La psychanalyse face aux neuro-sciences (2)
Par Eve Suzanne.
L’approche thérapeutique des neurosciences cognitives mise en relief avec la psychanalyse.
Toute la question repose sur un souci purement pratique : comment fait-on pour aider les individus souffrant de troubles psychiques et éventuellement les guérir ?
Á ces deux types d’inconscients se greffent deux visions distinctes dans la manière de considérer ces troubles, et donc deux techniques d’approches différentes. La psychanalyse tend à agir à l’intérieur du patient afin de modifier, d’améliorer sa relation aux autres et au monde, mais aussi à l’extérieur car elle prend en compte son environnement et son histoire. Quant aux neurosciences, elles agissent en isolant une défaillance cérébrale et ne portent son attention que sur ce point.
Des deux disciplines, c’est celle qui sera la plus armée pour expliquer le fonctionnement psychique d’un individu qui sera déclarée la plus compétente en terme de traitement de troubles psychiques.
Le psychanalyste, par la parole, fait remonter des souvenirs c’est-à-dire que des évènements dont le patient n’avait plus conscience, lui apparaissent. Il ne faut pas non plus se méprendre sur le but de la psychanalyste. En effet, son rôle n’est pas de guérir son patient, au sens médical, c’est-à-dire qu’après avoir arpenter les faces cachées de sa conscience il sera enfin serein et bienheureux jusqu’à la fin de ses jours…
Á l’inverse, de nouvelles méthodes appelées « TCC », soit « Thérapies Cognitivo-comportementales » sont apparues depuis peu. Elles ont pour particularité d’évacuer le psychique et donc ne peuvent être appelées psycho-thérapies. Dans son livre, Les Visiteurs du soi publié en 2004, Jean Cottraux, explique que les TCC reposent sur une méthode scientifique (application de la psychologie scientifique) qui vise à traiter l’information sans chercher des causes obscures aux plaintes exprimées par le patient. En fait, la psychanalyse intervient sur la ou les causes du trouble ressenti par le patient, là où les TCC n’interviennent que sur ce que le patient exprime directement, bref sur les conséquences du trouble.
Par exemple, dans le cas d’une phobie à l’eau, les TCC choisiront de mettre le patient directement dans l’eau pour le forcer à s’y habituer. La psychanalyse tentera de déterminer ce qui provoque cette phobie et souvent ceci est révélateur de troubles profonds (la phobie est considérée comme une réaction du psychique qui va concentrer ces craintes sur un « objet » afin de détourner notre esprit de peurs plus grandes : par exemple, l’enfant a peur du noir pour ne pas avoir peur de la mort car alors vivre deviendrait intolérable).
Dans la pratique :
Dans le cas 1, il s’agit d’une personne qui a failli se noyer à la mer, un courant trop fort, une crampe qui se déclare… Bref, elle passe quelques jours à l’hôpital en observation. A sa sortie, « on » dit qu’il faut retourner dans l’eau le plus tôt possible après afin que le traumatisme subi ne s’aggrave pas et ne l’empêche de nager à nouveau. C’est très souvent le conseil donné et ceci correspond à ce qu’envisageraient les TCC. Le but est simplement un but pratique : faire en sorte que cette personne puisse se baigner à nouveau surtout si son travail en dépend, en tant que maître nageur par exemple. Certes c’est la solution qui semble la plus adaptée à la situation.
Cependant prenons le cas 2 d’une personne qui elle n’a jamais réussi à mettre les pieds dans l’eau tant elle est terrifiée ou qui subitement du jour au lendemain ne peut plus voir une étendue d’eau sans se tétaniser. Dans la logique des TCC, il faut appliquer la même méthode. En effet, le problème est le même : une personne qui craint l’eau à telle point qu’elle ne peut pas se baigner.
Pour la psychanalyse il s’agira d’effectuer une introspection pour aller chercher les causes du malaise dans l’inconscient justement. Elle n’exclut pas non plus que dans le cas 1, cet accident a pu faire ressortir des angoisses refoulées, mais c’est plus visible dans le cas 2.
Les TCC séparent les troubles psychologiques de l’individu qui les ressent et appliquent une méthode toute prête, rigide et incapable de s’adapter à l’individu singulier en face d’elles. Elles contraignent l’individu à se soumettre à ces méthodes à la rigueur scientifique. Nous avons tout des sensibilités différentes et pousser certaines personnes dans leur retranchement peut les briser.
Je me permet d’accordé une place aux TCC car ces thérapies nouvellement mises en place prennent une place importante aujourd’hui notamment depuis la parution du Livre noir de la psychologie publié en 2005. Or je considère qu’il ne s’agit pas seulement d’une théorie qui propose une autre approche des troubles psychologiques des individus mais aussi d’une application de méthodes potentiellement nuisible et dangereux pour les sujets.
Les TCC dérivent et sont appuyées par les progrès effectués en matière ne neurobiologie moléculaire précisément. Elles participent de cette volonté de scientifiser les troubles psychologiques au risque de passer à côté de l’essentiel. L’idée est que nous sommes conditionnés pour avoir peur de l’eau, ou des araignées… C’est-à-dire qu’on s’habitue à avoir peur de quelque chose parce qu’une fois on a été effrayé. Par ailleurs, du point de vue de la psychiatrie, une partie de nos peurs sont conditionnées biologiquement par notre histoire en tant qu’homo sapiens. Au fil des millénaires on a intégré des réflexes dictés par l’instinct de survie. En effet, si aujourd’hui une partie importante de la population, craint les serpents, c’est parce que pendant un temps (soit des milliers d’années), ils furent des ennemis dangereux. De même pour le gras ; cela ne fait que depuis une vingtaine d’années que nous avons accès a la nourriture à profusion et une nouvelle maladie prend de l’ampleur, c’est l’obésité. En effet on ne peut pas enlever en 20 ans le réflexe de manger gras dicté par notre instinct de survie, pour avoir le plus possible d’énergie, acquis sur des milliers d’années. Notre corps est encore conditionné pour emmagasiner le plus possible de gras. Cependant cet aspect des choses ne signifie pas que toutes nos peurs sont conditionnées et qu’il suffit de mettre face à cette peur pour se « déconditionner ». En effet nous sommes des êtres biologiques mais aussi des êtres psychologiques, et si certains de nos actes sont déterminés par notre biologie d’autres échappent à ces déterminations et répondent à des convictions, à des projets propres. Certes, les faits psychiques sont liés et dépendants du substrat matériel mais parallèlement, la notion même de neurone est une construction du psychique.
Le dualisme de l’âme et du corps :
L’inconscient neurobiologique est réductible à des principes chimiques qui peuvent être mis en évidence par des expériences scientifiques. L’inconscient psychanalytique continue à échapper à de tels principes : aucune preuve relevant de la (neuro)biologie vient appuyer la théorie freudienne, il n’est pas mesurable. Aussi si la science ne peut apporter des éléments rendant compte de l’existence d’un tel inconscient alors celui-ci n’existe pas.
Les psychanalystes s’opposent à une telle attitude mais ils ne sont pas les seuls et y compris parmi les psychiatres, des reproches s’expriment. Ainsi le psychiatre Edouard Zarifian dans Les jardiniers de la folie (1988), est cité dans l’article du psychanalyste André Green, en particulier parce qu’il n’est pas un défenseur de la psychanalyse donc plus objectif : « [Zarifian] accuse [les représentants des neurosciences] de défendre des positions abusives en invoquant une causalité purement cérébrale aux maladies mentales, et de méconnaître dans cette optique le rôle du temps et de l’environnement. Il souligne leur confusion entre pensée et psychisme ». André Green dénonce et ajoute que : « La dernière-née des stratégies théoriques pour circonvenir la psychanalyse au moyen d’arguments tirés de la biologie n’est plus de réfuter l’existence de l’inconscient à la manière d’un J. Monod, c’est de ramener cette existence à ce que la neurobiologie prétend éclairer »[1].
Auparavant les neurosciences considéraient que l’inconscient n’existait pas. En effet, ce serait défendre l’idée d’une dualité entre, d’une part ce qui relève des principes biologiques qui rendent compte du fonctionnement de notre conscience, et d’autre part, des processus inconscients dont la preuve scientifique ne peut être amenée puisqu’ils échappent aux lois biologiques qui ont cours dans notre cerveau. Jacques Monod, défenseur du réductionnisme génétique et donc contre toute forme de dualisme, écrit que les êtres vivants sont tout simplement des machines commandées par leur ADN : « Les êtres vivants sont des machines chimiques ». Enfin de compte, la cellule vivante est l’équivalente d’une petite usine chimique et les processus chimiques et processus techniques ne font qu’un. Donc, si un trouble mental ne renvoie pas dans le cerveau à une désorganisation technique, en l’occurrence neuronale, alors ce trouble n’existe tout simplement pas. En effet, il n’existe rien d’autre que ces processus techniques et tout ce qui n’y est pas réductible n’a pas de réalité.
Cependant depuis les années 70, les neurosciences ont effectué des progrès considérables, notamment en matière d’imagerie cérébrale, qui ont permis de définir l’existence d’un inconscient. Néanmoins, elles ne tombent pas dans ce dualisme qui lui fait horreur puisque cet inconscient relève des mêmes grilles de lecture auxquelles est assujettie la conscience. Ainsi les neurosciences s’évertuent à réduire l’inconscient à des processus qu’elles maîtrisent de sorte qu’elles ne seront pas déstabilisées. En effet leur champ d’action est sur la matière donc tout ce qui ne lui est pas réductible ne peut être déterminé par elle. C’est parce que Descartes considérait que quelque chose en l’Homme ne pouvait se réduire aux mécanismes auxquels est soumis le corps qu’il a distingué une âme immatérielle. Cette âme qui agit sur le corps au moyen de la glande pinéale que l’auteur situe dans le cerveau, est elle-même une et indivisible comme le corps/machine (muscles, os, veines …) est multiple et divisible. Á son tour, André Green parle « d’une dénégation forcenée de la complexité du fonctionnement psychique et du même coup de l’inconscient […], par les défenseurs de la cause du cerveau, neurobiologistes, psychiatres et neurologues »*. Certes, la vie psychique dépend de l’activité cérébrale. Mais les neurosciences nient toute particularité du fonctionnement psychique d’un individu à l’égard des ses connexions synaptiques qui ont lieu dans son cerveau. Elles considèrent que ne pas reconnaître que seules les neurosciences nous permettront de comprendre la vie psychique de l’individu serait antiscientifique car alors ce serait croire en l’Esprit et donc défendre une forme de dualisme ontologique dépassé aujourd’hui, tel qu’il fut théorisé par Descartes. Pour les neurobiologistes tous les troubles psychologiques ont une cause exclusivement organique, sinon c’est une maladie imaginaire. En mettant la conscience et les processus neuronaux au même niveau, elles excluent toutes formes de dualismes, comme le dualisme des substances de Descartes, ou le dualisme sémantique, mis en relief par Paul Ricœur[2], qui considère que le discours du corps et celui de la pensée sont irréductibles l’un à l’autre.
[1]A. Green, « Un psychanalyste face aux neurosciences » publié dans la Recherche d’octobre 1992, p1171.
* André Green, « Un psychanalyse face aux neurosciences », publié dans La Recherche, oct. 1992, p.1168.
[2] Débat entre Jean-Pierre Changeux et Paul Ricœur, Ce qui nous fait penser, Paris, Poches Odile Jacob, 2000, p.28.
Vous écrivez: »Les T.C.C. séparent les troubles psychologiques de l’individu qui les ressent et appliquent une méthode toute prête, rigide et incapable de s’adapter à l’individu singulier en face d’elles » air bien connu des psychanalystes seuls à prendre en compte le sujet.De même que les analystes se servent de concepts généraux( refoulement, pulsions…..) que l’on pourrait qualifier de rigides, les cognitivistes se servent de la notion de « schémas psychiques » , ils cherchent à comprendre le délire de psychotiques en tenant compte du contexte dans lequel il s’est développé et en en recherchant les causes antérieures et même sous-jacentes.
Vous écrivez: » elles( les T.C.C.) contraignent l’individu à se soumettre.Les cognitivocomportementalistes ne sont pas des lieutenants de marines, ils se contentent de conseiller et d’encourager les malades en pratiquant en collaboration avec eux et de manière progressive.Vous écrivez: » Une application de méthodes potentiellement dangereuses et nuisibles pour les sujets » là un concours peut être ouvert avec les analystes, ceux qui pensant guérir par la seule parole des bipolaires ou des schizophrènes les laissent sans médicaments avec des conséquences désastreuses ( alcoolose, suicides,agressions…).