Recension – Sériescopie
SÉRISIER Pierre, BOUTET Marjolaine et BASSAGET Joël, Sériescopie : Guide thématique des séries télé, Paris, Ellipses, coll. « Culture Pop », 2011. 685 p.
Depuis 2009 les séries télévisées sont à l’honneur, et les philosophes s’y intéressent de plus en plus, y trouvant une temporalité et des sujets de réflexion que le cinéma n’offre pas toujours[i]. À partir de ce postulat, que « les séries télévisées sont d’exceptionnels témoins de leur temps », le journaliste Pierre Sérisier, l’historienne Marjolaine Boutet et le scénariste Joël Bassaget se proposent de « guider » le lecteur à travers une recension thématique de 270 séries télévisées. Comme les auteurs le soulignent, Sériescopie n’est « ni un dictionnaire, ni une encyclopédie » mais « un outil de lecture, une grille d’analyse recensant les principaux thèmes qui ont été déclinés depuis soixante ans par la télévision » (p.14). Cette taxinomie se décline en six grandes catégories : l’individu (hommes et femmes), la maison, l’environnement quotidien, les institutions qui aident à vivre ensemble, l’histoire, l’imaginaire ; elles-mêmes subdivisées en vingt-cinq « questions particulières » ou sous-thèmes. Chaque catégorie, sous-thèmes et sous-axe est présenté, et la liste des séries concernées synthétisée. L’ouvrage est complété par une bibliographie, un index des noms propres et un catalogue de fiches techniques de toutes les séries étudiées.
La démarche ne manque pas d’intérêt, ne serait-ce que dans le découpage thématique et la mise en page éditoriale adoptées (des icônes au-dessus du numéro de la page, qui viennent figurer d’une manière pas toujours évidente la section dans laquelle se trouve le chapitre). Ainsi, le sous-thème « Le sexe », comportant les questions de « Prostitution et pornographie » et de « L’homosexualité », se trouve rangé sous le thème principal « La maison », quand on aurait pu l’attendre sous le thème de « L’individu » ; ou encore, le sous-sous-thème « La banlieue » regroupe quatre séries américaines et une série française, quand le terme banlieue est loin d’avoir la même signification en Amérique du nord et en France…
Car c’est un point que l’introduction n’explicite pas : ce guide fait la part belle aux séries télévisées américaines et britanniques, dont certaines n’ont pas connu de diffusion sur les chaînes publiques hexagonales, voire pas de diffusion du tout… ce qui n’est pas anodin en termes d’accessibilité, même en ces temps de téléchargement et de podcast. Sur 270 séries recensées, vingt-trois sont françaises, dont un tiers se sont achevées dans les années 1970. Les chaînes productrices ne sont pas souvent citées (ABC, HBO, BBC, ORTF, Canal+, etc.), ni les plages horaires de diffusion (première partie ou seconde partie de soirée, etc.) ; il n’y a pas d’étude systématique des conditions de production, réalisation et diffusion des séries, ni même de leur réception. L’analyse se concentre sur les aspects sociaux et politiques abordés dans la série, en effectuant une remise en contexte lorsque le sujet le réclame : la guerre en Afghanistan puis en Irak, les élections présidentielles, l’après-11 septembre, etc.
Autre caractéristique un peu curieuse de ces textes : la manière dont des informations relevant de la culture « fan » se mêlent sans transition au reste de l’étude, parfois sans grande pertinence, comme par exemple dans l’analyse de la franchise Les Experts (CSI), où l’on apprend au détour d’un paragraphe que l’acteur interprétant le personnage de Gil Grissom (William Petersen) fut loin d’être ravi de la déclinaison de la série en version « Miami » et « Manhattan ».
Au-delà des thèmes fléchés, ce sont les présentations détaillées qui fournissent les éléments les plus riches et qui constituent une ressource de références historiques, sociologiques et techniques pour le lectorat, que ce soit l’apparition de la technique du split screen dans Mannix (1967-1975) qui deviendra l’un des effets visuels marquants de 24h Chrono (2001-2010) ; le basculement d’une technique du plan fixe à celle du zoom pour créer des effets de rapprochement dans Firefly (2002) qui sera réutilisée abondamment par la franchise Battlestar Galactica (2004-2009) ; le premier baiser entre un homme blanc et une femme noire à l’écran en 1968 dans Star Treck (1966-1969) ; les premières sitcoms sans rires préenregistrés telles que Malcom (Malcom in the Middle, 2000-2006) ; l’apparition de l’expert comme personnage central des univers policier, judiciaire mais aussi politique, des Experts (CSI, depuis 2000) à À la Maison Blanche (The West Wing, 1999-2006) ; les évolutions des rôles de genre et la naissance de nouvelles étiquettes identitaires, des « célibattantes » de Sex and the city (1998-2004) aux « geeks » de The Big Bang Theory (depuis 2007), etc.
On pourra regretter l’absence d’une prise en compte des séries liées à la question de la parité politique, alors que celle-ci est au cœur des élections de ces dernières années : Commander in Chief (2005-2006)[ii], L’État de Grace (2007), Borgen (depuis 2010), Les Hommes de l’ombre (depuis 2012)[iii]. Ou des séries liées aux questions de mutation et de manipulation génétique : Dark Angel (2000-2002), Mutant X (2001-2004), Les 4400 (2004-2007), Heroes (2006-2010)[iv], en pleine époque de débat sur la manipulation du génome, le clonage, les mères porteuses et la procréation médicalement assistée.
Cependant, le guide ne se veut pas exhaustif ; et l’on peut saluer la performance qu’il constitue. Il est probable, comme sa conclusion en fait la prédiction, qu’il sera suivi d’autres ouvrages du même type. Reste aux philosophes à se laisser guider, pour produire ensuite des lectures philosophiques de ces séries télévisées toujours plus nombreuses.
Marie Quévreux, Grenoble II (PLC)
[i] Voir les articles de Delphine Dubs : « Ce que les séries nous apprennent… » et « Le temps de la sérialité », Implications Philosophiques, août 2010.
[ii] Série télévisée rangée dans la catégorie « Les institutions », sous-thème « La politique », sous-sous-thème « La présidence ».
[iii] Certes postérieure à la date de publication de l’ouvrage.
[iv] Série rangées dans la catégorie « Les mondes imaginaires », sous-thème « Les personnages fantastiques », sous-sous-thème « Les super-héros ». Le titre et les références culturelles de la série (les comics) invitent effectivement à une telle classification ; mais la présence de personnages de scientifiques tels que les Suresh père et fils, l’« Agence » et les plans de Petrelli père montrent que la thématique du « héros » ou « super-héros » ne suffit pas.