Les droits sociaux dans les Etats-providence
Nolwenn Picoche
a) Droits sociaux féminins et masculins [1]
Diane Sainsbury décide d’appliquer les dimensions du tableau à quatre États-providence dans leur situation des années 60. Cette période a été choisie car elle précède les réformes sur l’égalité des sexes des années 70 et offre moins de variation entre les pays. Pour les féministes le modèle « l’homme chef de famille » est intrinsèque à l’État-providence mais reconnaissent qu’il existe des variantes d’un pays à l’autre. Plusieurs théories affirment que les différences entre les pays sont récentes. En étudiant les années 60, l’auteur veut montrer qu’elles existaient déjà à cette époque sous l’influence du modèle « l’homme chef de famille ». Les études traditionnelles opposent les Pays-Bas et la Suède à la Grande-Bretagne et aux États-Unis. Le modèle de Diane Sainsbury débouche sur une nouvelle typologie qui rapproche la Grande-Bretagne et les États-Unis des Pays-Bas laissant de côté la Suède.
b) Les Pays-Bas : le principe d’entretien et le minimum familial [2]
Les Pays-Bas sont la parfaite illustration du modèle « l’homme chef de famille ». Le rôle de la religion dans ce pays a influencé la législation. Ainsi le minimum social est calculé sur le salaire minimum des couples. De la même façon, l’unité pour les cotisations d’assurances est le ménage. Les assurances maladies obligatoires couvrent les non-salariés sans ajout qui n’ont pas accès aux cotisations autrement. Les allocations sont versées au père uniquement qui bénéficie d’exemptions de taxes pour les personnes à charge. Il n’y a pas de congé maternité en plus de l’allocation maternité universelle. Il existe une restriction de travail pour les femmes mariées qui ne bénéficient d’aucune déduction fiscale. La législation pénalise les femmes plus qu’elle ne les encourage à travailler. Dans les années 60, seules 20% des femmes mariées sont actives économiquement dont la moitié seulement en dehors du foyer.
c) La Grande-Bretagne : la discrimination à l’encontre des femmes mariées sous forme de choix [3]
Le modèle « l’homme chef de famille » influence le système de plusieurs façons. Les femmes mariées doivent choisir entre cotiser pleinement en leur nom ou s’appuyer sur leur mari uniquement et ainsi renoncer à plusieurs prestations sociales. Les femmes mariées qui choisissent de cotiser pleinement perçoivent moins de prestations que les hommes mariés et les célibataires. Les allocations incitent les femmes à rester au foyer. Elles sont versées à la mère mais le père a droit à des déductions fiscales pour les enfants. Les deux époux doivent verser des taxes. L’unité de cotisation est l’individu. Le mari perçoit une allocation d’homme marié que sa femme travaille ou non. D’un côté le système fiscal encourage les femmes à travailler mais le système d’assurances les en dissuade. Dans les années 60, 50% des femmes mariées sont actives économiquement.
d) Les États-Unis : la sécurité sociale à deux piliers et la dépendance des femmes [4]
Le modèle « l’homme chef de famille » a influencé à la fois la sécurité sociale et la fiscalité. Pour les assurances, les droits des femmes mariées dépendent du mari. Mais les femmes mariées actives sont couvertes en leur nom. Pour la retraite, elles doivent choisir la cotisation en tant que conjointe ou en tant qu’employée mais ne peuvent pas toucher les deux. Les allocations avantagent les familles traditionnelles en étant plus élevées que les salaires moyens des femmes. La famille traditionnelle a droit à une taxation conjointe qui donne des bénéfices préférentiels et une déduction de taxes pour l’épouse à charge. Cependant, les prestations des employées sont presque toujours supérieures à celles des épouses. Dans les années 60, 35% des femmes mariées travaillaient à l’extérieur du foyer.
e) La Suède : la citoyenneté et le principe de soins [5]
La spécificité de ce pays est de mettre l’accent sur l’accès aux prestations et aux services comme composante des droits de la citoyenneté et de la résidence. Le surnom de la Suède est « État des services sociaux »[6]. L’influence de l’idéologie « l’homme chef de famille » est limitée. En effet, le système intègre les femmes mariées à titre individuel. L’assurance maladie n’est pas que pour les actifs. Les femmes reçoivent les prestations en leur nom propre. Avant les années 70, il existe une taxation conjointe qui a été abolie. Le système fiscal encourage les femmes à travailler avec des déductions pour les enfants à charge plus importantes que celles touchées par le mari. Les femmes au foyer touchent un bonus mais il n’y a pas de pénalisation pour un couple double actif. La participation des femmes à l’emploi est pratiquement égale à celle de Grande-Bretagne ou des États-Unis dans les années 60.
Bilan
a) Les droits sociaux comparés [7]
Dans les années 60, l’idéologie « l’homme chef de famille » est dominante dans les quatre pays. Pourtant la Suède se différencie sur plusieurs points. Le fondement du droit est la citoyenneté ou la résidence ce qui implique que les prestations ou allocations sont à titre individuel et ne découlent pas du statut d’épouse. La Suède offre des principes de soins pour aider la femme absents des autres pays. Cette différence peut s’expliquer par la mise en place dès les années 40 de services de soins à domicile par des employés du secteur public avec des prix ajustés. Ce système préfigure un effacement de la frontière entre sphère privée et sphère publique qui n’existe pas dans les autres pays.
b) Conclusions [8]
Le modèle de « l’homme chef de famille » a fortement influencé les Pays-Bas, la Grande-Bretagne et les États-Unis mais avec deux variantes. Aux Pays-Bas l’unité de base est la famille tandis que pour les deux autres c’est l’individu. La politique suédoise des années 60 s’éloigne de ce modèle mais sans pour autant correspondre au modèle individualiste. Ce qui donne un modèle « l’homme chef de famille » et un modèle « rôles traditionnels ». Ces deux principes ont façonné les prestations sociales et le système fiscal. Déjà les travaux de Jane Lewis et Ilona Ostner avaient montré que le modèle « l’homme chef de famille » diffère selon les États-providences. Cette étude est insuffisante car elle ne compte que deux fondements du droit : le chef de famille et la personne dépendante. Pour Diane Sainsbury : « Introduire la dimension du genre dans l’analyse des États-providence requiert que les droits des femmes – non seulement en tant qu’épouses et travailleuses, mais également en tant que mères et citoyennes – soient intégrés dans les cadres analytiques »[9].
[1] Page 243.
[2] Page 246.
[3] Page 251.
[4] Page 256.
[5] Page 260.
[6] Page 261.
[7] Page 265.
[8] Page 270.
[9] Page 276.