A quoi servent les séries télé ?
Ou comment contribuer à un monde meilleur en restant dans son salon ?
Mélissa Thériault – Professeure, Département de philosophie et des arts Directrice, Laboratoire de recherche en esthétique Université du Québec à Trois-Rivières
Il n’est pas du tout anodin que nous soyons de plus en plus nombreux à nous adonner au binge viewing, c’est-à-dire à consommer en rafale des séries qui mettent à mal le programme de notre journée ou nous laissent cernés au petit matin. Cet engouement n’est pas seulement révélateur du potentiel de séduction de ce genre de productions : il trahit en fait la présence d’une question philosophique sous-jacente.
L’essor marqué de cet engouement est multifactoriel. On peut évoquer deux causes, outre une potentielle « faiblesse de la volonté » en terme de choix esthétiques (explication toutefois non recevable qui sera discutée ailleurs[1] mais qui trouve son lot de défenseurs : les pourfendeurs du petit écran demeurent nombreux et ses productions ne jouissent toujours pas de la même reconnaissance que celles du septième art). D’abord, le développement de nouveaux modes de diffusion facilite la consommation de séries, notamment grâce aux diffuseurs en ligne qui permettent d’éviter tout déplacement. Ensuite, le niveau des séries télé a beaucoup évolué au cours des dernières années[2], tant sur le plan de la qualité visuelle que la qualité de la trame narrative. Cet engouement indéniable génère par ailleurs une imposante production d’ouvrages critiques dérivés (par exemple, la collection Philosophy and Pop Culture Series publiée par Blackwell) qui indique que la fascination pour ces productions ne se limite pas au fandom. En effet, elles suscitent dans les milieux universitaires les réflexions d’aficionados qui ne sont pas forcément des spécialistes de mass media studies. Comme le roman et le cinéma jadis, les séries télé nouveau genre présentent un point focal dans lequel se retrouvent concentrées nos représentations : en elles, le public peut reconnaître, souvent inconsciemment, les archétypes qui lui fournissent autant de repères culturels. Elles deviennent alors de véritables laboratoires d’exploration de nos craintes, espoirs et idéaux[3] et peuvent contribuer au développement de notre pensée éthique ou politique. La question posée par le titre de ce texte ne fait donc pas référence au caractère utilitaire des séries en tant que telle, mais bien à l’usage qu’on en fait et qui dépasse de loin –tel que nous tâcherons de le montrer – le simple divertissement.
Il s’agit donc d’exposer ici dans quelle mesure les séries télévisées (du moins certaines d’entre elles) peuvent offrir bien plus qu’un divertissement qui s’étale sur quelques heures et constituent au contraire un outil de développement moral souvent bien plus efficace que moult ouvrages de philosophie, pour reprendre la proposition « scandaleuse » défendue par Martha Nussbaum dans La connaissance de l’amour. Essais sur la philosophie et la littérature (2010). Pour appuyer cette première affirmation, il nous faudra rappeler les grandes lignes des versions de l’éthicisme (la position selon laquelle art et moralité sont liés, qui n’est toutefois pas endossée ici), défendues notamment par Matthew Kieran, Noël Carroll et Martha Nussbaum. Toutefois, nous nous éloignerons de cette position en montrant que, très souvent, les œuvres contribuent au développement de la réflexion éthique même si elles présentent un contenu douteux sur le plan moral, suivant l’idée selon laquelle une œuvre n’a « pas besoin d’être moralisant[e] pour permettre une éducation morale » (Chavel 2012a, p. 159), ce qui, on en conviendra, ne pourrait constituer, au mieux, qu’une version assez peu orthodoxe de la position éthiciste. Nous ferons en chemin référence à quelques éléments bien connus de la tradition philosophique ainsi qu’à deux séries télévisées qui nous permettront d’étayer notre hypothèse, Série noire et Dexter.
Qu’est-ce que l’éthicisme ?
L’éthicisme est la thèse selon laquelle l’art « nous prescrirait et nous orienterait vers une saine compréhension morale du monde » (Kieran 2011, p. 83). Comme l’explique Kieran, cette position comporte plusieurs variantes ainsi que de « solides précédents historiques » : on trouve en Platon un de ses plus ardents défenseurs ; par la suite, Kant et Schiller ont également adopté une telle position. Les arguments évoqués par le maître de l’Académie dans La République pour contrôler l’art au nom de ses conséquences sur le plan moral correspondent d’ailleurs si bien à certaines de nos intuitions qu’encore aujourd’hui, les critiques que nous adressons à certaines formes d’art s’en éloignent bien peu. L’un des points forts de la position éthiciste est qu’elle réaffirme la légitimité de l’art en tant que moyen de connaissance (de soi, du monde, de l’action juste), ce qui correspond – du moins partiellement – à notre expérience courante. Ce n’est pas pour rien que nous accordons à l’art une place si importante dans nos vies : c’est qu’il nous aide à cheminer en elles. Par ailleurs, poser une relation de complète autonomie entre art et éthique est difficile à défendre, puisque les deux domaines sont construits autour de valeurs parfois reliées les unes aux autres : l’artiste expose généralement dans son œuvre une vision du monde, des idéaux et ceux-ci sont rarement neutres sur le plan des valeurs.
Mais l’éthicisme est souvent associé à une volonté d’instrumentaliser l’art ou à l’acceptation tacite de celle-ci (Kieran 2011, p. 85-86), comme si voir un lien entre l’art et la morale faisait en sorte de subordonner automatiquement le premier au second. Ce serait toutefois mal comprendre cette position que de la réduire à cela ou de la discréditer parce qu’elle aurait été adoptée parfois comme arrière-fond théorique justifiant des pratiques hautement polémiques telles que la censure, la manipulation du récepteur, la propagande (ou toute autre entrave à la création ou à la réception). Mais dire qu’il y a un lien entre l’art et la moralité ne revient pas à dire que toute œuvre d’art doit prendre pour modèle les récits de la Comtesse de Ségur. Cela signifie simplement que d’autres éléments que les critères esthétiques influent parfois sur notre appréciation esthétique des œuvres[4], et que certaines œuvres ont parfois une influence sur nos positions éthiques.
À titre d’exemple, Noël Carroll a récemment défendu une version de l’éthicisme que l’on peut traduire par « moralisme modéré », qui pose qu’un défaut moral, dans une œuvre, peut, dans certain cas, devenir un défaut esthétique[5].
De façon générale, cette approche a été « balayée sans ménagement » au profit de l’esthétisme dans le contexte actuel, qui admet depuis l’ère romantique et postromantique que « la morale et l’art sont considérés comme autonomes » (Kieran 2011, p. 83-84), ce qui fait que des thèses comme celles de Noël Carroll ou Berys Gaut[6], bien qu’intéressantes, sont généralement fortement contestées. La lecture de Kieran néglige cependant un détail important : si l’art institutionnel (qui inclut également les pratiques qui se définissent par la critique des institutions) est désormais affranchi de l’exigence de prouver son innocuité morale, d’autres types d’art y demeurent assujetties, du moins aux yeux de certains observateurs. En effet, les œuvres destinées à un très large public sont attentivement scrutées eu égard à leur impact sur les mœurs, souvent sans fondement car elles le sont à l’aune d’un double standard, ce qui complexifie d’autant le traitement de la question[7].
Éthique et paradoxes de la fiction
L’étude des rapports entre art et moralité est donc un sujet à la fois très actuel et très ancien, discuté dès l’Antiquité par Aristote dans la Poétique. Bien qu’il se présente en des termes très différents des nôtres, ce texte bien connu sur la tragédie laisse apparaître que les questions morales sont cœur du processus de création et de réception, dans la mesure où la tragédie dépeint les actions en pire ou en mieux, selon l’effet voulu chez le spectateur. La réception des œuvres est donc potentiellement teintée de considérations morales, mais dans un sens positif. En expliquant avec acuité comment les émotions peuvent nous être utiles (s’opposant de la sorte à son maître, qui se méfiait de l’effet de contamination des émotions sur la raison), Aristote avait montré bien avant l’invention des programmes éducatifs télévisuels comment celles-ci contribuent à l’éducation morale et nous aident à agir et à réfléchir à propos de nos actions. S’intéressant aux mécanismes employés dans la tragédie pour produire un effet sur le spectateur, il avait exposé comment le récit des actions vise à mettre en œuvre une réaction d’empathie libératrice (qui se manifeste par des élans de peur et de pitié), analogue à celle qui se produit lors que ces sentiments sont provoqués par une situation réelle.
Cette question fascinante a été plus récemment relancée à nouveaux frais dans le cadre des débats sur le « paradoxe de la fiction » : pourquoi pleure-t-on dans une scène triste, même si la situation n’existe pas dans la réalité ? Comment expliquer que certains éléments d’un récit (et à plus forte raison, un récit lointain retransmis sur un petit écran) arrivent à nous happer complètement ? La réponse traditionnelle, bien connue, évoque la qualité narrative et la façon dont sont construits les personnages du récit. Les personnages de la tragédie n’ont pas les caractéristiques d’une personne en particulier (car on serait alors dans le récit historique et non fictionnel), mais des traits universels, ce qui fait que nous pouvons nous identifier à eux sous un rapport ou un autre. Ainsi, parce que nous sommes touchés – et surtout : parce que selon Aristote, la morale est une affaire de sentiments[8] –, nous sommes davantage susceptibles d’arriver à réviser nos convictions morales à la lumière d’un problème présenté dans une œuvre fictionnelle que face à un problème réel qui serait présenté, par exemple, dans un bulletin d’information (ou sous forme abstraite dans un ouvrage théorique[9]).
Ce sont les motivations qui sous-tendent ce « portrait en laid » de l’humanité (pour reprendre les termes d’Aristote) qui nous intéresseront ici : si les travaux sur les œuvres dramatiques exemplaires sont légion, qu’en est-il de la comédie, qui, pour être associée au divertissement, est rarement considérée d’un point de vue moral ? Nous avons choisi pour illustrer notre propos deux séries très différentes : la première, Série Noire, est une production québécoise comique aux accents dramatiques télédiffusée à l’hiver 2014 sur la chaîne Radio-Canada (et dont la suite est prévue pour l’automne 2015). La seconde, Dexter, est une série dramatique teintée d’humour télédiffusée entre 2006 et 2013 sur la chaine américaine Showcase.
Dépeindre en laid, pour le meilleur et pour le pire
Il est bien connu que les écrits d’Aristote sur la comédie sont perdus (ce qui constitue en soi une véritable tragédie au sein de l’histoire de la philosophie occidentale). Nous savons toutefois que pour le Stagirite, la comédie est un « portrait en pire » de l’humanité qui vise à montrer le côté ridicule des actions et des êtres humains, en en exagérant les traits négatifs. Cela décrit somme toute assez bien les productions actuelles du petit écran, et à plus forte raison le sitcom, qui excelle dans l’art de présenter le côté ridicule des situations et personnages et qui est, pour cette même raison, susceptible de générer une réflexion sur nos propres travers. Suivant cette même logique, on peut se demander si les séries présentant des actions non exemplaires comme Série Noire ou Dexter sont bénéfiques, considérant qu’elles présentent des protagonistes qui sont loin d’être des modèles de vertu ?
Série Noire est particulièrement intéressante car un élément central de son intrigue est justement la réflexion sur le processus d’écriture (une écriture dont le sujet sera la justice, mais qui incarnera très, très mal ce concept). Les deux protagonistes de l’intrigue, scénaristes d’une série télévisée médiocre descendue par la critique, doivent composer à la fois avec l’échec et l’exigence de persister malgré eux dans le projet (car l’écriture constitue leur gagne-pain). La solution retenue par l’un des auteurs pour ne pas céder au découragement est alors de sortir du domaine de la fiction pour vivre réellement des situations telles qu’on pourrait en retrouver dans la série, afin de gagner en réalisme, car l’écriture s’avère être la seule valeur qui compte aux yeux des protagonistes (on se trouve alors dans une perspective qui pourrait être vue comme une version actuelle du romantisme : l’écriture et la création comme valeur qui transcende toute autre). Or, comme la série écrite par ces deux auteurs ratés est du genre judiciaire, les protagonistes décident de s’initier au crime (sous diverses formes) pour mieux retrouver l’inspiration, comprendre la psychologie des personnages en vue de mieux ficeler l’intrigue. On se retrouve donc dans une mise en abyme où l’écriture porte sur l’écriture, et la fiction sur la fiction. Jusque-là, rien de nouveau. Mais ce qui est intéressant en revanche, c’est comment deux idiots immatures liés par un projet pour le moins douteux moralement et une relation d’amitié tout aussi malsaine, une fois dépassés par les conséquences de leurs actions, sont néanmoins des « instruments de vertu »… à leur corps défendant.
Les auteurs de Série Noire, Jean-François Rivard et François Létourneau (qui interprète également l’un des personnages) ont été fortement critiqués pour le niveau de langage employé ainsi que pour le contenu. À titre d’exemple, on peut évoquer l’usage soi-disant gratuit de la nudité (qui avait pourtant le mérite – fait rare au petit comme au grand écran – d’être équitable sur le plan de la représentation des genres), ainsi que les actions réalisées par les personnages. Le fait que la série soit diffusée sur une chaîne publique a d’ailleurs contribué à intensifier les critiques[10], ce qui nous ramène au problème présenté en début de texte : puisque celle-ci est financée par des fonds publics, son contenu doit-il pour autant être « au service » de la société ? Et dans le cas d’une réponse affirmative, qu’entend-on par là ?
C’est d’ailleurs dans ce même esprit que la Télévision Suisse Romande (TSR) a renoncé à diffuser Dexter, pour éviter de « choquer inutilement »[11] et parce que la série « ne correspond pas aux valeurs qu’une chaîne publique doit défendre »[12]. Être au service de la société signifie-t-il qu’un télédiffuseur ne doit inclure dans sa programmation que des œuvres présentant des comportements exemplaires afin « d’éduquer » la population ? Ce serait là un exemple d’éthicisme ad hoc particulièrement mal appliqué. On pourrait tout autant soutenir qu’il est utile socialement de soumettre des problèmes éthiques au jugement des spectateurs, quitte à le faire en présentant des productions qui véhiculent des valeurs contestables moralement. Cela étant dit, proposer le retrait d’une série telle que Dexter en plaidant que cela constitue une apologie du meurtre en série n’est même pas un argument recevable : cela ne fait que trahir une vision excessivement naïve de la réception artistique, ou, autrement dit, que l’on n’a pas été en mesure de comprendre l’intrigue de base du récit, ni même le concept de fiction. En effet, l’intrigue est purement fantaisiste et ne prétend aucunement décrire la réalité des tueurs en séries (et encore moins présenter un modèle de comportement), mais bien discuter d’une question bien plus fondamentale et qui, elle, nous touche tous : comment arriver à fonctionner en société, lorsque les règles et exigences de celles-ci vont à l’encontre de ce que nous sommes fondamentalement ? C’est d’ailleurs notamment grâce à une diversité de programmation et à une « éducation télévisuelle » que l’on peut arriver à distinguer les productions qui font l’apologie du crime de celles qui mettent celui-ci en scène pour développer un propos qui est tout autre (catégorie à laquelle appartiennent nos deux exemples).
En effet, dans Série Noire, les protagonistes de la série n’ont pas un comportement exemplaire. Mais est-ce à dire qu’ils sont pour autant une potentielle menace aux bonnes mœurs de ceux qui suivent leurs tribulations de l’autre côté de l’écran ? Pas forcément. Leurs mésaventures peuvent au contraire constituer un apport plutôt qu’une menace pour la réflexion éthique, pour une raison très simple : les actions se situent dans le registre composé à la fois de drame et de comédie, et présentent par conséquent un modèle d’action et un modèle à ne pas suivre (à savoir, une démonstration par l’absurde de ce qui se produit lorsqu’on emprunte le « mauvais chemin »). En effet, plusieurs actions moralement questionnables sont présentes dans la série, nommons-en seulement quelques-unes : faire du trafic d’explosifs, voler et cacher un cadavre, battre un Père Noël, enseigner à une fillette le maniement d’armes, etc. Mais il est clair qu’elles ne se posent pas en exemples à suivre, mais plutôt en exagérations burlesques d’éléments qui ponctuent la trame dramatique et rendent celle-ci supportable et moins lourde, car elle est composée pour sa part d’une illustration de ce qui arrive lorsque, par leurs actions, les personnages ont le cœur brisé, souffrent de l’éloignement de leurs proches, connaissent des remords pour avoir trahi une amitié, etc. Ainsi, les éléments grotesques et questionnables moralement sont autant de détails qui servent à équilibrer les éléments dramatiques et à faire en sorte que nous pouvons y réfléchir sans être submergés affectivement. Mais encore faut-il faire confiance au jugement et à l’intelligence du spectateur, et être capable de présumer que celui-ci saura faire la part des choses.
La force rhétorique des séries télé repose ainsi sur un assemblage d’éléments, dont des personnages complexes qui évoluent au fil de la saison, des courbes narratives relatives à chaque saison [season plot arcs], des styles narratifs et signatures visuelles variés (Marrati et Shuster 2012 p. viii). Ce n’est donc pas tant pour leur capacité à nous divertir que nous cherchons, par les productions cinématographiques et télévisuelles, à nous extraire du cadre qui régit habituellement nos croyances, pour nous plonger dans un récit. C’est plutôt parce qu’un ensemble d’éléments cognitifs déjà présents sont mobilisés et enrichis au contact du récit, ce qui contribue à changer notre vision du monde. Comme le soulignent à juste titre Rieber et Kelly, « notre conception de la réalité n’est pas basée exclusivement sur ce que nous disent nos sens, mais aussi sur ce que nous avons en tête, et plus particulièrement dans notre imaginaire et dans les associations qui affluent à notre mémoire » [notre traduction] (Rieber et Kelly 2014, p. 1). Au contact de la fiction, nous développons nos expériences antérieures d’une façon différente, ce qui enrichit notre vision du monde, et dans le cas qui nous intéresse, notre réflexion sur divers enjeux moraux.
Dès l’origine de la production audiovisuelle, l’impact de la conduite esthétique sur les croyances du sujet avait été relevé, puisque le fait de percevoir quelque chose qui n’existe pas n’est pas sans conséquence : cela affecte nos représentations d’autant plus que le recours a des astuces techniques qui visent à appuyer des éléments narratifs (par exemple : le close–up, le flashback, etc.) permettent de mettre l’emphase sur certains éléments par le truchement des affects. Les capacités immersives du médium sont alors multipliées et nous sommes susceptibles d’être littéralement « happés » par l’histoire, bien plus qu’au théâtre, dont les limites visuelles sont plus prégnantes (Rieber et Kelly 2014, p. 7). Ainsi, nous ne sommes jamais indifférents aux mésaventures des deux « criminels du dimanche » de Série Noire ou de celles de l’expert à l’œuvre dans Dexter. Au contraire, les techniques narratives et les effets visuels concourent à faire en sorte que nous adoptions leur perspective, ce qui nous amène à nous poser des questions telles que : aurais-je fait la même chose dans une situation pareille ? Quelle aurait été la limite que je n’aurais pas osé bafouer si j’avais été dans la situation du personnage ? Dans quelle mesure cette situation pourrait-elle être comparée à mon expérience personnelle ? Parfois implicites ou confuses, les réponses générées par ces questions n’en sont pas moins des ajouts à l’ensemble des principes qui orientent nos actions (dans une bonne direction, espérons-le).
La crainte la plus fréquemment évoquée dans ce genre de débats est la suivante : si une série présente des actions douteuses moralement, n’y a-t-il pas un risque que le public soit porté à imiter celles-ci, puisque cela nous est si naturel (pour reprendre le mot d’Aristote) ? Certaines recherches empiriques montrent que nous imitons les bons comme les mauvais comportements : l’influence de la fiction sur les comportements serait « neutre » sur le plan des valeurs. Plus précisément : si l’exposition à des contenus positifs est efficace pour sensibiliser un public à un problème éthique, l’exposition à des contenus violents est en revanche susceptible d’entraîner des comportements violents (Ravencroft 2012, p. 82). On est alors loin des vertus édifiantes que Nussbaum, notamment, prête à la fiction.
Mais pour mieux comprendre ce qui est en œuvre dans ce genre de situations, il sera utile de faire un détour par un ouvrage publié au tournant du millénaire par Jean-Marie Schaeffer. Dans Pourquoi la fiction (1999), le philosophe français fait un long retour sur le fonctionnement de la fiction dans une perspective anthropologique (c’est-à-dire sans se limiter à l’usage en contexte artistique), de l’épouvantail platonicien jusqu’aux recherches contemporaines en psychologie du développement. Il relève deux effets typiques de la fiction sur la vie « réelle » : l’immersion, où l’on observe une « perméabilité des frontières entre fiction et réalité », et l’entraînement, qui constitue une « modélisation de la réalité par la fiction » (Schaeffer 1999, p. 39). Schaeffer distingue ainsi la première, qui est une posture cognitive interne, de la seconde, externe, puisqu’elle peut entraîner la réalisation d’une action. En fait, l’immersion totale n’arrive à peu près jamais, car même lorsque nous faisons « comme si » la situation x (fictive) était réelle pour mieux suivre le fil d’un récit, nous sommes toujours en mesure de savoir si une telle situation appartient à la réalité ou la fiction (sauf bien sûr si l’on souffre d’idées délirantes : on serait alors face à une pathologie, ce qui est un tout autre problème). Quant à l’effet d’entraînement, il se produit parfois : il se peut qu’à l’écoute d’un film, nous soyons portés à changer un ou des éléments de notre vie réelle, mais l’effet demeure assez modéré, voire nul (Keen 2007). En effet, dans le cas d’actions dont les implications sont plus graves, le simple bon sens nous rappelle à l’ordre assez rapidement. Que faisons-nous alors de si particulier au contact d’œuvres de fiction ? Nous effectuons, explique Schaeffer, sans même nous en rendre compte, des opérations de comparaison entre nos modèles et ceux qui sont véhiculés dans l’œuvre. C’est dans cette mesure où une série peut nous aider à clarifier nos principes ou à en identifier les limites, car nous ne confondons pas les logiques qui prévalent dans la réalité et dans le contexte donné d’un récit fictionnel (comme le craignaient certains critiques) : nous apprenons intuitivement à améliorer nos représentations grâce au concours de la fiction.
Reconnaitre le potentiel cognitif de la fiction est donc possible, mais il reste à voir à quelles conditions cela peut se faire. La philosophie s’est toujours méfiée des procédés mimétiques (incluant la fiction) – refusant trop souvent de leur accorder la place qu’elle mérite dans nos interrogations – parce que depuis ses origines, elle est considérée comme une « feintise sérieuse » (donc comme une tromperie, plutôt qu’un jeu), tout en reconnaissant leur portée dans notre fonctionnement cognitif (Schaeffer 1999, p. 41-47). Cette crainte a aussi été exprimée depuis longtemps par les pourfendeurs du roman, qui y voyaient là un danger pour les mœurs des jeunes filles – donc de la société tout entière (Chavel 2012a, p. 154). Quelle sorte de fiction serait donc à même de contribuer cognitivement à notre développement ? La réponse la plus évidente sera : « la bonne fiction et surtout, celle qui présente de bons modèles moraux », d’autant plus que notre réaction à la fiction est « value neutral », tel que le souligne Ravencroft (c’est-à-dire que nous sommes autant influencés par les valeurs positives que par celles qui sont négatives). Mais, tel qu’évoqué plus haut, cela n’est pas si simple.
Pour revenir au corollaire sous-entendu par notre question initiale (en quoi la fiction présente dans les séries télé diffère-t-elle des autres fictions eu égard à une quelconque utilité morale ?), nous pouvons à tout le moins tenter une réponse partielle. L’apport de ces fictions comporterait une valeur ajoutée notamment parce qu’elles nous montrent des situations où l’objet philosophique (par exemple, une quête identitaire, un dilemme ou une réflexion sur la place de la croyance) n’est pas donné d’emblée, mais qu’il se construit au terme d’un processus d’analyse (Marrati et Shuster, p. ix), qui nécessite un certain temps pour se déployer.
En effet, l’immersion dans un récit audiovisuel n’est pas la même que l’immersion narrative qui se produit à la lecture de romans, du moins à la lecture de ceux qui seraient, selon Nussbaum, plus à même de développer notre réflexion morale que la philosophie[13]. En fait, c’est une erreur (ou plus simplement un abus de langage) que de plaquer le modèle de la réception littéraire sur celle des productions audiovisuelles, dont les effets sont bien différents que ceux induits par la lecture. Les recherches indiquent en effet que ce qui est perçu dans une immersion fictionnelle est traité cognitivement de la même façon dont on traiterait des évènements réels : par une réaction de tension, euphorie, sueurs, etc. (Schaeffer 1999, p. 300).
Par conséquent, une série télévisée peut favoriser la réflexion morale autant (sinon plus) que le roman ou le film en nous permettant de comparer différents modèles de comportements, justement parce qu’elle permet de mieux simuler une situation. La série permet quelque chose d’inédit, qui combine l’effet procuré par le roman (la durée dans le temps) et celui qui se produit à l’écoute d’un film (l’immersion visuelle). Cette durée qui excède de beaucoup celle de l’expérience cinématographique – même lorsqu’on regarde une série en rafale – permet de prendre du recul pour évaluer un problème, ce qui permet de modifier sa position ou de laisser celle-ci évoluer, de revoir la situation à la lumière d’autres contextes. La fiction permet alors d’expérimenter, de simuler grâce à l’imagination, de comparer différentes versions justement parce qu’elle permet la distanciation par rapport à la réalité (Schaeffer 1999, p. 325). Son contact peut ainsi nous aider à résoudre des problèmes réels, lorsque ceux-ci sont étudiés sous plusieurs angles puis replacés dans leur contexte réel.
Certaines études ont d’ailleurs montré que la fiction permettait de contribuer significativement à régler divers problèmes de la vie courante en aidant à identifier ceux-ci, ainsi que les solutions s’y rattachant : par exemple, visionner des films sentimentaux peut aider à trouver une solution à divers problèmes conjugaux, lorsque ces films présentent des récits qui ne sont pas idéalisés (Rogge et al., 2013). De même, en visionnant une production telle que Série Noire (qu’on ne saurait qualifier de récit idéalisé), on peut ainsi être amené à se demander jusqu’où nous serions prêt à aller pour notre travail ou pour assouvir une passion quelconque (dans le cas des personnages, la passion en question est la création), quelles sont les limites à ne pas franchir en amitié, et ainsi de suite, à condition d’arriver à entrer en immersion bien sûr. C’est dans cette perspective que Nussbaum affirmait que « [s]ans la fiction, notre expérience est trop confinée et restreinte » et qu’une œuvre d’art pouvait nous aider à étendre la portée de notre expérience, afin de nous aider à réfléchir sur « ce qui serait autrement trop éloigné de nous » (Nussbaum, 2010, p. 79). Chaque problème moral est différent et la fiction, elle, permet d’imaginer ces singularités, parfois mieux, selon la philosophe américaine, que la philosophie, qui par définition est contrainte de demeurer dans l’abstraction.
Il reste désormais à discuter d’une objection que l’on pourrait faire à notre propos : qu’en est-il des œuvres où nous risquons de nous identifier à des personnages et comportements complètement immoraux ?
Dépeindre en « pire que pire » : le cas du tueur en série
La condition humaine n’est jamais exempte de ces situations concrètes où l’on est exposé à autrui ou à tout autre danger : ce risque, qui est une condition de tout lien social (Sheperd 2013, p. 121), s’exprime notamment dans la figure du tueur en série, qui est de plus en plus populaire dans la culture audiovisuelle. Cette tendance n’est pas simplement accidentelle car elle remplit un rôle allégorique et permet d’exprimer un questionnement sur l’expérience humaine : « les films fonctionnent en tant que rêves partagés qui expriment les dilemmes et inquiétudes d’une société ; de même, les interactions avec la société peuvent affecter les conceptions individuelles des cinéastes [traduction libre[14]] » (Rieber et Kelly 2014, p. 14). De plus en plus de films et séries placent une telle figure en tant que protagoniste ; peut-être est-ce parce que « le serial killer est l’accomplissement complet du malaise existentiel qui frappe chaque individu au quotidien » (Fisher 2013).
On trouve dans la série Dexter un exemple éloquent, dans la mesure où le « héros » de la série, Dexter Morgan, doit, en plus de mener une quête identitaire pour le moins singulière, lutter pour s’intégrer à la société malgré un élément pour le moins embarrassant de sa personnalité, puisqu’il s’avère qu’il est un tueur en série (ce qui pose pour le moins certaines difficultés d’intégration). Grâce à son emploi de technicien médico-légal pour la police de Miami, notre « tueur en série préféré[15] » (Garcia Fanlo, 2011) jouit d’une certaine latitude et arrive même, épisode après épisode, à faire toujours plus de victimes… à notre grand soulagement. Cela est d’ailleurs pour le moins curieux, car nous sommes généralement d’accord sur le principe suivant : il n’est pas bien de tuer les gens en série (pour dire le moins). Nos certitudes par rapport à certains principes et valeurs sont-elles ébranlées par l’immersion dans un tel récit ? Non. Mais suivre l’intrigue n’est possible qu’au prix de la remise en question de ces certitudes : autrement, nous aurions du mal à suivre le fil narratif et nous serions constamment butés par le caractère « invraisemblable » de certaines situations (car malgré la qualité de scénarisation, le récit contient de nombreuses invraisemblances) ainsi que par le caractère révoltant (au plan moral) de certaines actions.
Nous voilà donc en train de plonger dans le dilemme vécu par le personnage principal (guidés par la voix off, qui nous permet d’avoir accès à ses « pensées »). Dexter doit en effet choisir entre sa survie (s’il est démasqué, il sera condamné à la chaise électrique) et son irrépressible besoin de tuer ce qui lui laisse une marge de manœuvre assez restreinte. La seule option demeure de suivre le « code de Harry », l’enseignement de son père, dont le parti pris résolument conséquentialiste repose sur quelques axiomes (« ne pas tuer des innocents », « ne le faire que lorsque c’est inévitable », etc.). Grâce à ce code, le protagoniste a appris à choisir ses victimes afin que sa pathologie, plutôt que de créer de la souffrance, réduise mutatis mutandis la somme totale de souffrances qui aurait été infligées à des innocents si ses victimes étaient restées en vie. Ainsi, au fil des épisodes, nous voyons le protagoniste sélectionner de potentielles victimes, hésiter, remettre en question les critères de sélection et de décision, appliquant de la sorte une curieuse version de l’éthique utilitariste. Comment en arrive-t-on alors (puisque nous considérons qu’il n’est « pas bien de tuer les gens en série ») à souhaiter ardemment que Dexter Morgan ne soit jamais démasqué, ce qui fait que l’on se retrouve en quelque sorte du côté du tueur ? On est alors loin de l’édification morale promise par Nussbaum et autres tenants de l’éthicisme.
Une partie de la réponse tient à l’effet d’immersion (car nous sommes plongés dans l’histoire au point où notre sens critique est, en apparence, neutralisé), mais surtout au caractère conditionnel et hypothétique de notre assentiment. En effet, conformément à ce qui est décrit par Nussbaum, lors que nous adoptons la perspective de Dexter, nous ne considérons pas que son action est généralisable et acceptable moralement dans tous les contextes (c’est-à-dire qu’il est bien de tuer les gens en série). Nous ne faisons qu’admettre que dans l’éventualité de la situation x (x étant le cadre dans lequel débute la série), il est préférable moralement d’agir comme le fait Dexter qu’autrement. Selon Nussbaum, le roman, « simplement parce qu’il n’est pas notre vie, nous place dans une position morale qui est propice à la perception et il nous montre ce que cela serait d’adopter cette position dans la vie. » (Nussbaum, p. 246), et il en va de même, tel qu’énoncé plus haut, pour le suivi d’une série, qui nous place dans un contexte de « singularité » tel que décrit par la philosophe américaine. Plonger dans ce récit nous fait prendre conscience des limites, des effets pervers, des risques associés à une situation, ce qui permet d’étendre notre expérience tout en n’ayant jamais – heureusement ! – à vivre réellement la vie d’un tueur en série. Dans le cas de Dexter, l’idéal serait de ne pas être un tueur. Mais cela n’est pas possible. Il lui reste alors à être le tueur le moins pire possible sur le plan moral.
Ne pourrait-on pas penser qu’à force de voir d’attachants tueurs en série (ou d’attachants scénaristes ratés qui se vautrent dans la criminalité de bas étage), on en vienne à banaliser ce genre de comportement ? Il n’y a guère de danger là, car l’influence des œuvres demeure limitée, tel que l’a observé par Suzanne Keen dans Empathy and the novel (2007), sur la base d’études empiriques incluant des questionnaires sur les pratiques de lecture. Bref, les livres ne changent pas vraiment nos comportements, ni en bien, ni en mal (ce qui, vraisemblablement, doit s’appliquer également aux séries). Mais ils changent nos représentations, ce qui est déjà beaucoup. Comme le résume avec humour Solange Chavel, si les ouvrages de fiction avaient tant d’impact sur nos actions, les professeurs de littérature seraient des êtres moraux exemplaires… (Chavel, 2012a, p. 157). L’engouement pour les séries présentant un contenu moral douteux n’indique donc pas une faiblesse morale ou un vice : cela témoigne plutôt d’un besoin affectif qui prend plusieurs formes. Par exemple, des productions abordant ces thèmes peuvent nous aider à nous rassurer par rapport à notre environnement en nous aidant à identifier nos craintes relatives à celui-ci (Garcia Fanlo 2011, p. 8). Loin de nous rentre vulnérables aux effets de nos émotions, les séries nous aident à mieux comprendre celles-ci ; elles contribuent donc à rendre de facto le monde un peu meilleur, à tout le moins une partie de celui-ci, c’est-à-dire le monde intérieur de notre imaginaire.
Références
Chavel, S. (2012a) Se mettre à la place d’autrui. L’imagination morale. Presses universitaires de Rennes, 208 p.
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[1] Thériault, M. « Le mythe de l’akrasie esthétique » (en préparation).
[2] DeFino, Dean J. (2014) The HBO Effect. Bloomsbury, 245 p.
[3] Les travaux comme ceux de Stanley Cavell sur les comédies hollywoodiennes en sont un exemple : Cavell a tâché de montrer la portée philosophique de celles-ci ainsi que leur contribution à l’idée même de démocratie. Voir Pursuit of Hapiness (1981), Harvard Film Studies, 283 p.
[4] Voir à ce sujet Talon-Hugon C. (2014) L’art victime de l’esthétique, Hermann, p. 6-7. Voir également Talon-Hugon, C. s.l.d. (2011), Art et éthique. Perspectives anglo-saxonnes, PUF.
[5] Carroll, N. (1996) « Moderate Moralism » in British Journal of Aesthetics, 36 ; 3, p. 223-238.
[6] Gaut, B., « The Ethical Criticism », in Levinson, J. (2001), Ethics and Aesthetics. Essays at the Intersection, Cambridge University Press, p. 182-203.
[7] Voir à ce sujet Thériault, M. (à paraître), Le paradoxe des fans d’Elvis, Presses de l’Université Laval, chapitre 1.
[8] Ronald de Sousa l’exprime ainsi en termes plus actuels : « la notion même de morale n’aurait aucun sens si les émotions n’existaient pas. C’est parce que nous ressentons que les conséquences de nos actes ou de ceux des autres nous intéressent. Cette observation banale nourrit l’espoir de réhabiliter les émotions et de leur reconnaître un rôle dans la rationalité, aussi bien que dans le fondement de la morale. » (De Sousa 2000 ; URL : http://homes.chass.utoronto.ca/~sousa/valeurem.html).
[9] Différentes propositions ont été formulées plus récemment pour expliquer ce phénomène, dont plusieurs en réaction à la proposition de Kendall Walton et sa bien connue théorie du make-believe (ou simulation de « quasi-émotions », guère défendue aujourd’hui, mais qui n’en a pas moins été déterminante pour la contribution aux débats sur la question). Est-ce un simple phénomène d’identification qui est à l’œuvre ? Une forme d’empathie qui fait partie des mécanismes adaptatifs résultant de notre évolution naturelle ? La réponse contemporaine proposée par exemple, par les travaux situés aux croisements de l’esthétique et de la philosophie de l’esprit (par exemple, ceux de Gregory Currie, Jessie Prinz ou Aaron Meskin) porte sur les mécanismes qui entrainent certaines réactions physiologiques : sursauts, nervosité, pleurs. Mais cette réponse, bien que fascinante, ne répond pas directement à ce qui nous intéresse ici, car elle interroge surtout l’aspect physiologique du phénomène (les causes ou le comment).
[10] L’un des auteurs a discuté de la réception de la série en entrevue lors du talk-show Pénéloppe McQuade, émission du mardi 21 mai 2013, diffusée à Radio-Canada. En juin 2014, suite à des résultats décevants quant aux cotes d’écoute (élément qui avait été évoqué comme indice d’une soi-disant piètre qualité artistique), les artisans de la série étaient néanmoins récompensés par18 nominations au Gala des Prix Gémeaux de l’Académie canadienne du cinéma et de la télévision ; de ces nominations, 11 prix étaient décernés en septembre 2014.
[11] http://www.rts.ch/la-1ere/programmes/medialogues/3381603-les-experts-de-la-rts-renoncent-a-dexter.html
[12] http://www.lematin.ch/culture/television/Serial-Killers-a-profusion/story/30983179
[13] Notons que Nussbaum restreint sa thèse à quelques exemples choisis (ce qui, selon nous, en affaiblit considérablement l’intérêt) ; voir à ce sujet (Chavel 2012c, p. 12).
[14] « [F]ilms can function as social dreams that express the dilemmas and anxieties of a culture; by the same token interaction with the culture can affect the dreams of the individual filmmaker ».
[15] Voir également Greene, R., George A. Reisch, Rachel Robison-Green, éds. (2011) Dexter and Philosophy : Mind over Spatter. Blackwell, 293 p.