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Autoportrait de l’artiste en méditation, Lynch et la méditation transcendantale

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Dans le cadre du partenariat avec NonFiction.fr, vous pourrez trouver ci-dessous la recension par Marguerite Chabrol.

Mon histoire vraie : méditation, conscience et créativité de David Lynch. Traduit de l’anglais (États-Unis) par Nicolas Richard, Sonatine, 156 p.

Autoportrait de l’artiste en méditation : Lynch et la méditation transcendantale

La traduction en français de cet ouvrage de Lynch réactive une petite polémique datant de 2005[1] : le cinéaste avait alors révélé sa pratique de la méditation transcendantale – datant en fait du début des années 1970 – à l’occasion de la création de la David Lynch Foundation[2] destinée à l’enseigner et la promouvoir, à accorder des bourses à des étudiants… [3] Le livre de Lynch, qui se situe en fait entre l’autobiographie et le livre de self-help, est sorti aux États-Unis en 2006. Le cinéaste cherche à y donner une image paisible de la méditation et la présente comme la recherche d’une forme de sérénité que ne révèlent a priori pas ses films, qui ont la réputation d’être particulièrement troublés. Le New York Times suggérait ainsi avec humour en décembre 2006 que la révélation d’une intériorité aussi apaisée pouvait avoir quelque chose de « choquant » pour les familiers de l’univers de Lynch.

La méditation transcendantale est toutefois une méthode de relaxation controversée : Lynch en a toujours nié la dimension cultuelle et la conçoit comme un exercice privé. Mais les pratiquants sont aussi liés au Parti de la Loi Naturelle et ces groupes sont apparentés à des sectes, en France comme aux États-Unis. Ajoutons que chez Lynch, le prosélytisme est tout de même un des enjeux de la publication de ce livre, puisqu’il est mentionné explicitement à la fin (p. 151) que les droits d’auteur seront reversés à sa fondation afin de financer des programmes d’études et l’introduction de la méditation transcendantale en milieu scolaire.


Des métaphores aquatiques

Dans un style aphoristique affirmé dès la première phrase (« Les idées sont comme les poissons »), sous forme de très courts chapitres qui peuvent évoquer aussi bien un film, qu’un élément technique (la musique, la DV) ou un principe abstrait (« Le cercle », « Allumez la lumière »…), Lynch aime à s’exprimer d’abord de manière métaphorique, à l’aide d’emprunts au domaine aquatique, comme le souligne le titre original, Catching the Big Fish. C’est en ces termes qu’il essaie de décrire l’influence de sa pratique de la méditation transcendantale dans son approche du cinéma : réaliser des films lui permet une plongée toujours plus « en profondeur » dans son intériorité. La majeure partie des propos de Lynch sur la méditation transcendantale oscillent entre des formules très générales dont on voit mal en quoi elles permettent de comprendre ce qu’est la méditation transcendantale[4] et des solutions miraculeuses pour l’avenir de l’humanité qui rappellent les meilleurs programmes politiques du Parti de la Loi naturelle[5].


Le refus d’expliquer

Le cinéphile peu enclin à la relaxation pourrait alors espérer retrouver, derrière le discours du méditant, la personnalité du cinéaste. Il sera déçu, puisque Lynch refuse de livrer la moindre information nouvelle sur ses films : « Il est absurde qu’un réalisateur soit obligé de recourir aux mots pour dire ce que signifie le film »[6]. On ne lui en demande pas tant : il pourrait prolonger ce qu’il a fait par exemple dans des éditions de dvd ou des entretiens : proposer quelques indices et non des explications littérales. Cette manière d’entretenir le mystère alimente la passion d’une partie de ses admirateurs, critiques comme cinéphiles, qui proclament parfois un peu vite que Lynch est génial parce qu’on n’y comprend rien[7]. Dans Mon histoire vraie, tout ce qui ne concerne pas la méditation transcendantale mais les films à proprement parler consiste surtout à reprendre de manière sommaire des détails ou anecdotes déjà donnés en interviews à l’occasion de la sortie de chacun de ses films (par exemple le motif de la « fugue psychogène » dans Lost Highway (p. 105) dont le scénario est en partie nourri de l’histoire d’O. J. Simpson, l’origine télévisuelle de Mulholland Drive (p. 108), l’importance de sa collaboration avec le compositeur Badalamenti (p. 46), l’idée que le cinéma consiste à inventer un « monde » en ouvrant un rideau (p. 136), etc.) Même les non-spécialistes n’apprendront pas grand chose.


Quelques pistes

Bien qu’il refuse avec provocation de livrer la moindre information[8], Lynch sous-entend tout de même qu’il y a des clefs et ouvre  quelques pistes sans les traiter vraiment, ce qui est assez frustrant : l’évocation de Sunset Boulevard (p. 120), des modèles de Fellini ou Kubrick… est faite de manière anecdotique, mais touche en fait à des caractéristiques très profondes de ses films et peut servir de point de départ à la réflexion. Lynch révèle aussi, au détour de certaines phrases, qu’un film n’est pas un objet préconçu, mais une sorte de puzzle qui ne cesse de se faire et de se défaire au cours de sa réalisation[9]. Lynch insiste aussi dans ce livre sur sa morale de réalisateur, perceptible notamment à sa conception de la direction d’acteurs (p. 75), qu’il refuse de fonder sur le moindre rapport de force. Ainsi, on reconnaîtra surtout au cinéaste le mérite de ne pas se réfugier dans la posture facile de l’artiste souffrant, posture qu’il dénonce fermement (p. 92).

Finalement, Mon histoire vraie n’est ni véritablement un poème, ni un art poétique, ni une initiation à la méditation qui reste décrite de façon très abstraite. Ce livre n’a pas grand chose à voir avec le cinéma. Non pas parce que la  méditation transcendantale n’explique rien des films de Lynch  (les changements d’états de conscience, le fonctionnement de l’intuition éclairent en fait son travail sur la représentation de la subjectivité, ce qui se comprend mieux à la vision d’un de ses films qu’à la lecture de cet ouvrage). Mais parce que ce livre semble surtout s’inscrire dans un projet commercial, en étant une anthologie de quelques propos déjà livrés en entretiens, mis à la sauce d’un nouveau vocabulaire.

Marguerite CHABROL

Dans le cadre du partenariat avec Non Fiction


[1] On pourra trouver un rappel des faits sur le site d’Écran large.

[2] On trouve notamment sur ce site des vidéos des cours donnés par Lynch.

[3] Voir ici le compte-rendu d’une séance face aux étudiants de New York University qui montre  que le programme est pris très au sérieux.

[4] « Vous êtes emporté dans un océan de conscience pure », p. 15

[5] « si la racine carrée de 1% de la population mondiale […] pratique en groupe des techniques avancées de méditation, alors ce groupe, en vertu de recherches ayant été publiées, dégage une puissance proportionnelle au carré des effets qui seraient enregistrés si ces gens étaient dispersés. De tels groupes œuvrant pour la paix ont été constitués pour les études à court terme. Et à chaque fois, on a enregistré des effets bénéfiques tout à fait remarquables pour l’environnement proche. Les crimes et la violence ont diminué de manière significative. », p. 154

[6] p. 27. Voir aussi p. 130 sur le même thème.

[7] Sur cet art de ne rien dire, voir la recension d’Olivier De Bruyn ici qui révèle aussi le goût pour le mystère des admirateurs de Lynch

[8] Le chapitre « Le coffret et la clef », p. 110, évoquant Mulholland Drive, est particulièrement éloquent puisqu’il se réduit à la phrase « Je ne sais absolument pas de quoi il s’agit »

[9] Voir par ex. pp. 126-127

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