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Appel à contributions – Dossier « Avec (et au-delà de ?) Tocqueville aujourd’hui : penser l’individualisme démocratique au XXIème siècle »

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Appel à contributions de la revue

Implications Philosophiques 

pour un dossier

 « Avec (et au-delà de ?) Tocqueville aujourd’hui : penser l’individualisme démocratique au XXIème siècle »

 

Dossier coordonné par Camille Roelens, Maître de conférences Habilité à Diriger les Recherches en philosophie de l’éducation, Institut National Supérieur du Professorat et de l’Éducation (INSPE), Université Claude Bernard Lyon 1) – site de la Loire.

 

Pourquoi s’intéresser philosophiquement à Tocqueville aujourd’hui, c’est-à-dire, en particulier, continuer à le lire ou le relire, le discuter, investir le comparatisme tel qu’il le mit en œuvre entre les sociétés française (voire européennes) et américaine, prolonger certaines de ses inspirations pour l’analyse de phénomènes sociaux et politiques que, de fait, il ne put connaitre ? Peut-être, tout simplement, car en ces temps où le diagnostic de crises internes durables des démocraties occidentales et de défiances géopolitiques sans cesse croissantes à leur endroit, ce singulier analyste et prospectiviste de la modernité démocratique (sur l’homme et l’œuvre, voir notamment Benoit, 2004, 2005/2013 ; Coenen-Huther, 1997 ; Jaume, 2008 ; Krulic, 2016) n’a pas fini de nous apprendre, directement ou indirectement, à nous y orienter.

Sans doute serait-il possible d’énoncer une forme de théorème permettant d’estimer approximativement la place prise par les références aux analyses et intuitions exposées par Alexis de Tocqueville dans De la démocratie en Amérique il y a près de deux cents ans, et ce en partant d’un diagnostic sur l’état de trouble et du degré de confiance en elles-mêmes et en leur devenir historique des sociétés démocratiques occidentales. Il pourrait se formuler comme suit : plus ces modèles – formes de vie bien au-delà de simples régimes politiques – doivent naviguer par gros temps, plus lesdites références se font à la fois nombreuses et inquiètes.

Il y a là un premier paradoxe, qui invite à la réflexion et au dialogue philosophiques en commun : Tocqueville sût si bien décrire de manière marquante les périls menaçant la démocratie moderne que cela en viendrait presque à éclipser le fait que le panorama qu’il brossa de la modernité démocratique et surtout de sa dynamique propre mue par les passions bien connues qu’il lui attribue – passions de l’égalité et du bien-être en particulier – n’a rien d’unilatéralement sombre, et surtout qu’il juge ladite dynamique, au plus profond, irrésistible.

En des temps où les démocraties occidentales se voient ou se sont vues confrontées consécutivement à une grandes gammes de crises inédites pour certaines, perçues comme appartenant à un passé révolu pour d’autres – pandémie mondiale, guerres de haute intensité, vagues populistes, crises financières majeures – ce numéro se propose donc d’inviter ses contributrices et contributeurs à se replonger dans ce que nous pouvons nommer les legs de Tocqueville pour tâcher d’en tirer, à nouveaux frais, de nouveaux fruits. Nous pensons en effet qu’il y a dans l’œuvre de Tocqueville lui-même, dans sa réception, ses redécouvertes et relectures à des moments décisifs de l’histoire des idées et enfin dans les manières dont il est possible de se saisir de cet héritage intellectuel complexe aujourd’hui, des ressources peut-être trop peu exploitées pour penser une société démocratique au XXIème siècle, et certaines questions socialement et politiquement vives de notre contemporain en particulier, en faisant également part à d’autres perspectives plus nuancées. Mais peut-être faut-il alors s’autoriser, en quelque sorte, à partir de Tocqueville sans s’astreindre jusqu’où bout à y rester stricto sensu, s’autoriser à faire place aux apports d’une créativité démocratique et des mouvements historiques pour penser parfois avec lui certes, mais aussi au-delà, ou encore braver la lettre lorsque cela permet une meilleure cohérence avec l’esprit démocratique.

Un tel objectif général dessine bien entendu à l’horizon une tâche énorme, et sans doute faut-il se résoudre à progresser dans sa direction par segments. Nous proposons donc ici d’agréger les réflexions autour du syntagme d’individualisme démocratique, tant il désigne le personnage souvent accusé de la source de tous les maux des sociétés modernes en même temps qu’un phénomène social dont l’analyse apparait indispensable pour les comprendre (on en trouvera une bonne illustration dans Fourquet, 2019).

Nous proposons donc ici aux contributrices et contributeurs du dossier de philosopher en partant de Tocqueville pour penser l’individualisme démocratique, de lui reconnaitre ainsi en commun un certain nombre de gestes fondateurs et de prescience quant à la saisie de ce phénomène et à sa puissance de transformations opérant dans tous les registres de l’expérience humaine. Cela n’exige pas de considérer ses écrits comme un corpus clôt et de s’en tenir à une approche littéraliste et exclusive. La principale préoccupation des textes devra être heuristique : penser avec Tocqueville chaque fois que cela éclaire le sujet et l’objet saisis, mais se risquer aussi à penser contre lui chaque fois que nécessaire, c’est-à-dire à la fois en appui sur sa manière de comprendre la démocratie et sur la matière que constitue son œuvre pour aborder des sujets qu’il n’a pas eu à connaitre et à traiter, ou en opposition avec certaines de ses analyses lorsque celle-ci ont été contredites de manières convaincantes ou qu’il semble possible de les juger en tension avec d’autres pans de son œuvre même.

Sans exhaustivité, nous suggérons d’inscrire notamment les réflexions dans le cadre de ce dossier des deux axes suivants :

  1. Relectures de Tocqueville et débats autour du tocquevillisme originel

Ce premier axe propose de repartir de l’œuvre originale de l’auteur, y compris de textes moins connus que De la démocratie en Amérique ou L’Ancien Régime et la Révolution, y compris les plus polémiques comme ses écrits sur l’Algérie. Il s’agira ici de faire le double pari d’une vision renouvelée depuis le temps présent en termes de problématisation envisageable et d’appuis possibles sur les apports de la littérature secondaire (voir notamment le travail important de The Tocquevillian Review) ou des apports d’autres sciences humaines (Guénard, 2022) et de faire jouer en quelque sorte le privilège de lire Tocqueville depuis notre temps, le cas échéant pour mettre en lumière certains impensés de son œuvre (Antoine, 2003), voire d’en discuter certains points analytiques fondamentaux tel que le fit entre autre Cornelius Castoriadis (1999). De même, si Tocqueville a acquis le statut de mètre-étalon dans l’exercice consistant à porter un regard englobant, dans le temps et l’espace, sur les démocratiques modernes en général et sur leur composante individualisme en particulier, il n’est certes par le seul à s’y être essayé avec une certaine postérité. Si l’on pense de manière quasi canonique aux convergences et divergences entre les pensées de Tocqueville et de Marx (Capdevilla, 2007, 2012 ; Furet, 2007), quid, par exemple, d’une mise en débat des analyses respectivement tocquevilliennes et durkheimiennes sur le social dans la modernité (Durkheim, 1970/2010) ? Quels dialogues possibles entre le holisme et l’individualisme, l’homo hierarchicus et l’homo aequalis de Louis Dumont (1966, 1977/1985, 1991) ? De telles questions pourront utilement être posées ici.

  1. Redécouvertes et héritiers de Tocqueville hier et aujourd’hui

Cet auteur du passé (c’est presque un truisime) nous est toujours au moins aussi connu par ce qu’il a écrit que par la manière – et l’intensité avec laquelle – dont d’autres, avant nous, l’ont lu et discuté (dès ses contemporains, voire notamment Mill, 1994). Si l’on pense bien sûr dans ce registre – dans le sillage de Raymond Aron – au travail décisif de Françoise Mélonio (1993, 2006) puis de Serge Audier (2004) et Laurence Guellec (1996, 2005), il n’est pas inintéressant de remarquer que chaque courant intellectuel ou presque ayant composé la dynamique antitotalitaire dans le dernier tiers du XXème siècle eut, en quelque sorte, ses raisons propres de lire Tocqueville et/ou de s’en défier (Rosanvallon, 2018). Citons par ensemble sans exhaustivité le néo aristotélisme mâtiné de la pensée straussienne de Pierre Manent (1982/2006), ou celui, tendant vers le néoconservatisme, d’Harvey Mansfield (2010), la lecture d’inspiration phénoménologique de Claude Lefort (1992) ou Robert Legros (2008), le néokantisme d’Alain Renaut (1995), le personnalisme de Jean-Claude Lamberti (1970, 1983), le républicanisme de Dominique Schnapper (2017), le libéralisme de Raymond Boudon (2005) ou Philippe Raynaud (2014), la pensée de la reconnaissance notamment inspirée par Hegel de Charles Taylor (1991/2015), la théorie de la sortie de la religion de Marcel Gauchet (1980, 2002) encore la pensée hédoniste de Gilles Lipovetsky (1983). Serge Audier a suggéré que cela se cristallisait en particulier autour de l’analyse de Mai 68 en France (2008), mais d’autres prismes pourront aussi être proposés ici. Il serait par exemple pertinent ici de conduire une analyse philosophique de l’œuvre de certains récipiendaires du prix Tocqueville, créé en 1979 pour perpétuer sa pensée et remis notamment depuis en 1979 à Raymond Aron, en 1980 à David Riesman, en 1984 à Karl Popper, en 1987 à Louis Dumont, en 1991 à François Furet, en 1994 à Leszek Kołakowski, en 1997 à Michel Crozier, en 1999 à Daniel Bell, en 2003 à Pierre Hassner, en 2008 à Raymond Boudon, en 2010 à Zbigniew Brzeziński et en 2014 à Philippe Raynaud.

Informations pratiques

Propositions de contributions – comprenant titre, mots-clés, résumé entre 3000 et 5000 signes et bibliographie indicative – à envoyer à camille.roelens@univ-lyon1.fr.

Calendrier

Date limite d’envoi des résumés : 15 janvier 2025

Réponses aux auteurs : 1er février 2025

Envoi de l’article entièrement rédigé : 30 avril 2025

Premier retour aux auteurs :  1er juin 2025

Envoi de la version finale de l’article : 15 juillet 2025

Publication prévue :  été 2025

Indications bibliographiques

Antoine, A. (2003). L’impensé de la démocratie. Tocqueville, la citoyenneté et la religion. Fayard.

Aron, R. (1967). Les étapes de la pensée sociologique. Gallimard.

Audier, S. (2004). Tocqueville retrouvé. Genèse et enjeux du renouveau tocquevillien français. Vrin / EHESS.

Audier, S. (2008). La pensée anti-68. Essai sur les origines d’une restauration intellectuelle. La Découverte.

Benoît, J.-L. (2004). Tocqueville moraliste. Honoré Champion.

Benoît, J.-L. (2005/2013). Tocqueville. Perrin.

Boudon, R. (2005). Tocqueville aujourd’hui. Odile Jacob.

Capdevila, N. (2007). Tocqueville et les frontières de la démocratie. Presses universitaires de France.

Capdevila, N. (2012). Tocqueville ou Marx. Presses Universitaires de France.

Castoriadis, C. (1999). Figures du pensable. Les carrefours du labyrinthe 6. Seuil.

Coenen-Huther, J. (1997). Tocqueville. Presses Universitaires de France.

Fourquet, J. (2019). L’archipel français. Naissance d’une nation multiple et divisée. Seuil.

Dumont, L. (1966). Homo hierarchicus. Le système des castes et ses implications. Gallimard.

Dumont, L. (1977/1985). Homo aequalis I. Genèse et épanouissement de l’idéologie économique. Gallimard.

Dumont, L. (1991). Homo aequalis, II. L’idéologie allemande, France-Allemagne et retour. Gallimard.

Durkheim, E. (1970/2010). La science sociale et l’action. Presses Universitaires de France.

Furet, F. (2007). Penser le XXe siècle. Bouquins.

Gauchet, M. (1980). Tocqueville, l’Amérique et nous. Sur la genèse des sociétés démocratiques. Libre, n° 7, 43-120.

Gauchet, M. (2002). La démocratie contre elle-même. Gallimard.

Guellec, L. (1996). Tocqueville. L’Apprentissage de liberté. Éditions Michalon.

Guellec, L. (dir.). (2005). Tocqueville et l’esprit de la démocratie. Sciences Po Les Presses.

Guénard, F. (2022). La passion de l’égalité. Seuil.

Jardin, A. (1984). Alexis de Tocqueville. Hachette.

Jaume, L. (2008). Tocqueville. Les sources aristocratiques de la liberté. Biographie intellectuelle. Arthème Fayard.

Krulic, B. (2016). Tocqueville. Gallimard.

Lamberti, J.-C. (1970). La notion d’individualisme chez Tocqueville. Presses Universitaires de France.

Lamberti, J.-C. (1983). Tocqueville et les deux démocraties. Presses Universitaires de France.

Lefort, C. (1992). Écrire. À l’épreuve du politique. Calmann-Lévy.

Legros, R. (dir.). (2008). Dossier thématique : Tocqueville, la démocratie en questions. Cahiers de philosophie de l’Université de Caen, n° 44.

Lipovetsky, G. (1983). L’ère du vide. Essais sur l’individualisme contemporain. Gallimard.

Manent, P. (1982/2006). Tocqueville et la nature de la démocratie. Gallimard.

Mansfield, H. C. (2010). Tocqueville. A Very Short Introduction. Oxford University Press.

Mélonio, F. (1993). Tocqueville et les français. Aubier.

Mélonio, F. (2006). Alexis de Tocqueville. ADPF.

Mélonio, F. et Manzini, C. (2021). L’ABéCédaire de Alexis de Tocqueville. Éditions de l’Observatoire / Humensis 2021.

Mill, J. S. (1994). Essais sur Tocqueville et la société américaine. Vrin.

Renaut, A. (1995). L’individu. Réflexions sur la philosophie du sujet. Hatier.

Rosanvallon, P. (2018). Notre histoire intellectuelle et politique 1968-2018. Seuil.

Schnapper, D. (2017). De la démocratie en France. République, nation, laïcité. Odile Jacob.

Taylor, C. (1991/2015). Le malaise de la modernité. Editions du Cerf.

Tocqueville, A. d. (1991). Œuvres. Tome 1. Gallimard (La Pléiade).

Tocqueville, A. d. (1992). Œuvres. Tome 2. Gallimard (La Pléiade).

Tocqueville, A. d. (2004). Œuvres. Tome 3. Gallimard (La Pléiade).

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