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Appel à contributions – Introspection et connaissance de soi

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Appel à contributions

Introspection et connaissance de soi

Revue Implications philosophiques

 

Responsable du dossier :

Bertille De Vlieger, Docteure en philosophie, Université de Lille.

Ce dossier a pour vocation de rassembler des contributions qui, dans une perspective épistémologique, s’interrogent sur la manière dont l’introspection permet la connaissance de soi ainsi que sur la nature et la valeur de cette connaissance introspective.

En philosophie, la « connaissance de soi » fait référence à la connaissance de ses propres états mentaux, c’est-à-dire de ce que l’on ressent ou pense, ou de ce que l’on croit ou désire. Au moins depuis Descartes, la plupart des philosophes estiment que la connaissance de soi diffère sensiblement de notre connaissance du monde extérieur (qui inclut la connaissance des états mentaux d’autrui). La détention et l’enrichissement de la connaissance de soi sont le plus souvent comprises et considérées comme étant importantes pour les individus ordinaires, fondamentales à la conduite de leurs vies et essentielles à leur intégration dans la société ou communauté à laquelle ils appartiennent. Pour autant, l’acquisition de la connaissance de soi n’est pas présentée comme étant facile, que ce soit par les scientifiques, philosophes, sociologues, psychologues, ou par les individus ordinaires, notamment lorsqu’elle s’effectue via l’introspection. La plupart des philosophes admettent qu’il existe une méthode spéciale, uniquement accessible au sujet, pour appréhender ses propres états mentaux’. Traditionnellement, cette méthode spéciale, l’introspection, était interprétée comme une sorte de regard « intérieur », dirigé vers l’état mental à saisir. Le terme « introspection » – littéralement, « regarder à l’intérieur » – reflète une façon traditionnelle de concevoir la manière dont nous appréhendons nos propres états mentaux. Ce terme utilise une métaphore spatiale pour exprimer une division entre le monde « intérieur » de la pensée et le monde « extérieur ». Le terme « introspection » est utilisé de diverses manières dans la littérature sur la connaissance de soi. L’usage le plus courant est peut-être celui suggéré par le sens littéral du terme : selon cet usage, l’introspection est une observation intérieure – ou une « attention dirigée vers l’intérieur » – qui, lorsqu’elle est réussie, permet de prendre conscience d’un état mental. Il a donc été courant de considérer, en psychologie populaire mais aussi en philosophie de l’esprit et en psychologie, que l’introspection a un rôle particulier à jouer dans l’obtention de la connaissance de soi en garantissant un accès privilégié à nos propres états mentaux (croyances, désirs, émotions). Mais il a été tout autant courant de douter de la fiabilité de ce processus cognitif et plus particulièrement de ses résultats (notamment en psychologie depuis le XIXe siècle).

En effet, du XVIIe siècle (Descartes 1641/1992) au XIXe siècle, l’introspection, tout en soulevant certains doutes et critiques, était assez largement considérée comme capable de fournir un accès direct à la conscience et états mentaux en cours ou récemment passé, à partir d’un point à la première personne. L’intérêt et la confiance dans l’introspection se sont répandus aux XVIIe et XVIIIe siècles, notamment chez les empiristes britanniques (Berkeley, Locke, Hume), ou encore au XIXe siècle chez les phénoménologues et leurs précurseurs (Brentano, Husserl) et jusqu’au XXe siècle chez les psychologues introspectifs (Wundt, von Helmholtz, Külpe, Titchener), même si ces derniers avaient une approche critique de l’introspection. Ils insistaient en effet sur les difficultés inhérentes à la pratique de l’introspection, sur sa fiabilité, et notamment sur le fait qu’elle soit sujette à l’erreur et/ou capable de déformer l’état ciblé par elle.

Selon l’historiographie classique, avec le début d’une psychologie dite scientifique, les privilèges accordés à l’introspection ont été de plus en plus remis en question, notamment la fiabilité de ses résultats et les conditions de sa pratique. Comment, compte tenu de la faillibilité de l’’introspection, qualifier ses résultats de « connaissance » ? Avec l’émergence du positivisme (Comte), l’introspection se heurte à une méfiance croissante, jusqu’à atteindre un pessimisme radical à son égard. Son utilisation a même été momentanément proscrite avec l’avènement du behaviorisme au XXe siècle (Skinner, Pavlov) comme méthode phare de la psychologie scientifique. Bien que l’introspection fasse encore l’objet d’un certain scepticisme (Blackmore 2002, Dennett 1991, Gazzaniga 1995, Johansson et al. 2006, Schwitzgebel 2011), son utilisation pour l’étude de l’esprit et des états mentaux conscients a récemment repris de l’ampleur en psychologie et en sciences cognitives. Le point de vue subjectif est à nouveau reconnu comme pertinent en philosophie de l’esprit, pour étudier la conscience et enrichir la connaissance de soi (Varela 1996 ; Petitmengin 2006 ; Depraz, Varela et Vermersch 2011, BonJour 2000, Gertler 2001, 2012, Pitt 2004).

Au regard de cette historiographie, des recherches contemporaines en philosophie de l’esprit (Chalmers, 2004, Goldman & Beddor. 2021; Irvine, 2013 ; Spener, forthcoming), ainsi que des nouvelles découvertes faites en psychologie (Dehaene & Changeux, 2011 ; Corallo, Dehaene, Sackur & Sigman, 2008 ; Fleming, Stephen & Hakwan, 2014), mais aussi dans les sciences cognitives et les neurosciences (Jack & Roepstorff, 2003 ; Overgaard, 2015 ; Snodgrass & Lepisto, 2007), que peut-on penser de la pertinence et de la fiabilité de l’introspection aujourd’hui et pour la connaissance de soi ? Quel pourrait être le « retour contemporain » de l’introspection, sous quelles formes pourrait-il se présenter ? Existe-t-il des apports nouveaux ou des avancées scientifiques qui permettraient d’accorder plus (ou moins) de fiabilité à des modèles introspectifs particuliers et d’affirmer que l’introspection est un outil de prédilection pour la connaissance de soi ? Peut-on penser de nouveaux modèles introspectifs qui permettraient de créer du lien et d’articuler les corpus philosophiques et psychologiques passés avec les nouvelles découvertes scientifiques relatives à l’introspection et à la nature de ce processus cognitif ?

Cet appel à contribution propose d’interroger et d’examiner la nature de l’introspection ainsi que la connaissance introspective, pour en déterminer la pertinence et l’importance pour la connaissance de soi. Les articles s’inscrivant dans les axes suivants seront les bienvenus :

  1. Quel modèle pour l’introspection en tant que phénomène psychologique et/ou processus cognitif ? Est-il possible d’envisager un nouveau modèle, plus fiable, de l’introspection, de mettre à l’épreuve de manière novatrice les anciens modèles qui lui sont attachés ?
  2. Quelle fiabilité peut-on aujourd’hui accorder à l’introspection en tant que mode d’accès à la connaissance de soi ? Est-il possible de surmonter les objections qui ont été auparavant adressées à son utilisation ainsi que les limites qui ont été attribuées à son champ d’expertise et à ses résultats ?
  3. Quelles valeurs (épistémique, morale, instrumentale, intrinsèque) peut-on attribuer à l’introspection, à son utilisation ou/et à la connaissance introspective en elle-même, par exemple lorsqu’on la compare à d’autres forme de connaissance de soi (telles que les observations indirectes : d’une tierce personne, thérapeute, neurologue, ou biologiste par exemple)?
  4. Quelle est la nature de la connaissance de soi permise par l’introspection ?

 

Calendrier

Date limite d’envoi des propositions : 25 juin 2024

Date limite d’envoi des articles : 15 octobre 2024

L’appel à contributions fonctionne selon une double logique de sélection sur propositions et d’évaluation d’articles complets.

Ainsi, nous accepterons des propositions de contributions jusqu’au 25 juin 2024.

Les résultats de la sélection seront communiqués aux auteurs et autrices d’ici le 15 juillet 2024.

Les propositions sélectionnées devront être envoyées avant le 15 octobre 2024.

Il sera néanmoins possible de nous transmettre des articles complets qui n’auraient pas été présélectionnés sous forme de proposition à la même date du 15 octobre 2024. Les personnes ayant vu leur proposition refusée en juillet ne pourront pas présenter le même projet, mais pourront nous communiquer un article complet sur un sujet différent.

La publication est prévue courant 2025, vraisemblablement au début du printemps.

 

Envoi des propositions

Les auteur.e.s sont invité.e.s à soumettre des propositions de 750 mots maximum (format .doc) qui seront accompagnées du nom de l’auteur.e, de son statut, de son affiliation institutionnelle, ainsi que d’une adresse mail.

Les articles respecteront les normes de format et de présentation de la revue, voir : https://www.implications-philosophiques.org/soumettre-un-article/

Merci d’envoyer vos propositions à cette adresse : bertille.devlieger@gmail.com

 

Bibliographie indicative

Cette bibliographie n’est qu’indicative et en ce sens non-exhaustive. Elle ne prétend donc pas inclure toutes les références possibles sur le sujet.

  • Berkeley, G. (2000). Traité des principes de la connaissance humaine (A. de Cazenove, Trad.). Paris, France: Vrin.
  • Blackmore, S. J. (2002). There is no stream of consciousness. Journal of Consciousness Studies, 9(5), 17–28.
  • Block, N. (2007). Consciousness, accessibility, and the mesh between psychology and neuroscience. Behavioral and Brain Sciences, 30, 481–548.
  • Bode, B. H. (1913). The method of introspection. The Journal of Philosophy, Psychology and Scientific Methods, 10, 85–91.
  • BonJour, L. (2000). Toward a defense of empirical foundationalism. In M. R. DePaul (Ed.), Resurrecting Old-Fashioned Foundationalism (pp. 21–38). Lanham, MA: Rowman and Littlefield.
  • Chalmers, D. J. (2003). The content and epistemology of phenomenal belief. In Q. Smith & A. Jokic (Eds.), Consciousness: New Philosophical Perspectives (pp. 220–272). Oxford; New York: Oxford University Press.
  • Comte, A. (1975). Cours de philosophie positive (L. Lévy-Bruhl, Ed.). Paris, France: Hermann.
  • Corallo, G., Sackur, J., Dehaene, S., & Sigman, M. (2008). Limits on introspection: Distorted subjective time during the dual-task bottleneck. Psychological Science, 19(11), 1110–1117. https://doi.org/10.1111/j.1467-9280.2008.02211.x
  • Dehaene, S., & Changeux, J. P. (2011). Experimental and theoretical approaches to conscious processing. Neuron, 70(2), 200–227. https://doi.org/10.1016/j.neuron.2011.03.018
  • Depraz, N., Varela, F. J., & Vermersch, P. (2011). A l’épreuve de l’expérience: Pour une pratique phénoménologique. Bucharest, Rom.: Zeta Books.
  • Descartes, R. (1641). Méditations métaphysiques. Paris, France: Michel Soly.
  • Descartes, R. (2002). Discours de la méthode. Paris, France: Flammarion.
  • Dennett, D. C. (1991). Consciousness explained. Boston: Little, Brown, and Co.
  • Dodge, R. (1912). The theory and limitations of introspection. The American Journal of Psychology, 23, 214–229.
  • Dunlap, K. (1912). The case against introspection. Psychological Review, 19, 404–413.
  • Fleming, S. M., & Lau, H. C. (2014). How to measure metacognition. Frontiers in Human Neuroscience, 8, 443. https://doi.org/10.3389/fnhum.2014.00443
  • Gazzaniga, M. S. (1995). Consciousness and the cerebral hemispheres. In M. S. Gazzaniga (Ed.), The Cognitive Neurosciences (pp. 1391–1400). Cambridge, MA: MIT Press.
  • Gertler, B. (2001). Introspecting phenomenal states. Philosophy and Phenomenological Research, 63(2), 305–328.
  • Gertler, B. (2011). Self-Knowledge. New problems of philosophy.
  • Hume, D. (1990). Traité de la nature humaine (P. Saltel, Trad.). Paris, France: Flammarion.
  • Hurlburt, R. T., & Heavey, C. L. (2004). To beep or not to beep: Obtaining accurate reports about awareness. Journal of Consciousness Studies, 11, 113–128.
  • Hurlburt, R. T., & Schwitzgebel, E. (2007). Describing inner experience? Proponent meets skeptic. Cambridge, MA: MIT Press.
  • Irvine, E. (2012). Old problems with new measures in the science of consciousness. British Journal for the Philosophy of Science, 63, 627–648. https://doi.org/10.1093/bjps/axs019
  • Jack, A. I., & Roepstorff, A. (2003). Trusting the subject I. Journal of Consciousness Studies, 10, 9–10.
  • Johansson, P., Hall, L., Sikström, S., Tärning, B., & Lind, A. (2006). How something can be said about telling more than we can know: On choice blindness and introspection. Consciousness and Cognition, 15(4), 673–692.
  • Külpe, O. (1993). Principes de psychologie (Trad.). Paris, France: Vrin.
  • Lyons, Williams E. (1986).The Disappearance of introspection. Cambridge : MIT Press.
  • Marti, S., Sackur, J., Sigman, M., & Dehaene, S. (2010). Mapping introspection’s blind spot: Reconstruction of dual-task phenomenology using quantified introspection. Cognition, 115(2), 303–313. https://doi.org/10.1016/j.cognition.2010.01.003
  • Overgaard, M. (2015). Behavioral methods in research consciousness. Oxford; New York: Oxford University Press.
  • Overgaard, M. (2006). Introspection in science. Consciousness and Cognition, 15(4), 629–633.
  • Pavlov, I. P. (1997). Les réflexes conditionnels (A. Rey, Trad.). Paris, France: Médicis.
  • Petitmengin, C. (2006). Describing one’s subjective experience in the second person: An interview method for the science of consciousness. Phenomenology and the Cognitive Sciences, 5(3–4), 229–269.
  • Pitt, D. (2004). The phenomenology of cognition or what is it like to think that P? Philosophy and Phenomenological Research, 69(1), 1–36.
  • Rosenthal, D., & Lau, H. (2011). Empirical support for higher-order theories of conscious awareness. Trends in Cognitive Sciences, 15, 365–373.
  • Schwitzgebel, E. (2011). Perplexities of consciousness. Cambridge, MA: MIT Press.
  • Schwitzgebel, E. (2012). Introspection, What? Dans D. Smithies & D. Stoljar (Éds.), Introspection and Consciousness (pp. 29-48). Oxford University Press.
  • Schwitzgebel, E. (2004). Introspective Training Apprehensively Defended: Reflections on Tichener’s Lab manual. Journal of Consciousness Studies, 11(7-8), 58-76.
  • Seager, W. (2002). Emotional introspection. Consciousness and Cognition, 11(4), 666–687. https://doi.org/10.1016/s1053-8100(02)00027-2
  • Snodgrass, J. M., & Lepisto, S. A. (2007). Access for what? Reflective consciousness. Behavioral and Brain Sciences, 30, 525–526.
  • Spener, M. (2024). Introspection: First-person access in science and agency. Oxford; New York: Oxford University Press.
  • Varela, F. J. (1996). Neurophenomenology: A methodological remedy for the hard problem. Journal of Consciousness Studies, 3(4), 330–349.

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