« Une société selon mon cœur ». Les usages philosophiques et littéraires de la fiction chez Jean-Jacques Rousseau (1/2)
Lecture des lettres de Saint-Preux sur Clarens
dans Julie ou la Nouvelle Héloïse de Jean-Jacques Rousseau.
Julian Michelet, doctorant à l’Université Paris 4, Centre d’étude de la langue et de la littérature françaises des XVIe au XXIe s.
« Écartons tous les faits, car ils ne touchent point à la question. » La célèbre injonction de Rousseau dans le Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes pose les termes d’une méthode d’investigation : pour penser la politique dans son essence, ce ne sont pas les faits, multiples, divers et trompeurs, qu’il faut interroger. En effet, pour s’atteler à la critique des institutions sociales et politiques d’un lieu et d’un temps donnés, il est nécessaire pour Rousseau de déterminer d’abord une norme politique universelle débarrassée de toutes les contingences historiques, qui serve de point de comparaison. Aussi Rousseau écrit-il dans Émile : « Il faut savoir ce qui doit être pour bien juger de ce qui est »[1]. L’ordre idéal de la norme sert donc de pierre de touche par rapport au réel qu’elle sert à évaluer en fonction de la plus ou moins grande adéquation du fait avec le droit[2]. Aussi, jusqu’à son effectuation dans l’ordre de l’histoire, la norme politique demeure-t-elle du domaine de l’hypothétique. En effet, elle se tient par rapport à la réalité des institutions politiques à la fois comme ce qui la fonde et comme une virtualité possible et idéale. Aussi la description de la constitution politique telle qu’elle soit conforme à la norme mise au jour par la pensée ne peut-elle être qu’un ouvrage de l’imagination, autrement dit, une fiction.
C’est pourquoi nombreuses sont les fictions dans l’œuvre de Jean-Jacques Rousseau, dont les plus connues sont d’une part les fictions servant à représenter l’état de nature et les mécanismes qui ont conduit à sa corruption, quoi qu’il en soit d’ailleurs de la réalité des événements décrits, puisqu’il ne s’agit pas de faire œuvre d’historien mais de faire comprendre un concept, et d’autre part la concession majeure faite par Rousseau au goût et à la mode littéraires de son époque : le roman de Julie, ou la Nouvelle Héloïse[3]. Plus particulièrement, dans ce roman, sont contenus deux épisodes qui semblent faire écho aux fictions présentées dans les œuvres plus théoriques de Rousseau, car ils donnent l’image de communautés politiques dont la description est connotée positivement et dont les éléments semblent illustrer certaines thèses contenues dans le Deuxième discours et le Contrat social : il s’agit de la communauté du village montagnard du Valais au livre I et de la communauté de Clarens aux livres IV et V.
Cependant, ces deux communautés fictives présentent une différence majeure. Effectivement, alors que le petit village valaisan représente une survivance du passé dans le présent, où le cours du temps semble avoir été interrompu, petite communauté située en altitude et coupée du reste des hommes, et que cette description peut renvoyer aux vestiges d’un état ancien peu éloigné du second état de nature présenté dans le Deuxième discours, la communauté de Clarens appartient explicitement aux temps modernes, puisque ce sont les personnages de Julie et de M. de Wolmar, impliqués dans l’intrigue générale du roman qui se déroule entre la France et la Suisse du XVIIIe siècle, qui en sont les propriétaires. Ainsi, alors que les textes précédents présentaient le second état de nature comme un état idyllique révolu (Deuxième discours, Essai sur l’origine des langues), les lettres de Saint-Preux à milord Édouard sur la communauté de Clarens ont pu être lues comme une actualisation, une modernisation des exigences de l’idylle[4], afin de penser la possibilité de son adaptation effective aux réalités socio-historiques du XVIIIe siècle[5]. Certains ont pu aller jusqu’à qualifier la communauté de Clarens de « parabole », suggérant ainsi que les lettres de Saint-Preux pouvaient fournir une image fidèle du type de société que Rousseau souhaiterait voir établi conformément à la norme présentée dans le Contrat social, et que la communauté de Clarens serait une illustration parfaite des thèses que Rousseau y développe[6], La Nouvelle Héloïse venant développer et préciser les thèses du Contrat. Or ces exégètes ne tardent pas à démontrer que la société de Clarens contrevient largement aux principes énoncés dans le Deuxième discours et dans le Contrat social, et concluent à l’inconséquence de la théorie de Rousseau. Il faudra donc tenter de déterminer le statut qu’il faut accorder à ces lettres pour proposer une analyse sur le plan de la théorie politique de la communauté présentée par Rousseau. D’autre part, quel que soit par ailleurs le degré de conceptualisation philosophique à l’œuvre dans la fiction de Clarens, il est important de prendre garde qu’il est contestable de l’étudier tout à fait comme on étudierait les fictions du Deuxième discours ou d’autres textes plus théoriques de Rousseau. Si l’on a eu raison de refuser de séparer chez Rousseau les œuvres qui feraient spécifiquement partie d’un projet philosophique de celles qui seraient plus proprement littéraires, il n’en demeure pas moins que la nature de ces textes est différente, et que le roman, ouvrage explicitement tourné vers la production de plaisir[7], pose des problèmes spécifiquement littéraires qui ne sont pas exclusifs des questions philosophiques et politiques, mais complémentaires.
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Du statut qu’on accorde aux lettres de Clarens dépend largement l’interprétation qu’on peut en donner, car elle repose en définitive sur la question classique concernant l’étude des textes et de la politique de Rousseau : quel rapport ces textes entretiennent-ils avec la réalité politique ? Dans quelle mesure doit-on les considérer comme programmatiques, comme des images fidèles de la transformation de la communauté politique voulue par Rousseau ? Or il devrait sembler significatif que la seule description d’une communauté politique heureuse dans un cadre spatio‑chronologique commun à l’auteur comme au lecteur, à l’exception d’une Genève largement idéalisée, soit placée par Rousseau dans une œuvre dont le statut est de part en part fictif :
N. Mais enfin, vous connaissez les lieux ? Vous avez été à Vevey, dans le pays de Vaud ?
R. Plusieurs fois, et je vous déclare que je n’y ai point ouï parler du baron d’Étange ni de sa fille ; le nom de M. de Wolmar n’y est même pas connu. J’ai été à Clarens ; je n’y ai rien vu de semblable à la maison décrite dans ces lettres. […] Enfin, autant que je puis me rappeler la situation du pays, j’ai remarqué dans ces lettres des transpositions de lieux et des erreurs de topographie…[8]
Ainsi, alors que les fictions du Deuxième discours apparaissaient explicitement comme des élaborations théoriques, prenant place dans le contexte argumentatif du discours philosophique, les lettres de Clarens ne se distinguent pas essentiellement du contexte narratif dans lequel elles s’inscrivent, puisqu’elles renvoient à l’espace et au temps diégétiques et s’intègrent donc dans l’histoire racontée dans le roman : elles ne se situent pas à un niveau narratif différent et au contraire, par exemple, de « paraboles », leur raison d’être n’est pas d’abord d’appeler une interprétation théorique de type allégorique. Quelles que soient par ailleurs les possibilités d’interprétation de ces lettres sur le plan de la théorie politique, elles sont d’abord la description faite par un des personnages du roman du lieu dans lequel l’auteur l’a placé, où il coule des jours heureux, et qui est décrit d’abord parce qu’il est le lieu d’un intense bonheur individuel vécu par Saint-Preux. Ainsi s’ouvre la première lettre de Clarens du roman :
Que de plaisirs trop tard connus je goûte depuis trois semaines ! La douce chose de couler ses jours dans le sein d’une tranquille amitié, à l’abri de l’orage des passions impétueuses ! Milord, que c’est un spectacle agréable et touchant que celui d’une maison simple et bien réglée où règnent l’ordre, la paix, l’innocence ; où l’on voit réuni sans appareil, sans éclat, tout ce qui répond à la véritable destination de l’homme[9] !
L’épanchement lyrique commence par l’évocation de la « tranquille amitié » qui lie Saint-Preux à Wolmar, et surtout à Julie qui, avant « l’ordre, la paix, l’innocence », règne sur Clarens. L’évocation de l’organisation domestique particulière à Clarens ne vient qu’ensuite, et l’on peut légitimement se demander si l’état émotionnel de Saint-Preux est causé par l’organisation idéale de la société de Clarens, ou bien si cette perception euphorique du lieu est elle-même causée par le bonheur de se trouver là où se trouve Julie, et délivré des affres de la passion.
La description de la communauté de Clarens ne semble pas correspondre à la définition de la parabole[10] ni par conséquent se soumettre aisément à une lecture strictement allégorique. En effet, la revendication d’une utilité tirée d’un sens plus profond pour le genre du roman n’est pas spécifique à Rousseau mais est caractéristique de l’ensemble de la production romanesque au XVIIIe siècle[11], et ne saurait être suffisante pour caractériser Clarens de « parabole », sauf à concéder au roman tout entier ce statut. Il ne nous semble pas non plus qu’on puisse lui conférer le statut de simple illustration des préceptes contenus dans les ouvrages théoriques précédents. En effet, alors que dans le Deuxième discours, Rousseau énonce : « Le premier qui ayant enclos un terrain s’avisa de dire : Ceci est à moi, et trouva des gens assez simples pour le croire, fut le vrai fondateur de la société civile »[12], donc de l’inégalité, et compose une célèbre prosopopée du riche[13], Wolmar et Julie sont des propriétaires. De même, alors que dans le Contrat social, Rousseau affirme : « L’homme est né libre et partout il est dans les fers »[14], il écrit dans La Nouvelle Héloïse : « Dans la république on retient les citoyens par des mœurs, des principes, de la vertu ; mais comment contenir des domestiques, des mercenaires, autrement que par la contrainte et la gêne ? »[15], signifiant par là que tous les membres de la maison des Wolmar ne peuvent être assimilés à des citoyens, ni cette maison à la « république ».
Les lettres sur la communauté de Clarens doivent donc être considérées comme relevant d’un statut particulier qu’elles tiennent notamment de leur intégration à un roman[16]. Le genre de l’utopie, qui connaît un développement important au XVIIIe siècle, peut leur fournir une référence générique[17]. En effet, la situation géographique de Clarens est présentée par Rousseau lui-même dans la Seconde préface de façon très imprécise (voir supra) : le Clarens réel ne correspond pas au Clarens littéraire du roman. De plus, si Rousseau a pu se rendre au Clarens réel, le Clarens littéraire semble beaucoup plus fermé aux étrangers, on y a peu de communication avec l’extérieur[18], si bien que Saint-Preux finit par assimiler Clarens à une île[19]. Mais la caractéristique la plus manifeste de ce lieu coupé des hommes est son parfait monologisme. En effet, il est qualifié de façon uniformément positive tout au long de ces lettres, dans lesquelles Saint-Preux ne cesse de louer l’harmonie et la beauté de la communauté de Clarens. De plus, malgré la forme épistolaire, faite pour donner à entendre plusieurs voix et connaître plusieurs points de vue, les lettres de Saint-Preux semblent témoigner d’une totale communion d’esprit avec Wolmar et Julie, qui se marque par la présence sans rupture de style majeure de paroles rapportées qui ont été prononcées par l’un ou par l’autre. Lorsque Saint-Preux risque d’être en désaccord avec ces deux personnages, il lui suffit de quelques explications pour être convaincu. Ainsi, toutes les descriptions de Clarens proviennent pour ainsi dire d’une même voix, comme l’écrit Saint-Preux :
En fréquentant ces heureux époux, leur ascendant me gagne et me touche insensiblement, et mon cœur se met par degrés à l’unisson des leurs, comme la voix prend, sans qu’on y songe, le ton des gens avec qui l’on parle[20].
Mais un premier élément de complexité, outre la longueur de la description, qui s’étend sur plusieurs lettres et laisse aux observations équivoques le temps d’affleurer, est une note censée être du compositeur du recueil, que le lecteur assimile à Rousseau lui-même, auteur du roman, exprimant un désaccord avec Wolmar au sujet de la valeur de l’individuel, notamment en botanique[21]. Saint-Preux n’est donc pas exactement le double de Rousseau, présent sous une autre forme dans le livre, et par conséquent, il n’est pas possible de faire de lui un porte-parole direct de l’auteur, ni de Clarens un simple exercice d’application de ses thèses philosophiques. « Ce qu’il faut admettre, c’est que “l’approche imagée de la vérité”, même motivée par un souci pédagogique, est toujours, en fin de compte, problématique. »[22]
Or, comme nous l’avons dit, il n’est pas anodin que la communauté de Clarens s’intègre dans la fiction plus large qu’est le roman de la Nouvelle Héloïse, et que Rousseau ne produise pas un nouveau traité politique. D’abord, la Nouvelle Héloïse ne se réduit pas à la problématique politique. Mais, comme le montrait la dédicace que Rousseau a placée en tête du Deuxième discours, ou comme le montrera le préambule des Confessions, chaque écrit de Rousseau est un acte, une prise de parole publique, et par conséquent aussi un acte politique. D’où la nécessité qu’il éprouve « d’avouer les livres qu’il publie »[23]. En effet, Rousseau inaugure avec la Nouvelle Héloïse une nouvelle façon de s’adresser à ses contemporains, et surtout, change de destinataires :
J’ai changé de moyen, mais non pas d’objet. Quand j’ai tâché de parler aux hommes, on ne m’a point entendu ; peut-être en parlant aux enfants me ferai-je mieux entendre ; et les enfants ne goûtent pas mieux la raison nue que les remèdes mal déguisés[24].
Rousseau s’adresse aux enfants, c’est-à-dire aux jeunes hommes et femmes -particulièrement femmes- qui lisent des romans, aux provinciaux, qui en lisent plus que les autres[25], aux Parisiens et aux habitants des grandes villes[26], et plus largement aux hommes de son époque. Rousseau prend donc acte d’une certaine réalité sociologique et culturelle propre à son temps, et des attentes de son public, pour proposer l’image d’une communauté politique heureuse et les moyens de parvenir à une meilleure organisation sociale[27]. Et, en tant qu’écrivain de langue française, c’est particulièrement en pensant à la réalité des institutions et de la société françaises que Rousseau écrit[28], une société d’Ancien régime, où le pouvoir politique est largement concentré entre les mains d’un monarque absolu et de son gouvernement, tandis que le pouvoir économique est entre les mains d’une élite restreinte. C’est pourquoi Rousseau accepte « de se situer dans une société d’inégalité, pour y faire des propositions tendant à diminuer cette inégalité ou à en atténuer les effets »[29]. Rousseau use des conventions du genre pour se conformer aux attentes du public, et s’inscrit dans une dimension rhétorique de la parole. Comme Rousseau, dans la dédicace de son Deuxième discours à la République de Genève, de facture très oratoire, revêtait la persona d’un citoyen-orateur antique dénonçant les travers de la société, ici, Jean-Jacques se fait auteur de romans pour atteindre la société française pervertie par la lecture des romans et la recherche déréglée du plaisir. Pour être efficace, le roman doit procurer du plaisir, sans trop dépayser le lecteur, sous peine de compromettre la nécessaire empathie qu’il doit éprouver. De plus, si comme il se le propose, le but de Rousseau est de faire en sorte que le provincial se mette à aimer son état[30], prêcher l’abolition de la propriété n’est pas le meilleur moyen pour s’en faire entendre. La Nouvelle Héloïse ni Rousseau ne sont révolutionnaires, nous y reviendrons car « pour rendre utile ce qu’on veut dire, il faut d’abord se faire écouter de ceux qui doivent en faire usage »[31].
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La nature des lettres de Clarens ayant été précisée par rapport aux écrits théoriques de Rousseau, il faut s’interroger sur le fonctionnement interne de la société de Clarens, et l’évaluer à l’aune de la norme politique dégagée par Rousseau dans ses écrits théoriques.
Il s’agit d’abord de savoir si la communauté de Clarens est un peuple. La description de la communauté de Clarens est travaillée par une forme de tension entre le modèle familial et le modèle de la cité de citoyens-paysans. En effet, l’Antiquité est convoquée, notamment dans le moment de liesse générale que sont les vendanges, où sont évoqués une « salle à l’antique[32] » et des jeux-concours analogues aux agônes grecs[33], ce qui peut faire écho à l’admiration professée par Rousseau pour Sparte. Mais la plupart du temps, les habitants de Clarens sont désignés comme des « enfants[34] », qu’ils soient paysans ou domestiques, les derniers étant choisis parmi les premiers.
Toutefois, puisqu’on peut toujours, à la rigueur, cesser de vouloir appartenir à la communauté de Clarens, et qu’on permet à ceux qui veulent la quitter de le faire[35], y participer doit être le fruit d’une décision libre. Or, la façon dont s’exerce l’autorité de M. et Mme de Wolmar semble bien ressembler à l’expression de la volonté générale :
Il n’y a jamais ni mauvaise humeur ni mutinerie dans l’obéissance, parce qu’il n’y a ni hauteur ni caprice dans le commandement, qu’on n’exige rien qui ne soit raisonnable et utile, et qu’on respecte assez la dignité de l’homme, quoique dans la servitude, pour ne l’occuper qu’à des choses qui ne l’avilissent point. Au surplus, rien n’est bas ici que le vice, et tout ce qui est utile et juste est honnête et bienséant[36].
Puisque la volonté de M. et Mme de Wolmar respecte l’intérêt de chacun, sans avilir quiconque, faisant accéder tous les membres de la communauté à une existence sous le signe de la moralité, il semble bien qu’elle intègre, au sens mathématique du terme[37], toutes les volontés individuelles, que la volonté générale seule fonde et préserve comme leur principe[38], puisque « on veut toujours son bien, mais [qu’]on ne le voit pas toujours »[39]. L’aliénation totale de la volonté des habitants de Clarens à celle de M. et Mme de Wolmar semble donc finalement correspondre au schéma proposé par Rousseau dans le Contrat social, car il n’est pas nécessaire que le gouvernement ait une forme démocratique pour que soient respectées les clauses du contrat. De plus, l’assimilation de M. et Mme de Wolmar à des père et mère pour leurs domestiques n’a rien pour choquer Rousseau car :
Quant à l’autorité paternelle dont plusieurs ont fait dériver le Gouvernement absolu et toute la Société […], il suffit de remarquer que rien au monde n’est plus éloigné de l’esprit féroce du Despotisme que la douceur de cette autorité qui regarde plus à l’avantage de celui qui obéit qu’à l’utilité de celui qui commande[40].
Mais Rousseau explique plus loin que cette autorité paternelle n’est légitime qu’autant que l’enfant en a besoin et est dépendant, et qu’au-delà de ce terme, ils doivent devenir des égaux[41]. C’est ce qui ne se produit pas dans la communauté de Clarens, dont les habitants demeurent des enfants jusqu’à la fin de leur vie[42], sous la tutelle de M. et Mme de Wolmar. On ne peut donc pas dire des habitants de Clarens qu’ils constituent un peuple dont M. et Mme de Wolmar seraient les souverains et l’on est loin de la société idéale du Contrat social, puisque en effet, tout consiste à faire passer pour liberté ce qui n’est en fait que soumission à l’autorité des « maîtres », qui semble s’étendre très loin, grâce à une forme de soft power efficace[43]. Ainsi M. de Wolmar « n’avait droit que sur les actions ; il s’en donne encore sur les volontés »[44]. De sorte que :
Tel qui taxerait en cela de caprice les volontés d’un maître, se soumet sans répugnance à une manière de vivre qu’on ne lui prescrit pas formellement, mais qu’il juge lui-même être la meilleure et la plus naturelle[45].
On a commenté cette emprise de M. de Wolmar et sa femme sur les volontés de leurs domestiques comme le stade ultime de manipulation des corps et des consciences, qu’on n’a pas hésité à comparer aux régimes totalitaires, qui conduisent à une uniformisation complète des individus et à leur aliénation radicale. Ainsi, Lester G. Crocker peut écrire qu’une « orthodoxie étouffante n’est pas une société libre, même si l’on s’est débrouillé pour obtenir un consentement volontaire »[46]. Mais il est impossible d’attribuer de telles idées à Rousseau. D’abord, outre l’anachronisme, parce que ce consentement n’est pas obtenu chez Rousseau par la violence, mais par la douceur, l’exemple et les explications :
L’un, faisant parler la justice et la vérité, humilie et confond les coupables ; l’autre leur donne un regret mortel de l’être, en leur montrant celui qu’elle a d’être forcée à leur ôter sa bienveillance[47].
Toutes ces vaines subtilités sont ignorées dans cette maison, et le grand art des maîtres pour rendre leurs domestiques tels qu’ils les veulent est de se montrer à eux tels qu’ils sont[48].
Doit-on vraiment se méfier de Rousseau lorsqu’il parle de « justice » et de « vérité » ? On peut ne pas croire qu’une telle société soit réalisable, et d’ailleurs Rousseau, dans la suite de son roman, a fait place à ce scepticisme puisque la société de Clarens ne dure qu’autant que Julie est là pour en former le centre. Mais dans la fiction romanesque et idéalisante de Rousseau, il n’y a pas lieu de douter que les maîtres en usent de la façon qu’il nous dit. Cela conduit d’ailleurs Lester G. Crocker à douter de tout, lui qui va jusqu’à affirmer que Rousseau « greffe sur Saint-Preux l’illusion d’être heureux »[49], ce qui est difficile à soutenir ! En vérité, un tel défaut d’interprétation provient de la projection sur le texte et la réflexion de Rousseau d’angoisses nées des pratiques totalitaires spécifiques au XXe siècle : il ne viendrait pas à l’idée de Rousseau de condamner un consentement obtenu par la persuasion, que celle-ci passe par le langage ou par les gestes. Bien sûr, le XVIIIe siècle comme les autres est conscient du danger lié au pouvoir de la rhétorique[50], mais ce danger est compensé chez Rousseau par la valeur morale de Julie et de M. de Wolmar. Il est en effet impossible pour Rousseau de dissocier l’ordre politique de l’ordre moral, la dimension collective de la dimension individuelle. Ici, bien que Julie et M. de Wolmar jouissent d’un pouvoir en fait absolu, leur valeur morale individuelle et leur comportement assurent le bon fonctionnement de l’ensemble de la petite société de Clarens : les dirigeants ont une responsabilité politique et morale vis-à-vis des plus faibles :
Comme les domestiques ne voient jamais rien faire à leur maître qui ne soit droit, juste, équitable, ils ne regardent point la justice comme le tribut du pauvre, comme le joug du malheureux, comme une des misères de leur état. […] La confiance qu’on a dans leur intégrité donne à leurs institutions une force qui les fait valoir et prévient les abus.
Le mal-être lui est extrêmement sensible et pour elle et pour les autres ; et il ne lui serait pas plus aisé d’être heureuse en voyant des misérables, qu’à l’homme droit de conserver sa vertu toujours pure en vivant sans cesse au milieu des méchants. […] C’est l’existence et non la vue des malheureux qui la tourmente[51].
La bonté naturelle de Julie et de M. de Wolmar assure que l’autorité ne se transforme pas en oppression. Celle-ci se maintient d’ailleurs grâce aux manifestations continues de cette bonté naturelle. Comme l’exprime Jean Starobinski, la société de Clarens « exprime sur le plan “existentiel” de l’affectivité tout ce que le Contrat formule sur le plan de la théorie du droit »[52]. C’est pourquoi le modèle de Clarens n’est pas transposable n’importe où, car « les instruments du bonheur ne sont rien pour qui ne sait pas les mettre en œuvre, et l’on ne sent en quoi le vrai bonheur consiste qu’autant qu’on est propre à le goûter »[53]. L’ordre politique repose sur les qualités intrinsèques des individus qui le composent (ici, le couple Wolmar uniquement), et qui le régulent[54]. Aussi peut-on être heureux à Clarens[55] : c’est que cette petite société pallie l’absence réelle de liberté politique accordée à ses membres en en ménageant pourtant tous les effets[56]. Rousseau accepte d’abandonner la liberté politique réelle pour pouvoir en conserver le sentiment.
On peut être déçu de cette résignation, mais le gain cependant est réel. Alors que dans le Deuxième discours, le riche concevait ses rapports avec les plus pauvres sous le mode de la guerre[57], de telles paroles sont incompréhensibles à Clarens :
Si quelque valet étranger venait dire aux gens de cette maison qu’un maître et ses domestiques sont entre eux dans un véritable état de guerre ; que ceux-ci, faisant au premier du tout pis qu’ils peuvent, usent en cela d’une juste représaille ; que les maîtres étant usurpateurs, menteurs et fripons, il n’y a pas de mal à les traiter comme ils traitent le prince, ou le peuple, ou les particuliers, et à leur rendre adroitement le mal qu’ils font à force ouverte ; celui qui parlerait ainsi ne serait entendu de personne[58].
Ce passage est très critique, puisqu’il est aisé de comprendre que le valet en question ne peut venir que de France. En effet, contrairement aux sociétés réelles auxquelles Jean-Jacques a eu affaire, celle de Clarens parvient au moins à supprimer l’état de guerre de tous contre tous, et plus particulièrement entre riches et pauvres, et donc à faire droit aux sentiments les plus naturels chez l’homme, ceux de bienveillance et de pitié. Ainsi, si « comme le premier pas vers le bien est de ne point faire de mal, le premier pas vers le bonheur est de ne point souffrir », la société de Clarens est engagée sur la voie du bonheur[59].
Mais il faut bien reconnaître que le reproche de conservatisme social adressé à Rousseau est ici justifié. Julie et Wolmar souhaitent conserver tout le monde à sa place : « La grande maxime de Mme de Wolmar est donc de ne point favoriser les changements de condition »[60]. « Nul projet révolutionnaire » ne devrait être déduit des écrits de Rousseau[61], comme il l’exprime lui-même : « Il a toujours insisté sur la conservation des institutions existantes, soutenant que leur obstruction ne ferait qu’ôter les palliatifs en laissant les vices et substituer le brigandage à la corruption »[62.] Certes, on ne conçoit plus aujourd’hui la liberté dans l’État sans celle de changer de situation sociale, cette possibilité d’ascension sociale étant une des bases du républicanisme moderne. Mais pour Rousseau, le désir d’ascension sociale procède des rivalités causées par l’amour-propre auxquelles le philosophe et moraliste, depuis le Discours sur les sciences et les arts, impute le délitement du lien social. Il vaut donc mieux que chacun apprenne à aimer sa condition, ne désire pas en changer, et préserve ainsi à la fois l’ordre social collectif, mais également une certaine forme de santé individuelle[63]. Rousseau tient particulièrement à cette idée, et celles de Julie sur la mobilité sociale appartenaient déjà à « R. » dans la Seconde préface[64]. Le but de Rousseau, comme celui de Julie, est de faire aimer son état à l’homme de la campagne. Cela correspond à une authentique valorisation par Rousseau des mœurs rurales, éloignées de la perversion des grandes villes où les hommes sont « liés aux vices de la société, par des chaînes qu’il ne peuvent rompre »[65]. Au contraire, « la condition naturelle à l’homme est de cultiver la terre et de vivre de ses fruits »[66]. De même, pour le travail des champs, « l’objet de l’utilité publique et privée le rend intéressant ; et puis, c’est la première vocation de l’homme, il rappelle à l’esprit une idée agréable, et au cœur tous les charmes de l’âge d’or »[67]. C’est là, pour Rousseau, que peuvent peut-être être réunies les conditions de l’institution d’une société heureuse. En tout cas, c’est là que se trouvent la base et les forces vives de la société :
Quand il est question d’estimer la puissance publique, le bel esprit visite les palais du prince, ses ports, ses troupes, ses arsenaux, ses villes ; le vrai politique parcourt les terres et va dans la chaumière du laboureur. Le premier voit ce qu’on fait, et le second ce qu’on peut faire[68].
Rousseau assume la conséquence de cette conception, qui ne permet pas à chacun de développer autant que possible ses dons. C’est que depuis le Discours sur les sciences et les arts, Rousseau a montré que les dons individuels apportent la discorde au sein de la société, et que cette dernière n’a besoin d’eux qu’autant qu’il est nécessaire de réparer ce dont cette rivalité elle-même est responsable. Or, « pour distribuer convenablement les choses, il ne faut pas tant chercher dans leur partage l’emploi auquel chaque homme est le plus propre, que celui qui est le plus propre à chaque homme pour le rendre bon et heureux autant qu’il est possible »[69]. De plus, comme il y a potentiellement plus de candidats que de places à tel ou tel emploi, il convient de ne pas trop développer ces dons individuels :
S’il existait une société où les emplois et les rangs fussent exactement mesurés sur les talents et le mérite personnel, chacun pourrait aspirer à la place qu’il saurait le mieux remplir ; mais il faut se conduire par des règles plus sûres, et renoncer au prix des talents, quand le plus vil de tous est le seul qui mène à la fortune[70].
La mobilité sociale pour Rousseau n’est donc pas bonne en elle-même, car elle est facteur de désordre, et la multiplication des compétences au sein de la société apporte plus de maux que de biens. Or, « l’ordre et la règle, qui multiplient et perpétuent l’usage des biens, peuvent seuls transformer le plaisir en bonheur »[71]. Le bon fonctionnement interne de la communauté de Clarens est donc fondé sur le renoncement et le sacrifice de certains désirs individuels. Toutefois, l’ordre institué par Julie et M. de Wolmar n’exige pas l’abolition du désir individuel. Elle travaille juste à l’orienter dans une direction telle qu’il soit compatible avec l’intérêt public :
On fait plus, on les engage à se servir mutuellement en secret, sans ostentation, sans se faire valoir ; ce qui est d’autant moins difficile à obtenir qu’ils savent fort bien que le maître, témoin de cette discrétion, les en estime davantage ; ainsi l’intérêt y gagne, et l’amour-propre n’y perd rien.
Un autre moyen d’étouffer les désirs d’élévation sociale consiste pour les maîtres et les domestiques à prendre conscience du caractère historique et contingent des conditions sociales. En de certaines occasions, notamment les fêtes, comme celle des vendanges racontée au livre V, lettre 7, les maîtres affecteront de sortir de leur rang pour se mettre au niveau de leurs domestiques. Cette « complaisance » procède d’une véritable opération de maintien de l’ordre social :
Ces complaisances ne leur échappent pas, ils y sont sensibles ; et voyant qu’on veut bien sortir pour eux de sa place, ils s’en tiennent d’autant plus volontiers à la leur[72].
Tout vit dans la plus grande familiarité ; tout le monde est égal, et personne ne s’oublie[73].
Mais il ne s’agit pas d’un renversement de type carnavalesque. Il s’agit plutôt de retrouver pendant un moment l’égalité naturelle qui caractérise les hommes dans l’état de nature.
Ces saturnales sont bien plus agréables que celles des Romains. Le renversement qu’ils affectaient était trop vain pour instruire le maître ni l’esclave ; mais la douce égalité qui règne ici rétablit l’ordre de la nature, forme une instruction pour les uns, une consolation pour les autres, et un lien d’amitié pour tous[74].
Néanmoins, une note de Rousseau tire la conséquence sur le plan politique et anthropologique d’une telle pratique, tout en en précisant le caractère temporaire : « ne s’ensuit-il pas que tous les états sont presque indifférents par eux-mêmes, pourvu qu’on puisse et qu’on veuille en sortir quelquefois ? »[75]. Comme l’explique Jean Starobinski : « l’état de fête permet de considérer les inégalités comme indifférentes : l’égalité réalisée dans la fête démontre l’inutilité d’une transformation réelle de la société. […] Tout se passe comme si l’essence de l’égalité consistait dans le sentiment d’être égal »[76]. On voit ici que chez Rousseau « seul […] le possible est juge du réel »[77], et que le seul fait de pouvoir changer d’état suffit. Clarens « apparaît donc comme l’expression d’une révolte incomplète, comme une formation de compromis »[78]. Mais ce compromis ne peut exister que dans la fiction idéalisée du roman. Fondé sur le renoncement au désir individuel, son existence est précaire, et cet instant de félicité ne dure qu’autant que la subtile alchimie du triangle formé par Saint-Preux, Wolmar et Julie perdure ; mais cet état ne peut être qu’un état transitoire, que la mort va transfigurer et dépasser. Ce fragile équilibre est exprimé par Saint-Preux, dont les mots peuvent qualifier également le système politique de Clarens : « Je passe des jours sereins entre la raison vivante et la vertu sensible »[79].
Ces deux pôles, la raison, qui enseigne à Wolmar à canaliser les passions, l’intérêt, l’amour-propre des hommes, et la vertu sensible, qui fonde les rapports sociaux autour de la figure morale de Julie, structurent la petite communauté. « L’ordre et la règle » que prône Rousseau ne s’assimilent pas, dans la fiction romanesque, à un cadre rigide, mais sont produits par l’articulation d’une morale et d’une économie, au fondement d’un certain ordre politique.
[1] Émile, livre V, Œuvres complètes, IV, p. 836-837. Sauf indication contraire, les citations de Rousseau sont issues de l’édition de la collection la Pléiade.
[2] « La pensée accomplit son acte philosophique le plus haut lorsqu’elle s’élève jusqu’à l’idéalité pure afin de penser, en une démarche réflexive, ce qu’aurait dû ou pu être l’État conforme à la nature originaire de l’homme en deçà de toutes les perversions par lesquelles elle s’est laissé assaillir. » Politique et philosophie dans l’œuvre de Jean-Jacques Rousseau, Simone Goyard‑Fabre, Paris, PUF, coll. Thémis Philosophie, 2001, p. 31.
[3] Julie, ou la Nouvelle Héloïse est paru en 1761 chez l’éditeur Marc-Michel Rey à Amsterdam, sous le titre Lettres de deux amans, Habitans d’une petite ville au pied des Alpes.
[4] La dimension idyllique est en effet présente à Clarens : « « Comment se dérober à la douce illusion que ces objets font naître ? On oublie son siècle et ses contemporains ; on se transporte au temps des patriarches », Nouvelle Héloïse, V, 7, p. 603.
[5] « Rousseau propose aux lecteurs français ce ‘détail d’une économie domestique’, pour leur suggérer qu’il existe des moyens très précis de relier ce qui est à ce qui doit être. », Michel Launay, Jean-Jacques Rousseau, Écrivain politique, Grenoble, A.C.E.R, 1971 ; Voir aussi, Jacques Berchtold, « Rousseau et la pastorale antique ».
[6] « The problematic of nature and artifice (culture) is definitely resolved in Rousseau’s scheme in his parable of Julie’s garden in La Nouvelle Héloïse », « Rousseau’s soi-disant liberty », Lester G. Crocker, in Rousseau and liberty, éd. Robert Wokler, Manchester University Press, 1995, p. 248.
[7] « Je pense, au contraire, que la fin de ce Recueil serait superflue aux Lecteurs rebutés du commencement, et que ce même commencement doit être agréable à ceux pour qui la fin peut être utile. » La Nouvelle Héloïse, Seconde préface, p. 17.
[8] La Nouvelle Héloïse, Seconde préface, p. 29.
[9] Ibid., IV, 10, p .440-441.
[10] Voir par exemple Susan Suleiman, Le Roman à Thèse ou l’autorité fictive, Paris, PUF, 1983, p. 43 : « toute histoire parabolique […] est tôt ou tard désignée, par le texte parabolique lui-même – soit explicitement […] soit implicitement par des moyens divers – comme ayant besoin d’interprétation, c’est-à-dire comme renvoyant à un sens autre (ou plus) que le sens immédiat des événements racontés ».
[11] Introduction à La Nouvelle Héloïse, Jean M. Goulemot, Le Livre de Poche, 2002, p. 15-16.
[12] Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes, Œuvres complètes, III, p. 164.
[13] Ibid. p. 177.
[14] Du Contrat social, livre I, chap. 1, Œuvres complètes, III, p. 351.
[15] La Nouvelle Héloïse, IV, 10, p. 453.
[16] Rousseau le suggère d’ailleurs, en refusant, dans la Seconde Préface, de signer « citoyen de Genève », Ibid., p. 27.
[17] Voir par exemple, La Nouvelle Héloïse, Rousseau and Utopia, James F. Jones, Jr, Genève-Paris, Droz, 1978.
[18] « Les hôtes sont toujours bien venus et ne sont jamais désirés. » La Nouvelle Héloïse, V, 2 p. 553.
[19] « Tout me rappelle ici ma délicieuse île de Tinian », ibid., IV, 10, p. 441.
[20] Ibid., V, 2, p. 527.
[21] Note de Rousseau à la lettre IV, 11, p. 482.
[22] Susan Suleiman, op. cit., p. 49.
[23] La Nouvelle Héloïse, Préface, p. 5.
[24] Ibid., Seconde préface, p. 17.
[25] Ibid., p. 19.
[26] « Quand on aspire à la gloire, il faut se faire lire à Paris ; quand on veut être utile, il faut se faire lire en province. » Ibid. p. 22. Bien qu’il pense que leur cas soit désespéré et place son espoir dans le gentilhomme de province, Rousseau n’ignore pas néanmoins qu’il sera lu à Paris.
[27] « Rousseau […] n’a pas changé de principe ni d’exigence, mais il adapte sa tactique au but qu’il s’est proposé et au public principal qu’il s’efforce de convaincre. […] La Nouvelle Héloïse serait la tentative réformiste adaptée à un temps et à un lieu, à une certaine conjoncture, et n’exclurait pas une politique plus audacieuse en d’autres temps et lieux. […] Pour exprimer ses vues réformistes, Rousseau ne s’exprime pas directement, mais se sert du truchement et éventuellement des contradictions des personnages de son roman. » Michel Launay, op. cit., p. 305-306.
[28] « La géographie de ce roman vaut par les oppositions de la Suisse et de la France, c’est-à-dire de la république et de la monarchie absolutiste […]. Les formes du gouvernement, ou plus exactement les principes de la politique, tendent d’ailleurs à se substituer aux réalités proprement géographiques. » « La Nouvelle Héloïse et la politique : de l’écart à l’emblème. », Jean Roussel in Lectures de La Nouvelle Héloïse = Reading La Nouvelle Héloïse today, dir. Mostefaï Ourida, Association nord-américaine des études Jean-Jacques Rousseau, 1993, p. 67.
[29] Michel Launay, op. cit., p. 301.
[30] La Nouvelle Héloïse, Seconde Préface, p. 20.
[31] Ibid., p. 17.
[32] Ibid., V, 7, p. 608.
[33] Ibid., IV, 10, p. 454-455.
[34] Ibid., p. 445.
[35] « Que s’il se trouve parmi nos gens quelqu’un, soit homme, soit femme, qui ne s’accommode pas de nos règles et leur préfère la liberté d’aller sous divers prétextes courir où bon lui semble, on ne lui en refuse jamais la permission. » Ibid., p. 445.
[36] La Nouvelle Héloïse, IV, 10, p. 469.
[37] Voir Simone Goyard-Fabre, op. cit., p. 43-44.
[38] « L’aliénation totale par laquelle les êtres s’offrent et se rendent mutuellement visibles leur rend finalement le droit d’exister comme personnes autonomes et libres ; dès lors ils ne souffrent ni solitude ni servitude ; leur existence personnelle est justifiée et soutenue par la reconnaissance d’autrui, fondée sur une bienveillance unanime. » Jean-Jacques Rousseau. La transparence et l’obstacle, Jean Starobinski, Gallimard, Tel, 1971, p. 107.
[39] Du Contrat social, p. 371.
[40] Discours sur l’origine…, p. 182.
[41] Ibid.
[42] « Ai-je tort, milord, de comparer des maîtres si chéris à des pères, et leurs domestiques à leurs enfants ? » La Nouvelle Héloïse, IV, 10, p. 447.
[43] « On ne les gêne point ici par des lois positives qu’ils seraient tentés d’enfreindre en secret ; mais, sans paraître y songer, on établit des usages plus puissants que l’autorité même. » Ibid. p. 449.
[44] Ibid., IV, 10, p. 467.
[45] Ibid. p. 450.
[46] « A suffocating orthodoxy is not a society of liberty, even if willing consent to it has been engineered. » Lester G. Crocker, op. cit. p. 260.
[47] La Nouvelle Héloïse, IV, 10, p. 465.
[48] Ibid. p. 468.
[49] « He grafts onto Saint-Preux the illusion of being happy. » Lester G. Crocker, op. cit. p. 259.
[50] La « prosopopée du riche » dans le Deuxième discours est là pour en témoigner, voir note 12.
[51] La Nouvelle Héloïse, V, 2, p. 531-532.
[52] Jean Starobinski, op. cit., p. 121.
[53] La Nouvelle Héloïse, V, 2, p. 528.
[54] « Ce qui me plaît le plus dans les soins qu’on prend ici du bonheur d’autrui, c’est qu’ils sont tous dirigés par la sagesse, et qu’il n’en résulte jamais d’abus. » Ibid. p. 533. Rousseau n’avait donc pas besoin d’instituer de « contre-pouvoirs », ils ne sont pas nécessaires dans la société idéale de Clarens.
[55] « Ce qui m’a d’abord le plus frappé dans cette maison, c’est d’y trouver l’aisance, la liberté, la gaieté, au milieu de l’ordre et de l’exactitude. » Ibid. p. 530.
[56] « À la subordination des inférieurs se joint la concorde entre les égaux. » Ibid., IV, 10, p. 460.
[57] Deuxième discours, voir supra note 12.
[58] La Nouvelle Héloïse, IV, 10, p. 469.
[59] La Nouvelle Héloïse, V, 2, p. 531.
[60] Ibid., p. 536.
[61] Simone Goyard-Fabre, op. cit., p. 119.
[62] Rousseau, juge de Jean-Jacques, Œuvres complètes, I, p. 935, cité par Simone Goyard-Fabre, supra.
[63] « Voulant être ce qu’on n’est pas, on parvient à se croire autre chose qu’on est, et voilà comment on devient fou. » La Nouvelle Héloïse, Seconde préface, p. 21.
[64] Ibid., p. 18-22.
[65] Ibid. p. 18-19.
[66] Ibid., V, 2, p. 534.
[67] Ibid., V, 7, p. 603.
[68] Ibid., V, 2, p. 535.
[69] La Nouvelle Héloïse, V, 2, p. 536.
[70] Ibid., p. 538.
[71] Ibid., IV, 10, p. 468.
[72] Ibid., V, 7, p. 607.
[73] Ibid.
[74] La Nouvelle Héloïse,V, 7, p. 608.
[75] Note de Rousseau à la lettre V, 7, p. 608.
[76] Jean Starobinski, op. cit., p. 124-125.
[77] Simone Goyard-Fabre, op. cit., p. 32.
[78] Jean Starobinski, op. cit., p. 400.
[79] La Nouvelle Héloïse, V, 2, p. 527.