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Compte-rendu critique – La pensée écologique, Être écologique

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Camille Chamois est chercheur post-doctorant au Fonds de la Recherche Scientifique (FNRS), rattaché à l’Université Libre de Bruxelles (ULB). Ses travaux concernent l’histoire de la philosophie française contemporaine (Deleuze, Foucault, Derrida, Dufrenne, Lyotard), notamment en lien avec le développement des sciences humaines et sociales. Il est l’auteur de travaux consacrés à la philosophie de Gilles Deleuze (Un autre monde possible. Gilles Deleuze face aux perspectivismes contemporains, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2022) et à l’anthropologie contemporaine (La galerie des glaces. Figures du perspectivisme dans l’anthropologie contemporaine, Bruxelles, Zones Sensibles, 2022).

Timothy Morton, La pensée écologique (2010), Paris, Zulma, 2021, 259 p.

L’ouvrage est disponible ici.

Timothy Morton, Être écologique (2018), Paris, Zulma, 2021, 252 p.

L’ouvrage est disponible ici.


Le fait fondamental de la pensée contemporaine est, selon Timothy Morton (1968-), la prise de conscience de la crise écologique : les humains se rendent compte que leurs actions collectives ont des effets macroscopiques sur l’organisation de la biosphère – et désignent cette série d’effets du terme d’« anthropocène ». Pour Morton, cette prise de conscience doit être saisie au niveau des préoccupations quotidiennes : être écologiste, « c’est penser à où vont les eaux usées de vos toilettes »[1] . La pensée écologique, que Morton décrit dans Être écologique et La pensée écologique, désigne ainsi un conséquentialisme complexe, qui s’étend sur des échelles de temps et d’espace multiples et enchevêtrées et que l’auteur qualifie d’« animisme »[2]. Après avoir présenté les principaux axes de son argumentation, nous interrogerons la consistance théorique de la métaphysique promue par Morton (étayée sur les récentes Ontologies Orientées Objets) et nous discuterons la pertinence d’un modèle normatif qui peut sembler largement dépolitisant.

1. « Les êtres sont connectés »[3]

Le constat à partir duquel Morton déploie son argumentation dans ses deux ouvrages est que le rôle joué par l’activité humaine dans la crise climatique est désormais objectivement connu : en témoigne selon lui la diffusion rapide du concept d’anthropocène[4]. Le but de ces ouvrages n’est donc pas tant de décrire objectivement les modalités de la crise climatique que d’élaborer une sorte de métaphysique générale susceptible d’en rendre compte et, par là même, de transformer des connaissances abstraites en formes de vie subjectivement incarnées. Morton cherche donc à élaborer une « façon de vivre les connaissances écologiques »[5]. Le cadre général qui, selon Morton, manque à notre vie quotidienne peut être résumé ainsi : nous devons nous convaincre que nous vivons dans un « maillage » ontologique, au sein d’une « interconnectivité » généralisée qui lie entre elles « toutes les choses vivantes et non-vivantes »[6].

La prose légère et les références pop de Morton cherchent ainsi à convaincre de la nécessité de faire de l’interconnexion généralisée l’arrière-plan de toute réflexion quotidienne. Dans Être écologique, Morton commence ainsi par rejeter les approches objectivistes de la crise climatique dans une introduction intitulée « Ceci n’est pas un dépotoir d’informations de plus » (p. 13-50), le dépotoir en question désignant les recueils de données concernant le dérèglement climatique ; les deux premiers chapitres (« Et il se pourrait que vous viviez dans une ère d’extinction de masse », p. 51-82, et « Et l’ossature de la jambe est reliée à l’ossature du dépotoir de déchets toxiques », p. 83-118) présentent une série de variations sur la nécessité d’articuler les actions locales et les conséquences globales ; le troisième chapitre (« Accorde », p. 119-208) présente le modèle métaphysique du maillage avancé par l’auteur ; et le dernier chapitre (« Une brève histoire de la pensée écologique », p. 209-236) réinscrit ce discours dans l’histoire des discours écologiques. La pensée écologique suit un schéma relativement proche : l’introduction (« Penser critique », p. 13-42) en appelle à une écologique sans « nature » ; les deux premiers chapitres (« Penser grand », p. 43-102, et « Sombres pensées », p. 103-162) développent une série de cas où s’articulent nature et culture, biologique et artificiel ; enfin, le dernier chapitre (« Penser prospectif », p. 163-222) présente la philosophie spéculative que l’auteur revendique. Notons que les deux ouvrages possèdent un index qui permet de mieux naviguer dans un texte parfois elliptique.

Sur le plan théorique, l’argument central de Morton vise à critiquer les modèles ontologiques discontinuistes qui s’appuient sur les notions de « nature » ou de « vie » et affirment l’impossibilité de dériver la sphère du culturel à partir des phénomènes naturels ou la sphère du vivant à partir des dynamiques du monde inerte. Du côté de la nature, Morton prolonge d’une part la déconstruction de la dichotomie nature/culture, cette dernière, selon lui, étant responsable d’une appréhension purement utilitariste de l’environnement ; d’autre part, il refuse toute pensée de la nature au sens d’essence figée, qu’il s’agisse des humains, des animaux ou des végétaux[7]. Du côté de la vie, Morton écarte d’emblée toute pensée émergentiste pour affirmer que la distinction entre les notions de « vie » et de « matière inerte » est inopérante :

À la base de la vie, il y a l’ADN, qui n’a aucun arôme particulier. […] La théorie de l’évolution déconstruit la “vie” elle-même. “Vie” est un mot désignant des macromolécules qui se reproduisent elles-mêmes et leur véhicule. Mais pour que la “vie” commence, il faut qu’il y ait eu une “vie pré-vivante” : autrement il y aurait une régression à l’infini ou une création brutale à partir de rien. Le mouvement qui amorce la “vie” doit se trouver au sein de même de la matière.[8]

Symétriquement, Morton propose une extension maximaliste de notions qui, selon lui, seraient restées trop longtemps cantonnées au domaine humain exclusivement. C’est le cas de la notion de « conscience » qui n’est « pas une fonction “élevée” mais la plus générale (la plus “basse”) des fonctions »[9], de sorte qu’elle devient coextensive à l’ensemble du vivant (animaux et végétaux compris, donc). Et c’est le cas également de la notion de « personne » qui doit s’étendre, au-delà des seuls humains, aux animaux, aux végétaux et aux cyborgs[10]. Il résulte de ce double mouvement (suppression des dichotomies rigides comme nature/culture et extension des supposées spécificités humaines comme le statut de personne) ce qu’il nomme un « animisme », seul modèle métaphysique susceptible de nous permettre, non pas simplement de « penser » mais de « vivre » à l’heure de la crise climatique :

Les anciens animistes traitaient les êtres comme des personnes, sans recourir au concept de Nature. Disons plutôt animisme (sous rature), pour qu’on ne pense pas qu’il s’agit d’un nouveau système de croyances, et surtout pas d’un système limité à des choses vivantes plutôt que non vivantes.[11]

Selon nous, ce modèle « animiste » n’est pas sans intérêt, notamment au regard du développement récent des problématiques panpsychistes[12]. Cependant, si on le replace dans le contexte écologique qui est le sien, il est difficile de ne pas souligner le caractère dépolitisé de l’approche de Morton – et ce, même si l’auteur s’en défend dans chacun de ses deux ouvrages. Ainsi, les rares passages où des questions juridiques sont abordées nous semblent d’une radicalité excessive. C’est le cas lorsque Morton aborde la question des droits de propriétés :

Les droits individuels sont fondés sur des droits de propriété, et être en possession de soi sert de critère pour en jouir. Mais si toute chose a des droits, rien ne peut être propriété, donc rien ne peut avoir de droits. C’est aussi simple que ça. À l’échelle de la Terre, le langage des droits ne fonctionne pas.[13]

À aucun moment Morton n’envisage par exemple la question des « communs », de l’« usage » ou de la « propriété partagée »[14] ; les problèmes de « justice écologique »[15] sont écartés, de même que les programmes d’« animisme juridique »[16] qui semblent pourtant résonner avec ses préoccupations. De façon significative, la question de l’organisation collective dans la lutte pour le climat n’est pas abordée : la problématique écologique est toujours envisagée par Morton dans un cadre individualiste où l’individu est tiraillé entre la connaissance que ses actions ont des conséquences réelles (je sais qu’en prenant l’avion, « je » pollue) et le savoir, tout aussi clair, que les conséquences de son action prise isolément sont statistiquement négligeables[17]. Un exemple anecdotique mais révélateur illustre bien cette difficulté. Morton raconte son interaction avec un journaliste qu’il tente de convaincre d’adopter des positions écologistes ; il affirme alors :

 – Vous avez un chat ? demandai-je. – Oui, répliqua-t-il, un peu pris à revers par cette question indirecte et simple. – Vous aimez le caresser ? – Oh oui, bien sûr. – Alors vous êtes déjà relié à un être non humain sans raison particulière. Vous êtes déjà écologique.[18]

Envisagé strictement au niveau de l’interaction en co-présence, le propos de Morton peut donc parfois laisser perplexe. On comprend pourquoi des auteurs comme John Bellamy Foster considèrent qu’une telle uniformisation théorique conduit à « saper toute véritable praxis radicale et à soutenir implicitement le statu quo »[19]. Par distinction, l’idée selon laquelle « nous ne sommes que parce que [les non-humains] sont », qui structure l’essai de Léna Balaud et Antoine Chopot, recouvre exactement l’idée selon laquelle « tous les êtes sont connectés » avancée par Morton, tout en lui apportant un contenu empirique et des perspectives normatives bien plus convaincantes[20].

2. L’hyperobjet et l’écologie sombre

Si la dimension politique du propos de Morton n’est pas centrale dans Être écologique et La pensée écologique, c’est que l’auteur cherche avant tout à préciser l’arrière-plan métaphysique nécessaire, selon lui, à toute pensée écologique. C’est le concept d’hyperobjet qui structure alors son analyse :

J’ai inventé le mot hyperobjet pour désigner des choses massivement réparties dans le temps et l’espace par rapport aux humains. Un hyperobjet peut être un trou noir. Un hyperobjet peut être le gisement pétrolier de Lago Agrio, en Équateur, ou les Eveglades, en Floride. Un hyperobjet peut être la biosphère ou le système solaire. Un hyperobjet peut être la somme totale de tous les matériaux nucléaires présents sur la terre, ou simplement le plutonium ou l’uranium.[21]

Selon Morton, la spécificité du concept d’« hyperobjet » consiste à se distinguer théoriquement du concept d’« objet-sous-la-main » thématisé par Martin Heidegger[22]. D’une part, dans Être et Temps, un objet n’est appréhendé qu’en étant réinséré dans un réseau social virtuel qui lui donne son sens et permet d’en comprendre l’utilité (on ne perçoit un marteau qu’en référence implicite au clou et à la planche) ; d’autre part, lors d’une utilisation fonctionnelle, l’objet a tendance à se soustraire à notre attention et à ne redevenir « présent » à notre esprit que pour autant qu’il dysfonctionne[23]. Comme les objets traditionnels, bien que de façon probablement plus nette, les hyperobjets se soustraient à notre appréhension quotidienne alors même qu’ils constituent la base de notre environnement. Mais contrairement aux objets traditionnels, les hyperobjets ont des dimensions spatio-temporelles qui excèdent celles que nous avons l’habitude de manipuler de sorte qu’on ne peut les réinsérer dans aucun réseau virtuel d’utilité. Reprenant la terminologie phénoménologique, Morton en conclut que les hyperobjets n’ont aucun « monde » entendu en ce sens[24]. Plus radicalement encore, les hyperobjets préexistent à l’apparition de la vie (et incidemment de l’humanité) et lui subsisteront :

Les matériaux, du simple polystyrène au terrifiant plutonium, dureront bien plus longtemps que les formes sociales et biologiques actuelles. Nous parlons en centaines et en milliers d’années. Dans cinq cents ans, les objets en polystyrène tels que les gobelets existeront toujours. Il y a dix mille ans, Stonehenge n’existait pas. Dans dix mille ans, le plutonium existera encore.[25]

Selon Morton, c’est pour rendre compte de ces deux dimensions qu’il est nécessaire de développer une métaphysique animiste particulière ; pour ce faire, il se réfère au « réalisme spéculatif » qu’il interprète comme une tentative philosophique pour penser la crise climatique :

De nombreuses approches philosophiques sont apparues récemment, comme en réponse à la coïncidence intimidante, voire horrifiante, de l’histoire humaine avec la géologie terrestre. Réalisme spéculatif est le vocable général sous lequel on désigne un mouvement auquel sont affiliées des personnalités comme Graham Harman, Jane Bennett, Quentin Meillassoux, Patricia Clough, Iain Hamilton Grant, Levi Bryant, Ian Bogost, Steven Shaviro, Reza Negarestani, Ray Brassier, et toute une série d’autres qui commencent à faire parler d’eux, comme Ben Woodard et Paul Ennis.[26]

Pour autant, cette nébuleuse théorique n’est pas mobilisée au titre d’argument spéculatif ; elle apparaît plutôt comme un gabarit métaphysique susceptible de s’ajuster aux phénomènes climatiques que l’humanité doit appréhender. Ce faisant, Morton en tire essentiellement deux conclusions : d’une part, le réalisme spéculatif permet de penser un événement en le resituant, non pas dans le cadre de l’histoire humaine, mais plus largement dans le cadre du temps géologique[27] ; et d’autre part, il permet de se déprendre de l’idée selon laquelle l’expérience phénoménale nous relie à la réalité pour souligner que le réel se soustrait à l’expérience sensible[28].

Il nous semble cependant que, sur le plan strictement théorique, ce genre de conclusion demeure particulièrement déceptif, surtout au regard de l’armada conceptuelle mobilisée. À notre sens, le statut ontologique même des hyperobjets n’est pas tout à fait clair, alors qu’il s’agit du concept princeps de la théorie de Morton. En effet, d’un côté, les exemples mobilisés par Morton renvoient à des objets empiriques de grande dimension spatio-temporelle (un trou noir, des déchets nucléaires, etc.) ; d’un autre côté, l’appareil théorique à partir duquel ces objets sont décrits renvoie plutôt à des éléments qu’on pense (puisqu’on ne peut pas les percevoir) en les rapportant à l’échelle géologique. En ce sens, le même gobelet pourrait être pensé sur le mode de l’ustensilité, comme ce qui permet de boire un café, et sur le mode écologique, comme le morceau de plastique qui mettra plusieurs milliers d’années à se dégrader. Mais si on admet une telle reformulation, on doit alors affirmer que les hyperobjets ne désignent pas tant une catégorie de choses qu’un mode d’appréhension de l’étant – ce qui est contradictoire avec toutes les analyses des « réalistes spéculatifs » [29]. Selon nous, l’ancrage phénoménologique des analyses de Morton entre donc en tension avec les déclarations plus directement métaphysiques ou spéculatives qu’il formule par ailleurs et qui sont caractéristiques des Ontologies Orientées Objets[30].

3. L’Ontologie Orientée Objet (OOO)

À plusieurs reprises, Morton affirme en effet qu’il « adhère à une vision philosophique connue sous le nom d’Ontologie Orientée Objet (OOO) »[31]. On peut voir dans cet ancrage l’origine de la catégorie très extensive de « maillage » ou d’« interconnectivité » qu’il mobilise mais qui, selon nous, manque de consistance théorique.

Une généalogie rapide de ce courant théorique est nécessaire pour bien comprendre la position de Morton. En effet, l’OOO provient d’une reformulation anti-vitaliste des théories biosémiotiques du XIXe siècle, c’est-à-dire des modèles éthologiques qui consistent à reconstituer les contours des Umwelts propres à chaque espèce animale[32]. Le débat philosophique que pose la biosémiotique concerne l’existence éventuelle d’une « différence ontologique » entre le monde humain et le reste des mondes animaux (voire végétaux)[33]. Au XXe siècle, les opposants à toute forme de discontinuisme ont tenté de formaliser un concept d’« intentionnalité » ou d’« être-au-monde » qui s’appliquerait à l’ensemble des êtres vivants[34]. Les partisans de l’OOO ont alors radicalisé cette position en avançant une notion d’intentionnalité qui s’appliquerait non seulement à l’ensemble des êtres vivants mais également à l’ensemble des étants[35] :

Lorsque le feu brûle le coton, il entre en contact uniquement avec le caractère inflammable de ce matériau. Selon toute vraisemblance, le feu n’interagit pas du tout avec l’odeur ou la couleur du coton qui n’ont de pertinence que pour des créatures munies d’organes sensoriels. […] L’être du coton se soustrait aux flammes quand bien même il serait consumé et détruit par elles. L’être-coton est caché non seulement aux phénoménologues et aux ouvriers du textile, mais aussi à toutes les entités qui ont des contacts avec lui.[36]

Dans le modèle « standard » de l’OOO (c’est-à-dire chez Graham Harman), la notion de « relation » est donc dérivée de celle d’« intentionnalité » : selon lui, il n’y a pas de différence de nature entre la relation que l’homme entretient avec la table qu’il perçoit et la relation que le feu entretient avec le coton qu’il brûle ; il y a évidemment des différences de degrés mais une « psychologie spéculative » cohérente devrait justement s’interroger sur « l’effet que cela fait » d’être une chose c’est-à-dire sur ce que le feu « perçoit » du coton lorsqu’il le brûle. La difficulté à laquelle les tenants de l’OOO se voient cependant confrontés concerne la définition exacte de la notion de « relation interobjective » qu’ils mobilisent. Dans le cas de Harman, l’enjeu consiste à définir « l’effet que cela fait » d’être un morceau de coton brûlé par le feu[37] : ce programme de « psychologie spéculative » est théoriquement intriguant et esthétiquement prometteur[38] ; néanmoins, faute d’un contenu concret explicite, il semble rapidement tourner court[39]. Comme l’a montré Nathan Brown, Morton n’échappe pas à ce problème qu’il reformule simplement en termes de « maillage » et d’« interconnectivité »[40]. Cependant, à aucun moment Morton ne précise le sens de la notion de « relation » qu’il mobilise, de sorte que l’idée d’un monde d’interrelations objectives demeure très floue et empêche paradoxalement de « vivre les connaissances écologiques » qu’il prétend avancer, faute de pouvoir se les représenter concrètement[41]. Les modalités relationnelles affleurent dans certains passages du texte sans faire l’objet d’une thématisation explicite :

L’arbre est en relation avec la forêt. Être-une-partie-d’une-forêt est l’un de ses modes de paraître : il aspire les nutriments du sol de la forêt ; il communique avec les arbres de son voisinage ; il offre un abri aux écureuils.[42]

À titre de comparaison, l’éco-design se penche également sur les relations que les objets entretiennent entre eux mais, contrairement aux ontologies orientées objet, implique dans son cahier des charges une analyse sémiotique des relations inter-objectives en question : celles-ci peuvent relever d’une dépendance directe (la table et ses chaises), d’une dépendance indirecte (le téléviseur et sa télécommande), d’opérateurs de points/contre-points mécaniques (la clé et la serrure), chimiques (le détecteur de fumée et la chaudière), thermiques (le thermostat et le radiateur), d’ondes électromagnétiques (deux téléphones)[43], etc. Dans cette voie, Vincent Beaubois et François-Xavier Ferrari proposent par exemple une reformulation du concept deleuzien de « contraction » pour décrire les relations que les objets manufacturés entretiennent à leur environnement :

Un objet ne se limite pas uniquement à sa phase d’utilisation et à l’interaction qu’il engage auprès de ses usagers. Sa consistance présente engage d’abord un ensemble de gestes de production, de fabrication, de distribution, d’entretien et d’élimination qui se trouvent invisibilisé lors de son usage. L’unité de consistance d’un produit à l’échelle écosystémique se situe alors dans le déploiement de sa “vie”, se diffractant dans une multiplicité de relations et d’opérations. La consistance du simple jean que je porte implique toute une culture du coton faite en Inde ou en Ouzbékistan, une extraction de cuivre et de zinc faite au Chili et en Chine, une activité de transport de ces matériaux par bateaux, trains et camions, un ensemble de pratiques portées par différents sous-traitants réalisant les opérations de filature, tissage, ennoblissement, confection, teinture, etc. […] L’éco-conception d’un jean s’intéresse ainsi à cet objet en ce qu’il “contracte” cet ensemble de paysages lointains, d’opérations et de matériaux. Le produit se gonfle donc à l’échelle d’un système, à l’histoire et à la géographie complexes, dont il s’agit de rendre compte ; un système en général invisibilisé qu’il s’agit de rendre visible.[44]

L’intérêt de ce genre d’analyse est de complexifier la notion de « relation » inter-objective afin de mieux correspondre aux préoccupations écologiques décrites par Morton : si être écologiste « c’est penser à où vont les eaux usées de vos toilettes[45] », il faut se doter d’un concept de « relation » qui lie les eaux usées et les stations d’épuration, les vêtements qu’on porte et les champs de coton en Asie. Or, pour cela, le modèle des interactions chimiques feu-coton avancé par Harman semble mal calibré ; au mieux conduirait-il à affirmer que chaque action entraîne une réaction en chaîne illimitée, ce que Morton refuse pourtant explicitement[46]. Les modèles « animistes » ou « polypsychistes » contemporains semblent donc encore en attente d’une théorie des relations interobjectives à leur hauteur.

4. Une esthétique perspectiviste

Finalement, plus qu’une tentative périlleuse de donner aux OOO une dimension écologique, il nous semble que l’intérêt de la pensée de Morton réside dans l’élaboration d’une forme d’« esthétique perspectiviste » : même si l’expression n’est pas mobilisée par l’auteur, elle peut certainement résumer les intérêts et les limites de son modèle.

La notion de « perspectivisme » permet en effet de désigner la prise en compte d’une pluralité interspécifique de perspectives spatio-temporelles, affectives et catégorielles sur une même entité. Par exemple, si la pluie est désagréable pour l’humain qui part au travail, elle constitue aussi selon Morton « un bain merveilleux pour la colombe beige qui roucoule sur mon balcon » ou « une boisson rafraîchissante » pour l’animal assoiffé[47]. La pensée écologique peut ainsi être décrite comme « une jungle effrayante qui grouille de créatures – littéralement. Ce sont des milliers d’échelles spatio-temporelles tout aussi légitimes qui sont soudainement devenues disponibles et significatives pour les humains »[48]. Ce faisant, Morton reprend en réalité le modèle des relations inter-Umwelts développé par Jakob von Uexküll selon lequel le même objet possède des significations totalement différentes lorsqu’on l’appréhende non plus de manière anthropocentrée mais de façon écologique[49]. La « pensée écologique » consiste donc à appréhender un événement à partir des tonalités pratiques et affectives d’une autre espèce. L’anecdote racontée par Baptiste Morizot en donne un bon exemple :

Je me souviens d’un passager du train qui regardait avec anxiété un ciel pluvieux de printemps par la fenêtre. Lorsqu’il révéla la raison de sa préoccupation, je suis resté muet : le mauvais temps n’allait pas ruiner ses vacances. Il m’annonça comme s’il s’agissait d’un proche : “Je n’aime pas les printemps pluvieux, ils sont mauvais pour les chauves-souris. Il y a beaucoup moins d’insectes. Les mères ne peuvent plus nourrir leurs petits”.[50]

La « pensée écologique » promue par Morton permet ainsi d’articuler deux dimensions qui ne s’opposent qu’en apparence. D’une part, Morton rejette explicitement toute théorie réaliste qui postulerait la possibilité d’un accès direct à la réalité : il reprend régulièrement l’adage selon laquelle il n’y a pas de vision neutre de la réalité mais uniquement des interprétations[51]. Cela le conduit donc à rejeter l’idée que l’homme peut endosser un « point de vue de nulle part »[52]. Mais d’autre part, il affirme que toutes les interprétations de la réalité n’ont pas la même valeur théorique et qu’on peut les hiérarchiser selon une échelle de gradation gnoséologique : certaines interprétations permettent de « remarquer » ce qu’on ne remarquait pas initialement ou de se « rendre compte » de ce qui demeurait d’abord invisible[53]. La pluralité et l’irréductibilité des perspectives sur le monde n’implique donc pas leur égalité épistémique au sens où les unes peuvent « englober » les autres : c’est en ce sens que le perspectivisme promu par Morton n’est pas un relativisme[54]. Plus radicalement encore, on pourrait affirmer que, pour Morton, la « pensée écologique » n’est pas une pensée spéculative mais une pensée incarnée : « toutes les expériences [mentionnées dans l’ouvrage] sont d’ordre esthétique. Elles concernent la façon dont les choses apparaissent ou s’éprouvent »[55]. Le but n’est donc pas de spéculer sur l’incommensurabilité du point de vue d’autrui mais de se représenter, avec les dispositifs artistiques ou technologiques dont on dispose, le point de vue des êtres non-humains afin de s’y sensibiliser. Morton cite alors, pêle-mêle, Google Earth, grâce à quoi « on a constaté que les vaches s’orientaient selon l’axe nord-sud de la Terre »[56] ; les « microphones de contact posés sur une vitre [qui] nous permettent d’entendre les ondes stationnaires de l’océan Pacifique »[57] ; ou encore « le zoom, l’animation image par image (stop motion), l’accéléré et l’utilisation de la géométrie fractale »[58] qui permettent de se rendre compte que le monde n’est pas seulement « notre monde à nous »[59]. Ce faisant, Morton rejoint en réalité le « perspectivisme instrumental » revendiqué par Emmanuel Grimaud :

“Comment se mettre à la place d’autrui ?” […] Le perspectivisme philosophique ne répond jamais vraiment à cette question. Soit parce qu’il en appelle à des processus de négociation ou d’imagination (dans la philosophie morale), soit parce qu’il déclare l’impossibilité d’une telle transposition (comme dans le travail de [Thomas] Nagel). Mais on n’étudie jamais vraiment les instruments d’une telle transposition, des instruments qui ne cherchent pas tant à créer un point de vue impartial qu’à permettre l’adoption de nouvelles perspectives en construisant des expériences d’échange-de-perspectives.[60]

C’est pourquoi l’horizon de la discussion semble moins politique qu’éthique ou psychologique. Une des conséquences concrètes de la pensée écologique, selon Morton, serait la transformation des rêves et fantasmes névrotiques où les animaux non-humains sont mobilisés au titre d’animaux « nuisibles »[61]. Il y aurait probablement là une piste d’analyse intéressante qui permettrait d’articuler une histoire de l’inconscient et une sociologie des relations inter-espèces.

Les deux ouvrages de Morton récemment parus aux éditions Zulma donnent une bonne idée de la définition de l’écologie promue par son auteur. Il s’agit d’une approche théoriquement exigeante, qui s’appuie sur des références relativement spéculatives, mais qui parvient à en fournir une restitution accessible, notamment grâce à un style dynamique qui multiplie les références à la pop culture. La traduction d’autres textes de l’auteur complète actuellement cette approche : dans La Magie Réaliste, paru dans la collection « Nouvelle Métaphysique », dirigée par Graham Harman et Bruno Latour, Morton précise ainsi les grandes orientations métaphysiques qui sont les siennes[62]. On y comprend notamment la trajectoire de l’auteur, qui se focalise désormais sur des questions écologiques après s’être essentiellement intéressé à des questions esthétiques. Ce travail éditorial permet de mieux cerner les grandes dimensions de l’OOO (qui reste relativement minoritaire dans le champ français) et, dès lors, de resituer le travail de Morton dans son contexte d’élaboration : on entrevoit alors comment la question écologique, abordée comme la question de la vie des non-humains, peut apparaître comme l’aboutissement d’une réflexion sur le « monde sans nous » promue par certains courants philosophiques et illustrée dans une série d’œuvres artistiques[63]. On comprend alors le rapport strictement instrumental que Morton entretient à (ce qu’il appelle) la métaphysique : la notion ne désigne plus tant une réflexion sur les grandes coordonnées de l’être, qui défendrait un modèle théorique pour des raisons strictement spéculatives ; elle désigne plutôt la mise en place d’une grille de lecture générale dont le gabarit est essentiellement adapté à certains phénomènes particuliers et promue pour les effets sociopolitiques qu’elle est susceptible de produire. La plupart des dimensions, et notamment des critiques, soulignées plus haut – le caractère non-politisé de la question écologique, le caractère déceptif des effets concrets au regard de l’appareillage théorique mobilisé, etc. – s’en trouvent par là même éclairées. Mais c’est alors le sens même du compte-rendu critique de ces textes qui devient compliqué : faut-il les discuter dans leur pertinence théorique intrinsèque ou dans leur utilité, ou leurs effets, supposés ? Prises isolément, ces deux dimensions nous semblent chaque fois problématiques (au sens où ni la cohérence théorique ni l’efficacité pratique du propos de Morton ne semblent réellement convaincantes) ; prises ensemble, le jeu de va-et-vient qui s’installe entre références spéculatives et dimensions pratiques crée une position de lecture très instable (au sens où le texte donne l’impression que les flottements théoriques sont justifiés au niveau pratique, et que certaines conclusions pratiques qui peuvent en elles-mêmes laisser perplexes, sont en fait justifiées en tant que résultat d’une argumentation spéculative complexe). Au-delà du cas particulier de Morton, cette approche devrait donc conduire à s’interroger sur le sens qu’il y a à envisager la métaphysique, non pas tant comme un domaine d’étude que, dans une approche qui nous semble ultimement sociologisante, comme un objet particulier – au sens où on parle de la métaphysique (ou de l’ontologie) de telle époque, de telle civilisation ou même de tel auteur. Il y a probablement là une question à clarifier concernant le rapport qu’entretiennent aujourd’hui certains courants sociologiques et philosophiques autour précisément des notions de « métaphysique » ou d’« ontologie ».

 

[1] T. Morton, La pensée écologique (2010), Paris, Zulma, 2021, p. 25. Nous tenons à remercier Yoann Malinge et la relectrice / le relecteur anonyme de la revue pour leurs commentaires sur une version préalable de ce texte.

[2] Pour une analyse de la graphie, voir ci-dessous.

[3] Ibid., p. 22.

[4] T. Morton, Être écologique (2018), Paris, Zulma, 2021, p. 57. Pour une analyse de ce point : C. Bonneuil et J.-B. Fressoz, L’Événement Anthropocène. La Terre, l’histoire et nous, Paris, Seuil, 2013.

[5] Ibid., p. 24. Il en résulte selon nous une tonalité « stoïcienne » de l’ensemble du propos si on entend par là une sorte d’exercice spirituel dont le but est de transformer une idée abstraite en une vérité incarnée qui guide l’ensemble de nos actions. Comme l’explique Paul Veyne, au terme des exercices stoïciens, « la vérité se présentera à l’esprit “d’elle-même et sans délai” ; on aura les préceptes “sous la main, prêts à être utilisés”, même dans la circonstance la plus éprouvante. La vérité, nous le savons, a à la longue une action physique sur ce qu’il faut bien appeler le corps de l’âme ; la philosophie est analogue à un potier ou un forgeron, “elle donne une forme à l’âme, elle la façonne” ». P. Veyne, « Avant-propos », in Sénèque, Entretiens. Lettres à Lucilius, Paris, Robert Laffont, 1993, p. LXXX.

[6] T. Morton, La pensée écologique, op. cit., p. 55.

[7] Ainsi, selon lui : « Il est absurde de condamner la manipulation “technologique” des gènes, comme si l’élevage dans les haras n’était pas une manipulation technique. Le croisement des races est une forme de technologie. Les champs et les fossés sont de la technologie. Les grands singes et leurs bâtons à termites sont technologiques. Et qu’est-ce que l’orge, sinon une plante queer ? » Ibid., p. 146.

[8] Ibid., p. 115.

[9] Ibid., p. 124.

[10] « La pensée écologique se déploie jusqu’aux questions concernant les cyborgs, l’intelligence artificielle et à l’incertitude irréductible quant à ce qui est considéré comme une personne ». Ibid., p. 23-24.

[11] Ibid., p. 182. Cette promotion de l’animisme ressemble ainsi aux déclarations de David Abram : D. Abram, Comment la terre s’est tue. Pour une écologie des sens, Paris, La Découverte, 2013, p. 8 et suivantes.

[12] On assiste en effet, au moins depuis le début des années 2000, à un renouveau des modèles panpsychistes au sein de la métaphysique analytique et continentale. Un des enjeux est d’attribuer des capacités protopsychiques aux échelles les plus élémentaires de la matière afin de pouvoir expliquer l’apparition de la pensée sans mobiliser une théorie de l’émergence ex nihilo. Pour un résumé de cette problématique : C. Chamois, « Anima. Un moment panpsychiste et anti-vitaliste dans la philosophie contemporaine ? », in R. Khazam et J. Lageira (dir.), Objets vivants, Sesto San Giovanni, Mimésis, 2022, à paraître.

[13] T. Morton, Être écologique, op. cit., p. 126.

[14] E. Ostrom, Gouvernance des biens communs. Pour une nouvelle approche des ressources naturelles, Louvain-la-Neuve, De Boeck, (1990) 2014.

[15] G. di Chiro, « Le nature comme communauté », in É. Hache (dir.), Écologie politique. Cosmos, communautés, milieux, Paris, Éditions Amsterdam, 2012, p. 121-154.

[16] M.-A. Hermitte, L’Emprise des droits intellectuels sur le monde vivant, Paris, Quae, 2016, p. 135.

[17] D’où un développement sur le paradoxe du sorite appliqué à la responsabilité individuelle : T. Morton, La pensée écologique, op. cit., p. 72.

[18] T. Morton, Être écologique, op. cit., p. 124.

[19] J. B. Foster, « Marxism in the Anthropocene: Dialectical Rifts on the Left », International Critical Thought, vol. 6, no 3, 2016, p. 409.

[20] L. Balaud et A. Chopot, Nous ne sommes pas seuls. Politique des soulèvements terrestres, Paris, Seuil, 2021, p. 40. Les auteurs citent Natasha Myers parlant elle-même des plantes et de leur photosynthèse.

[21] T. Morton, Hyperobjets : Philosophie et écologie après la fin du monde, Saint-Etienne, Cité du design, (2013) 2018, p. 7.

[22] L’argument est repris de l’interprétation avancée par Graham Harman. Voir par exemple : G. Harman, Tool-being:  Heidegger and the Metaphysics of Objects, Chicago, Open Court, 2002.

[23] T. Morton, La pensée écologique, op. cit., p. 59-60. Voir aussi p. 99.

[24] Ibid., p. 59. On retrouve là une thématique classique de la philosophie spéculative contemporaine : M. Gabriel, Pourquoi le monde n’existe pas, Paris, JC Lattès, 2014.

[25] Ibid., p. 213. On retrouve alors, dans une version très simplifiée, l’argument de l’ancestralité avancé par Quentin Meillassoux : Q. Meillassoux, Après la finitude. Essai sur la nécessité de la contingence, Paris, Seuil, 2006, p. 25. Pour une discussion plus serrée de cet argument, voir : É. During, « Le temps en soi ou la coexistence des choses », in E. Alloa et É. During (dir.), Choses en soi. Métaphysique du réalisme, Paris, PUF, 2018, p. 412-413.

[26] T. Morton, « Hyperobjets », Multitudes, vol. 72, n° 3, 2018, p. 109-116, p. 111. On retrouve chez Morton une évocation rapide de l’ensemble des thèmes classiques du réalisme spéculatif : l’ancestralité, le monde-sans-nous, le corréalitionnisme (sic.), l’ontologie plate, etc. T. Morton, Être écologique, op. cit., p. 48.

[27] « L’écologie ne parle pas seulement de caste espace mais aussi de caste temps. Le temps écologique et le temps géologique sont difficiles à appréhender intuitivement ». T. Morton, La pensée écologique, op. cit., p. 77.

[28] « Cette chose apparemment réelle, froide et humide a moins de réalité – et en faire été est moins réaliste – qu’une chose que nous ne pouvons pas directement percevoir. La réalité a pris une dimension telle que des phénomènes qu’on peut voir, entendre et toucher son devenus moins réels que les autres ». Ibid., p. 192.

[29] Nous suivons ici un argument avancé par Vincent Beaubois et François-Xavier Ferrari : « tous les objets, même les plus dérisoires, se manifestent comme hyperobjet potentiel. En effet, replacé à l’échelle de son cycle de vie, la consistance d’un simple jean ou d’un gobelet en plastique se gonfle de dimensions invisibles d’envergure écosystémique. En ce sens, un simple gobelet intègre à la fois certaines ressources fossiles qui ont mis des millions d’années pour se former et une dégradation finale qui s’étale sur des siècles : après quatre siècles, le gobelet en plastique existe toujours, mais il s’est invisibilisé sous une forme dispersive mêlant ses macromolécules aux terres, aux eaux et à l’atmosphère de nos territoires ».V. Beaubois et F.-X. Ferrari, « L’éco-design ou l’épreuve de l’invisible écologique », Sciences du Design, vol. 11, n° 1, 2020, p. 57.

[30] Cette critique a déjà été développée dans : P. Wolfendale, Object-Oriented Philosophy. The Noumenon’s New Clothes, Falmouth, Urbanomic, 2019.

[31] T. Morton, Être écologique, op. cit., p. 47.

[32] J. von Uexküll, Milieu animal et milieu humain, Paris, Rivages, 2010.

[33] M. Heidegger, Les concepts fondamentaux de la métaphysique. Monde-finitude-solitude, Paris, Gallimard, (1929-1930), 1992, p. 361 et suivantes ; T. W. Deacon, The symbolic species. The Co-evolution of Language and the Brain, New York et Londres, W. W. Norton & Company, 1997.

[34] Voir par exemple : J. Derrida, L’animal que donc je suis, Paris, Galilée, 2002, p. 218. De façon pour le moins surprenante, Morton décrit cette stratégie comme une tentative pour « dénazifier Heidegger ». T. Morton, La pensée écologique, op. cit., p. 63.

[35] « Se plaindre que les objets n’ont pas affaire à d’autres objets “en tant qu’objets” ne résout rien, aussi longtemps que la signification du “en tant que” n’est pas clarifiée ». G. Harman, L’objet quadruple: une métaphysique des choses après Heidegger, O. Dubouclez (trad.), Paris, France, Presses Universitaires de France, 2010, p. 135.

[36] Ibid., p. 53-54.

[37] Voir à cet égard : I. Bogost, Alien phenomenology or What it’s like to be a thing, Minneapolis, University of Minnesota press, 2012, p. 77.

[38] Pour une tentative en ce sens, voir : A. Billon, « Le cosmos des brindilles. Un sublime pour notre époque », Klésis, 2022, à paraître.

[39] Steven Shaviro l’a pointé de façon explicite : « Jusqu’où peut-on légitimement poser la question de “l’effet que cela fait” ? Est-ce que le homard a une expérience intérieure et qualitative ? Est-ce que l’arbre en a ? Combien de personnes non-minérales seraient d’accord avec Rudy Rucker pour dire que cela a un sens de se demander “l’effet que cela fait” d’être une pierre ? » S. Shaviro, « Consequences of panpsychism », in R. Grussin (dir.), The nonhuman turn, Minneapolis (MN), University of Minnesota, 2015, p. 19-44.

[40] N. Brown, « The Nadir of OOO. From Graham Harman’s Tool-Being to Timothy Morton’s Realist Magic: Objects, Ontology, Causality », Parrhesia, n° 17, 2013, p. 62-71.

[41] T. Morton, Être écologique, op. cit., p. 24.

[42] T. Morton, La pensée écologique, op. cit., p. 111.

[43] B. Darras et S. Belkhamsa, « Modélisation dynamique de la communication de l’objet. Approche systémique et sémiotique », MEI: Médiation et Information, vol. 30-31, 2010, p. 161-184 ; V. Beaubois, « Sémiotiques et micro-esthétique du design », dans A. Querrien, A. Sauvagnargues et A. Villani (éd.), Agencer les multiplicités avec Deleuze, Paris, Hermann, 2019, p. 223-237.

[44] V. Beaubois et F.-X. Ferrari, « L’éco-design ou l’épreuve de l’invisible écologique », Sciences du Design, vol. 11, n° 1, 2020, p. 54-55.

[45] T. Morton, La pensée écologique, op. cit., p. 25.

[46] « Si quelque chose se produit à un endroit précis (disons une plume qui tombe sur un trottoir), l’univers tout entier changerait partout ». Ibid., p. 68. Étonnamment, Morton considère cette idée comme métaphysiquement absurde alors qu’elle semble tout à fait cohérente avec d’autres passages de son argumentaire.

[47] Ibid., p. 112.

[48] Ibid., p. 78.

[49] J. von Uexküll, Milieu animal et milieu humain, Paris, Rivages, 2010, p. 156 et suivantes.

[50] B. Morizot, Manières d’être vivant. Enquête sur la vie à travers nous, Arles, Actes Sud, 2020, p. 27.

[51] T. Morton, Être écologique, op. cit., p. 41.

[52] T. Morton, La pensée écologique, op. cit., p. 129. Sur ce problème : T. Nagel, Le point de vue de nulle part, Combas, Éditions de l’Éclat, 1993.

[53] T. Morton, Être écologique, op. cit., p. 39.

[54] E. Alloa, « Réaliser : pourquoi le perspectivisme n’est pas un relativisme », dans E. Alloa et É. During (éd.), Choses en soi. Métaphysique du réalisme, Paris, PUF, 2018, p. 149-164. Sur la valeur épistémique des perspectives : A. Billon, « Perspective (A) », in Maxime Kristanek (dir.), L’Encyclopédie philosophique. https://encyclo-philo.fr/perspective-a

[55] T. Morton, La pensée écologique, op. cit., p. 85.

[56] Ibid., p. 50.

[57] Ibid., p. 176. Voir aussi : « À l’ère du cinéma, les gros plans et les zooms nous permettent de voir à l’intérieur et autour des choses ».

[58] Ibid., p. 174-175.

[59] T. Morton, Être écologique, op. cit., p. 39.

[60] E. Grimaud, « From the Squid’s Point of View. Mountable Cameras, Flexible Studios and the Perspectivist Turn », dans A. Wilkie et I. Farias (éd.), Studio Studies: Operations, Topologies and Displacements, London-New York, Routledge, 2016, p. 68.

[61] « Ce sentiment de dégoût diminuerait sans doute si nous nous habituions à notre immersion dans la biosphère, tout comme nos sentiments névrotiques diminuent à mesure que nous devenons plus amicaux avec nos pensées – peut-être grâce à la psychothérapie ou à la méditation ». T. Morton, La pensée écologique, op. cit., p. 91.

[62] T. Morton, La magie réaliste : objets, ontologie et causalité, trad. Arthur Duhé, Open Humanities Press, Londres, 2021.

[63] Pour un exemple allant dans ce sens : F. Katz, « Penser l’extinction avec Pierre Huyghe », Critique, vol. 860-861, no 1-2, 2019, p. 151-165.

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