l’Etat et la question du droit
Par Théophile D’Obermann.
a. La protection du droit
Pour un citoyen, jouir de la sûreté dans l’État, c’est « ne pas être troublé par les usurpations étrangères dans l’exercice des droits qui leur appartiennent, que ces droits aient trait à leur personne ou à leur propriété » (p. 117). L’État ne doit intervenir que lorsqu’il y a violation du droit (selon un principe de nécessité). Selon Humboldt, la sûreté peut être troublée de deux manières : par des actions qui en elles mêmes portent préjudice au droit d’autrui, et par des actions « dont les conséquences seulement sont inquiétantes » (p. 118) Si les actes sont commis, l’État doit les rendre non préjudiciable, d’où l’existence des lois de police, des lois civiles et des lois criminelles.
L’individu va se décharger du pouvoir de se faire justice lui-même (ce qui est une idée lockéenne), et en laisser la charge à l’État. Le principal devoir de l’État est « d’étudier et de décider les litiges entre les citoyens » (p. 150) en prenant « sans se préoccuper de son propre intérêt, la place des citoyens » (p. 147) ; il doit suivre la volonté des parties si elles restent dans les bornes du droit, et les empêcher d’user de moyens illicites afin de déterminer l’issue du procès. La liberté et la propriété étant en jeu, ce devoir de surveillance est limité afin que la procédure ne devienne pas « inquisitoriale » et que le juge ne s’immisce pas trop dans les affaires privées des citoyens. Cependant certaines personnes qui ne sont pas en pleine possession de leurs facultés nécessitent l’intervention de l’État. Il s’agit des mineurs et des « insensés », que l’État doit protéger des intérêts et de l’égoïsme des autres.
b. La législation civile
« En général, et en tout, la volonté diverse et variable des individus est préférable à la volonté uniforme et immuable de l’État. […] Moins l’homme est contraint de faire autre chose que ce que sa volonté commande, ou ce que sa force lui permet, plus sa situation dans l’État est favorable. » (p. 138, 142) L’État, qui doit empêcher que les individus soient troublés dans la jouissance de leur liberté ou de leur propriété par autrui n’a pas de restriction à imposer quant aux actes accomplis avec le consentement d’autrui (il en est ainsi des questions morales).
De manière générale, l’État ne doit pas se mêler des contrats (appelés par Humboldt « déclarations de volonté ») ceci empêchant la vie des affaires mais il devra en réguler certains, notamment ceux où la liberté des personnes est en jeu : il en est ainsi des contrats de travail et du mariage auxquels on pourra substituer un système de bail par exemple. De même, l’État devra veiller à ce que les testaments ne dictent pas aux héritiers ce qu’ils doivent faire de leur vie mais il ne pourra pas décider de la répartition de l’héritage. Si par la loi, il peut contrôler les qualifications de toute profession dont l’exercice illégitime pourrait nuire irréversiblement aux citoyens sans qu’ils en soient au préalablement informés (médecins, avocats ou autre), il ne pourra pas réserver l’exercice de ces professions à ceux qu’il a contribué à former ou à qui il a réservé des privilèges. « . L’homme isolé ne peut pas progresser plus que l’homme enchaîné. » (p. 139)
c. La législation pénale
Du principe de sûreté résulte une configuration de l’État rompant avec les mœurs de la société traditionnelle. Par exemple, l’État dépénalisera la vie sexuelle et ne comptera pas comme crimes ce qu’on appelle les crimes charnels (hormis le viol). La nature et les modalités des peines judiciaires se déduisent de leur unique finalité qui est de protéger l’ordre public. Les peines ne seront vraiment efficaces que si elles produisent une impression positive sur l’esprit du criminel : elles devront donc être modérées. Contre une certaine tradition, Humboldt pense que ce que l’individu doit craindre, ce n’est pas l’État mais seulement la sanction. Moins ces peines sont dures physiquement, plus elles le sont moralement et plus elles ont du poids ; plus elles sont dures physiquement plus elles abolissent la honte de l’individu et renforcent la compassion de la société.
D’autre part, l’honneur d’un homme n’est pas du ressort de l’État et les peines judiciaires ne doivent pas viser à le flétrir, elles ne doivent pas non plus toucher sa famille et ses proches parents. Les peines sont relatives et personnalisées puisqu’elles sont adaptées à chaque individualité et au crime de chacun, elles ne devront en aucun cas attaquer les droits de l’homme de l’individu ; leur sévérité est déterminée par la facilité qu’il y aurait eu à éviter de perpétrer le crime. Tout citoyen doit et peut agir librement tant qu’il ne transgresse pas la loi et n’en franchit pas la frontière : restreindre sa liberté reviendrait à appauvrir son humanité. Humboldt suit le principe éthique du dépassement de soi et prône l’honneur et la vertu, les actions grandes et belles. Or cette éthique est en dehors des limites d’action de la loi qui doit seulement imposer des devoirs que l’individu devra respecter sous peine d’être sanctionné par la loi, la notion d’intentionnalité est ici importante.
Contre Rousseau, Humboldt pense que l’État ne doit pas faire d’éducation citoyenne. Ainsi tous les crimes devront être punis avec rigueur et pour cela, l’État devra édicter de bonnes lois bien réfléchies non selon un critère quantitatif mais un critère qualitatif : le degré de civilisation d’une société se mesure au peu de lois qu’elle édicte, selon qu’elle conçoit le droit de manière formelle ou non, ce pour des raisons pratiques puisque la loi doit être publique.
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IV. De l’utilité de la réforme en vertu des principes précédents : politique et réforme (ch. XV-XVI)