Les jeunes, nous et la société »), dans Κυριακάτικη Αυγή, 4 janvier 2009. Texte sur la révolte de la jeunesse en Grèce. Nicos Iliopoulos prépare deux ouvrages en français : la traduction de son livre Nouveaux chemins pour la pensée politique démocratique, ainsi qu’un essai qui sera intitulé : Vers la société autonome. Inventer de nouvelles valeurs de vie en commun.
Collloque international de théorie politique de l’Université de Lausanne (UNIL) – Institut d’Etudes Politiques Internationales (IEPI), 23-25 avril 2010, dirigé par M.C. Caloz-Tschopp, pérof. titulaire UNIL. Les articles ayant concerné Cornélius Castoriadis se trouvent dans la collection des Actes sous le titre général, Colère, Courage, Création politique, 8 volumes, Paris, l’Harmattan. Voir en particulier le volume 2, Caloz-Tschopp Marie-Claire (dir.), Six auteurs de théorie politique pour le XXIe siècle. H. Arendt, N. Busch, C. Castoriadis, C. Guillaumin, R. Ivekovic, A. Sayad, Paris, L’Harmattan, 2011. Voir ci-dessous, articles concernant Castoriadis de Nicos Iliopoulos, Laurent Leylaverne, Fabien Delmotte, Antoine Chollet, Nicolas Poirier publiés dans le volume 2. 1. Article de Nicos Iliopoulos, Paris Ce travail est dédié à Cornelius Castoriadis et à son oeuvre1. Cornelius Castoriadis et la création politique comme invention de nouvelles façons de vivre
[1]. Domaines de l’homme, p. 247. Dans l’édition en collection de poche, p. 37. Désormais, la page indiquée entre crochets renvoie aux nouvelles éditions en collection de poche des ouvrages de Castoriadis. Tous les mots ou passages soulignés le sont dans l’original, sauf indication contraire.
[2]. « Fait et à faire », dans le livre homonyme, p. 11. [Et p. 11.]
[3]. « Telles que je les ai depuis toujours vécues, les idées de philosophie et de politique (donc aussi du philosophe et du militant) ne se laissent pas séparer radicalement ; chacune conduit à l’autre », Le contenu du socialisme, p. 324.
[4]. « Ce que je sais, c’est que ce n’est pas la lecture d’Aristote ou de Kant qui m’a fait penser l’institution imaginaire de la société, mais la pensée de celle-ci qui m’a fait relire avec un autre regard Aristote ou Kant. Oserais-je ajouter que ces relectures m’ont convaincu de la pertinence de mes questions, et de l’insuffisance de leurs réponses ? » « Fait et à faire », dans le livre homonyme, p. 24. [Et p. 28.]
[5]. Intervention au groupe du MAUSS, que j’ai transcrite moi-même et qui a été publiée dans la Revue du MAUSS ; voir respectivement, pour la première citation, n° 14, second semestre 1999, p. 201 et, pour la seconde, n° 13, 1er sem. 1999, p. 25.
[6]. L’institution imaginaire de la société, p. 393. [Et p. 424.] Dans un texte ultérieur, « Psychanalyse et politique », en spécifiant la capacité d’apprendre du sujet, Castoriadis écrit : « apprendre à apprendre, apprendre à découvrir, apprendre à inventer », Le monde morcelé, p. 146. [Et p. 180.]
[7]. « La révolution anticipée », texte sur Mai 68, La société française, p. 180.
[8]. « Les destinées du totalitarisme », texte d’une conférence lors d’un symposium sur l’œuvre de Hannah Arendt, le 3 octobre 1981, Domaines de l’homme, p. 201. [Et p. 249.]
[9]. « Marx aujourd’hui » (1983), Domaines de l’homme, pp. 82-83. [Et p. 101.]
[10]. Le monde morcelé, p. 146. [Et p. 179.]
[11]. Je me réfère à un entretien très important de Castoriadis donné après la parution de L’institution imaginaire de la société, qui porte le titre « L’exigence révolutionnaire » (1976) ; repris dans Le contenu du socialisme, pp. 323-366.
[12]. « Les idées qui avaient été déjà dégagées et formulées dans la partie de “Marxisme et théorie révolutionnaire” publiée en 1964-1965 – de l’histoire comme création ex nihilo, de la société instituante et de la société instituée, de l’imaginaire social, de l’institution de la société comme son œuvre propre, du social-historique comme mode d’être méconnu par la pensée héritée – s’étaient entre-temps transformées pour moi de points d’arrivée en points de départ, exigeant de tout repenser à partir d’elles. » L’institution imaginaire de la société, p. 6. [Et p. 6.]
[15]. « Temps et création », Le monde morcelé, p. 267. [Et p. 333.]
[16]. Qu’est-ce que la politique ?, p. 51.
[17]. « L’histoire est création, largement indéterminée. L’institution de la société ne découle pas de lois – “naturelles”, “rationnelles” ou comme on voudra. Elle est l’œuvre de l’imaginaire social instituant. La société s’institue chaque fois elle-même. Mais elle occulte cette auto-institution en se la représentant comme l’œuvre des “ancêtres”, des dieux, de Dieu, de la Nature, de la Raison – ou des “lois de l’histoire”, comme c’est le cas avec le marxisme. » Domaines de l’homme, p. 21. [Et p. 24.]
[18]. La lecture de l’histoire des sociétés humaines par Castoriadis, ce qui constitue encore une création de pensée qui lui est propre, exclut l’idée d’une philosophie de l’histoire, et bien évidemment l’idée de progrès. Voici un passage parmi les plus forts, les plus clairs et les plus beaux : « Je pense qu’il y a toujours eu à cet égard [à l’égard de la philosophie de l’histoire et du “progrès”] une énorme confusion. On a confondu deux niveaux qui n’ont pas des rapports immédiats et simples. Le premier est celui de la dimension que j’appelle ensembliste-identitaire (ensidique, pour la brièveté), le niveau “techno-arithmétique” ou instrumental. Sur ce niveau, si l’on considère l’histoire de l’humanité dans ses grands traits, depuis l’hominisation, il y a un progrès immense : on est passé de 1, 2, 3 … aux mathématiques contemporains, et des silex aux bombes H. L’autre niveau est celui de la création des significations imaginaires et en particulier des significations politiques et émancipatrices : ici on ne décèle pas, et à mon avis rien ne rend a priori probables, des mouvements uniformes de l’histoire. Toutes les cultures ont créé, en dehors de l’ensembliste-identitaire, des œuvres magnifiques, mais pour ce qui est de la liberté humaine, il n’y a eu que deux cultures, comme deux grandes fleurs poussant dans ce sanglant champ de batailles, où quelque chose de décisif s’est créé : la Grèce ancienne et l’Europe occidentale. Cette deuxième fleur est peut-être en train de se faner, peut-être cela dépend-il de nous qu’elle ne se fane pas définitivement, – mais finalement, il n’y a aucune garantie que, si elle se fanait, une troisième fleur surgirait plus tard, avec des couleurs plus belles. » Ouvrage collectif, De la fin de l’histoire, Paris, éditions du Félin, 1992, p. 71.
[19]. La montée de l’insignifiance, p. 199. [Et p. 241.]
[20]. Domaines de l’homme, p. 225. [Et p. 280.]
[21]. La montée de l’insignifiance, p. 223. [Et p. 269.]
[22]. « Pouvoir, politique, autonomie », Le monde morcelé, p. 127. [Et p. 156.] Les pages entre parenthèses renvoient à cet ouvrage et celles indiquées entre crochets renvoient à la nouvelle édition du même livre en collection de poche.
[23]. Si besoin en était, on peut le constater par le seul fait que ce texte dense, de 27 pages, a été élaboré sur une durée de près de dix ans. Il s’agit de son texte peut-être le plus travaillé, et lors d’une période où il avait fixé ses idées principales, qu’il résume tout au long de ce texte.
[25]. « Imaginaire politique grec et moderne », La montée de l’insignifiance, p. 171. [Et p. 206.] Il est à noter que c’est Castoriadis, à qui certains reprochaient d’être « nostalgique de la Grèce ancienne », qui écrit cette phrase tout en ajoutant, dans le même texte, que les Grecs ne sont pas parvenus à créer l’universalité politique, pour en conclure : « il nous faut aller plus loin que les Grecs et que les Modernes. » ; voir p. 174. [Et p. 210.] Voir aussi, dans ce même livre, p. 193. [Et p. 232.]
[26]. « Le mouvement révolutionnaire sous le capitalisme moderne » (1960), Capitalisme moderne et révolution, 2, p. 142.
[27]. De l’écologie à l’autonomie, p. 45.
[28]. Ibid., p. 107.
[29]. Le fait qu’il s’agisse ici d’une définition de la politique, autrement plus radicale, est confirmé par les lignes suivantes, écrites en 1972 : « C’est cela le sens nouveau qu’il faut donner au terme tant galvaudé de politique. La politique n’est pas lutte pour le pouvoir à l’intérieur d’institutions données ; ni simplement lutte pour la transformation des institutions dites politiques, ou de certaines institutions, ou même de toutes les institutions. La politique est désormais lutte pour la transformation du rapport de la société à ses institutions ; pour l’instauration d’un état de choses dans lequel l’homme social peut et veut regarder les institutions qui règlent sa vie comme ses propres créations collectives, donc peut et veut les transformer chaque fois qu’il en a le besoin ou le désir. » Introduction générale de la publication en recueil des textes politiques de Castoriadis parus dans la revue Socialisme ou Barbarie, texte majeur en ce sens que l’auteur présente lui-même et de manière détaillée tout son parcours réflexif en grandes étapes. Voir La société bureaucratique, 1, p. 54.
Bonjour,
Concernant votre conclusion au sujet d’une transformation de la définition de la politique, sur laquelle malheureusement vous ne vous attardez pas, ce qui la rend assez difficile à saisir :
– Je ne saisi pas de quelle façon vous entendez l’idée qu’il faille considérer la politique non pas seulement comme activité collective mais aussi comme activité individuelle… Si l’on maintient l’idée de Castoriadis selon laquelle la politique est l’activité lucide et explicite d’auto-institution de la société avec comme principalement fondement la visée de l’autonomie individuelle et collective (cette dernière qui implique la possibilité pour tous de participer à l’élaboration des lois et institutions, ie une démocratie directe), je ne vois pas ce que peut être l’activité politique d’un individu, sinon sa participation à la collectivité politique…
– Si par là il faut notamment entendre, comme semble l’indiquer la suite, qu’il faille considérer comme activités politiques les luttes informelles qui se jouent tous les jours aux seins des rapports d’exploitations et de dominations en général, ne perd t on pas alors l’avantage de la précision de la définition castoriadienne ? Bien entendu, il semble clair, et je ne pense pas que Castoriadis l’aurait contredit, que toute forme de lutte informelle contre les subordinations hiérarchiques ont une portée, un sens politique, en tant que résistance à l’hétéronomie instituée. Mais y gagne-t-on vraiment lorsque l’on élargie le concept d’activité politique au-delà des activités qui lucidement et explicitement vise la transformations de la société instituée, et si oui, qu’y gagne t on selon vous ? N’est-il pas plus clair de les considérer comme pré-politique, ou comme élan et aspiration à l’autonomie, plutôt que de les amalgamer en un concept qui me semble donc plus vague de la politique ?
– Enfin, l’élaboration de la distinction entre le privé et le public (dont on sait que Castoriadis à préférer la subdiviser en trois sphères : politique ou publique/publique, sphère publique/privé ou agora, soit le domaine que la politique n’a pas, selon lui, à dominer (citant par exemple les livres ou oeuvres d’arts qui sont produites et diffusées), et sphère privée au sens plus strict), il me semble que lui même estimait qu’il s’agissait là d’une question politique fondamentale, qui, en tant que telle, ne saurait être résolue une fois pour toute. Quelle serait selon vous la distinction qu’il faudrait établir, et surtout, pensez vous qu’il s’agit là d’une question sur laquelle seule la collectivité est à même decider, ou estimez vous qu’il y a une possibilité d’établir une théorie qui trancherait la question ?